Lucio Silla de Jean-Chrétien Bach (1775) - Les remaniements du livret
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- Publication : samedi 15 avril 2006 00:00
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Les remaniements du livret
Tout comme il l’avait fait pour Temistocle, le librettiste de la cour Mattia Verazi retravailla un livret originel. Il ne s’agit pas ici d’un livret de Metastasio, mais d’un de ses épigones, Giovanni de Gamerra, qui bénéficia des conseils de son aîné sur son texte. (On sait que celui-ci effectua des changements et remplaça une scène entière du second acte, selon une lettre de Leopold Mozart datée du 14 novembre 1773). La première mise en musique du texte est en effet celle du jeune Mozart, qui fut crée à Milan le 26 décembre 1772.
Le poète italien Giovanni de Gamerra (Livourne, 1743 - Vicenze, 29 août 1803), librettiste et auteur dramatique, connu pour ses mélodrames, reçut les ordres mineurs, puis étudia le droit à Pise, et finalement, opta pour une carrière militaire dans l’armée autrichienne entre 1765 et 1770. Il s’engagea dans un régiment stationné à Milan. En 1768, devenu lieutenant et écrivain de quelque renom, il publia un poème mineur, Campo Boemo, qui fut loué par Metastasio, avec lequel il avait dû rentrer en contact quand son régiment avait été appelé à Vienne. Des ennuis de santé l’obligèrent à quitter l’armée, et il retourna à Milan où il écrivit sa première pièce, I Solitari, en 1770. L’’uvre initia un nouveau genre, un mélodrame lacrymal dans lequel Gamerra fut réputé.
Il fut par la suite engagé comme poète au Teatro Regio de Milan de 1770 à 1774.
A Milan, il écrivit pour Mozart le livret de Lucio Silla, qui fut probablement montré à Metastasio, ainsi que le second opéra donné pendant la même saison de Carnaval, Sismano nel Mogol de Paisiello. (Mozart écrivit un air de concert tiré de ce livret, ‘ A questo seno non vieni’ O che il cielo a mi ti rende ‘, K 374, interprété par Cecarelli à Vienne en 1781)
En 1773, il publia sa Corneide, et en 1775, il fut nommé Poeta Cesareo et présenté à la cour de Vienne par Metastasio. Il y resta jusqu’en 1776 : durant cette période, il écrivit trois livrets pour Salieri, La Calamità de’cuori, (31 octobre 1774), La Finta Scema (9 septembre 1775) et Daliso e Delmita (29 juillet 1776)
En 1777, il partit de Vienne pour des raisons qui n’ont pas été éclaircies. Il retourna à Livourne, où, pauvre et malade, il tomba amoureux d’une jeune aristocrate, Teresa Calamai. La famille s’opposa à leur mariage. Le poète partit pour Naples, pour être rappelé à Livourne où la jeune fille venait de mourir. Bien qu’il se maria par la suite avec Anna Verace, il aurait fait déterré les restes de Teresa Calamai qu’il aurait conservé dans ses différentes demeures, tant à Pise qu’à Florence !
En 1786, il envoya des projets de rénovation du théâtre à Ferdinand IV de Naples, qui l’invita à venir diriger le théâtre de cour, mais qui le remercia par la suite, détestant le type de théâtre dans lequel il s’était rendu célèbre.
En 1793, il publia un poème réactionnaire, Batania e la Belgica liberate, dans lequel il condamnait la révolution. La cour de Vienne le nomma de nouveau poète impérial entre 1793 et 1802, période durant laquelle il écrivit quatre autres livrets pour Salieri et deux pour Joseph Weigl (Giulietta e Pierotto, L’amor marinaro)
Gamerra traduisit en italien le livret de la Flûte enchantée, et cette version fut donnée à Prague en 1794.
En 1802, il se retira à Vincenze et y vécut confortablement sur sa pension jusqu’à sa mort.
Le livret de Gamerra fut également mis en musique par Anfossi (1774, à Venise), et Mortellari (1779, à Turin).
Les modifications effectuées par Verazi, tout comme pour le texte de Temistocle, portent sur un resserrement de l’action (les récitatifs sont allégés) et une focalisation sur les personnages principaux : les rôles secondaires ainsi sont sacrifiés. Par exemple, dans l’acte II, les scènes dévolues à Cinna et à Celia sont refaites afin de faire porter le regard sur les protagonistes principaux.
Cependant Verazi ne retouche pas les finales des actes dont la structure reste sensiblement la même. Il va porter ses efforts sur les récitatifs qu’il rend plus percutants et concis, amplement plus dramatiques en enlevant les discours secondaires.
