Anton Raaf (1714-1797)
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- Publication : samedi 14 février 2004 00:00
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( Les interprètes créateurs III )
Anton Raaf (ou Raaff) Baptisé le 6 mai 1714, à Gelsdorf (près de Bonn) – mort le 28 mai 1797 à Munich
Anton Raaff, premier Idomeneo de Mozart
Ténor allemand
Originellement destiné à la prêtrise, il fit ses études au séminaire des Jésuites de Cologne. Encore enfant, sa voix est remarquée lors de pièces de théâtre, et en 1736 l’Electeur de Bavière, Clement Auguste, le prend à son service et l’envoie poursuivre sa formation auprès de Giovanni Ferrandini (1710-1791) à Munich. Il participe d’ailleurs à la création mondiale d’Adriano in Siria de ce dernier au Carnaval de 1737.
L’année suivante, il part à Bologne et étudie dans l’académie du grand castrat alto Antonio Maria Bernacchi (1685-1756), qui est également le professeur de Carlo Broschi (Farinelli). A Bologne il rencontre également le fameux musicologue le padre Martini qui devient son ami.
Il semble qu’il ait commencé à se produire dans des académies privées puisqu’on relève son nom en 1738 dans le livret d’une Serenata de Angelo Caroli (1701-1778) (livret de Giuseppe Manfredi) donnée le 17 août 1738 ; Il interprète le rôle de Sebeto aux côtés de Bernacchi (Imeneo), Maria Giustina Turcotti (Partenope) et Antonia Cerminati (Amore).
Il commence sa carrière scénique à Venise pour la saison 1739-1740 : il se fait entendre au Teatro S Giovanni Crisostomo dans le Farnace de Rinaldo di Capua dans le rôle de Pompeo (avec Giuseppe Santarelli, Aquilio ; Rosa Sovuter, Elinda ; Giustina Gallo, Tamiri ; Anna Bagnolesi, Berenice ; Giovanni Tedeschi, Farnace) à l’automne 1739.
Il se produit également en 1740 (sans doute au cours de la même saison) dans une œuvre de circonstance, Il decreto del fato, une sérénade de D. Paradies sur un livret de Domenico Lalli, donnée à l’occasion du mariage du prince Philippe de Bourbon Farnèse. (La distribution en est la suivante : Geremia Del Sette, Il Sole ; Caterina Fumagalli, L’Aurora ; Maria Venturini, Stella ; A. Raaf, Il Fato).
Pour le carnaval de 1740 au Teatro Grimani di S. Giovanni Grisostomo, il interprète dans Ottone de Giuseppe Alessandri, le rôle de Berengario (avec Rosa Sovuter, Clodomiro ; Giuseppe Santarelli, Idelberto ; Giustina Gallo, Adelaide, ; Anna Pinaci, Matilde ; Giovanni Tedeschi, Ottone)
et dans Adriano in Siria de Giay le rôle d’Osroa (avec Rosa Sovuter, Aquilio ; Giovanni Tedeschi, Farnaspe ; Giustina Gallo, Emirena ; Anna Bagnolesi, Sabina et Giuseppe Santarelli, Adriano).
Ses succès étant connus, l’Electeur de Bonn le réclame et il doit retourner en Allemagne en 1741. Il reste au service de l’Electeur jusqu’en 1749, ce qui ne l’empêche pas de se faire entendre lors du couronnement impérial à Francfort puis au mariage de l’Electeur palatin Carl Theodor à Munich.
En 1749 , il se rend à Vienne et chante dans divers opéras de Jommelli : il crée le rôle-titre de son Catone in Utica (le 16 avril 1749) et participe aux représentations de Merope, Achille in Sciro, et Didone Abbandonata. Metastasio l’y entend et apprécie son talent de chanteur, mais le trouve limité comme acteur. Il écrit le 28 mai 1749 à Carlo Broschi, son caro gemello, que Raaff a chanté «comme un séraphin». Le 22 janvier 1761, dans une lettre à la princesse Belmonte, il l’appelle «notre incomparable Sgr Raaf».
Sa présence est attestée au Teatro Regio de Turin pour les festivités suivant les noces de Victor Amadé de Savoie et de l’infante Maria Antonia Ferdinanda en 1750. Il chante le rôle de Marte dans une festa teatrale intitulée La vittoria d'Imeneo de Galuppi (texte de Giuseppe Bartoli) avec Gaetano Majorano dit Cafarelli (Imeneo), Giovanna Astrua (Urania) et Teresa Mazzola (Venere).
On retrouve sa trace plus durable en Italie pour la saison 1751-1752.
