Une trilogie Janáček

 

Nous fêtons en 2004 le 150ème anniversaire de la naissance de Janáček et le 100ème anniversaire de la première représentation de Jenůfa. Le compositeur tchèque est de plus en plus présent dans les programmations lyriques. S'il est encore peu connu du grand public, la séduction immédiate de son écriture orchestrale et ses livrets de qualité cinématographique font de ses opéras des oeuvres accessibles à un public néophyte en matière lyrique.
Le Théâtre du Capitole de Toulouse vient de rouvrir avec une production de Nicolas Joël de Jenůfa. L'Opéra National de Lyon présentera en mai-juin 2005 un cycle de trois opéras de Janáček. Le mois prochain, Gerard Mortier fera entrer au Palais Garnier une production de Kátia Kabanová et plus tard dans la saison, De la Maison des Morts à Bastille.

Les habitués des maisons d'opéra s'étonnent qu'une place aussi grande soit accordée à un compositeur peu vendeur. En fait, l'Opéra National de Lyon peut se permettre de présenter trois œuvres de Janáček en même temps en faisant appel à des productions du festival de Glyndebourne (mises en scène par Nikolaus Lehnhoff) qui ont déjà fait leurs preuves. Artistiquement, il ne s'agit donc nullement d'un pari risqué. Gérard Mortier agit de manière similaire en faisant venir de Salzbourg les productions qui y ont connu un franc succès public et critique, à l'exception de la troisième qui ne sera certainement jamais reprise, pour des raisons évoquées en fin de dossier.


La trilogie de Glyndebourne / Lyon : Kátia Kabanová, Jenůfa, L'Affaire Makropoulos

Les téléspectateurs français ont eu l'occasion de découvrir au moins deux de ces spectacles puisque le festival de Glyndebourne en a réalisé des captations (sans public), qui ont été diffusées à la télévision, notamment par Arte il y a plusieurs années, lors d'une soirée sur Anja Silja. Tous sont disponibles en DVD.

Nikolaus Lehnhoff n'essaie pas de transposer l'action à l'époque contemporaine. Sa Kátia Kabanová est traditionnelle.
C'est surtout dans les deux autres opéras que le talent de Nikolaus Lehnhoff éclate car il offre à Anja Silja des rôles à sa mesure. Cette soprano inclassable, parfois surnommée « la Callas allemande » trouve dans Jenůfa et L'Affaire Makropoulos deux des plus grands rôles de sa carrière, pourtant riches en rôles complexes.

Il est important de connaître la vie privée de la cantatrice pour se rendre compte à quel point Vĕc Makropulos semble avoir été écrit pour elle. L'héroïne mystérieuse de cet opéra est une diva qui a bu un élixir d'immortalité plus de 300 ans auparavant. Les effets de la potion magique s'estompant, elle tente de retrouver la formule afin de vivre encore 300 ans. Le personnage est cependant las d'avoir vu mourir tous ceux qu'elle aimait il y a si longtemps. Elle continue de chanter mais pourquoi, pour qui ? Ces questions existentielles sont aussi des questions que se pose Anja Silja, seule chanteuse au monde à faire le lien entre 3 siècles d'opéra. Sa carrière, d'une longévité exceptionnelle, a pris un envol international dans les années 1950 lorsqu'elle interpréta la Reine de la Nuit au festival d'Aix-en-Provence, où elle ne revint qu'en l'an 2000, justement pour y interpréter L'Affaire Makropoulos ! Elle connut une histoire d'amour passionnée avec Wieland Wagner, le petit-fils de Richard (qui lui est né en 1813), et devint l'une des actrices du nouveau Bayreuth. Malheureusement, Wieland mourut prématurément en 1966. Anja Silja connut une nouvelle passion avec les chefs d'orchestre André Cluytens, qu'elle décrit comme étant « une histoire digne de Tristan et Iseult ». Une histoire interrompue également très vite par la mort. En 1967, le chef français disparaissait à son tour. La soprano a déclaré revivre particulièrement la force de cet amour en jouant l'Affaire Makropoulos.

La production de Nikolaus Lehnhoff montre une héroïne splendide, diaboliquement séduisante, mystérieuse comme un caméléon qui change d'apparence à chaque tableau, pour finalement se livrer dans la vérité d'une femme qui ne veut plus mentir.

La production de Jenůfa est peut-être plus réussie encore. Chaque détail, chaque geste, chaque élément de décor servent idéalement la construction dramatique et musicale de l’œuvre. Lehnhoff ne tombe jamais dans l'anecdotique et évite tout débordement mélodramatique, faisant ainsi ressortir toute la froideur insoutenable du livret. Le destin sans pitié des personnages n'en est que plus bouleversant. Le cycle lyonnais est donc à ne pas manquer pour ceux qui se trouvent dans la région.


