Bilan de la première saison de Gérard Mortier (2)

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olaf
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Message par olaf » 25 juil. 2005, 18:07

:snorkel: :snorkel: :snorkel: :snorkel: :snorkel: :snorkel: :snorkel: :snorkel:

En fait Gégé c'est une sorte de Robin des bois.
Fallait y penser.
:pouletman: :pouletman: :pouletman: :pouletman:

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PlacidoCarrerotti
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Re: le beurre et l'argent du beurre

Message par PlacidoCarrerotti » 25 juil. 2005, 18:57

faustin a écrit : C'est l'absence de subvention qui fait de Covent Garden une maison très élitiste, ce qui d'ailleurs semble lui aller fort bien, avec, et j'attends qu'on me démente si je me trompe, une programmation qui recourt très largement à la liste des vingt titres les plus joués dans le Monde.
Faustin
Purs préjugés... :roll:

La saison 2004-2005 de Covent Garden était composée des titres suivants :

La Gioconda : c'est un ouvrage rarement donné.
The Greek Passion de Bohuslav Martinu : le pendant de notre "Juliette ou la clef des songes" ; pas vraiment courant.
Werther : incontestablement un ouvrage du grand répertoire, mais qui n'a pas été donné à l'Opéra depuis 20 ans.
Così fan tutte : on se croirait chez Mortier !
Faust : grand répertoire
La forza del destino : rarement donnée
La rondine : rarement donné
Don Pasquale : plutôt répertoire, mais jamais (?) donné par l'Opéra de Paris
Das Rheingold : répertoire, pas donné à l'Opéra depuis 30 ans
Turandot : un tube du répertoire
La traviata : d°
Die Zauberflöte : d° (comme chez GG)
Die Walküre : répertoire international ; pas donné à l'Opéra depuis 30 ans
Madama Butterfly : répertoire
Un ballo in maschera : répertoire
1984 : création mondiale
Il turco in Italia : rarement donné
Orphée de Philip Glass : création anglaise, vraisemblablement
Rigoletto : répertoire
La bohème: répertoire
Otello : répertoire
Mitridate re di Ponto : jamais donné à l'Opéra de Paris

Soit une quinzaine de titres du répertoire et une dizaine d'ouvrages rares dont deux créations.Et je passe sur la qualité des distributions, plutôt époustouflante.

Pendant ce temps, Gerard Mortier proposaient les titres suivants:
. Pelléas, Boris, La Flûte, les Dialogues, le Barbier, l'Italienne, Elektra, Ariane à Naxos, la Dame de Pique, le Trouvère, Otello, Tristan, soit 12 titres du répertoire.
. Hercules, De la Maison des Morts, Kabanova, St François, Poppée, Titus, soit 6 titres hors du grand répertoire et aucune création .


Je comprends mieux tes jugements lapidaires si tu ne te donnes même pas la peine de vérifier tes affirmations :-)


faustin a écrit : Je vois que décidemment on ne passe rien à Gerard Mortier à qui on demande tout et son contraire, le beurre et l'argent du beurre, des distributions dignes du Met, dès qu'on voit arriver un chanteur pas trop connu qui vient de Slovaquie ou du Kazakhstan, on crie au scandale et des tarifs de pays de l'Est d'il y a trente ans.
Ce qu'on est en droit d'attendre, c'est les distributions des pays de l'Est au prix des places dans les pays de l'Est (à la rigueur), ou les distributions des grands théâtres aux prix des grands théâtres.
S'il y arrive, les distributions des grands théâtres au prix des pays de l'Est. :D
Mais certainement pas les distributions d'istamboul au prix de Covent Garden 8O
faustin a écrit :Vous allez me dire que Gerard Mortier ne remplit pas les salles. Heureusement, il les remplit la plupart du temps. De la maison des morts n'a pas fait salle comble, de la même manière que du temps de Hugues Gall Peter Grimes n'avait pas fait salle comble ce qui était bien injuste. Il serait erroné de faire du remplissage un critère décisif pour juger un directeur; toute oeuvre un peu difficile, toute prise de risque lui serait alors interdite et nous serions les perdants.

