Beatrice di Tenda de V.Bellini

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Beatrice di Tenda de V.Bellini

Message par tuano » 30 nov. 2004, 19:24

Si Giudita Pasta avait chanté en 1833 au Gran Teatro de la Fenice à Venise de manière aussi somptueuse qu'Edita Gruberova au Gasteig de Münich en 2004, l'opéra de Bellini n'aurait pas été un échec lors de sa création.

Ainsi commençait une critique de Thomas Vitzthum sur le concert qui avait été donné à Munich il y a une dizaine de jours. Cela me paraissait complètement exagéré, et pourtant... après avoir assisté au concert donné une semaine plus tard à Dortmund, je comprends tout à fait ce point de vue !

Dimanche soir été donnée au Konzerthaus de Dortmund une version de concert de l'opéra de Bellini, Beatrice di Tenda. L'ambiance était électrique, pour des raisons autres que purement artistiques. L'orchestre (Münchner Rundfunkorchester) est dans une situation financière difficile et il a été décidé qu'il serait supprimé. Friedrich Haider et Edita Gruberova se sont beaucoup engagés par voie de presse en faveur de l'orchestre et il ne pouvait pas y avoir meilleur soutien que cette série triomphale de concerts. L'intendant du Konzerthaus a pris la parole longuement avant le début pour expliquer la situation, rappelant que Fritz Busch ou Erich Kleiber aimaient déjà travailler avec l'Orchestre de la Radio de Munich et qu'on ne pouvait pas construire le futur en détruisant le passé.

Dès l'ouverture, Friedrich Haider et l'orchestre ont offert une interprétation splendide, subtile, nuancée et nerveuse de l'oeuvre. Nous avons suffisamment discuté de la routine, du manque d'implication des musiciens parisiens pour ne pas être sensibles au professionalisme d'un orchestre qui mettait ce soir-là son existence en jeu. Nul doute que Haider et les instrumentistes avaient travaillé jusqu'au moindre détail la partition. Le résultat était constamment d'une grande beauté, étrangement proche de la voix d'Edita Gruberova dans ses sonorités tour à tour transparente ou incisives (l'acoustique du Konzerthaus y participait), parfois d'une grande puissance, d'autres fois d'une grande douceur (l'orchestre ne couvrait jamais les chanteurs).

Vladimir Chernov (Filippo) a été très apprécié. J'ai du mal à juger sa performance, n'aimant pas le rôle particulièrement antipathique de Filippo, sans qu'il y ait un quelconque second degré qui rendrait sa méchanceté jouissive.

Elena Zhidkova (Agnese) frappe par l'inadéquation entre son physique et sa voix : cette ravissante jeune fille frêle a une profonde voix de mezzo très stable et puissante qui fait merveille dès sa chanson d'entrée accompagnée à la harpe.

Raúl Hernández (Orombello) est un ténor à la voix d'une grande qualité, sans doute idéale pour le rôle. Quel dommage qu'il s'investisse si peu dans la représentation ! C'est d'autant plus étonnant qu'il joue dans la seule version disponible en DVD de cet opéra. A Dortmund, il avait les yeux rivés sur la partition et son visage n'exprimait jamais aucune émotion. C'est finalement sur sa dernière note, à la fin de Angiol di pace qu'il s'est révélé extraordinaire, en terminant sur un fading à la Pavarotti*.

Dernier rôle principal à entrer sur scène, mais pour à peine en sortir jusqu'à la fin de l'oeuvre, Beatrice a presque éclipsé tous ses partenaires malgré leur très bon niveau. Edita Gruberova était dans une forme vocale éblouissante (plus encore qu'à Munich, d'après une spectatrice qui a assisté aux deux concerts). J'avais été un peu inquiet après Roberto Devereux à Munich cet été, avant de me rappeler qu'en mai, sa Lucia avait été d'une pureté exceptionnelle.
En fait, Gruberova modifie son timbre selon le rôle et le spectacle, c'est pourquoi je n'avais pas été totalement conquis par sa voix dans Roberto Devereux où elle avait offert une interprétation très humaine, très théâtrale, moins belle d'un point de vue strictement vocale.