En ce qui concerne l’Acte I, seul le texte de l’aria n°5b (Silla) est modifié. ‘ Il desìo di vendetta’ ‘ devient
‘ Nel odio costante Se amante mi sdegna, Nemico mi provi Quell’ alma indegna, Spietato mi trovi Quel perfido cor. Farò de mei torti Funesta vendetta, Le straggi, la morte, Già medita e affretta Amor oltraggiato Cangiato in furor. |
(Constante dans sa haine, si elle me dédaigne comme amant, je serai ennemi de cette âme indigne, je serai sans pitié pour ce coeur perfide. Je ferai de mes torts Une vengeance funeste, Les tortures, la mort, Déjà médite et hâte L’amour outragé, Transformé en fureur.) |
L’Acte II est le plus remanié :
‘ Les récitatifs de la scène 2 (Silla et Celia) et de la scène 4 (Cinna) sont abrégés, ceux de la scène 3 (Celia, Cinna) et de la scène 5 (Silla, Giunia) refaits, le récitatif de la scène 7 (Giunia) retouchés.
Les scènes 8 à 11 sont identiques aux scènes 12 à 14 du livret de Gamerra. ‘ (J-M Fauquet
En ce qui concerne les airs, les arias n° 8 (Aufidio, ‘ Guerrier, che d’un acciaro.. ‘ ) 11 (Cinna, ‘Nel fortunato istante’ ‘ ) et 13 (Cecilio, ‘Ah, se morir mi chiama’ ‘) ne changent pas.
Les airs n°10 (Celia, ‘ Il labbro timido ‘) et 12 (Silla, ‘ D’ogni pietà mi spoglio’ ‘) comportent des variantes (entre parenthèses le texte de Gamerra, en gras les ajouts de Verazi)
L’air de Celia devient :
(Se) Il labbro timido
(Scoprir) Appien non osa
La fiamma ascosa
Svelarti ancor
Ma Per lui parlano
Queste pupille,
Per lui ti spiegano (svelino)
Tutto il mio cor.
Ah, che dir poss’io’
Quant à Silla, son air est transformé de la manière suivante :
D’ogni pietà mi spoglio,
Perfida donna audace,
Se di morir ti piace
Quell’ ostinato orgoglio
Presto tremar vedrò.
Ma il cor mi palpita’
Perder chi adoro ‘
Traffiger barbaro,
Il mio tesoro ‘
Che dissi ‘ Ho l’amima
Vile a tal segno ‘
Smanio di sdegno :
Morir tu brami,
Crudel mi chiami ‘
Tremane, o perfida,
Crudel sarò.
Dans la refonte des scènes, certains éléments sont déplacés :
L’air ‘ Ah se il crudel periglio ‘, qui était n° 11 chez Gamerra, devient n° 14 chez Verazi et est déplacé scène 7.
Le texte de cette aria est modifié de manière plus importante. La deuxième strophe est remplacée par :
Molle di pianto il ciglio, Fra tanti mali miei,, Sol per l’amante, o Dei, Io chiedo a voi pietà. |
(Mes yeux noyés de larmes, Au milieu de tant de tourments, ` Pour mon amant, o Dieux, Je demande votre pitié.) |
L’aria de Silla (n° 9) est intégralement refaite et devient, à la place de ‘ Quest’ improviso ‘ chanté par Cecilio :
Anch’io per un ingrata L’alma ho spiegata in seno E ognor sospiro e peno Bramando invan pietà. Ma infin si stanca e cede La fede e la costanza Se d’ottener mercede Speranza il cor non ha. |
(Moi aussi, pour une ingrate, j’ai l’âme nue dans mon sein, et je souffre et je gémis demandant en vain pitié. Mais à la fin, fatigue et se lasse Et la foi et la constance, Si d’obtenir merci Le c’ur n’a pas d’espoir.) |
L’Acte III est refondu en neuf scènes (comme pour l’original), mais en concentrant certains passages de récitatif. Les textes des airs restent les mêmes, y compris, celui de l’aria n°21b qui est mis en musique, ce que Mozart n’avait pas fait à Milan :
Se al generoso ardire Propizi so gli dei Questo de’ giorni miei, Questo il più bel sarà. Vedrassi amor quel raggio Splender sul viver mio Che del oscuro oblio Trionfator si sà. |
(Si à mon ardeur généreuse Les dieux sont propices Ce jour sera Le plus beau (de ma vie) L’amour verra ce rayon Briller sur mes jours Qui sera vainqueur Sur l’obscurité.) |
Il est intéressant de noter que l’air ‘ Il timor con passo incerto ‘ (Silla, II, sc 2) écrit par Gamerra et qui n’a pas été mis en musique par Mozart, n’a pas été réintégrée dans le livret.
Avec ce texte, le personnage du dictateur reprend la place qu’il n’aurait pas du perdre, sinon par le remplacement en dernière minute d’Archangelo Cortoni par Bassano Morgnoni, qui avait contraint Mozart à revoir sa partie à la baisse.
La prééminence du rôle-titre est également mise en évidence par le nombre de ses airs : il en a quatre, alors que les autres personnages ne sont gratifiés que de trois, à l’exception d’Aufidio qui n’en a qu’un. L’équilibre des registres vocaux est également plus varié chez Bach que chez Mozart, le rôle de Cinna ayant été confié à une basse.