Faustin
J'ai tout vu cette saison et pratiquement aucune soirée n'était pleine (les soirs où j'y étais) à Bastille sauf Elektra et Tristan.
A Garnier, KKabanova et Poppée n'étaient pas pleins.[/b]

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richie3774
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Message par richie3774 » 25 juil. 2005, 19:06

faustin a écrit : Toujours un peu dur de se faire comprendre dans les forums! (pas seulement celui-ci). Bien entendu, il faut raisonner sur des moyennes, et même "segmenter" les populations qu'on envisage mais comme c'est rébarbatif et pas très cool d'avoir l'air de donner un cours d'économie matinée de statistiques, et moins parlant, j'ai un peu personnalisé la question et j'ai évoqué le cas du très assidu Louis Schweitzer qui semble ne manquer aucun spectacle de l'Opéra de Paris. Louis Schweitzer mis à part, il est bien évident que ce ne sont pas les couches les moins favorisées de la société qui vont le plus à l'opéra, et qui occupent les places les plus chères; en moyenne, je dis bien en moyenne, je dois le préciser car on ne va pas manquer de me tomber dessus pour me citer autant de cas qu'on voudra de personnes qui ne sont pas riches et qui vont souvent à l'opéra.
D'accord avec toi, le public d'opéra est constitué dans sa toute grosse majorité de personnes appartenant aux catégories socio professionnelles les plus élevées.
faustin a écrit : C'est bien ce qui est problématique dans cette subvention, c'est de l'argent pris à l'ensemble des Français, aux pauvres comme aux riches et qui va aux riches; ce n'est pas d'ailleurs le seul cas, pendant longtemps, les impôts ont financé un Concorde déficitaire utilisé par les super-riches.
Mais cette subvention sert à payer les frais fixes de l'opéra! Quand Mortier augmente le prix des places, il ne fait pas diminuer le montant de cette subvention. Et c'est encore plus injuste, car quand le prix des places est en hausse, cela exclut le public peu fortuné qui dès lors ne peut plus bénéficier du résultat produit par l'argent de cette subvention. C'est une double injustice.
faustin a écrit : Il reste que cette subvention est d'une grande utilité et doit être défendue, même si on comprend le Ministère de vouloir la limiter un peu au moins dans sa croissance. C'est l'absence de subvention qui fait de Covent Garden une maison très élitiste, ce qui d'ailleurs semble lui aller fort bien, avec, et j'attends qu'on me démente si je me trompe, une programmation qui recourt très largement à la liste des vingt titres les plus joués dans le Monde.


J'ai bien précisé que le nouveau directeur, avec un certain discernement qu'il faut lui reconnaître, n'est-ce pas, n'avait pas augmenté le prix de toutes les places, qu'il n'avait pas trop mal traité les utilisateurs de places à bon marché, je crois l'avoir expliqué mais je veux bien y revenir. Il ne s'agit pas du tout de places sans visibilité, comme cela a été suggéré.


Je vois que décidemment on ne passe rien à Gerard Mortier à qui on demande tout et son contraire, le beurre et l'argent du beurre, des distributions dignes du Met, dès qu'on voit arriver un chanteur pas trop connu qui vient de Slovaquie ou du Kazakhstan, on crie au scandale et des tarifs de pays de l'Est d'il y a trente ans. Franchement, je crois qu'il n'est pas personnellement en cause dans ces affaires de gros sous, que la question se poserait dans des termes rigoureusement identiques à n'importe quel nouveau directeur qui recevrait de ses autorités de tutelle les mêmes instructions.
Sauf que maintenant, vous avez les distributions des pays de l'est et presque les tarifs de Covent Garden. Où est le progrès?
Quand Mortier augmente les tarifs, à remplissage égal, il augmente les moyens disponibles pour les productions. Les distributions étant a priori de niveau assez faible, où passe l'argent?
- soit dans les mises en scène, il faut bien payer tous ses copains de l'avant garde germanique
- soit les billets se vendent mal, et cette augmentation sert à combler les pertes dues à une programmation trop "audacieuse".

