'Zanaida' de Johann-Christian Bach - Représentations et accueil critique
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- Publication : dimanche 14 août 2011 00:00
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Représentations et accueil critique
Il fallut attendre la toute fin de la saison pour entendre le second opéra de Bach, qu’il devait encore par contrat. La première eut lieu le 7 mai 1763. Cette représentation fut suivie de celles des 14, 20, 27 et 31 mai puis celle du 11 juin, qui marqua la fin de la saison. Cette programmation tardive ne permit pas de développer un cycle plus long de représentations.
La distribution était :
Zanaida : Anna Lucia de Amicis (soprano)
Mustafa : Gaetano Quilici (ténor)
Osira : Giovannina Carmignani (soprano)
Aglatida : Mariana Valsecchi (soprano)
Gianguir : Giovanni Battista Zingoni (ténor)
Roselane : Livia Segantini (soprano)
Tamasse : Domenico Giardini / Ciardini (castrato mezzo soprano)
Cisseo : Giuseppe Giustinelli (soprano castrato)
Silvera : Clementina Cremonini (soprano)
Charles Burney a relevé que Bach mérite plus de louanges pour « la richesse de l’accompagnement » que pour « l’originalité des mélodies ». Par ailleurs, il précise que « les airs principaux de ces deux opéras [Orione et Zanaida], bien qu’excellents, étant calculés pour afficher la tessiture ainsi que l’expression et la réalisation délicate et difficile de la De Amicis, n’étaient pas destinés à être repris ou de quelque utilité en dehors du King’s Theatre. Le reste des airs fut chanté si médiocrement qu’ils furent admirés plus comme des pièces instrumentales que des compositions pour la voix. » (op. cit. , p. 481-482, trad. E. Pesqué.)
Johann-Christian Bach fit évidemment les frais des cabales locales. Un détracteur qui signe sous le nom de « Arcangelo Bimolle » a laissé un compte-rendu assassin de la première dans The London Chronicle for the Year 1763, From January 1, to June 30. Volume XIII, n° 1001, p. 500, dans sa soi-disant « Traduction of a Second Letter from Signor Bimolle (A Florentine Fiddler) in London, to the Signora Chiara Aquilante (the famous Opera-Broker) at Naples. » (trad. E. Pesqué) :
« « L’Orion ayant triomphé en dépit du bon sens et du bon goût pendant environ deux mois, laissa finalement la place à la Zanaida. Comme leurs mérites sont presque égaux, et leur juge, la réputation, il n’est pas nécessaire de vous dire que cela fut hautement applaudi. »
Après avoir relevé les absurdités du livret (principalement dans les épisodes inventés par Bottarelli par rapport à son modèle), il dénonce la « mise en scène » :
« A propos de chaînes ! – Mon ami Giustinelli fait une erreur énorme quand il enchaîne Zanaida ; car il la menotte, alors qu’il est aussi clair que des mots peuvent l’exprimer qu’il devrait plutôt l’entraver. Qu’il le fasse pour épargner à la Amici de rougir, ou pour épargner ses bas, je ne prétends pas le décider, car ce n’est pas d’une grande importance, puisque c’est de toute façon absurde, et gâche le meilleurs vers de tout l’Opéra. – Pensez à une Princesse, Madame, qui sort de scène avec les poignets liés, mais ses jambes tout à fait libres, et qui pleure,
« Regina son colla catena all piede » [Je suis Reine, les fers aux pieds] (Acte II, sc 5)»

Photographie © Gert Mothes
En ce qui concerne la musique, malgré ses préventions, « Bimolle » est obligé de rendre en partie les armes :
La musique de Zanaida est la preuve incontestable du goût frivole de cette ville. Bach, comme je vous l’ai dit dans ma dernière lettre, avait inséré quelques airs admirables &c &c dans Astarto, mais il n’y eut pas foule, et cet ouvrage a expiré avant la Noël après avoir langui un temps. Surpris par ceci, et ne sachant si cela relevait du goût dépravé des Anglais ou s’ils n’avaient tout bonnement aucun goût, il décida de le mettre à l’épreuve ; et produisit cette berceuse harmonieuse, qu’on appelle l’Opéra d’Orione. – L’expérience fut décisive ; vous en connaissez le succès, Madame ; le public fut transporté par le gémissement des hautbois et le grognement des bassons, et ce grand maître rougit de recevoir les seuls applaudissements qu’il n’avait jamais réellement mérité.
