Il Re pastore (K. 208) de Mozart, une pastorale politique.
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- Publication : mercredi 8 février 2006 00:00
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Les circonstances de la commande et la représentation
Le 7 mars 1775, les Mozart revinrent de Munich (où ils avaient passé les fêtes de Carnaval pendant lesquelles Mozart avait fait représenter sa Finta Giardiniera).
Le 19 avril, ils furent visités par le castrat Tommaso Consoli (qui avait créé Ramiro dans cet opéra) et le flûtiste Johann Baptist Becke, comme en témoigne le journal de Joachim Ferdinand von Schiedenhofen, Conseiller au Consistoire, et par la suite Chancelier Provincial :
« Dans la soirée, le conseiller Mölck m’accompagna, et nous allâmes chez les Mozart, où j’y rencontrai le castrat Consoli et le musicien jouant du traverso, Becke, qui venaient tous les deux de Munich. »
Ces derniers étaient effectivement venus de Munich pour participer aux festivités organisées par la cour de Salzbourg pour le séjour de l’archiduc Maximilien-Franz -(1756-1801), futur prince-archevêque et électeur de Cologne, et futur protecteur de Beethoven-, le plus jeune fils de Marie-Thérèse, qui venait de Vienne, et faisait une halte sur son voyage vers l’Italie. Il revenait tout juste d’un séjour parisien où il avait rendu visite à sa soeur Marie-Antoinette.
Il est d’ailleurs tout à fait possible que ces deux musiciens aient usé de l’entremise de Leopold Mozart pour ces contrats, comme tendrait à le prouver une mention plus tardive dans les registres de comptes de Salzbourg datant du 15 mai 1775 : « A Leopold Mozart, Kapellmeister du prince, pour nourriture, boisson etc’ servis par le Stenbräu aux deux virtuosi engagés de Munich, 98 fl. 47 kr. »
Dans les festivités organisées par le cour pour fêter le passage de l’archiduc, Mozart avait en effet été choisi pour composer un opéra pour l’occasion. Il dut se mettre à travailler assez vite dans le mois qui suivit son retour, sur le livret de Metastasio choisi, un texte très populaire, mais qui demanda quelques arrangements pour l’occasion.
Malgré un emploi du temps certainement très serré, Mozart n’en composa pas moins d’autres ‘uvres dans le même temps, comme le concerto pour violoncelle K. 206a (écrit en mars) et le concerto pour violon K 207 (daté du 14 avril 1775). Il est vrai qu’il avait apparemment été déchargé provisoirement de ses autres devoirs à la cour, pour l’occasion.
Le lendemain du jour de l’arrivée de Consoli et Becke, le 20 avril, Schiedenhofen note :
« [‘] après je me rendis à la messe de 9h 30, puis à la Cour, où on répète la serenada [sic] de Mozart. De là, j’accompagnai les Robinig chez eux. »
On ne sait pas combien de répétitions il y eut au total, mais il semble bien que ce fut la seule occasion pour Consoli de se caler sur les autres interprètes, car l’Archiduc arrivait le lendemain’
Maximilien-Franz résida chez l’archevêque et fut régalé les 22 et 23 avril de deux concerts :
Le 22, Schiedenhofen note :
« Dans la soirée, j’allais avec le Maire [Joseph Benedikt Loës] à la Serenada à la Cour, qui était du Sigr. Fischietti et pour laquelle le castrat Consoli et le flûtiste Becke de Munich étaient engagés. »
Il ne s’agissait pas ce soir-là de l’oeuvre de Mozart, mais de Gli Orti esperidi, un texte de Metastasio, mis en musique par Domenico Fischietti (1720-1810), le Kapellmeister de Salzbourg, sous les ordres duquel Leopold et Wolfgang étaient placés. (On sait quelle avait la déception de Leopold len mai 1772, lorsque Colloredo avait fait venir d’Italie ce musicien, pour remplacer le Kapellmeister Lolli, trop âgé pour remplir ses fonctions. Leopold avait évidemment brigué le poste et ne pardonna jamais à son employeur d’avoir choisi un Italien en préférence de ses services : ce fut l’une des nombreuses pommes de discordes entre la famille Mozart et l’archevêque.)
Toute la noblesse salzbourgeoise assista au dîner et au concert.
Pour le dimanche 23 avril 1775, les renseignements sont un peu moins lacunaires. Nous savons par le « Journal de voyage » de l’Archiduc (conservé aux Archives nationales de Vienne), tenu très certainement par le comte Johann Hardegg, chargé de la supervision de l’organisation du voyage, que
« [‘] de plus, la soirée se termina comme la veille, par une musique-concert et un souper au Palais, et en ce qui concerne le concert, la différence est que le changement était le suivant : la veille, la musique avait été écrite par le célèbre Kapellmeister Fischietti, et la musique pour la cantata [sic] de ce soir, était par le non moins célèbre Mozart. »
Il est tout à fait possible que le compositeur ait dirigé l’oeuvre, et ait même tenu la partie de violon dans l’aria L’amerò, sarò costante.
Photographie © DR
Les festivités n’étaient pas terminées pour autant ; pour la soirée du 24 avril, le « Journal de voyage » précise :
« [‘] comme les jours précédents, musique fut choisie comme divertissement, mais ce fut la comtesse Lüzau [Antonie, comtesse Lützow, une élève de Leopold Mozart] la nièce de l’archevêque, tout comme une autre dame, qui se produisirent sur le clavier, et qui furent accompagnées, à part l’Archiduc, par l’archevêque et les comtes Ugarte [Johann Wenzel, comte Ugarte, qui devint Hofmusikgraf puis en 1791 chargé des théâtres de cour], Czernin [Johann Rudolf, comte Czernin von Chudenitz, neveu de l’archevêque et frère de la comtesse], et Hardegg. Egalement, à la fin de la musique le célèbre jeune Mozart s’est fait entendre sur le clavier et a joué de mémoire /improvisé ( ‘) avec autant d’art que d’agrément. Ainsi se finit la journée, et à cause du départ matinal de l’Archiduc, tout le monde se retira tôt. »
Le déroulement de la soirée est confirmé par le journal de l’abbé Beda Seeauer, en date du 24 avril :
« Au cours de la soirée, à la réception, le Prince [l’Archiduc] condescendit à jouer le violino 2do et plusieurs personnes de la haute noblesse utriusque Sextus, avec notre Gracieux Seigneur [l’archevêque] in capite, comme il le fait presque chaque jour, prouvèrent leur habilité dans l’art de la musique. »
L’oeuvre fut-elle représentée en version scénique ou simplement comme un oratorio ?