On le retrouve en juin 1751 à Padoue pour l’inauguration du nouveau théâtre, dans l’ Artaserse de Galuppi, auprès de Giuseppe Poma, Artaserse ; Regina Valentini Mingotti, Mandane ; Gioacchino Conti, Arbate ; Teresa Mazzoli, Semira ; Marianna Maggini, Megabise ; Raaf chante Artabano.
Sa réputation lui vaut un engagement à Lisbonne où il crée Demofoonte de David Perez, en 1752 ; le castrat Gizziello fait également partie de la distribution.
Il y reste apparemment jusqu’en 1755.
Son prochain engagement est tout aussi prestigieux, puisqu’il est appelé par Farinelli, qui est devenu le directeur de l’opéra royal de Madrid, et qui recrute les plus grands chanteurs du temps.
A Madrid, il participera à la création de La Nitteti de Nicola Conforto, le 23 septembre 1756 au Coliseo del Buen Retiro ; il y crée le rôle d’Amasi.
S’il ne peut se prévaloir de chanter aux côtés de Farinelli, puisque ce dernier ne se produit que pour la famille royale en privé, mais il a associé sa fortune à la sienne, et repartira à Naples, en 1759 en même temps que l’ancien favori.
Pendant la décennie suivante, il se distingue sur les scènes napolitaines et florentines comme ténor principal, en interprétant principalement des opéras de Hasse, Majo, JC Bach, Sacchini, Piccinni et Myslivecek.
Il débute à Naples dans une festa musicale, donnée à l’occasion de l’accession au trône de Ferdinand IV, roi de Naples et de Sicile, en mai 1760. On l’entend de nouveau le 29 juin (selon la partition) dans l’Astrea Placata (sur un texte de Metastasio) de Francesco di Majo. La distribution est étincelante : Raaf chante Giove ; Clementina Spagnoli, Astrea ; Teresa Scotti, La Clemenza ; Giovanni Amadori, Il Rigore ; Giovanni Manzuoli, Apollo. Un prologue semble avoir été ajouté, le 10 juillet suivant en l’honneur de la reine Marie Amélie d’Espagne.
Il a sans doute brillé au cotés de ses partenaires, puisque le souverain lui demande, en 1761 de chanter le rôle-titre de l’Attilio Regolo de Jommelli, toujours au Teatro San Carlo. On parlera à cette occasion du « fanatisme » de ses admirateurs.
Le roi intervient alors pour conserver cet interprète d’exception à Naples.
Pendant la saison 1761-1762, il chante le rôle-titre de Catone in Utica de Jean-Chrétien Bach (4 novembre 1761).
Il interprète également Danao dans Ipermestra de Pasquale Cafaro (créée à Naples en 1751 et repris le 26 décembre 1761), avec Clementina Spagnoli dans le rôle-titre, Tommaso Guarducci dans Linceo, Catarina Flavis dans Elpinice, Salvatore Conforti dans Plistene et Luigi Costa dans Adrasto.
Il termine sa saison en interprétant le rôle-titre dans Alessandro nell’ Indie de Bach (20 janvier 1762), aux cotés de Clementina Spagnoli, Cleofide ; Tommaso Guarducci, Poro ; Catarina Flavis, Erissena ; Salvatore Conforti, Gandarte et Luigi Costa, Timagene.
Le même jour, une cantate de J C Bach est ajoutée au programme, Gia degli ancor non tocchi, interprétée par Clementina Spagnoli (Temide), Caffarelli (Mercurio) et Raaf (Marte)
Le 12 janvier 1762, Raaf s’était produit également dans le rôle de Ercole, pour une autre cantate, Sempre caro il ciel conservi, de Gregorio Sciroli, avec Tommaso Guarducci (Espero), Clementina Spagnoli (Venere).
En 1763, on retrouve son nom dans une «cantate à trois voix», Padre, del gran arcano de Nicola Sala, donnée à l’occasion de l’anniversaire du roi Ferdinand (donc sans doute le 20 janvier), en compagnie de Marianna Moser (Pallade) et Caffarelli (Apollo) ; Raaf chante Giove. Et dans une autre encore, No, quest’ alma capace de Cafaro, avec ses mêmes comparses, Marianna Moser (Calipso) et Caffarelli (Ausone) ; Raaf chante Proteo.
Dans la même saison, il crée Lucio Vero (le 4 novembre 1764) de Sacchini, enchaîne dans le rôle-titre de Catone in Utica de J-Chrétien Bach (le 26 décembre 1764) avec Anna Brogli, Emilia ; Antonio Muzi, Arbace ; Nicolo (?) Coppola, Fulvio ; Andrea Graffi, Cesare et la grande Caterina Gabrielli dans Marzia. (L’œuvre avait été crée en 1761 dans le même théâtre.)