Il serait vain de vouloir détailler la magnificience de son interprétation, extrêmement fouillée et vécue, et constamment noble et impressionnante. Il n'y a certainement personne au monde actuellement pour chanter mieux qu'Edita Gruberova.

Pour faire court, je ne citerais que deux exemples : dans son dernier air, elle a fait un messa di voce sur un contre-ut d'une beauté à couper le souffle. Quelques seconde après, à la fin de l'air, j'ai cru pendant une fraction de seconde que le choeur reprenait tellement les voix étaient nombreuses pour crier bravo ! J'ai parlé du public du récital de Ben Heppner qui réagissait avec beaucoup de sincérité. Là, c'était pareil mais avec trois fois plus de monde complètement déchaîné ! Ma voisine était l'une des seules personnes à ne pas pouvoir applaudir, elle n'arrêtait pas de s'essuyer les yeux avec un mouchoir tellement elle était émue !

Dans la cabalette finale qui a suivi, Gruberova a interpolé un hallucinant contre-mi d'une puissance mais surtout d'une pureté absolue. Dès la dernière note de l'orchestre, toutes les lumières se sont éteintes et le public s'est remis à délirer. Lorsque la lumière a été rétablie, tout le public était déjà debout pour une longue standing ovation.

Un concert exceptionnel, une authentique diva en état de grâce.


*Y a-t-il un terme technique pour cela ?

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Re: Beatrice di Tenda de V.Bellini

Message par Lanou » 30 nov. 2004, 19:50

tuano a écrit :un fading à la Pavarotti*.

*Y a-t-il un terme technique pour cela ?
Ca m'étonnerait que nous parlions d'une même chose, parce que, pour moi, les fadding à la pavarotti, cela veut dire détimbré("l'horreur", selon ma prof de chant), et tous les pianissimi de pavarotti sont détimbrés(ils passent "en arrière", pour les spécialistes); peut-être as tu voulu dire un son filé???
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Message par valery » 30 nov. 2004, 20:47

"détimbré" me paraît pas mal comme traduction. C'est pratique quand on est sur les notes de "passage".
Tuano, contre mi bémol à la fin de Beatrice; le morceau est en la bémol.

Valéry, qui ne perd pas une occasion de ramener sa (maigre) science 8)

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Message par Christopher » 30 nov. 2004, 21:09

Pourquoi cette oeuvre n'est jamais jouée sur scène ?

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Message par tuano » 30 nov. 2004, 22:22

Lanou a écrit : les fadding à la pavarotti, cela veut dire détimbré("l'horreur", selon ma prof de chant), et tous les pianissimi de pavarotti sont détimbrés(ils passent "en arrière", pour les spécialistes); peut-être as tu voulu dire un son filé???
Hum...Outre son timbre, c'est quand même la marque de fabrique de Pavarotti. Je trouve ça émouvant et sa technique lui a permis de chanter longtemps et d'aborder des rôles difficiles. Je ne vois pas où est le problème. :?:

valery a écrit : Tuano, contre mi bémol à la fin de Beatrice; le morceau est en la bémol.
Mais justement, Gruberova a fait quelque chose de pas très orthodoxe en interpolant une note dans une cadence rajoutée. Je ne parle donc pas de la dernière note.
Lorsque je l'avais entendue chanter cet air à Munich, elle avait effectivement fait le contre-mi bémol conclusif. Là, elle a fait un contre-mi auquel je ne m'attendais pas, surtout qu'il était encore plus beau et plus puissant que tous les autres suraigus qu'elle avait faits pendant la soirée.

Christopher a écrit :Pourquoi cette oeuvre n'est jamais jouée sur scène ?
Pour plusieurs raisons... à mon avis, ça devient déjà moins intéressant sans Gruberova !

L'oeuvre est théâtralement moins aboutie que d'autres opéras de Bellini, et qu'Anna Bolena de Donizetti, dont le livret est similaire mais meilleur.