Sur ce point, comme nous l’avons vu, les détails manquent dans les sources disponibles mais la rapidité d’exécution de la commande, tout comme l’absence de livret imprimé commémorant la représentation, plaident pour une exécution allégée.
Les circonstances de l’unique représentation ont fait débat, car les termes utilisés sont contradictoires. Comme on l’a vu plus haut, Schiedenhofen utilise le terme de « Serenada », alors que le journal de voyage de l’archiduc mentionne une « Cantata », alors que le livret originel porte dramma per musica.
Si l’on reprend la préface de la NMA (Neue Mozart Ausgabe), Wolfgang Rehm et Pierluigi Petrobelli précisent la définition de Serenada qui s’applique à « un type de représentation qui florissait à Vienne, dans lesquels les éléments de mise en scène étaient réduits au minimum ou totalement ignorés. »
L’utilisation d’un livret qui n’était pas celui d’origine écrit par Metastasio, mais la version réduite, déjà donnée à Munich en 1774 plaide pour une durée qui explique les termes de Serenada et Cantata utilisés par les spectateurs.
Cependant le musicologue Daniel Heartz, dans son Haydn, Mozart and the Viennese School (1740-1780) pense que Il Re pastore a pu être représenté avec une mise en scène : il considère que Colloredo a certainement voulu montrer toutes les ressources à sa disposition lors de la visite impériale, et que l’aria n° 13 Voi che fausti ognor donate suggère une mise en scène :
« [‘] Il n’y a pas de ritournelle introductive à l’air que va chanter Alessandro. Il s’agit plutôt d’une musique scénique, qui commence de manière placide, et qui culmine, avec une trajectoire mélodique jusqu’à l’Ut, comme au début de l’ouverture. Le rythme pointé et les fanfares, comme l’apogée se dessine, proclament non seulement le nouveau décor magnifique, mais également l’arrivée d’Alessandro et de sa suite en scène.»
L’allusion de Hertz au changement de décor, d’une grotte au temple se réfère au « changement à vue » qui aurait du s’opérer : dans le texte d’origine, le changement se fait entre les actes II et III, ne posant donc pas les mêmes problèmes au machinistes. Il est tout à fait possible, au contraire de l’assertion de Hertz, de plaider que ce changement, qui demandait une structure très performante, n’a pu être effectué, et que cela renforce l’argument d’une version de concert.
En effet, les éditeurs de la NMA répliquèrent en précisant qu’à l’époque Salzbourg n’avait pas de théâtre à proprement parler et qu’une mise en scène élaborée n’était pas possible, et que les changements apportés au livret originel indiquent une représentation tenue dans une sorte d’auditorium et non dans un théâtre avec la machinerie adéquate.
Le débat reste donc ouvert, en attendant que d’autres documents puissent trancher définitivement.
Le livret : création, avatars et réception
Le livret choisi en l’honneur de Maximilien-Franz était vraisemblablement connu de l’Archiduc, étant donné qu’il avait été donné la première fois en l’honneur de sa mère Marie-Thérèse le 27 octobre 1751, également le jour de sa naissance, le 8 décembre 1756 (sur une musique de Gluck) et par sa fortune européenne variée, puisqu’il ne fut donné pas moins de 25 fois sous la plume de compositeurs différents jusqu’à la fin du siècle.
Il s’agit au départ d’un dramma per musica composé pour une représentation donnée au théâtre des jardins impériaux de Schönnbrunn. Metastasio termina son texte en avril 1751, à la demande de l’impératrice Marie-Thérèse ; il devait également se charger de diriger et de faire répéter les courtisans choisis pour l’occasion : le comte Bergen (qui chanta Alessandro) et Mmes Frankenberg, Kollonitz, Lamberg et Rosenberg, qui se chargèrent des autres rôles. (Contrairement à ce qui a été parfois avancé, les acteurs de la représentation n’étaient pas des membres de la famille impériale, mais des courtisans.) En plus de cette tâche assez lourde, il était également responsable des décors et costumes. Si ses premières remarques furent assez négatives, il finit par être content du résultat, contentement qui ne résista pas à la demande impériale de renouveler l’opération : ce fut la création de L’Eroe Cinese
Les sources du livret sont Justinien (IX, 10) et Curtius Rufus (Historiarum, IV, 3) comme le précise Metastasio dans sa préface :
« Fra le azioni più luminose d' Alessandro il Macedone fu quella di aver liberato il regno di Sidone dal suo tiranno, e poi invece di ritenerne il dominio, l' avere ristabilito su quel trono l' unico rampollo della legittima stirpe reale che ignoto a sé medesimo povera e rustica vita traeva nella vicina campagna (Curtius, liber IV, capitulum III; Iustinus, liber II, capitulum X).
Come si sia edificato su questo istorico fondamento si vedrà nel corso del dramma.
La scena si finge nella campagna ove è attendato l' esercito macedone a vista della città di Sidone.
[A travers les actions les plus méritoires d’Alexandre de Macédoine, on compte celle par laquelle il libéra Sidon de son tyran, et au lieu d’en garder la souveraineté, il rétablit sur le trône l’unique rejeton de la lignée royale légitime, qui l’ignorant lui-même, menait une vie rustique et misérable, dans la campagne voisine.
Comment j’ai édifié mon ‘uvre sur cette trame historique se verra dans le cours de la pièce.
Le théâtre figure une campagne où l’on voit le camp militaire macédonien et une vue de la cité de Sidon.] »
Ces texte antiques sont également étayés par Diodore de Sicile (Bibliotheca, XVII), et Trogus (Historiae, XI) ; ces derniers ont trouvé aussi leur chemin jusque dans l’Aminta du Tasse, dont Metastasio se souvint également dans son texte.