Il chante également avec la Gabrielli dans le Caio Mario de Piccinni.
Le 12 janvier 1765, il interprète une cantate de Gregorio Sciroli, Sempre amico il cielo conservi avec Caterina Gabrielli (Venere) et Ferdinando Mazzanti (Ercole) ; Raaf chante Espero.
Raaf est bien présent à Naples pour la fête anniversaire suivante, pour laquelle il interprète Mercurio dans une cantate de Piccinni, La pace fra Giunone ed Alcide, avec Caterina Gabrielli (Giunone) et Cafarelli (Alcide).
Raaf s’est il absenté de Naples durant la saison 1765-1766 ? Il semblerait qu’il soit allé chanter à Venise, puisque son nom figure sur un livret imprimé dans cette ville du Catone in Utica, en 1765. Il aurait repris son rôle entouré de Anna Brogli ; Antonio Muzzio (serait-ce le même Arbace que pour Naples ?), Luigi Mattei, Caterina Gabrielli et Andrea Grassi.
Un autre livret de cette œuvre, imprimé à Parme et non daté, indique la distribution suivante : Raaf est cette fois-ci entouré de Clementina Baglioni (Marzia), Emanuel Cornaggia (Cesare), Costanza Romani (Emilia), Antonio Muzzio (Arbace) et Assunta Bergman (Fulvio). Si ces représentations furent données durant la même période, faut-il en conclure qu’il a fait une tournée italienne avec un de ses «rôle-signature» ?
La saison 1766-1767 est bien remplie puisque Raaf chante également avec les deux sœurs Gabrielli, l’Antigono de Giuseppe Scolari (le 30 mai 1766) ; le 4 novembre il chante dans Il Gran Cid de Piccini, avec Caterina Gabrielli et Ferdinando Mazzanti (Rodrigo) ; son air «Deh ricevi o prence amato» semble avoir recueilli les suffrages du public.
Raaf est sans doute également distribué dans Il Vologeso de Sacchini (en décembre).
Le Lucio Vero est repris le 27 décembre 1766, avec Raaf dans le rôle-titre, Angelo Monanni (dit Manzuolino), Aniceto ; Giuseppe Coppola, Flavio ; Caterina Gabrielli, Bernice ; Ferdinando Mazzanti, Vologeso ; Francesca Gabrielli, Lucilla.
En décembre, Myslivecek reçoit une commande pour mettre en musique un livret de D. Bonechi. Il termine Bellerofonte en un mois et l'oeuvre est créée le 20 janvier 1767 pour l'anniversaire du roi, avec Raaf, Ariobate ; Caterina Gabrielli, Argene ; Ferdinando Mazzanti, Bellerofonte ; Francesca Gabrielli, Briseide ; Angelo Monanni, Diomede ; Giuseppe Coppola, Atamante et Giuseppe Benigni, Minerva (selon le livret imprimé !). Le compositeur entretient à ce moment une liaison avec la Gabrielli...
Myslivecek ne peut manquer de composer l’inévitable hommage-anniversaire au roi, et son Udiste, il suon festivo permet à Raaff (encore une fois dans le rôle de Giove), Ferdinando Mazzanti (Mercurio) et Caterina Gabrielli (L’Iberia) de briller.
La période est propice aux festivités, puisque l’anniversaire du roi donne lieu à des hommages auxquels Raaff participe, en tant que chanteur vedette. Il chante donc dans une Cantata a tre voci de Piccini, Ecco alfin di mie cure… avec Caterina Gabrielli, Pallade ; Ferdinando Mazzanti, Teseo ; Raff chante Alcide (le 12 et/ou le 20 janvier 1767).
A l’automne 1767, Raaff est à Florence au Teatro alla Pergola dans l’Olimpiade de Traetta. Il interprète Clistène auprès de Anna Lucia De Amicis (Aristea), Luigia Fabbris (Argene), Angelo Monanni (dit Manzuolino) (Licida), giovanni Manzuoli (Megacle) et Vincenzo Massetani (Aminta).
Les sources ne disent plus rien de Raaf jusqu’à son retour à Naples le 25 mai 1768 dans Le Nozze di Peleo e Tetide de Paisiello, dont il interprète le Giove, aux côtés de Lucrezia Ajugari (Tetide), Giovanni Toschi (Giasone), Manzuolino (Apollo), Giuseppe Benigni (Imeneo), Luca Fabris (Peleo). Cette œuvre de circonstance, incluse dans les festivités nuptiales pour le mariage de Ferdinand avec l’archiduchesse Marie-Caroline d’Autriche, a été donnée au Palais royal ou au San Carlo.