Pourquoi exclure le public qui a simplement envie de passer une bonne soirée à l'Opéra et celui qui ne vient pas pour les mises en scène?

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Message par richie3774 » 25 juil. 2005, 19:10

Toutes mes excuses à Faustin, mais en cherchant à répondre à son message, je ne me suis pas rendu compte que j'étais en fait en train de le modifier. J'ai pu réparer les dégats, sauf pour le dernier paragraphe, dans lequel il parlait de la prise de risque que Gérard Mortier pourrait se permettre dans le choix de son répertoire. Vraiment, je suis désolé, ce paragraphe est définitivement perdu.

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Une saison au Paradis

Message par faustin » 05 août 2005, 12:56

Une saison au Paradis
************************

On a trop dénigré dans ce forum le nouveau directeur de l?Opéra de Paris. La programmation de Gerard Mortier pour la saison 2004-2005 est une sorte de chef d??uvre qui a des chances de passer aux annales, comme je vais tenter de le montrer.


La période précédente m?avait donné beaucoup de bonheur, j?ai vu la reprise de l?Italienne à Alger de Rossini comme un adieu à cette ère mémorable ; mais cet adieu était un peu raté. Les rossiniens me le pardonneront, je n?ai guère aimé cet opéra inspiré par une certaine xénophobie anti-turque. La mise en scène d?Andreï Serban, qui ne fait pas dans la dentelle ni le moucharabieh non content de faire assaut de laideur en a rajouté une couche en présentant Moustapha, le bey d?Alger sous les traits d?un potentat musulman des temps modernes. Avec le nouveau directeur, il ne sera plus fait appel aux services d?Andreï Serban, qui avait cru bon de présenter dans les Vêpres Siciliennes les hommes de Charles d?Anjou sous les traits de soldats coloniaux français pendant la guerre d?Algérie. Exit Andreï Serban, bon débarras.

Je suis profondément reconnaissant à Gerard Mortier d?avoir mis au programme Pelléas et Mélisande.
Quel meilleur choix que ce chef d??uvre pouvait-il y avoir pour inaugurer la saison, avec ce petit clin d??il de la part du nouveau directeur qui consistait pour sa prise de fonction à présenter la seule et unique ?uvre franco-belge du répertoire ?
Un spectacle de tout premier ordre qui a remporté un grand succès, il s?agissait de la reprise d?un spectacle suffisamment ancien pour qu?on la considère comme une nouvelle production.
J?ai surtout retenu la prestation de Simon Keenlyside dans le rôle de Pelléas et la direction musicale précise et aussi inspirée de Sylvain Camberling qui a là donné sa mesure.
« Vous ne savez pas ce que c?est que l?âme » dit Arkel à Golaud dans la scène finale.
Pelléas et Mélisande plonge le spectateur dans une forêt de symboles qui tous conduisent vers un ailleurs qui n?est qu?esquissé.


Je suis très reconnaissant à Gerard Mortier de m?avoir permis de découvrir Saint François d?Assise d?Olivier Messiaen.
C?est un opéra quelque peu monstrueux, qui sort de toutes les catégories, réussi autant que raté, composé par un homme qui se disait ornithologue, théologien et accessoirement compositeur ; en tout cas, c?est une des plus grandes ambitions artistiques du XXe siècle.
Il ne faut pas en parler avec désinvolture car c?est l?opéra le plus difficile à monter qui soit, prenez par exemple la liste des percussions. Avez-vous entendu parler de l?éoliphone, du tambour de basque, du wood block, de la paire de maracas, du réco réco, du glass chimes du shell chimes, du géophone etc. etc. ? Il nécessite pas moins de trois ondes Martenot, instrument qu?on n?entend plus jamais.
La mise en scène de Stanislas Nordey qui prétendait « s?affranchir de l?imagerie chrétienne d?Épinal », formule malheureuse, ne manquait pas de force, le premier acte situé dans une sorte de gazomètre restituait bien la pauvreté de notre époque qui est celle des banlieues industrielles et l?évocation des prêtre ouvriers de la part d?un critique était une juste vision.
Ce qu?il faut je crois dire, au risque de se faire massacrer, c?est que Saint François d?Assise est une ?uvre très forte dans les passages où elle est vraiment musicale, par exemple les Stigmates, mais qu?il y a de longs et nombreux passages qui ne sont pas musicaux et qui la rendent très rébarbative.
Mais comment ne pas admirer cet immense « prêche aux oiseaux », une ?uvre à part entière, mise en musique de cet amour de la nature qui est au c?ur de la spiritualité de Saint François. Saint François d?Assise de Messiaen, c?est la représentation d?un itinéraire spirituel, celui du grand saint du XIIIe siècle, un des plus grands saints de l?Église catholique.