Ces sources racontent la manière dont Alexandre le Grand rétablit le jardinier Abdolonymus sur le trône de Sidon.
Mais le nom du héros antique fut un problème pour Metastasio, comme il le confia à Tommaso Filipponi le 10 juin 1751 :
« La mia nuova opera ha per titolo il Re pastore. Il fatto è la restituzione del regno di Sidone al suo legittimo erede. Costui avea un nome ipocondriaco, che mi avrebbe sporcato il frontespizio. Chi avrebbe potuto soffrire un'opera intitolata l'Abdolonimo ‘ Ho procurato di nominarlo il meno che m'è stato possibile, perché fra tanti non avesse il mio lavoro ancor questo difetto. Si rappresenterà in musica da cavalieri e dame, ma non prima del venturo dicembre: e fin là non può pubblicarsi senza delitto. [...]
[Mon nouvel opéra a pour titre Le Roi Pasteur. Il a pour sujet la restitution du trône de Sidon à son héritier légitime. Celui-ci avait le nom d’un hypocondriaque, qui aurait flétri ma page de titre. Qui aurait pu souffrir un opéra intitulé Abdolonyme ‘ Je me suis débrouillé pour le nommer le moins de fois qu’il était possible, parce que je ne voulais pas encore ajouter à mon ‘uvre ce défaut-là. Il sera représenté en musique par des cavaliers et des dames, mais pas avant décembre prochain : et avant cela, je ne puis le publier sans commettre une faute.] »
Le nom du roi n’est en effet cité que deux fois dans le cours du l’oeuvre : Acte I, sc. 6, et Acte III, sc. 7 !
Metastasio reviendra sur le nom de son rôle-titre dans une lettre à Michele di Cervelloni, datée du 26 novembre :
« [‘] Il soggetto dell'opera è la celebre generosità d'Alessandro, che restituì il regno di Sidone al povero e sconosciuto Abdolonimo. Il titolo è il Re pastore per non prevenire svantaggiosamente i lettori innocenti con la barbarie di quel nome.»
[Le sujet de mon opéra est la célèbre générosité d’Alexandre, qui rendit le trône de Sidon au misérable et reconnu Abdolonymus. Le titre est Le Roi pasteur pour ne pas prévenir désavantageusement les lecteurs innocents contre la barbarie de ce nom.] »
Metastasio modifia donc l’histoire, donnant au roi déchu le nom d’Aminta et changeant son statut : de jardinier, il devint pasteur.
Le poète a écrit une action relativement simple et linéaire par rapport à ses pièces antérieures : le chassé croisé amoureux entre les deux couples se résout assez facilement, sans intrigue secondaire trop lourde. Cette simplicité revendiquée est cohérente par rapport à l’atmosphère pastorale, qui suggère un retour idéalisé à la simplicité des m’urs antiques revisitées et à l’analyse de la bonne gouvernance dont fait preuve Alessandro, rendant le texte propice à des célébrations officielles, vantant les vertus du souverain.
Achevée en mai 1751, l’’uvre ne fut représentée qu’en octobre, en raison du déplacement de la cour en Hongrie.
Finalement, le 1er novembre, Metastasio fit un compte-rendu à son banquier, précisant que l’’uvre avait été représentée par des cavalieri e dame, avec suffisamment de succès pour être répété. Le couple impérial fut ravi et le couvrit de compliments.
Comme le poète avait du être présent lors des répétitions, il avait attrapé froid, comme il s’en plaint lors d’une lettre écrite à son caro gemello, le castrat Carlo Broschi, dit Farinelli, datée du 6 novembre 1751, mais
« [...] Mi consolo che il Re pastore, qual io vi mandai subito che fu impresso, potrà perfettamente servirvi. Egli è allegro, tenero, amoroso, corto, ed ha in somma tutte le qualità che vi bisognano. Qui non si ricorda alcuno d'uno spettacolo che abbia esatto una concordia così universale di voti favorevoli. Le dame che rappresentano fanno l'incredibile particolarmente nell'azione. La musica è così graziosa, così adattata e così ridente che incanta con l'armonia senza dilungarsi dalla passione del personaggio, e piace all'eccesso. [....]
[Je me console avec l’idée que le Roi Pasteur, que je vous ai envoyé dès qu’il a été imprimé, pourrait parfaitement vous servir. Il est allègre, tendre, amoureux, court, et a en somme toutes les qualités dont vous avez besoin. Ici on ne se rappelle pas avoir vu un spectacle qui excite une concorde aussi universelle d’appréciations favorables. Les dames qui le jouent sont extraordinaires, particulièrement dans leur jeu. La musique est si gracieuse, si adaptée et si riante qu’elle enchante avec l’harmonie, sans distraire des passions des personnages, et elle plait à la fureur.]
Il lui proposa également de lui faire copier la musique, tout en le prévenant que les tessitures des rôles pourraient ne pas lui convenir. Cet envoi préfigure la fortune européenne du livret qui obtint un succès raisonnable, quoique inférieur aux autres textes de Metastasio.

Une fortune européenne : Gluck et les autres
Le succès de l’oeuvre ainsi répétée ne se borna pas à Vienne. Dès 1752, le livret commença à voyager à travers l’Europe musicale.
Le livret fut mis de nouveau en musique à Vienne, cinq ans plus tard, cette fois-ci par Gluck, qui collaborait avec le théâtre de cour, par l’intermédiaire de l’intendant Giacomo Durazzo. Le livret était cette fois-ci destiné à fêter l’anniversaire de l’Empereur François I, le 8 décembre 1756. L’’uvre fut donnée cette fois-ci au Burgtheater.
Metastasio avait par ailleurs envisagé une mise en musique de son texte par Gluck, pour apporter des modifications à la musique de Bono, comme en témoigne une lettre datée du 6 décembre 1756, adressée à Farinelli, dans laquelle il lui offre son texte pour une mise au théâtre royal à Madrid, dont Carlo Broschi était alors directeur.