Mais certains ont affirmé, que les beaux Airs d’Astarto n’ont été boudés pour aucune autre raison que leur mauvaise exécution, et que le triomphe d’Orione était uniquement dû au mérite transcendant de la Amicis. Bach, pour déterminer la fausseté ou l’erreur de cette affirmation, a, dans Zanaida, donné à cette même Amicis, près de la fin du second acte, un des airs les plus magistraux qu’un homme ait jamais composé ou une femme jamais interprété ; et qui, pour dire vrai, elle exécute d’une manière qui lui ferait honneur même en Italie. Et pourtant, quelle en est la conséquence ! Ces Midas bissent une Cavatina enfantine qu’elle chante dans le troisième acte, et consacrent le Parto Addio au tabac à priser et à la discussion politique ! - Ainsi, Madame, voici ce point épineux enfin décidé ; et maintenant, Bach et ses acteurs sont pleinement convaincus qu’ils ont l’honneur de jouer devant le public le moins connaisseur qui s’est jamais massé dans un théâtre aussi important. […] Ma foi, voila pourtant une nation furieusement bizarre ! (en français dans le texte) » (traduction E. Pesqué.)
La cavatine mentionnée est pourtant remarquable par l’utilisation des tailles, clarinettes et hautbois qui dialoguent avec la voix, tout en « prenant leur indépendance » (Laurine Quetin)… L’air de Zanaida « Parto, addio, io vado a morte » (II, 8), d’un émouvant pathos, est le dernier de l’acte, avant le choeur conclusif. S’il semble bien moins virtuose, il n’en est pas moins étonnant par les clairs-obscurs de sa tonalité « peu fréquente » (L. Quetin) en fa mineur (la seconde strophe est en si bémol mineur).
Ce que la critique anglaise ne relève pas, c’est l’introduction des chœurs faite par Bach dans ses ouvrages londoniens : s’il en insère cinq dans La Clemenza di Scipione et quatre dans Orione et Carattaco, il se montre plus timide dans Zanaida qui n’en comporte que trois. Est-ce par ce procédé que Bach s’est « Haendélisé », comme le soulignera la critique ?

Le livret fut écrit par Giovanni Gualberto Bottarelli, le poète attaché au théâtre. Il s’agit d’une adaptation du Siface de Metastasio. Parmi les changements effectués, le librettiste transporta l’action en Perse (Metastasio la situait en Numidie), changea les noms des personnages et les augmenta de six à neuf.
Certains passages des récitatifs du texte original sont inchangés, mais seuls deux airs subsistent. Un autre a été écrit par Goldoni. On ignore tout des relations de Bach avec son librettiste, qui est aussi le signataire du livret d’Orione.
Les personnages sont les suivants :
Zanaida, princesse turque, fille du sultan Soliman, fiancée de Tamasse
Tamasse, souverain de Perse, fiancée de Zanaida, amant d’Osira
Roselane, mère de Tamasse
Osira, fille de Mustafà, amante de Tamasse
Mustafà, ambassadeur turc, père d’Osira
Cisseo, prince person, au service de Tamasse, amoureux d’Osira et fiancé de Silvera
Aglatida, servante de Zanaida, amante de Gianguir
Silvera, princesse perse, amante de Cisseo
Gianguir, amant turc d’Aglatida
Après une longue guerre, Soliman, le sultan turc et Tamasse, le souverain de Perse sont en pourparlers de paix. Pour hâter les négociations, ils s’entendent pour échanger des otages. Il est décidé que Tamasse épousera Zanaida, la fille de Soliman. Pourtant, Tamasse est épris d’Osira, otage envoyée en Perse et fille de Mustafa (ambassadeur de Soliman en Perse).
