Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

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Re: Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

Message par David-Opera » 05 août 2020, 09:09

PlacidoCarrerotti a écrit :
05 août 2020, 08:43
Hoffmannsthal est un auteur. Il s’inspire de l’Electre de Sophocle pour créer une œuvre différente de la source originale. Je n’ai pas lu la pièce : est-ce qu’on y trouve les fantasmes de maternité de Chryso ? C’est typiquement straussien.
Hofmannsthal embourgeoise effectivement le propos en accentuant le désir de maternité et de vie bien rangée. Dans la pièce originelle, Chrysothémis se définit comme un esprit docile (p32) et comme quelqu'un dont la liberté dépend de sa soumission à l'ordre établi (Mais moi, pour vivre libre, il faut que j'obéisse à ceux qui ont la toute puissance page 12). C'est vers cette voix qu'elle tente d'entrainer Electre.

Effectivement, avec Hoffmannsthal, le désir de maternité de Chrysothémis est évoqué alors qu'il n'est pas explicitement mentionné dans la pièce originelle qui pose la question du renversement de l'ordre établi. Mais le désir de maternité de Clytemnestre est, lui, bien affirmé, puisqu'il est le motif du meurtre d’Agamemnon.

Et le fait de rendre Chrysothémis active au meurtre du couple royal nouvellement établi éloigne encore plus Warlikowski d'Hofmannsthal (mais est-ce une surprise?), puisqu'il montre une femme qui décide de passer à l'acte pour se libérer de l'ancien monde. Il va donc également plus loin que Sophocle qui se désintéresse très rapidement de la sœur d'Electre (elle ne réapparait plus dans la seconde partie de la pièce).
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Re: Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

Message par HELENE ADAM » 05 août 2020, 09:21

David-Opera a écrit :
05 août 2020, 09:09
PlacidoCarrerotti a écrit :
05 août 2020, 08:43
Hoffmannsthal est un auteur. Il s’inspire de l’Electre de Sophocle pour créer une œuvre différente de la source originale. Je n’ai pas lu la pièce : est-ce qu’on y trouve les fantasmes de maternité de Chryso ? C’est typiquement straussien.
Hofmannsthal embourgeoise effectivement le propos en accentuant le désir de maternité et de vie bien rangée. Dans la pièce originelle, Chrysothémis se définit comme un esprit docile (p32) et comme quelqu'un dont la liberté dépend de sa soumission à l'ordre établi (Mais moi, pour vivre libre, il faut que j'obéisse à ceux qui ont la toute puissance page 12). C'est vers cette voix qu'elle tente d'entrainer Electre.

Effectivement, avec Hoffmannsthal, le désir de maternité de Chrysothémis est évoqué alors qu'il n'est pas explicitement mentionné dans la pièce originelle qui pose la question du renversement de l'ordre établi. Mais le désir de maternité de Clytemnestre est, lui, bien affirmé, puisqu'il est le motif du meurtre d’Agamemnon.

Et le fait de rendre Chrysothémis active au meurtre du couple royal nouvellement établi éloigne encore plus Warlikowski d'Hofmannsthal (mais est-ce une surprise?), puisqu'il montre une femme qui décide de passer à l'acte pour se libérer de l'ancien monde. Il va donc également plus loin que Sophocle qui se désintéresse très rapidement de la sœur d'Electre (elle ne réapparait plus dans la seconde partie de la pièce).
Oui tout à fait. On peut ajouter que dans Hoffmannsthal, même Elektra exprime un désir de maternité "par procuration". Après avoir appris la "mort" d'Oreste, quand elle se doit de convaincre sa soeur de l'aider à accomplir le double meurtre qui leur permettra de vivre enfin "normalement", elle décrit longuement la future maternité heureuse de Crysothémis et sa propre participation en tant que soeur aimante :
"Dès ce jour, je serai beaucoup plus que ta sœur : comme une esclave, je te servirai. Quand tu enfanteras, je me tiendrai jour et nuit près de ton lit, je chasserai les mouches, puiserai de l’eau fraîche, et quand soudain, sur ton sein nu, tu tiendras un être vivant, qui presque t’effraiera, je le soulèverai bien haut, afin que son sourire tombe dans les gouffres les plus profonds de ton âme, et qu’ainsi, cédant à ce soleil, fonde tout ce qui reste en toi d’horrible et de glacé; alors tu répandras tout ton soûl de larmes de joie."
(Weit mehr als Schwester bin ich dir von diesem Tage an: ich diene dir wie eine Sklavin! Wenn du liegst in Weh’n, sitz ich an deinem Bette Tag und Nacht.
Wehr’ dir die Fliegen, schöpfe kühles Wasser, und wenn auf einmal auf dem nackten Schoss dir ein Lebendiges liegt, erschreckend fast, so heb’ ich’s empor, so hoch, damit sein Lächeln hoch von oben in die tiefsten, geheimsten Klüfte deiner Seele fällt und dort das letzte, eisig Grässliche vor dieser Sonne schmilzt und du’s in hellen Tränen ausweinen kannst."
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
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Re: Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