Il analysa ainsi la musique de Gluck : «Conosco ancora altri due maestri di musica tedeschi, l’uno è il Gluck, l’altro Wagenseil. Il primo ha un fuoco maraviglioso, ma pazzo... [Je connais également encore deux autres maîtres de musique allemands, l’un est Gluck, l’autre Wagenseil. Le premier possède un feu merveilleux, mais fou’]».(lettre à Farinelli, 6 novembre 1751)
Le jour de la première de l’opéra de Gluck, il lui écrivit aussi :
« [...] In questo momento vengono a dirmi che l'augustissima padrona si è sgravata felicemente d'un picciolo arciduca. Te Deum laudamus. Spero che la Provvidenza che ne ha visibilmente cura la farà sgravar con la stessa felicità dell'altra sua gravidanza. Il battesimo sarà alle ore 7 di questo dopo pranzo, e il nuovo pellegrino di questo mondo si nominerà Massimiliano. [...]. L'opera che si rappresenterà questa sera nel pubblico teatro avrà certamente applauso: che cosa potrebbe dispiacere in questo giorno’ Il libro è il mio Re pastore, la musica è del Gluck maestro di cappella boemo, a cui la vivacità, lo strepito e la stravaganza ha servito di merito in più d'un teatro d'Europa appresso quelli ch'io compatisco, e che non fanno il minor numero de' viventi: e lode al Cielo qui non ne abbiamo penuria. La prima donna è la signora Caterina Gabrielli romana: giovane che non ha certamente l'eguale per l'eccellenza della voce, del gusto e dell'azione. (Avvertite per parentesi ch'io non ne son punto invaghito). I1 nostro monsieur Laugier, quando la prima volta l'intese, proruppe in espressioni inudite di compiacenza e di meraviglia, e non le fece grazia, ma pura giustizia. Il primo soprano è il signor Mazzanti, gran suonatore di violino in falsetto; non mancherà d'ammiratori, perché abbiamo palati per tutte le salse. Io quando sento cantare non son contento di stupir solamente, ma voglio che il cuore entri a parte de' profitti dell'orecchie. Ma questa è una scienza conceduta a pochi: e la natura non fa frequentemente lo sforzo di produr Farinelli. Gli altri cantanti della nostra opera figurateveli come vi piace per abbreviar la relazione.[..]
[En ce moment, on vient de m’apprendre que mon auguste maîtresse a donné heureusement naissance à un petit archiduc. Te deum Laudamus. J’espère que al providence qui s’en est manifestement chargée la libérera avec le même bonheur de ses autres grossesses. Le baptême aura lieu àa sept heures, et ce nouveau pèlerin dans notre monde s’appellera Maximilien. [‘]
L’opéra qui fut représenté ce soir au théâtre public (Burgtheater) a été certainement applaudi: mais quelle chose pourrait déplaire en un tel jour ‘ Le livret est mon Roi pasteur, la musique est de Gluck, maître de chapelle de Bohème, et dont la vivacité, la réputation et l’extravagance/invention, l’ont servi dans plus d’un théâtre d’Europe. Je le comprends fort bien et ceux qui pensent de même ne sont pas dans la minorité, car il n’y pas pénurie de ceux qui le portent aux nues. La prima donna est la Signora Caterina Gabrielli, romaine ; une jeune femme qui n’a certainement pas sa pareille pour l’excellence de sa voix, son goût et son jeu. (Entre parenthèse, je vous précise que je n’en suis pas épris.) Quand notre Monsieur Laugier l’entendit pour la première fois, il se répandit en expressions inhabituelles de plaisir et d’émerveillement, et ce n’était pas politesse, mais justice. Le premier soprano (castrat) est le Signor Mazzanti, grand joueur de violon en falsetto, mais il ne manque pas d’admirateurs, parce que nous aimons tous ce qui est piquant. Pour ma part, lorsque j’entends chanter, je ne me contente pas de m’étonner seulement, mais je veux que le c’ur y ait autant de part que l’oreille. Mais c’est une science que peu possèdent, et la nature ne fait pas souvent l’effort de créer un Farinelli. En ce qui concerne les autres chanteurs, imaginez les comme vous voudrez, cela abrègera mon compte-rendu.]
L’oeuvre de Gluck n’eut pas de reprise, comme le voulaient les circonstances de la commande, et les difficultés de la partition taillée sur mesure pour les grands virtuoses du temps.
Elle s’inscrit encore dans le mouvement près réformiste initié par Gluck et se cantonne encore à un modèle métastasien assez strict. Si la forme de la musique est loin d’être conventionnelle, la structure générale de l’’uvre le restait quelque peu, ce qui posa sans doute des problèmes au compositeur.
En effet, les propos tenus par Reichardt, qui ne s’attachent pas à une ‘uvre particulière, mais qui semble issue des années 1750, laissent entrapercevoir une gestation peut-être plus difficile :
« Dès qu’il lui était possible, Gluck essaya d’adapter sa musique à ceux qui devaient l’interpréter, et à l’endroit et aux circonstances de la représentation. Cela occasionna une brouille entre lui et Metastasio, car Gluck voulait altérer l’organisation et la distribution des rôles, pour qui cela s’adapte mieux aux chanteurs présents. Le résultat prouva la justesse du jugement de Gluck, lequel provenait de la sûreté de ses sentiments. »
Les compositeurs suivants s’approprièrent également le texte : Sarti à Pesaro en 1752 (puis redonné à Venise l’année suivante), Francesco Boschi (Prague, carnaval 1752), Johann Friedrich Agricola, Berlin 1752) ( ‘), Arvid Niclas von Höpken (1752), Francesco Antonio Baldassare Uttini (Drottningholm, 24 juillet 1755 et Venise, 1773). Ce fut d’ailleurs la seule partition italienne d’Uttini qui fut imprimée.
Hasse s’empara à son tour du texte, et le 7 octobre 1755, il créa son Re pastore au théâtre de cour de Hubertsbourg, pour fêter le jour anniversaire d’Auguste III, et redonnée le 7 janvier 1756 pour le Carnaval et encore le 7 octobre à Varsovie. L’opéra avait été composé à Dresde, où il était Kapellmeister depuis 1731. Une adaptation en fut même proposée à Londres le 22 janvier 1757. Il en aurait fait une révision en 1760 ou 1762.