Il est probable que la sérénade Il giudizio d'Apollo, de Nicola Sala sur un texte de Giovanni Fenizia ait également été composé à cette occasion. Raaf y tient le rôle d’Apollo ; Angelo Monanni (Manzoletto), celui de Venere ; Luca Fabris, celui de Pallade et Antonia Maria Girelli Aguillar celui de Giunone.
Sa dernière apparition à Naples se serait faite en compagnie de Elisabeth Teyber le 13 août 1768, dans une cantate de Francesco di Majo donnée en honneur de l’anniversaire de la reine ; Teyber y chantait Partenope, Luca Fabris Mercurio, et Raaf Dusare.
Une autre période s’ouvrait dans la vie d’Anton Raaf. Le Prince-Electeur Carl Theodor, au mariage duquel il s’était produit le fait venir pour créer une autre partition inspirée du livret de Metastase, Catone in Utica, cette fois-ci mis en musique par Piccinni. L’œuvre est crée au théâtre de cour de Mannheim le 4 novembre 1770. (Raaff, assure comme de bien entendu, le rôle-titre, et est entouré des deux sœurs Wendling).
Il semblerait que Piccinni ne se soit pas rendu en Allemagne et ait composé son opéra à Naples et pour le San Carlo où l’œuvre aurait été représentée la même année. Une indication sur la partition va en ce sens, puisque les récitatifs secs de Caton sont indiqués pour une voix de basse puis corrigés dans la tessiture de ténor. Les airs et ensembles semblent avoir été composés de nouveau en se modelant sur les capacités de Raaff, tout en prenant soin de ne pas trop le fatiguer.
C’est le début de sa carrière à Mannheim, ville qu’il ne quittera définitivement qu'en 1778 pour continuer son service auprès de l’Electeur à Munich.
Raaf ne semble pas avoir défrayé la chronique avec des caprices de Divo. Les témoignages s’accordent pour le qualifier d’honnête homme, même lorsque ce qualificatif prend un aspect ironique, comme l’atteste la lettre envoyée de Florence par Sarah Goudar à Lord Pembroke, en 1771 :
«Raaff qui maintenant remplit encore la scène bien qu’il ait plus de soixante ans [il ne les avait pas encore] est admirable dans l’exécution. Les violons ont peine à le suivre. Il possède son art parfaitement, mais s’il est bon musicien, il est encore meilleur chrétien ! Il dit le rosaire derrière les coulisses et distribue aux pauvres l’argent qu’il gagne au théâtre. On dit que dans sa jeunesse, il avait été capucin et que n’ayant pas asses d’occasion de résister à la tentation du sexe, il était monté sur le théâtre pour acquérir cette vertu. Il ne pouvait choisir un plus beau champ. Lorsqu’un acteur fait ses preuves de chasteté au milieu de tant de corruption, il peut demander hardiment ses lettres de béatification.»
Raaf utilise son influence, qui est grande, et fait venir à Mannheim Jean Chrétien Bach ; celui-ci obtient la commande de Temistocle, qui est créé le 4 novembre 1772 (pour la Saint Charles, selon le livret, mais qui a sans doute été donné le lendemain). Une fois encore, le texte est de Metastasio, mais révisé par Mattia Verazi («secretario intimo e poeta aulico di SASE»), qui ne garda que 10 airs sur les 26 écrits par Metastase. La distribution est la suivante : Anton Raaff (Temistocle), Giovanni Battista Zonca (Serse), Silvio Giorgetti (Lisimaco), Dorothea Wendling (Aspasia), Francesco Roncaglia (Neocle), Elisabeth Wendling (Rossane) et Vincenzo Mucciolo (Sebaste).
Tous les chanteurs faisaient partie de la troupe de l’Electeur, à part Raaf. Ce dernier, malgré ses 58 ans devait être encore dans un état vocal encore étonnant, si on en juge par la musique composée sur mesure pour lui.
L’œuvre eut un succès tel qu’elle fut reprise l’année suivante en novembre pour l’anniversaire de l’Electeur.
Pendant ces années là, Raaff se rend également à Stuttgart, où il chante dans le Fetonte de Jommelli, adaptation du Phaéton de Quinault.