Message par PlacidoCarrerotti » 05 août 2020, 09:24

J’aurais tendance à pardonner cette trahison. Et de bon cœur. La vision straussienne des femmes m’a toujours gêné. Je ne peux pas m’empêcher de visualiser des SS bottés les pieds sur la table centenaire pendant que ces dames se parent de leurs plus beaux atours.
On retrouve la même perspective dans un bouquin allemand de l’époque dont le titre m’échappe. Ça sonne comme « Heureux comme Dieu en France » mais ce n’est pas ça. Les français y sont raillés parce qu’ils ne font pas assez de mômes.
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Re: Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

Message par David-Opera » 05 août 2020, 09:32

On peut aussi entendre ce passage comme un jeu de manipulation où Elektra joue avec le désir d'enfantement de Chrysothémis, pour la convaincre de passer à l'acte, même si, personnellement, elle n'éprouve pas de désir de maternité. Car c'est bien l'objectif du meurtre qui compte d'abord.
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Re: Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

Message par PlacidoCarrerotti » 05 août 2020, 09:34

David-Opera a écrit :
05 août 2020, 09:32
On peut aussi entendre ce passage comme un jeu de manipulation où Elektra joue avec le désir d'enfantement de Chrysothémis, pour la convaincre de passer à l'acte, même si, personnellement, elle n'éprouve pas de désir de maternité. Car c'est bien l'objectif du meurtre qui compte d'abord.
Ou même la recherche d’un futur héritier mâle pour venger la famille !
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Re: Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

Message par HELENE ADAM » 05 août 2020, 09:37

David-Opera a écrit :
05 août 2020, 09:32
On peut aussi entendre ce passage comme un jeu de manipulation où Elektra joue avec le désir d'enfantement de Chrysothémis, pour la convaincre de passer à l'acte, même si, personnellement, elle n'éprouve pas de désir de maternité. Car c'est bien l'objectif du meurtre qui compte d'abord.
Oui mais je pense que c'est plus que cela. Il y a une profonde conviction d'un "après" où tout est possible (y compris une Elektra qui désire que la vraie vie reprenne ses droits) et pas seulement de la "ruse" (en quelque sorte) pour convaincre sa soeur. Le trait est trop exalté et sonne trop "vrai" pour n'être que "utilitaire". Et c'est bien sur, de manière assumée, un désir par "procuration".
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Re: Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

Message par titoschipa » 05 août 2020, 16:21

Je me prononcerai plus précisément après avoir vu le spectacle en salle le 24. A ce stade, au vue du direct sur Mezzo, je partage assez l’avis de Wim plus haut ( proche d’ailleurs des articles de Die Presse et Salzburger Nachtrichten). La vision de W. est assez fidèle à l’œuvre, modulo l’ajout inutile d’un prologue parlé, ou plutôt hurlé à la mode actuelle du théâtre européen. Magnifique Grigorian, bonne Baumgartner, Orest insipide, orchestre rutilant. La déception vient de Stundyte à la voix inhabituellement lyrique et légère pour le rôle (avis partagé par nombre de critiques semble t il) J’ai du mal à l’imaginer tenir 6 représentations...

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Re: Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

Message par David-Opera » 05 août 2020, 16:43

Pour ceux que cela intéresse, le lien (version pdf) vers la première pièce de la trilogie d'Eschyle, Agamemnon.

http://www.theatre-classique.fr/pages/p ... MEMNON.pdf

Dans la dernière partie, on y trouve le texte qu'a extrait Krzysztof Warlikowski de l'Orestie où Clytemnestre explique pourquoi elle a tué Agamemnon (Il a odieusement sacrifié la fille que j'avais eue de lui, Iphigénie tant pleurée. Certes, il est mort justement. Qu'il ne se plaigne pas dans le Hadès ! Il a subi la mort sanglante qu'il avait donnée).

C'est aussi dans ce texte qu'il est fait référence aux rites sacrificiels auxquels se livre Clytemnestre ainsi qu'aux attributs du pouvoir et à la couleur pourpre qui ont inspiré cette production. Elle présente en effet un sacrifice dans une grande salle en verre colorée de pourpre, la teinte privilégiée par les Achéens.

Krzysztof Warlikowski a ainsi cherché à entretenir une continuité entre la pièce d'Eschyle et celle de Sophocle.
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Re: Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

Message par HELENE ADAM » 05 août 2020, 21:42

Du coup j'ai relu aussi l'Electre de Giraudoux (1937) par le biais duquel j'avais découvert le mythe des Atrides a long time ago.
Amusant à revisiter aussi, une toute autre lecture de ce mythe...
https://fr.wikisource.org/wiki/Électre_ ... x)/Acte_II
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Re: Elektra - Richard Strauss - Welser-Möst/Warlikowski - Salzburger Festspiele - 08/2020

Message par NiklausVogel » 05 août 2020, 23:08

PlacidoCarrerotti a écrit :
05 août 2020, 09:24
J’aurais tendance à pardonner cette trahison. Et de bon cœur. La vision straussienne des femmes m’a toujours gêné. Je ne peux pas m’empêcher de visualiser des SS bottés les pieds sur la table centenaire pendant que ces dames se parent de leurs plus beaux atours.
On retrouve la même perspective dans un bouquin allemand de l’époque dont le titre m’échappe. Ça sonne comme « Heureux comme Dieu en France » mais ce n’est pas ça. Les français y sont raillés parce qu’ils ne font pas assez de mômes.
Il doit s'agir de Dieu est-il français ? de Friedrich Sieburg.

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