Le texte fut également mis en musique par Maria Agnesi (1756 ‘), Antonio Ferradini (T. Reale di Madrid, 1756 ‘), Antonio Mazzoni (Bologne, 1757), Lampugnani (Milan, avril 1758), Piccinni (Florence, 27 août 1760), Giuseppe Zonca (Munich, 1760), Galuppi (Milan, 1758 et Parme, 1762, révision en 1766 pour Saint Petersbourg), J C Richter (Dresde, 1762), Jommelli (1757, puis Ludwisburg, 4 novembre 1764) et à Lisbonne ( ‘), version révisée par Silva en 1770), Giardini (7 mars 1765), Antonio Tozzi (Braunschweig, 1766 ou 1767),Guglielmi (première version en cinq actes, en 1767) au Teatro San Benedetto à Venise, avec Venanzio Rauzzini. Une autre version fut donnée, à Venise, en 1769, cette fois ci par Galuppi.
Puis, Anton Bachschmidt (1774), Marianna Tomba (Vérone, 1775), Tommaso Giordani (Londres, 1778), Ignazio Platania (Naples, Teatro San Carlo, 13 août 1778) (avec Luigi Marchesi), Matteo Ranuzzini (Dublin, carnaval 1784), Paolo Francesco Parenti (Naples, 1787), et Luciano Xavier dos Santos (Lisbonne, 1793 et 1797), ainsi que Pietro Pompeo Sales (dans les années 1780).
La version de Giardini (1765), donnée au King’s Theatre in the Haymarket comptait sans doute parmi les spectateurs Leopold et Wolfgang Mozart, lors de leur séjour londonien.
Une adaptation en langue anglaise faite par Richard Rolt sous le nom de The Royal Shepherd, An English Opera fut donnée le 24 février 1764 à Drury Lane, avec une musique de Rush ; cette ‘uvre fut donnée en même temps que l’Artaserses de Arne avec laquelle elle essaya de gagner les faveurs du public.
L’’uvre fut par la suite remaniée par F Tenducci, et donnée sous le nom d’Amintas, An English Opera à Covent Garden dès le 15 décembre 1769.

Munich 1774, fondement du texte utilisé par Mozart, et la version salzbourgeoise de 1775
Le livret de référence qui servit à Mozart n’était pas la version en cinq actes du dramma per musica de Metastasio, mais une version raccourcie en deux actes, créée à Munich l’année précédente, et dont le livret porte
« IL / RE PASTORE
DRAMMA / DA / RAPPRESENTARSI / IN MUSIKCA / NEL TEATRO NUOVO / DI CORTE / PER COMANDO / Di, S.A.S.E. / MASSIMILIANO / GIUSEPPE / DUCA dell'Alta, e Bassa Baviera, / e del Palatinato Superiore, Conte Pala- / tino del Reno, Acidapisero, ed Elet- / tore del, S.R.I. Landgravio di Leuch- / tenberg &tc. &tc.
Nel 1774.
La Poesia è del Signor Abbate Pietro /Metastasio, Poeta di, S.C.M.
La Musica è del Signor Guglielmi Mae- / stro di Capella Napolitano.
In Monaco.
Apresso Francesco Gioseppe Thuille
[...]
PERSONAGGI.
ALLESSANDRO, Re di Macedonia.
Il Sig. Domenico Panzachi , Virtuoso di Ca/mera di, S.A.S.E. di Baviera.
AMINTA, Pastorello amante d'Elisa, che incognito prima anche a se stesso, /si scobre poi l'unico legittimo erede del Regno di Sidone
Il Sig. Carlo Moschino, Virtuoso di Came/ra di, S.A.S.E. di Baviera.
ELISA, Nobile Ninfa Fenicia, dell'anti-/ca stirpe di Cadmo, amante d'Aminta.
Il Sig. Tomaso Consoli, Virtuoso di Came/ra di, S.A.S.E. di Baviera.
TAMIRI, Principessa fuggitiva figliuola /del Tiranno stratone in abito di Pasto- / rella amante d'Agenore.
La Sig. Rosa Manservisi.
AGENORE, Nobile di Sidone, amico /d'Alessandro, amante di Famiri.
Il Sig. Adamonti, Virtuoso di Camera di, S.A.S.E. di Baviera.
Comparse.
Di Soldati Macedoni.»
La musique était certainement la refonte de celle de 1767 composée par Guglielmi pour Venise.
Par rapport au texte originel de Metastasio, cinq airs ont été supprimés :
Acte I : So che pastor son io... (Aminta)
Acte II :Al mio fedel dirai’ (Tamiri), Ogn’altro affetto ormai’ (Agenore), Ah per voi la pianta umile... (Aminta)
Acte III : Io rimaner divisa... (Elisa), ainsi que le finale de l’Acte II.
Les récitatifs ont été très élagués, surtout dans les second et troisième actes qui ont été fondus en un seul : par exemple, la première scène du second acte, qui voit Tamiri accompagner Elisa jusqu’au camp d’Alessandro , a été totalement supprimée. La césure entre les deuxième et troisième actes a fait l’objet de coupes importantes.
Le livret de Mozart contient un passage qui manque chez Metastasio et qui figure dans le texte de Munich : le passage précédant l’aria Aer tranquillo e di sereni (n°3), ainsi que l’air lui-même, et le récitatif accompagné précédant le duetto de la fin de l’acte I.
Le ch’ur final fut totalement transformé, faisant entrer les couples d’amant les uns après les autres pour chanter les vertus d’Alessandro.
Il semblerait qu’il y ait quelques retouches supplémentaires des récitatifs par rapport au texte munichois.
Ces sections peuvent avoir été rajoutées par le librettiste de Salzbourg, qui est resté anonyme. Il a été avancé qu’il pouvait s’agir de l’Abbé Gianbattista Varesco (v.1736-1805), , futur librettiste d’Idomeneo.
On ne sait d’ailleurs pas avec certitude qui fit le choix du livret, le commanditaire, Colloredo, ou bien Mozart.