Gerard Mortier n?a pas laissé aux parisiens le temps de souffler. Les représentations de Saint François d?Assise n?étaient pas encore achevées qu?avait lieu la première d?un autre grand opéra catholique et français du XXe siècle , Dialogues des Carmélites. Pour Dialogues des Carmélites, grâce soit rendue au nouveau directeur ! Ce chef d??uvre de Francis Poulenc et de Georges Bernanos contient la plus profonde, la plus bouleversante des méditations qui soient sur la mort à l?opéra, je veux parler de cette scène de la mort de Madame de Croissy interprétée par Felicity Palmer, immense cantatrice, immense tragédienne, c?est un des moments où l?idéal d??uvre d?art total (Gesamtkunstwerk) est véritablement atteint. Cette scène, inoubliable pour moi m?a fait une si forte impression qu?elle fait plus que justifier la représentation de l??uvre et je dirais la saison toute entière, si elle en avait besoin.
Dialogues des Carmélites, est l??uvre d?un écrivain croyant, d?un compositeur croyant et qui ne doit pas laisser indifférent les athées, ce qui n?a pas échappé à ceux qui ont conçu la programme, peut-être même votre directeur favori à qui on reproche de s?occupe de tout en était-il qui ont confié la rédaction d?un article au philosophe Michel Onfray, grand athée et même athéologue devant l?Éternel !


Je suis fort reconnaissant au nouveau directeur d?avoir mis au programme Katia Kabanova de Leos Janacek, opéra quelque peu « vériste » sur le thème rebattu de l?amour interdit par les conventions sociales et de l?enfermement familial, mais qui dans le temps et le lieu où il avait été composé avait une actualité ; cet univers clos est, dans la mise en scène de Christoph Marthaler symbolisé par une cour de HLM où la lumière du jour ne parvient que faiblement, cette vision est contestable car en total désaccord avec le texte, elle oblige à d?extraordinaires contorsions mais cette mise en scène était forte et soignée et elle avait le mérite d?introduire des variations, de présenter en contrepoint de l?action principale des actions annexes qui se jouaient à travers les fenêtre, en particulier la rencontre du violoniste et d?une belle femme plantureuse, peut-être une prostituée occasionnelle, peut-être pas : ils se font signe, pendant un long moment elle se fait belle devant son miroir, ils se retrouvent, ils disparaissent quelque temps et réapparaissent. Pour eux, tout semble facile.
Katia Kabanova est une protestation contre la destruction de l?amour et un vibrant appel à la liberté de vivre et d?aimer.


Je suis au plus haut point reconnaissant au nouveau directeur de m?avoir fait connaître Hercules, drame musical de Georg Friedrich de Haendel.
Cette ?uvre, connue en Grande Bretagne ne l?était guère en France. Elle a été pour moi une immense révélation, la partition m?a procuré un bonheur musical sans pareil et plus particulièrement l?air de Dejanire.

Cease, ruler of the day, to rise
Nor thou, Cynthia, gild the evening skies!
To your bright beams he made appeal,
With endless night his falsehood seal

Cesse, souverain du jour, de te lever
Et toi, Cynthia, n?illumine plus d?or le ciel du soir !
À vos brillants rayons il a fait appel,
D?une nuit sans fin scellez la perfidie !