[Acte I] Avant l’arrivée de Zanaida à Ispahan, la mère de Tamasse, Roselane, révèle à Osira le plan qu’elle a conçu pour faire épouser Osira à son fils plutôt que la fiancée prévue par le traité. Osira s’en réjouit et reprend confiance en une issue heureuse de son amour pour Tamasse (« Alla splendor del trono…, I, 1).
Zanaida et sa suite accostent (Marcia et Chœur, I, 3). Elle est accueillie par Mustafa, l’ambassadeur de son père et son fiancé Tamasse (« Imparai dal primo istante », I, 3), mais la cérémonie est courte et contrainte. Pendant qu’on conduit Zanaida et sa suite dans les appartements qui leurs sont réservés, Tamasse confie au prince persan Cisseo qu’il n’aime pas sa promise, mais Osira. Il demande à Cisseo de courtiser Zanaida, afin de pouvoir accuser cette dernière d’infidélité. Ce dernier est écartelé entre son obéissance pour son roi et son propre amour pour Osira ; il prétend néanmoins obéir aux ordres. (« La speme mi dice felice…, I, 6). Mustafa a compris que l’attitude de Tamasse cache un amour pour sa fille ; il en éprouve un fort déplaisir, étant un fidèle sujet de Soliman. Sa fille est donc une traitresse à ses yeux, et il veut l’en punir en la tuant. (« Almen la Parca irata », I, 4) L’intervention de Zanaida évite le pire. Sa rivale finit par lui avouer la vérité. Tamasse demande officiellement la main d’Osira à Mustafa. Ce dernier ne décolère pas et refuse de manière véhémente, tout en persistant dans ses intentions meurtrières envers Osira. Le quatuor conclusif expose les sentiments irréconciliables de Mustafa, Tamasse, Roselane et Zanaida. (« Empio paventa… »)
[Acte II] Roselane remonte le moral à Osira qui désespère, en lui préconisant de faire périr Zanaida. En effet, Tamasse envisage de la garder prisonnière au lieu d’honorer le traité. (« Ogni ragion mi chiama… », II, 1) Osira s’en trouve réconfortée. (« Se fra le tue ritorte », II, 2). A Cisseo qui vient la supplier de ne pas oublier son amour ancien (« Nel tuo poter sovrano », II, 3), Osira fait comprendre qu’elle préfère un avenir royal.
Tamasse se décide de passer outre et ordonne à Cisseo (malgré ses protestations) d’arrêter Zanaida et de l’enchaîner. Bien qu’il ressente un certain conflit entre son amour interdit et le respect de sa parole donnée, il décide de faire périr Zanaida. (« Ma che dissi io… Se spiego le prime vele », II, 4). Cisseo obéit. Zanaida est emprisonnée. La jeune femme refuse le secours de Mustafa, pour éviter un bain de sang. Mustafa n’en jure pas moins vengeance.
Tamasse produit une lettre supposément écrite par Zanaida, qui annonce le meurtre de Tamasse. Mustafa prétend être convaincu de la trahison de la princesse et prétend que le traitre doit mourir (« Ah ! l’impresa scellerata », II, 5). Zanaida proteste de son innocence et dit adieu à ses amis. (« Parto, addio… » II, 8) Sa suite prie les Dieux pour que l’innocente soit protégée et le tyran puni (Chœur « Voi nel ciel eterni Dei… », II, 9)
[Acte III] Gianguir, un suivant de Zanaida affirme qu’il faut désobéir aux ordres iniques et annonce la fin de la tyrannie de Tamasse (« A un cor forte... » III, 1).
Cisseo, comprenant qu’il n’a aucun avenir avec Osira, se tourne vers la princesse perse Silvera. (III, 2).
Zanaida, en prison, apprend de Cisseo que son sort est scellé et que sa condamnation à mort a été signée. Elle se lamente sur son sort (« Zanaida morrà… Chi pietà non sente al core… » ; III, 3).