En 1774, J-C Bach reçut commande d’un nouvel opéra. Il s’agissait du livret de Giovanni da Gamerra, Lucio Silla, qui avait déjà été mis en musique par Mozart (1772), Anfossi (1774) et Mortellari (1779). Ce texte fut adapté par Verazi, qui resserra le second acte et transforma le rôle de Silla en rôle principal : dans le seul enregistrement disponible de l’œuvre, Silla est gratifié de 4 airs alors que celui de Mozart n’en a que deux… (Contrairement à ce que l’on peut penser, le rôle-titre n’est pas forcément le rôle principal dans un opera seria.)
La première eut sans doute lieu le 4 novembre 1774 ; la distribution était la suivante : A Raaf (Lucio Silla), Dorothea Wendling (Giunia), Francesco Boncaglia (Cecilio), Giovanni Battista Zonca (Cinna), Elisabeth Wendling (Celia), Paolo Carnoli (Aufidio).
Soit parce que l’écriture en était moins ornée que son Temistocle, soit parce que la comparaison entre Silla et l’Electeur déplut (ce qui semble une raison un peu étrange, la programmation de l’opéra se faisant en liaison avec le monarque), ou encore parce que la vogue de l’opéra italien à Mannheim faisait place à l’opéra allemand, l’opéra reçut un accueil mitigé et Bach ne reçut plus de commande de la cour. En tout cas, ce fut l’avant dernier opéra italien donné à Mannheim, avant le départ de la cour de l’Electeur pour Munich.
Voici l’écho que donne Mozart du sentiment anti-Bach, dans une lettre datée du 13 novembre 1777 : Il parle de l’Abbé Vogler.
«[…]Il méprise les plus grands maîtres et a parlé devant moi de Bach avec dédain. Bach a écrit ici deux opéras dont le premier a eu plus de succès que le 2e. Le 2e était Lucio Silla. Comme j’ai écrit qur le même sujet à Milan, j’ai voulu le voir. J’appris par Holzbauer que Vogler l’avait, et le lui demandai. De tout cœur, je vous l’enverrai dès demain. Mais vous n’y rencontrerez rien de très bon. Quelques jours plus tard, lorsqu’il me rencontra, il me dit d’un air moqueur : alors, y avez vous trouvé quelque chose de beau, avez vous appris quelque chose ? – Un air est très beau. – quel en est le texte, demanda-t-il à quelqu’un qui était près de lui. – Quel air ? -- Eh bien cet affreux air de Bach, cette cochonnerie. – Oui, Pupille amate [air n°23 de Cecilio]. Il l’a sûrement écrit dans les vapeurs du punch. J’ai cru que j’allais lui saisir la crinière, mais faisant comme si je n’avais pas entendu, je ne dis rien et partis. […]»
Mozart avait rencontré JC Bach à Londres en 1764 et il lui garda une amitié sincère et une grande admiration toute sa vie durant.

Portrait de Raaf, peint en 1781 par Moritz Kellerhoven
Raaff participe également à la tentative de diffusion d’une œuvre qui aura une postérité importante dès la fin du XVIIIe siècle, et que Mozart réorchestrera à la demande du Baron Van Swieten, grand amateur de musique ancienne. Il s’agit du Messiah de Haendel ; l’abbé Vogler était à l’origine de ce concert.
Le 1er novembre 1777, on donna une version tronquée de cet oratorio, sans doute chanté en italien –la traduction devait sans doute être le fait de Mattia Verazi, le poète de cour.) Cette exécution eut un succès très relatif, mais il s’agit sans doute du premier contact que Mozart eu avec l’œuvre. Il est fort possible qu’il y ait assisté, même si la correspondance ne fait état que de la grand messe de Toussaint et de musique d’église.
Première partie
Ouverture
Arioso et Récitatif pour Ténor: "Confortati" ("Comfort ye")
Ténor Aria: "Ogni valle" ("Every valley")
Chorus: "E' la gloria allor del ciel" ("And the glory of the Lord")
Basse Arioso: "Coprira il mondo" ("For behold, darkness shall cover the earth")
Basse Aria: "Qual ehi fra l'ombre" ("The people that walked in darkness")
Chorus: "Ecco gia nato un pergoletto" ("For unto us a Child is born")
Pifa
Soprano Recitatif: "Stavan sul campo" ("There were shepherds abiding in the fields")
Soprano Recitatif: "L' angiolo dice lor" ("And the angel said unto them")
Récitatif Accompagné: ""E in quel momento" ("And suddendly there was with the angel")
Chorus: "Gloria ed onor" ("Glory to God in the highest")
Soprano Récitatif: "Saran gl' occhi del cieco" (“Then shall the eyes of the blind be opened")
Soprano Aria: "Sua greggia condurra" ("He shall feed His flock")
Chorus: "Alleluia" (“Hallelujah!")