J?ai été enthousiasmé par l?interprétation du rôle de Dejanire par Joyce DiDonato ainsi que par la direction musicale précise et sensible de William Christie à la tête de son ensemble, les Arts Florissants. La mise en scène du zurichois Luc Bondy avait elle tout pour déplaire : elle était laide, pauvre et à contre sens. Rien dans le texte n?indique que Hercules a cherché à séduire la princesse captive Iole ni que celle-ci ait eu une inclination amoureuse pour son vainqueur. La certitude de Dejanire que son mari lui est infidèle relève du délire et là est le drame. Luc Bondy trahit ce texte et du même coup affaiblit et banalise cette histoire en montrant Hercules donnant de petits cadeaux à Iole, sous le regard complice de son fils Hyllus, et par la suite Iole les montrant les bijoux reçus à Dejanire tout en proclamant avec force son innocence. Luc Bondy fait de Iole une abominable garce.

Il n?est pas indifférent de savoir que la tragédie de Sophocle les Trachiniennes et le récit d?Ovide les métamorphoses qui sont à la base de ce drame ont été revus par un homme d?Église, le révérend Thomas Broughton, pasteur anglican.

Lorsque Hercules est mort, écoutez la déploration du choeur :

Tyrants now no more shall dread
On necks of vanquish?d slaves to tread;
Horrid forms of monstrous birth,
Again shall vex the groaning earth.
All fear of punishment is o?er:
The world?s avenger is no more.

Désormais les tyrans ne redouteront plus
De fouler aux pieds les esclaves vaincus !
Des monstres affreux
Tourmenteront de nouveau le monde gémissant !
Toute crainte de châtiment s?est évanouie :
Le vengeur du Monde n?est plus


Et lorsque Hercules est accueilli glorieux dans l?Olympe écoutez le ch?ur final :

To him your gratitude duly belongs,
The theme of fair liberty?s far sounding songs!
Aw?d by his name, unjust power shuns the light,
And slavery hides her head in depths of night,
While happy climes to his example owe
The blessings that from peace and freedom flow.


C?est à lui que reviennent vos louanges remplies de reconnaissance,
Chantant le thème immortel de la liberté !
Terrifiés par son nom, l?oppression fuit la lumière
Et l?esclavage cache son visage dans la nuit profonde
Tandis que les peuples heureux doivent à son exemple
Les bienfaits que prodiguent la paix et la liberté


Que la tragédie grecque soit d?essence religieuse, nous le savions mais telle qu?elle est traitée par le révérend, Hercules l?est plus que toute autre. Le Héros mythologique est présenté comme le rédempteur de l?humanité, une figure christique se dessine derrière le personnage.

Je n?ai pas vu Le couronnement de Poppée ni La flûte enchantée et à mon retour du Congo, j?ai eu la satisfaction de voir que pas moins de trois opéras russes avaient été mis au programme. D?opéras russes, je n?en avais pas vu à Paris depuis la mémorable saison russe au Châtelet, 2002-2003.

La Guerre et la paix de Serguei Prokofiev d?après le grand chef d??uvre de la littérature russe était la reprise d?une production de l?ère Hugues Gall (février-mars 2000) qui avait fait grand bruit et avait bien établi la réputation de l?Opéra de Paris. J?ai lu dans ce forum que la distribution de cette nouvelle série ne le cédait en rien en qualité à celle de la série initiale.
La Guerre et la Paix opéra patriotique composé en pleine époque stalinienne exalte la lutte victorieuse du peuple russe contre l?invasion des troupes napoléoniennes. C?est un des opéras les plus passionnants qui soient car la Guerre n?y est pas la toile de fond d?une intrigue, elle est le sujet même de l??uvre, elle est représentée, décrite, vue des deux camps, les considérations proprement stratégiques ne sont pas absentes, on assiste à un conseil de guerre au cours duquel la décision d?abandonner Moscou à l?ennemi est prise, on voit les exactions contre les civils, on voit la guerre briser les vies, ébranler les certitudes.