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Message par bajazet » 30 nov. 2004, 22:25

tuano a écrit :Là, elle a fait un contre-mi auquel je ne m'attendais pas, surtout qu'il était encore plus beau et plus puissant que tous les autres suraigus qu'elle avait faits pendant la soirée.
Ah, la bougresse !

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Message par tuano » 30 nov. 2004, 22:45

Une autre chose dingue :

La voix d'Elena Zhidkova avait l'air énorme quand elle a commencé à chanter, et son volume vocal (très russe ?) ne s'est pas estompé au fil de la représentation.
Pourtant, lorsque tout le monde chantait en même temps, que l'orchestre et les choeurs y allaient forte, on ne percevait la voix de plus aucun soliste... sauf celle de Gruberova que l'on entendait très distinctement ! Cette cantatrice a des dons miraculeux !
Bon, ce ne sont pas seulement des dons, c'est aussi du travail et du professionalisme.

Le fait d'avoir abordé Norma l'a certainement aidée à mieux gérer ses graves. D'habitude, je me dis que c'est ce qui lui manque, et elle a tendance à poitriner lorsqu'il faut se faire entendre dans le bas medium mais cette fois-ci, je trouve que ses graves sonnaient de manière tout à fait naturelle, sans qu'elle n'ait à faire d'effort particulier.

Elle reprendra le rôle à l'opéra de Hambourg en avril 2005. En fait, elle chante un rôle différent tous les mois ! Je conseille à tous les ODBiens de faire l'effort d'aller la voir au moins une fois, c'est une expérience lyrique extraordinaire... et je pense franchement que ça vaut mieux qu'une soirée à l'Opéra de Paris ! En tout cas, l'Opéra sera toujours là alors que Gruberova aura 58 ans dans quelques semaines et sa voix tient du miracle.

Son calendrier complet est en ligne sur son site non officiel qui est très bien fait :

http://www.gruberova.com/sched.htm

Cette semaine, elle chante déjà Lucia à Munich, dans la production exigeante de Robert Carsen. Comment fait-elle pour tenir un tel rythme à un tel niveau d'excellence ? Un miracle, je vous dis !

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Message par Lanou » 30 nov. 2004, 22:55

tuano a écrit :
Lanou a écrit : les fadding à la pavarotti, cela veut dire détimbré("l'horreur", selon ma prof de chant), et tous les pianissimi de pavarotti sont détimbrés(ils passent "en arrière", pour les spécialistes); peut-être as tu voulu dire un son filé???
Hum...Outre son timbre, c'est quand même la marque de fabrique de Pavarotti. Je trouve ça émouvant et sa technique lui a permis de chanter longtemps et d'aborder des rôles difficiles. Je ne vois pas où est le problème. :?:

Il n'y en a aucun, mais justement, j'ai du mal à apprécier ces notes ci car elles sont habituellemnt reliées à des notes forte, et la différence entre les deux sons révèlent non pas une carence technique, mais une perte des harmoniques aigües qui ne me plaisent pas, c'est tout: je n'oserai jamais, oh grand jamais agresser big lulu :boxing:
Lanou, reconverti en prof de chant cocaïnomane
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Message par tuano » 30 nov. 2004, 23:06

Mais c'est très difficile à faire ou plutôt, très risqué !

Je crois que c'est la première fois que j'entends ça autrement que par Pavarotti sur un CD.

Je trouve que la situation dramatique justifiait totalement cette technique, quelle que soit son nom et son manque d'orthodoxie. Je ne savais pas que c'était un truc à ne pas faire. Je pensais juste que c'était un truc que personne ne savait faire !

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Message par Geoffroy » 01 déc. 2004, 00:56

tuano a écrit :
valery a écrit : Tuano, contre mi bémol à la fin de Beatrice; le morceau est en la bémol.
Mais justement, Gruberova a fait quelque chose de pas très orthodoxe en interpolant une note dans une cadence rajoutée. Je ne parle donc pas de la dernière note.
J'ai du mal à voir comment on peut rajouter un contre mi naturel dans un air en la bémol. N'était-ce pas carrément un contre-fa ? On ne sait jamais avec elle !

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