La trilogie de Salzbourg / Paris : De la maison des morts, Kátia Kabanová , Jenůfa

Gerard Mortier a tenu à faire entrer au répertoire du festival de Salzbourg trois opéras de Janáček, dont il a étalé la création sur une dizaine d'années : De la maison des morts (1992), Kátia Kabanová (1998), Jenufa (2001). Dès sa première saison à la tête de l'Opéra National de Paris, il propose deux de ces productions dans la capitale française.

La production de De la maison des morts de Klaus Michael Grüber n'a connu que quatre représentations, dirigées par Claudio Abbado, avec Nicolai Ghiaurov dans le rôle principal. L’œuvre, accessible, originale, lumineuse, optimiste, n'a aucun mal à attirer de grands chanteurs puisque cette saison, c'est José van Dam qui reprendra le rôle d'Alexander Petrovich Gorianchikov à Paris, tandis que René Kollo interprètera celui de Filka Morosov à Berlin.

La production de Christoph Marthaler de Kátia Kabanová a été commentée de nombreuses fois. Est-elle géniale ou inutilement sinistre ? Le spectacle, diffusé en direct sur Arte à l'époque, puis rediffusée, parue en CD et en DVD, est déjà bien connu. Le surprenant décor HLM d'Anna Viebrock est l'élément le plus perturbant. Son côté hyperréaliste est contrebalancé par son aspect totalement improbable. Alors que les bruxellois et les toulousains s'étaient précipités sur ce spectacle lorsqu'il avait été présenté dans leur ville respective, les parisiens semblent bouder son arrivée au Palais Garnier. Ceux qui aiment l’œuvre ont pu voir plusieurs fois la belle production traditionnelle de Götz Friedrich à l'Opéra Bastille et n'ont pas forcément envie de se déplacer pour un spectacle qu'ils connaissent déjà par la télévision. Pourtant, l'idée de confier à Marthaler une histoire banale de personnages médiocres est un coup de génie : le spectacle fascine en mettant l'accent sur la médiocrité de nos vies humaines, tout en faisant preuve d'une profonde poésie et d'une virtuosité réjouissante.

Le troisième opéra de Janáček présenté à Salzbourg par Gérard Mortier aurait dû être une réussite. Ce fut une déception. La première mise en scène lyrique de Bob Swaim sera certainement la dernière. Le réalisateur de Masquerade (et plus récemment, de Nos amis les flics) ne fut pas davantage traversé par un éclair de génie à la Felsentreitschule qu'il ne l'avait été à Hollywood. Il sembla même très embarrassé par le large décor naturel du manège au rocher qu'il essaya de masquer par un maladroit cadre de scène. Hildegard Behrens, star adulée à Salzbourg, était trop petite par rapport à Karita Mattila pour la dominer physiquement et la tessiture grave de la Kostelnička ne la mettait pas en valeur.

Il aurait semblé logique que Gérard Mortier permette à Jenůfa de faire son entrée à l'Opéra Bastille plutôt que de présenter dès sa première saison Kátia Kabanová, vue plusieurs fois depuis une quinzaine d'années (notamment avec Leonie Rysanek). Il ne pouvait malheureusement pas se reposer sur une production qui avait fait ses preuves et ne voulait peut-être pas prendre de risques sur une nouvelle. Les parisiens sont en tout cas assuré du haut niveau artistique des deux productions présentées cette saison.

 

DVD des productions qui seront présentées à Lyon et à Paris

Jenůfa : Andrew Davis / Nikolaus Lehnhoff - Roberta Alexander, Anja Silja, Philip Langridge - Festival de Glyndebourne (Arthaus)

Katia Kabanova : Andrew Davis / Nikolaus Lehnhoff - Nancy Gustafson, Felicity Palmer, Ryland Davies - Festival de Glyndebourne (Arthaus)

Katia Kabanova : Sylvain Cambreling / Christoph Marthaler - Angela Denoke, David Kuebler, Jane Henschel - Festival de Salzbourg, live (TDK) Egalement édité en coffret audio par Orfeo (2 CD).

The Makropulos case : Andrew Davis / Nikolaus Lehnhoff - Anja Silja - Festival de Glyndebourne (Warner - en import)

Précédemment édité en VHS :
De la maison des morts : Claudio Abbado / Klaus Michael Grüber - Nicolai Ghiaurov, Philip Langridge, Andrea Rost (Deutsche Grammophon - épuisé)

 

Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir