Silvio Palmieri: Elia

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JdeB
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Silvio Palmieri: Elia

Message par JdeB » 24 nov. 2004, 09:55

Martin366 m'a envoyé ce beau texte en proposition de News:


J'ai vu cet opéra contemporain à Montréal en mai 2004. Troublant!

Le devoir
Opéra - Un nouvel opéra, un vrai!
François Tousignant
Édition du jeudi 6 mai 2004

Titre VO : Opéra Elia

Description : Silvio Palmieri: Elia, opéra en un acte sur un livret du compositeur, d'après des textes de Daniele Pieroni, de Pier Paolo Pasolini, du compositeur et d'extraits de la Bible. Elia 1: Michèle Losier (mezzo-soprano); Elia 2: Karin Côté (soprano); Raffaele: Pascal Charbonneau (ténor); Carlo: Étienne Dupuis (baryton). Quatuor vocal: Angela Welch, Ariana Chris, Phillip Addis et Philippe Martel. Mise en scène: Nathalie Deschamps. Scénographie: Anne Séguin-Poirier. Éclairages: Claire Lamarre. Ensemble contemporain de Montréal. Dir.: Véronique Lacroix. Salle Pierre-Mercure, le 4 mai 2004.

Commençons par le commencement: le livret. Assez bien ficelé, basé sur un fait divers, il ne se contente pas de raconter une histoire. Silvio Palmieri a eu l'intelligence d'user de voyages dans le temps physique et psychologique pour mieux cerner l'âme tordue des protagonistes. Ainsi, deux cantatrices incarnent le rôle-titre, soit Elia 2, la désaxée d'après le drame (elle noie son enfant après la découverte de son homosexualité) et Elia 1, la femme amoureuse et délaissée, que le désespoir et la honte poussent à l'infanticide.


Carlo court sur la scène comme il hésite entre son amant et sa maîtresse et Raffaele, l'amant, se cantonne en une sexualité inassouvie et un délire religieux presque expiatoire (comme tous les autres personnages d'ailleurs, à la manière typique de Pasolini).

Le décor est simple. Un drap à l'avant-scène pour la rivière, une porte expressionniste tordue -- on comprend pourquoi --, des films qui projettent les pensées intimes ou l'action celée ainsi qu'une baignoire, sorte de lit d'accouchement et de tombeau sanglant. Sous d'ingénieux éclairages, il devient redoutablement efficace, quoique, avec d'autres moyens, le tout, plus léché alors, aurait mieux porté. Arrive la musique.

Il y a parfois quelques longueurs, notamment dans certains monologues où l'accompagnement se fait plus que ténu. La manoeuvre montre parfois une belle intention, parfois une sorte de difficulté à approfondir la pâte instrumentale, donc psychologique. Cela frappe d'autant plus qu'à part ces moments où baisse la tension, Palmieri s'affirme redoutable d'efficacité dramatique.

Si l'opéra se chante en italien et avoue ses visées de renaissance d'un certain bel canto puccinien, l'esthétique orchestrale sort tout droit des tiroirs de Schoenberg (Erwartung en tête), de Berg (Wozzeck) et de sonorité française (Messiaen, Boulez) ou de Berio (un autre Italien). Le miracle vient du fait que, si on entend une parenté, jamais on ne sent le pastiche. Au contraire, cela coule de source. L'usage des motifs, leurs retours jamais insignifiants ou niaisement appuyés, l'orchestration en général, tout cela montre déjà une plume sûre dans le domaine lyrique. On applaudit donc à cette création qui, sans renouveler le genre, lui apporte un sang neuf bienvenu.


Dans l'intelligente mise en scène de Nathalie Deschamps, tout se déroule sans heurts. Les changements de personnages entre les deux Elia fascinent par leur élégance et leur pertinence. C'est dire que les membres de l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal possèdent une fort bonne technique de scène. Quant aux voix, heureux compositeur d'avoir pu bénéficier d'une telle distribution; tous chantent bien, juste, avec une présence qui porte. Soulignons tout de même l'exceptionnel travail d'Étienne Dupuis (Carlo), qui s'avère déjà un grand baryton.


Pour la partie instrumentale, la direction de Véronique Lacroix a été aussi prenante qu'inspirée. Jamais nous a-t-elle fait décrocher de quoi que ce soit dans cette partition inconnue. Elle tire de son ensemble une très haute tenue, les effets dramatiques se moulent aux situations et jamais elle ne s'amuse à souligner les retours, les laissant simplement s'imposer d'eux-mêmes. En rendant ainsi la pureté de l'intention, elle insuffle elle aussi cette justice artistique qu'exige une belle oeuvre. Et de cette Elia-là, personne ne saura douter de la juste et réelle beauté.

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