Mozart semble avoir apprécié cette oeuvre de jeunesse, comme en témoignent les reprises partielles suivantes :
- Durant l’été 1775, il retravailla l’ouverture et la transforma en symphonie en lui adjoignant un nouveau finale (K. 213c). Il transforma l’air d’entrée d’Aminta ‘Intendo, amico rio) en un mouvement lent.
- L’ouverture du Roi pasteur fut donnée dans un concert chez Cannabich à Munich, le 13 février 1778 ; concert où se produisirent également Aloysia Weber, Rosa Cannabich et Friedrich Ramm. - Dans un autre concert, toujours chez Cannabich, le 12 mars 1778, Aloysia Weber interprèta Aer tranquillo e di sereni (ainsi que l’air de concert Alcandro, lo confesso’ K 294, tout juste écrit à son intention).
- Le thème de cet air est par ailleurs très proche de celui du Concerto pour violon en Sol majeur, K 216, écrit le 12 septembre 1775.
- Mozart écrivit en 1784 une cadence pour L'amerò, sarò costante : on pense que ces indications étaient destinées à Constanze, qui a sans doute interprété l’air lors d’un concert privé.
Réception critique du texte
Si l’’uvre fut relativement populaire dans les pays de tradition opératique italienne, on peut avoir une idée de la réception critique de l’’uvre, en dehors des pays de tradition « métastasienne », par les propos de Melchior Grimm dans sa Correspondance littéraire de 1768, après une représentation du Jardinier de Sidon, « Comédie en deux actes mêlée d’ariettes, par M Renard de Pleinchesne ; la musique est de M. Philidor » :
« [‘] mais la pièce n’a eu jusqu’à présent que de très-faibles représentations, et le ton général c’est d’en dire beaucoup de mal. Il est vrai que c’est un rude homme que M. de Pleincheisne ; il a choisi pour son sujet Abdolonyme, jardinier de Sidon, rétabli par Alexandre le Grand sur le trône de ses ancêtres. Feu M. de Fontenelle nous gratifia, peu de temps avant sa mort, d’un recueil de comédies de sa façon, qu’il aurait mieux fait pour sa gloire de ne jamais publier. Le berger et philosophe Fontenelle n’avait nui chaleur, ni naturel, ni rien de ce qu’il faut pour réussir au théâtre ; aussi n’a-t-on jamais tenté de jouer aucune des pièces de ce recueil. Le Jardinier de Didon est du nombre de ces pièces ; [‘] M. de Pleichesne nous en a présenté un squelette effroyable, où il n’y a ni action, ni intérêt, ni situation, ni sens commun : un mélange détestable de sentiments nobles et d’expressions basses prouve le bon goût de l’auteur. [‘]
Metastasio a traité le même sujet dans son opéra intitulé Il Re pastore, Le Roi pasteur. On n’a pas besoin de sortir des bruyères arides de M. de Pleinchesne, remplies de ronces et de chardons, pour sentir tout le charme de marcher dans les prairies délicieuses du divin Metastasio. Quelle touche gracieuse et aimable ! quel coloris doux et enchanteur ! Ce grand poëte a conservé le rôle d’Alexandre, car il a voulu traiter ce sujet dans le genre le plus noble. Cependant, car il faut tout dire, quand on lit à la tête d’une pièce Le Roi pasteur, on s’attend à autre chose qu’à voir un berger élevé par Alexandre sur le trône de Sidon en vertu des droits de sa naissance, uniquement occupé de sa passion pour sa bergère, et mettant toute sa gloire à renoncer plutôt à son trône qu’à son amour. Cette prétendue générosité est imitée par un autre couple amoureux, qui, suivant l’usage de l’opéra italien, forme une seconde intrigue subordonnée à la principale. Le grand Alexandre est enchanté de trouver tant d’amour et de fidélité dans le roi berger ; il en infère qu’il sera un excellent roi. Moi, je n’aurais pas raisonné comme Alexandre le Grand. J’ajoute que cette intrigue est nouée avec une extrême faiblesse, et que les malheurs dont les personnages se croient réciproquement menacés, et les sentiments qu’ils étalent en conséquence, ne subsistent que parce qu’ils ne veulent pas s’expliquer entre eux, ni se dire ce qu’ils se seraient certainement dit en pareille circonstance. Tout cela est puéril, frivole et faux ; mais est-ce la faute de Metastasio ‘ Non ; c’est que lorsque des spectacles ne sont destinés qu’a désennuyer une assemblée d’oisifs, il faut qu’il ses ressentent nécessairement de la frivolité de leur institution. Le Roi pasteur ! Quel titre ! quel sujet et quelle pièce, si l’art dramatique était appelé à faire de l’Europe une école de la morale publique, au lieu de servir à l’amusement de vieux enfants gothiques, qui s’avisent encore de faire les entendus et de parler de goût ! » (Correspondance Littéraire‘ Tome 8, pp. 145-148)
Grimm ne s’exprime décidemment sur l’oeuvre que par raccroc, car il y revint par la suite, par le biais de représentations à la Comédie-Française, le 6 mars 1776, d’une pastorale héroïque intitulée Abdolonyme, en trois actes et en vers, par Collet, « qui ne ressemble que de nom à M. Collé, auteur de La partie de chasse de Henri IV, du Théâtre de société et des meilleures chansons que l’on ait faites dans le siècle. » :
« Abdolonyme, ou le Roi pasteur n’est qu’une copie très-servile et très-fade de Il Re pastore de Métastase ; nous nous dispenserons donc d’en retracer ici le plan. On ne sera pas surpris qu’un sujet fait pour réussir à l’Opéra ait échoué sur un théâtre où l’on demande des situations mieux préparées, un intérêt plus soutenu, une action plus suivie et des caractères plus fortement prononcés. L’Alexandre de M. Colet n’a paru qu’un pédant hérissé de maximes et d’inconséquences, son Abdolonyme un roi plus mouton que pasteur, et son Elise une petite fille fort mal élevée. A quelques platitudes près, la pièce est assez naturellement écrite ; mais ce style facile n’est pas d’un grand mérite lorsqu’il ne tient qu’à la faiblesse des images ou à une suite de pensées et de tournures également communes. On ne saurait rendre avec plus de vérité l’effet de cette comédie qu’en disant qu’elle a paru aussi parfaitement ennuyeuse que le serait, bien entendu pour des oreilles françaises, un opéra sans musique. » (Correspondance Littéraire‘ Tome 11, pp. 213-214)
La critique de Grimm est à replacer dans les débats franco-français sur l’art dramatique et sur l’opposition très vive entre les formes françaises et italiennes, comme en témoigne la littérature polémique du temps. Ces reproches ne sont pas exempts de justesse, mais ne prennent pas en compte le cadre spécifique de production viennois.
La critique récente a également été assez dure avec cette ‘uvre, considérant que le texte, considéré comme assez faible, ne constituait pas un support suffisamment dramatique pour la musique de Mozart, et que cela expliquait l’inégalité de la composition. C’est ne pas tenir compte de la spécificité de ce type de littérature, à la destination très ciblée, et des coupures pratiquées dans la mouture Salzbourgeoise.
En effet, le dialogue, central dans cette thématique, entre Alessandro et Aminta (Acte II, scène 4 chez Metastasio) dans lequel le conquérant explique comment un « bon pasteur » doit « guider son troupeau » a été impitoyablement coupé à Salzbourg.
Or ce passage justifie toute la structure de l’’uvre. Il se trouve quasiment au faîte de la pièce, et est en fait, une leçon politique importante, un rappel des devoirs (et des droits) du souverain. Certes, les allusions sont noyées dans un langage allusif et poétique, mais il ne faut pas oublier que le texte originel a été conçu pour une fête de cour, où les choses doivent être dites sans être pesantes.
Il s’agit en effet, sous couvert d’une poésie gracieuse et élégante, de réitérer des principes politiques et idéologiques, d’autant plus mis en valeurs par les circonstances de la représentation. On retrouve souvent, par exemple, dans ce type d’’uvres programmatiques le thème de la clémence du souverain, qu’elle soit montrée sous couvert de celle de Scipion ou de Titus. On a d’ailleurs pu faire un lien ente ces ‘uvres à thèse et les thèmes favoris des représentations picturales auliques, qui reprennent une organisation de l’espace ou des costumes qui font irrésistiblement penser aux arts de la scène.
Les indications données par Metastasio s’apparentent à un tableau et permettent de visualiser l’intrigue, tant dans ses didascalies, qu’à l’intérieur des dialogues, qui préfigurent l’action (Agenore indiquant à Aminta, comment il va voir Alessandro, par exemple, à l’Acte II.) et aident le spectateur à « voir » la trame du récit.
Le rôle pédagogique du poète est ici évident : il ne se contente pas d’indiquer l’appareil scénique, mais il souligne aussi, dans la structure de son texte, la valeur symbolique de certains éléments de la mise en scène.
Les éléments emblématiques du pouvoir royal sont particulièrement mis en valeur, comme il est logique dans une pièce qui traite en toile de fond de la prédestination au pouvoir.
Cette élection royale n’est pas seulement évidente par la noblesse « naturelle » du roi-pasteur : Aminta est décrit par Alessandro comme étant d’un maintien noble. (Che signoril sembiante. et Eran già grandi / le prove tue; ma quel parlar, quel volto / son la maggior. Che nobil cor! Che dolce, / che serena virtù. (I, sc.3)
L’autre signe (plus théâtral) de son pouvoir est le vêtement royal qu’Aminta revêt dans l’Acte II.
Le développement de l’’uvre est rythmée par l’échange des vêtements, rustiques et royaux, par Aminta : mais les valeurs de ces deux vêtements, apparemment opposés, finissent par se rejoindre : le bon monarque n’est qu’un « pasteur d’hommes », et celui que l’on voit accéder au trône, avec toutes ses interrogations sur la bonne gouvernance, comme en témoigne le passage suivant,
AMINTA
Qual gloria, oh dei,
o saprò meritar, se fino ad ora
una greggia a guidar solo imparai’
ALESSANDRO
Sarai buon re, se buon pastor sarai.
Ama la nuova greggia
come l' antica; e dell' antica al pari
te la nuova amerà. [‘]
(II, sc. 4),
possède toutes les qualités nécessaires au gouvernement. L'éducation pourvoira à son manque d'expérience.
On ne peut non plus exclure que dans ces monarchies européennes de droit divin ou électives, le rapprochement avec la figure du Christ (le Bon Pasteur), qui reste de toute façon, très fortement sous-entendue sous cette figure royale.
Bien que le rôle-titre soit d’autant plus humanisé par ses doutes lors de son accession au trône et ses velléités de renonciation du pouvoir, le pouvoir royal n’en est pas pour autant affaibli dans sa représentation. Alessandro et Aminta sont deux facettes du même pouvoir, humanisé et tempéré par la vertu et l’expérience.
Alessandro est présenté comme un monarque idéal, juste et qui use avec intelligence de son pouvoir, figure d’arbitre ultime. En effet, il lui appartient de réorganiser rationnellement le chaos produit, tout autant par les circonstances que par sa décision de faire épouser Tamiri (fille du tyran vaincu, mais innocente de ses crimes) à Aminta (roi dépossédé), qui paraissait réunir l’ancien et le nouvel régime. Cette fonction organisatrice du pouvoir s’illustre tout particulièrement dans la dernière scène où il accepte de se déjuger : il apparaît ainsi faire renaître la justice et l’ordre social, alors qu’il le bouleverse : Aminta commet bien une mésalliance, qui fait écho à celle que pensait faire Elisa en épousant un simple berger ; le royaume qu’il promet à Agenore et Tamiri n’est pas bien défini. Mais cet acte est accompli avec une autorité paternelle qui reprend bien les éléments que l’on trouve dans les traités politiques du temps : le souverain est le « père de ses peuples ». On est donc ici en plein dans une « pédagogie du prince »
La pièce traite également des difficultés du métier de roi, dans la choix d’un bon ministre : encore une fois, cette allusion apparaît dans cette scène clé à laquelle nous avons déjà fait allusion, et qui donne son titre à l’ouvrage en donnant la synthèse de cet idéal monarchique et paternaliste.
Si Agenore offre à son tour ses conseils sur le mode de gouvernement, ce n’est que la part d’un sujet qui a bien intégré la leçon.
Le texte est donc bien un effort pédagogique qui redonne les principes fondamentaux du pacte social et presque contractuel de l’Etat, se superposant à son fondement électif.
Dans les autres pièces de Metastasio, on retrouve diverses variations sur le pouvoir, son exercice et ses fondements. Preuve que ce dernier était attentif aux débats politiques et idéologiques du XVIIIe siècle et qu’il sut adapter sa fonction de Poeta Cesareo aux évolutions de son temps : la forme très construite de ses textes permis également d’adapter ses ouvrages aux évolutions des idées. La Clemenza di Tito, même revisitée par Mazzolà, reste une magnifique machine idéologique qui arrive à mettre en garde contre le risque de contagion des idées de la Révolution française, tout en rappelant le souverain à la modération.
Toute cette rhétorique est celle du milieu aulique, pour lequel la pièce était destinée ; les n’uds de l’intrigue, les solutions dramatiques soulignant le rôle de l’arbitrage ultime du souverain, et même l’exécution du spectacle d’origine par des courtisans, tout était fait pour souligner de manière métaphorique le mode de fonctionnement symbolique de la cour des Habsbourg.
Ce texte montre une fois de plus le grand génie de Metastasio : créer un « théâtre du monde » avec des personnages issus de l’Antiquité, intéresser aux personnages tout en renvoyant à la personne du monarque commanditaire.

« La scena si finge nella campagna ove è attendato l' esercito macedone a vista della città di Sidone »
Photographie © DR
Les interprètes
Alors que Bonno et Gluck avaient écrit pour quatre sopranos et un ténor, Mozart rééquilibra l’ensemble en destinant à un second ténor le rôle d’Agenore.
Le rôle principal, Aminta, fut interprété par le castrat soprano Tommaso Consoli (Rome, vers 1753 ‘après 1811).
Consoli avait été membre de l’opéra de Munich entre 1773 et 1778 ; tout d’abord membre de la chapelle de cour, il y fit ses débuts scéniques dans le rôle de Theogenes de l’Achille in Sciro de F Sales. il avait d’ailleurs chanté en 1774 à Munich le rôle d’Elisa du Re pastore dans la seconde version de Guglielmi, raccourcie en trois actes. Il interpréta sans doute le rôle de Ramiro dans la Finta Giardiniera de Mozart.
Lors de son séjour salzbourgeois, il interpréta Adone dans Gli orti eseridide Domenico Fischietti, le 22 avril, et sans doute, le 23 avril, le rôle d’Aminta du Re pastore.
En septembre 1777, Mozart retrouva Consoli à Munich, « qui [le] reconnu tout de suite et a été extrêmement heureux de [le] voir [‘] » (lettre du 26 septembre 1777)
A la mort de Maximilien II, et lorsque l’Electeur Carl Theodor mit fin à son contrat en 1778, il repartit en Italie.
Le 27 mai 1778, il chanta Poro dans l’Alessandro nell’Indie de Luigi Marescalchi au Teatro San Benedetto à Venise, puis en janvier 1779, il y chanta Enea dans La Didone abbandonata de Joseph Schuster (avec Luisa Todi et Caterina Lorenzini) et dans le rôle-titre de Vologeso, re de’ Parti de G. Rust.
Au printemps 1780, il fait une halte à Mantoue, au Teatro Nuovo, et y chante un Cajo Mario.
En 1780, il interpréta Tito Manlio de Broghi au Teatro di Torre Argentina et Arsace dans le Medonte de Myslicecek.
En mai 1781, on le trouve dans l’Antigona de Gazzaniga au San Carlo de Naples, dans le rôle du prince Euristeo et la même année dans La Zemira de Francesco Bianchi. Le 13 août 1781, il chanta le rôle-titre de Montezuma de Zingarelli. Il y chante également le rôle-titre de Il Farnace de Giovanni Francesco Sterkel (2 janvier 1782).
En décembre 1782, au Teatro regio de Turin il créa le rôle de Sammete dans le Ninetti de Salvatore Rispoli , et peu de temps après dans Vologeso de Martin y Soler.
On le retrouve ensuite à Rome, où il interpréta (‘) La Semplice de Carlo Franco (Olimpia), Amore e musica de Marcello Bernardini (Calandrina).
Il est possible qu’il ait terminé sa carrière comme chanteur à la Chapelle Sixtine.
En l’absence d’un livret imprimé, on ne peut savoir précisément le nom des autres chanteurs, mais ils furent choisis au sein de l’ensemble des interprètes faisant partie de la cour de Salzbourg.
On peut donc supposer que les rôles de ténor (Alessandro, Agenore) furent interprétés par Franz (de Paula) Anton Spitzeder (2 août 1735 -19 juin 1796) et Felix Hofstätter (vers 1744-1814) et les rôles de soprano (Elisa, Tamiri) par Maria Anna Fesemayer (20 février 1743 - 1782), Maria Anna Braunhofer (15 janvier 1748 - 20 juin 1819) ou Maria Magdalena Lipp (1745 - 10 juin 1827), épouse de Michael Haydn.
Le départ de l’Archiduc Maximilien-Franz fit que l’’uvre ne fut pas reprise, et en dehors de la visite qui avait provoqué la commande, il n’y avait aucune raison de redonner cette pièce de circonstance.
Après cette occasion inespérée de montrer ses capacités dans l’écriture d’une ‘uvre dramatique, Mozart dut se contenter de ses tâches à la cour.
Il composa parallèlement diverses ‘uvres pour clavier et violon, mais la période ne semble pas avoir été très épanouissante pour lui, professionnellement parlant, comme en témoigne sa correspondance avec le Padre Martini, auquel il envoya son motet Misericordias Domini K. 222. (Lettre du 4 septembre 1776)
Ce mécontentement latent le poussera plus tard à aller chercher fortune ailleurs. Mais c’est une autre histoire’
Lien utile : On peut trouver le livret du Re Pastore (accompagné de sa traduction), sur le site ODB.
Emmanuelle Pesqué