Deuxième Partie
Chorus: "Gia vien l' agnel di Dio" ("Behold the Lamb of God")
Alto Aria: "Tormento atroce" ("He was despised")
Récitatif Accompagné pour Ténor: "Ogn' un, che il vide" ("All they that see Him, laugh Him")
Chorus: "In Dio confida ed a lui fida" ("He trusted in God that he would deliver Him")
Récit. Acc pour Ténor : "L' acerba tua censure" ("Thy rebuke hath broken His heart")
Ténor Arioso: "Deh, dimmi o passagiero" ("Behold, and see")
Chorus: "Nubi rompeste" ("Lift up your heads")
Basse Aria: "Perche con fremito" ("Why do the nations so furiously rage together")
Ténor Récitatif: "Quei che nel cielo" ("He that dwelleth in heaven")
Ténor Aria: "Del tuo flagello" ("Thou shalt break them with a rod of iron")
Basse Récitatif: "Eccomi a decifrarvi" ("Behold, I tell you a mystery")
Chorus: "Degna e la vittima" (Worthy is the Lamb")
La distribution est connue par les mentions sur la partition :
Soprano : Sigr. Silvio Giorgetti
Alto : Sigr. Caraucci
Ténor : Sigr. Anton Raaff
Basse : Sigr. Zonca
Mozart qui se trouvait à Mannheim, essaye de rencontrer Raaf selon les conseils de son père : «Quand tu seras à Manheim la principale personne en qui tu peux faire confiance est Sgr Raaff. Il est un honnête homme très croyant qui aime les Allemands et te sera d’un excellent conseil et d’un grand secours. […]Sgr Raaff te conseillera au mieux, tu dois lui demander un entretien particulier. Le violoniste M Danner est un de nos vieux amis. Il nous connaît bien et t’introduira auprès de lui. […]» (Lettre datée du 18 octobre 1777)
Le 6 novembre 1777, Leopold Mozart insiste : «J’ai hâte de savoir si tu as pu obtenir les faveurs de M Raaf, à qui j’adresse mes compliments respectueux ; on m’a toujours dit qu’il était un très honnête homme et très chrétien.»
Anna Maria et Wolfgang Mozart assistent à une représentation de Günter von Schwarzburg d’ Holzbauer. La distribution comprenait Elisabeth Wendling et Barbara Strasser., et sans doute Ludwig Fischer dans le rôle de Rudolf II. L’œuvre avait été créée en 1776.
(L’intrigue traite du conflit entre Karl IV de Luxembourg et le baron Gunther von Schwarzburg (Thuringe), qui sont rivaux pour succéder à l’Empereur Louis de Bavière. Gunther est poussé par le puissant Electeur Rudolf, mais la mère de Karl intrigue pour la cause de son fils et elle manipule la fille de Rudolf, Anna. A la fin de l’action, Gunther meurt et Karl remporte le trône et Anna. Apparemment la musique est desservie par une intrigue compliquée et des récitatifs très touffus.)
Voici ce que les Mozart ont pensé de Raaff :
Anna Maria (lettre datée du 14 novembre 1777). «[…] Je peux te dire que [Raaf] est un honnête homme, mais il ne peut rien faire [c’est à dire obtenir une commande d’un opéra pour Mozart. Ce qui est logique, puisque Carl Theodor est méfiant devant un musicien en rupture de ban et ne souhaite pas se mettre à dos le puissant Prince Archevêque Colloredo.] Il a chanté dans l’opéra. On sent qu’il a été un bon chanteur, mais maintenant il est usé, comme Monsieur Meissner, que je préfère entendre plutôt que monsieur Raaff. Sinon, c’est l’homme le plus probe du monde, je me suis entretenue avec lui à l’académie. Il m’a félicitée de l’habilité de mon fils et a été très étonné de sa science. […]»
PS de Wolfgang : «[…] Pendant les 4 airs et les quelques 450 mesures qu’il avait, M Raaf a chanté de telle sorte qu’on a remarqué que sa voix est la cause principale de son si mauvais chant. Lorsqu’on l’entend commencer un air, si on ne pense pas tout de suite que Raaf est le vieux ténor qui a été jadis si célèbre, on doit à coup sûr avoir envie de rire. Une chose est certaine, j’y ai réfléchi si je n’avais pas su que c’était Raaf, je me serai tordu de rire ; mais là - - j’ai tiré mon mouchoir et ai souri. Il n’a, de sa vie, jamais été un bon acteur, à ce qu’on m’a dit ici. Il faut l’écouter sans le regarder. Il n’a pas non plus un bon rôle. Dans l’opéra, il doit mourir, en chantant, dans un air, long et lent et il meurt le sourire aux lèvres. Vers la fin de l’air, la voix avait tellement descendu que c’était insupportable. J’étais assis à l’orchestre à côté du flûtiste Wendling, qui avait auparavant critiqué le manque de naturel qu’il y a à chanter au moment où l’on meurt, en disant : on attend ce moment avec impatience. Je lui dis : prenez patience, il est bientôt mort, je l’entends. Moi aussi, dit-il, et il se mit à rire. [… ]»
Leopold fit jouer ses relations, et le Padre Martini écrivit apparemment depuis Bologne à Raaff pour vanter les mérites de son ancien élève, dans l’espoir de décider le ténor à faire agir son influence pour lui obtenir une commande.