Mustafa confronte sa fille (« Pensa che sei mia figlia… », III, 4), Tamasse lui renouvelle ses serments (« Pupille amabili del caro bene…, III, 5). Même le soutien de Roselane ne dissipe pas ses doutes. Elle réalise que si elle devenait reine en épousant Tamasse, elle ne serait qu’un pion dans les mains de son ambitieuse mère (qui réitère son désir de puissance, « Chiusi un petto un cor altero », III, 7).
Dans l’arène où on l’a conduit pour son exécution, Zanaida prévient le combat des deux factions turques et perses. Mustafa a tenté d’assassiner Tamasse pour la sauver et la situation est explosive. Vaincu par son courage et son sens de l’honneur, Tamasse la gracie et obtient le pardon de sa fiancée. Les noces de Tamasse et Zanaida auront bien lieu.
Bien que l’orchestre du King’s Theatre n’ait pas la virtuosité ni la taille de celui de Mannheim pour lequel il écrivit Temistocle et Lucio Silla, J-C Bach n’en introduisit pas moins certaines innovations. Burney fut sensible à « la richesse de l’harmonie, la texture ingénieuse des différentes parties, et surtout, l’heureuse et nouvelle manière qu’il fit des instruments à vent ; c’était la première fois que les clarinettes furent introduites dans nos orchestres à l’opéra. » (Burney, op. cit., p. 481). Les clarinettes avaient encore peu d’exécutants aguerris. L’instrument en était encore à un stade expérimental. Il semblerait que ce soit les flûtistes ou hautboïstes qui les aient joués, selon l’orchestration. De même, elle demande deux « tailles » (hautbois ténor) peu usités dans les orchestres de l’époque. [cf. WARBURTON, Ernest, “J. C. Bach's Operas”, p. 99 et 100.] Ernest Warburton note qu’entre 1761 et 1779, Bach augmente de manière spectaculaire le pupitre des vents.
Le compositeur a recyclé un air composé pour son Catone in Utica : le n° 15, « Ah ! l’impresa scellerata... » est une révision de « Va, ritorna al tuo tiranno… ».
Les textes des airs sont relativement courts et la structure musicale s’en ressent : Burney a noté que « les opéras de ce Maître sont les premiers dans lesquels le Da Capo a disparu, et qui, à cette époque, commençait à être abandonné : la seconde partie étant incorporée dans la première […] » (p. 483). Les airs de Zanaida ne relèvent donc pas d’une virtuosité classique, reflet sans nul doute des chanteurs moins virtuoses que ceux pour lesquels il avait écrit sur le continent. L’œuvre est donc un témoignage des capacités d’adaptation du compositeur, qui écrivit un ouvrage séduisant dans des circonstances difficiles.
Il est fort probable que le petit Mozart prit connaissance (au moins) de l’édition partielle des airs de l’opéra, publiée en 1763. William Jackson (1730-1803), musicien et compositeur d’Exeter, fut présent lors d’une rencontre entre « John » Bach et Wolfgang Mozart, si l’on en croit les extraits de ses Memoirs publiés en 1882. Il relate que
« Une anecdote sur [Mozart] mérite d’être conservée. Quand il n’était qu’un enfant (de moins de six ans, je crois), on l’exhiba comme un grand interprète au clavecin, et un extraordinaire génie pour la musique. Jean Bach prit l’enfant entre ses genoux et commença un thème sur cet instrument, puis il l’abandonna, et Mozart le poursuivit – chacun menant l’autre dans des harmonies abscondes et des modulations étrangères, dans lequel l’enfant battit l’homme. Nous regardions après coup l’air célèbre de Bach Se spiego dans Zanaida. La partition était à l’envers pour Mozart, qui faisait des galipettes sur la table. Il désigna une note en disant qu’elle était erronée. C’était le cas, bien que je ne puisse me souvenir actuellement si c’était le fait du compositeur ou du copiste ; mais c’était un exemple de discernement extraordinaire de la part d’un simple enfant.» (traduction E. Pesqué)