Boris Godounov est le drame d?un souverain ravagé par le remords et celui d?un peuple qui expie pour les fautes de son dirigeant . La mise en scène signée par Francesca Zambello laissait à désirer : scène de l?auberge sans auberge, un acte polonais traité à contre-sens dans la mesure où elle ne faisait pas, dans les décors, apparaître une Pologne sous influence occidentale. Je retiendrai surtout de ce spectacle le personnage de l?Innocent, interprété par Vsevolod Grivnov et sa déploration désespérée :

Coulez, larmes amères
Pleure, pleure, âme orthodoxe !
Bientôt l?ennemi viendra, bientôt les ténèbres reviendront, ténèbres obscures, impénétrables.
Malheur, malheur sur la Russie, pleure, pleure, peuple russe, peuple de la faim.


La Dame de pique est une ?uvre d?une grande ampleur et plus que brillante, en particulier sans sa partie orchestrale dans laquelle Tchaïkovski donne toute sa mesure ; elle nous fait pénétrer dans les abîmes de la psyché d?un homme ravagé par l?ambition et qui est atteint par la folie. Le fantastique intervient, comme pour interdire que le crime soit récompensé mais cette intervention du fantastique serait d?un moindre intérêt si le spectateur ne se doutait pas qu?elle est la produit de la psyché de Hermann.
La mise en scène de Lev Dodlin a gommé les aspects brillants de l?action, les grandes fêtes petersbourgeoises ne sont que des échos du passé et font place à de tristes scènes qui ont pour cadre un hôpital psychiatrique, toutes ces transformations se font au prix de graves contorsions infligées au livret.


Je ne peux qu?être infiniment reconnaissant à Gerard Mortier d?avoir entrepris la présentation au public parisien de Tristan et Isolde de Richard Wagner. Ce spectacle très attendu a été une réussite. Le metteur en scène Peter Sellars et le vidéaste Bill Viola ont prétendu dans leurs écrits que l?opéra était d?inspiration « bouddhique », ce qui, de toute évidence est un contre-sens puisque l??uvre affirme que le désir est plus fort que tout, à l?opposé de la doctrine bouddhique qui vise à son extinction ; cette interprétation semble procéder d?une conception new age qui dans un grand confusionnisme amalgame allègrement les différentes doctrines religieuses. Tristan et Isolde est l??uvre la plus philosophique et la plus métaphysique qui soit, c?est un sommet de la poésie, c?est une immense évocation de l?amour absolu si absolu qu?il ne peut que conduire à la mort et cette mort est bien la plus prodigieuse des extases, comme l?exprime en mourant Isolde :

Soll ich atmen,
soll ich lauschen
Soll ich schlürfen?
Untertauchen?
Süss in Düften
mich verhauchen?
In dem wogenden Schwall,
in dem tönenden Schall,
in des Welt-Atems
wehendem All
ertrinken
versinken
unbewusst
höchste Lust!


Me faut-il respirer ?
Me faut-il écouter ?
Me faut-il savourer,
Me noyer, m?engloutir ?
En brises embaumées
doucement me détruire ?
Dans la plénitude des flots,
dans le bruissement des échos,
dans le souffle absolu
où s?exhale le monde,
chavirer?
s?abîmer?
n?être plus rien à soi?
joie souveraine? joie !


Je suis profondément reconnaissant à Gerard Mortier d?avoir mis au programme De la maison des morts ultime opéra de Leos Janacek d?après le récit autobiographique de Fedor Dostoïevski Souvenirs de la maison des morts. Cette ?uvre très originale, composée de récits que font les prisonniers de leurs histoires plus misérables que coupables, et de leurs disputes est d?une grande austérité qui n?a pas découragé la totalité du public parisien puisque seulement un tiers des places étaient vides.
Le prélude est fait d?éléments d?un concerto pour violon jamais écrit qui devait s?appeler les errances de l?âme. Lisez ce que dans son excellent article dit de la partition Philippe Fénelon : un lyrisme tendu à l?extrême, insistant et nerveux. .. Chaque élément nous transporte d?une audace à l?autre. .. L?orchestre pousse la musique vers ses propres limites. Ce qui importe au musicien, c?est d?éveiller par les sons le sens d?une vie intérieure pour essayer de rendre visible l?inconnu? Les tournures mélodiques qui accompagnent le vieux forçat ont une relation avec la musique juive ; le récit de Skuratov a des accents mahlériens incontestables.