Le nom du ténor est de nouveau mentionné dans la correspondance, en février 1778, lorsque Leopold essaye de freiner les projets fous de son fils, qui n’imagine pas moins que d’aller chercher fortune en Italie, en accompagnant Aloysia Weber, qu’il veut prendre sous sa protection. La réponse de Leopold à ces châteaux en Espagne, est de lui suggère de faire auditionner la jeune fille devant Raaf, qui ne manquera pas, si elle a réellement du talent, de la mettre en rapport avec des impresarii italiens, qui seront plus impressionnés par le jugement impartial et la renommé du grand interprète que par les tentatives de Wolfgang. Le jugement de Raaff, si on en croit Wolfgang est qu’elle «n’a pas chanté comme une élève mais comme une Professora.»
En fait, malgré la différence d’âge et de références, les deux hommes s’estiment et s’apprécient. Le 27 février, Mozart se rend chez Raaf, et lui offre un air de concert. Hommage sincère ou geste dans lequel entre une part de calcul ? Voici quel a été l’entretien (lettre de Mozart du 28 février 1778) :
« Hier, je suis allé chez Raaf lui porter une aria que j’ai composée pour lui ces jours ci. Les paroles sont Se al labro moi non credi, bella nemica mia etcet. Je ne crois pas que le texte soit de Metastasio. L’aria lui a énormément plu. Avec un tel homme ; il faut procéder avec soin. J’ai choisi exprès ce texte car je sais qu’il a déjà une aria sur ces paroles : il la chantera donc plus facilement et plus volontiers. Je lui ai demandé de me dire franchement si elle ne lui sied pas ou ne lui plait pas. ; je la lui modifierais comme il veut ou en composerai une autre. A Dieu ne plaise, répondit-il, l’aria doit rester ainsi car elle est très belle ; je vous prie seulement de me l’écourter, car je ne suis plus maintenant en mesure de soutenir [la voix]. De grand cœur, autant que vous voulez, lui répondis-je ; j’ai fait exprès de al composer un peu longue car on peut toujours couper quelque chose, mais il n’est guère facile de rajouter. Après avoir chanté la seconde partie, il retira ses lunettes, me regarda avec des grands yeux et dit : -- c’est beau, c’est beau ! c’est une belle seconda parte; et il la chanta 3 fois. Lorsque je partis, il me remercia très poliment ; pour ma part, je l’assurai que je lui arrangerais sans faute l’aria de sorte qu’il aime la chanter. J’aime qu’un air aille au chanteur comme un costume bien taillé. […] »
Cet air de concert K 295, est tiré de la seconde mise en musique de l’Artaserse de Metastase par Hasse, mais il s’agit d’un texte de substitution tiré d’un autre opéra de Hasse, Arminio. Le texte est d’Antonio Salvi.
Mozart et Raaff se retrouvent à Paris en avril. ( «M. Raaff est ici et loge chez Monsieur Legros, nous sommes donc ensemble presque tous les jours» lettre datée du 5 avril 1778).
Le ténor doit en effet faire ses débuts au Concert spirituel, le 13 avril ; il chante une scène de Jean Chrétien Bach Non so donde viene, tiré de l’Olimpiade (texte que Mozart a également utilisé pour les airs de concert K512 et 491) Mozart était revenu de ses préventions sur l’art de Raaff, comme en témoigne la lettre datée du 12 juin 1777, qu’il faudrait citer en entier mais dont voici les principaux passages :
« […] Vous vous rappellerez sans doute que je ne vous en ai pas écrit grand bien de Mannheim, que je n’étais pas satisfait de son chant, enfin qu’il ne me plaisait pas du tout. Mais cela venait en fait qu je ne l’avais pas entendu du tout. La première fois que je l’ai écoté, c’était à la répétition du Gunther d’Holzbauer. Il était en vêtements de ville […] Lorsqu’il ne chantait pas, il restait planté là […]. Il chanta ensuite les airs avec une certaine nonchalance – et certains tons, très souvent, avec trop d’emphase- ce n’était pas non plus mon affaire. C’est une habitude qu’il a toujours eue – et qui vient peut-être de l’école de Bernacchi. […] Ici, enfin, lorsqu’il a débuté au Concert Spirituell , il a chanté la scène de Bach, Non so donde viene, qui est par ailleurs mon morceau favori, et c’est la première fois que je l’ai vraiment entendu chanter. Il m’a plu – je veux dire, pour sa manière de chanter, - mais la manière elle même,- l’école de Bernacchi – n’est pas de mon goût. Il fait (à mon sens) trop de Cantabile. Je conviens que cela devait faire son effet quand il était plus jeune et dans la fleur de l’âge […] mais c’est exagéré et me semble souvent ridicule. Ce que j’aime chez lui, c’est lorsqu’il chante de petits morceaux, comme certains andantino ou encore certains airs, car il a sa manière propre. […] J’imagine ce qui était sa force, la Bravura – qu’on continue à sentir chez lui, autant que son âge lui permette ; une bonne poitrine et un long souffle, et puis – cet Andantino. Sa voix est belle et très agréable. [ longue comparaison avec l’art de Meissner] En revanche, pour ce qui est de la bravura, des Passages et Roulades, là, Raaff est le maître, - et puis, sa bonne prononciation, très claire-, c’est beau. [….]»
Le public parisien est séduit. Le Journal de Paris rapporte que «l’ivresse devint générale, et on fit recommencer le premier morceau. Il [Raaff] réunit les qualités qui semblent s’exclure, la noblesse, la loyauté et l’expression» (15 avril 1778)
Le journal relate ensuite une anecdote datant des années napolitaines du chanteur : il aurait guéri la princesse Belmonte-Pignatelli de sa mélancolie après la mort de son mari. Elle aurait été tirée de sa dépression par l’audition de l’air Solitario bosco ombroso de Rolli. L’histoire est presque trop belle pour être vraie et rappelle par ailleurs les concerts privés que Farinelli donnait au roi Philippe V d’Espagne…
Raaf chante également dans un Miserere d’Holzbauer, le maître de chapelle de Mannheim arrangé par Mozart pour le Concert Spirituel. Mais les quatre chœurs furent réduit à deux, car ils étaient trop long pour le public parisien.
Le chanteur n’a pas oublié son jeune ami, au milieu de ses succès. Il lui fait rencontrer l’ambassadeur du Palatinat, Joseph von Sickingen. Ce dernier s’associe à Raaff, et la recommandation des deux hommes vaut à Mozart la commande d’une symphonie concertante.
Les relations entre Mozart et Raaf se poursuivirent et furent suffisamment chaleureuses, pour que Le chanteur intervient avec le Padre Martini auprès de l’Electeur et obtienne la commande d’un opéra. Idomeneo, Re di Creta est créé le 29 janvier à Munich, ville dans laquelle la cour de Mannheim s’était repliée, à la suite de l’accession de Carl Theodor à la souveraineté de Bavière.

Portrait de Photographie © DR
Les conditions de création de cet opéra sont bien connues grâce à la correspondance entre Wolfgang et Leopold Mozart, et on n’y reviendra pas.
Raaff semble s’être produit jusqu’en 1787, bien qu’il ne semble plus avoir fait de scène après les premières années de cette décennie.
Il avait pris des élèves, parmi lesquels Ludwig Fischer (le premier Osmin, et sans doute la plus grande Basse allemande du siècle) et Franz Christian Hartig.
En février 1787, la cantatrice Ann Selina Storace, son frère Stephen, leur mère, Michael Kelly et l’amant de Storace, Lord Barnard, s’arrêtèrent à Munich pour rendre visite au vieil interprète. Voici ce que dit Kelly de leur rencontre :
«Les Storace et moi-même, par rendez vous préalable, allâmes présenter nos hommages à Raff, le ténor justement célèbre, considéré de loin comme le plus grand chanteur de son temps, et qui avait fait pendant longtemps les délices de Naples et de Palerme. Il était bavarois de naissance, et avait pris sa retraite à Munich avec une large fortune ; il avait plus de soixante-dix ans, et nous fit la faveur de nous chanter «Non so donde viene» ; bien que sa voix était embarrassée, il gardait encore sa merveilleuse voce di petto et ses notes soutenues, et son style très pur.»
Raaff mourut à Munich où il avait pris sa retraite, dans la nuit du 27 au 28 mai 1797.