Sur la partition, le compositeur a tracé, comme pensée directrice : « en chaque créature, une étincelle de Dieu » et comme le dit Guy Erisman, il semble que Janacek, dans un ultime souci de foi en l?homme, veut chercher sa grandeur là où apparemment il se présente dans toute sa disgrâce physique et morale.
Les décors, par un effet de distanciation bien conforme aux conceptions brechtiennes de Klaus Michael Grüber évoquaient l?immensité et la luminosité de l?espace sibérien plus que l?enfermement et ils étaient pleins de joliesse, faisant penser à un décor pour conte d?enfants.
Dans ses conférences, Gerard Mortier n?a pas ménagé sa peine pour défendre cette ?uvre et tenter de convaincre de la profondeur du message humaniste qu?elle contient et dire aussi l?immense admiration qu?il a pour ce compositeur dont le public parisien a pu voir deux ?uvres au cours de la saison, mais qui s?en plaindrait.

Je signale qu?un ami qui réside à Berlin m?a dit que la version bastillaise de De la maison des morts était de meilleure qualité que la version berlinoise. Il a trouvé que l?orchestre de l?opéra de Paris était meilleur et à Berlin, l?opéra était chanté en allemand.


Il y a quand même un opéra que je n?ai pas aimé, c?est La Clémence de Titus, mais c?est tant pis pour moi. Il faut dire que cet opéra qui est une ?uvre de commande commence mal.

Vitellia à Sextus : mon chéri, fais moi un petit coup d?État, va tuer l?Empereur, fais ça pour moi, je t?en prie.
Sextus : Oh, c?est bien difficile ce que tu me demandes, tu sais que je l?aime bien l?Empereur, mais tu sais que je ne peux rien te refuser?
Et la suite ne m?a pas davantage convaincu. On est loin de l??uvre d?art totale.


Je suis par dessus tout reconnaissant à Gerard Mortier d?avoir conclu la saison par Elektra.
Les amateurs de Richard Strauss n?ont pas eu à se plaindre : outre cet opéra, reprise d?Ariane à Naxos et au théâtre du Châtelet Arabella !
Ce spectacle a pour beaucoup été un vrai choc et a rencontré un vrai succès, un succès qui s?est très vite établi par le bouche à oreille, à la première, il restait des places, à la séance qui a suivi, il n?y avait pas moyen d?entrer. Je sais à quel point ce spectacle a suscité des controverses et des débats acharnés, les pour et les contre étaient irréconciliables. La mise en scène de Matthias Hartmann a donné lieu à des commentaires incendiaires, la prestation de Deborah Polaski a ému beaucoup de spectateurs et a été vivement critiquée. Pour moi, cette série de représentations a surtout été l?occasion de retrouver Felicity Palmer dans un rôle qui n?est pas sans rapport avec celui de Madame de Croissy, celui de la vieille reine Klytemnestre qui, dans la mise en scène de Matthias Hartmann a perdu toute sa majesté et qui apprend de la bouche de sa propre fille que celle-ci a l?intention de la tuer. Qui d?autre que Felicity Palmer, admirable tragédienne pourrait mieux exprimer la profondeur de la détresse qu?elle éprouve à ce moment ?
Le texte de Hugo von Hofmannsthal est un véritable sommet et un passage est particulièrement troublant . Une fois le double crime accompli, Elektra, dans son ivresse, proclame :

Wir sind bei den Göttern, wir Vollbringenden
Sie fahren dahin wie die Schärfe des Schwerts durch uns, die Götter aber ihre Herrlichkeit ist nicht zuviel für uns!
Ich habe Finsternis gesät und ernte
Lust über Lust

Nous sommes chez les dieux, nous nous qui accomplissons la tâche
Ils s?avancent vers nous, les dieux et nous traversent comme le tranchant d?une épée, mais toute leur gloire n?est pas de trop pour nous !
Ce sont les ténèbres que j?ai semées,
Et je récolte joie sur joie.


Sommes nous « au delà du bien et du mal » ? Sommes-nous en un temps où la Loi n?a pas encore été formulée ?


Pour nous résumer, voyons de quoi nous a parlé cette étonnante programmation : de Dieu et de l?absence de Dieu dans avec Dialogues des Carmélites, de l?itinéraire d?un saint de l?Église Catholique avec Saint François d?Assise.
D?autres opéras sans être à proprement parler religieux ne pouvaient être compris si on en ignorait le contenu spirituel : C?est le cas de Pelléas et Mélisande dans le sens du symbolisme, d?Hercules dans le sens d?un mythe grec christianisé, de Tristan et Isolde dans le sens de l?exaltation de l?amour comme un absolu, de Boris Godounov sur le thème de la faute inexpiable au tréfonds de la conscience et de l?exaltation de l?âme du peuple.
D?autres opéras sans présenter ouverture vers la métaphysique, avaient un fort contenu humaniste : Katia Kabanova était une protestation contre l?oppression sociale et surtout De la maison des morts, affirmation de l?éminente dignité de tous les hommes quelles que soient leurs fautes.
D?autres ?uvres proposées exploraient cette dimension de l?absolu qu?est la psyché humaine dans ses passions les plus erratiques : la passion du jeu dans la Dame de pique et la soif de vengeance dans Elektra
D?autres opéras avaient l?histoire pour sujet et illustrent des vertus politiques : Boris Godounov mêle politique et religion en évoquant le destin tragique du peuple russe qui expie la faute de son souverain, la Guerre et la Paix montre le peuple en arme pour repousser l?envahisseur, la Clémence de Titus fait l?éloge de la magnanimité du souverain éclairé.

Il y a bien un fil qui relie ces ?uvres mises ensemble au cours de la saison et c?est, si j?osais le qualifier, un ardent désir d?élévation spirituelle, je l?écris pour ceux pour qui cela peut avoir un sens et à ses détracteurs, Gerard Mortier pourrait, s?il osait, dire ce que Arkel dit à Golaud : « vous ne savez pas ce que c?est que l?âme ». Moi qui ne prétend aucunement savoir ce que c?est que l?âme, je dis : merci Gégé !

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Re: Une saison au Paradis

Message par abaris » 05 août 2005, 13:05

En désaccord sur à peu près tout, je souhaite juste faire remarquer que G. Mortier envisage une reprise de la Lucia de Serban : donc, je ne crois pas qu'on puisse dire que ce piètre metteur en scène soit désormais persona non grata à l'ONP.

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PlacidoCarrerotti
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Re: Une saison au Paradis

Message par PlacidoCarrerotti » 05 août 2005, 13:12

faustin a écrit :Une saison au Paradis
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On a trop dénigré dans ce forum le nouveau directeur de l?Opéra de Paris. La programmation de Gerard Mortier pour la saison 2004-2005 est une sorte de chef d??uvre qui a des chances de passer aux annales, comme je vais tenter de le montrer.

(...)


Je suis profondément reconnaissant à Gerard Mortier d?avoir mis au programme Pelléas et Mélisande.
à présenter la seule et unique ?uvre franco-belge du répertoire ?
Un spectacle de tout premier ordre qui a remporté un grand succès, il s?agissait de la reprise d?un spectacle suffisamment ancien pour qu?on la considère comme une nouvelle production.

Celle là, c'est la meilleure de la saison, j'ai failli me pisser dessus :D :lol: 8O :D

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Message par JdeB » 05 août 2005, 13:20

Si je parviens à conclure un accord avec Pampers chaque nouvel inscrit recevra sur simple demande de quoi lire ODB au bureau sans risque majeur.

Mais pourquoi lorsque Faustin argumente sur GM tout est-il toujours archi-faux (ou presque) ?

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Rodrigue
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Message par Rodrigue » 05 août 2005, 13:34

C'est quand même étonnant de parler autant d'opéra (ou plutôt de littérature lyrique...) en parlant si peu de chant, de chanteurs, d'interprétation... 8O

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