?Divas Handeliennes?
Sandrine Piau, soprano
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, direction
"Erbette liete verdi piante" ( Orlando)
"Sposo ingrato, parto si" (Radamisto)
"Ombre piante" (Rodelinda)
Water Music (3ème suite en sol majeur HWV 350)
"Che sento oh dio? Se pieta? (Giulio Cesare in Egitto)
(entracte)
"Son qual stanco pellegrino" (Arianna in Creta)
Concerto opus 3 n°1 en si bémol majeur HWV 312
"Ah spietato" (Amadigi)
?Scoglio d?immota fronte? (Scipione)
Bis : "Cor di Padre" (Tamerlano)
"Combattuta da due venti" (Faramondo)
"M?ai resa infelice" (Deidamia)
?Se pieta? (sans le récitatif)
Comment rendre compte à aussi peu de distance d?un récital qui a offert au public la quasi intégralité du programme d?un récent CD sans se répéter et sans tomber dans les banalités ? J?aurais pu biaiser en essayant de gloser sur les créatrices des ?uvres interprétées, mais outre que l?exercice eut été par trop convenu, il est toujours assez périlleux de commenter des profils vocaux dont on sait finalement assez peu de chose hors musicologie, et encore plus trissotin de typer telle ou telle créatrice à partir d?extraits qui ne sauraient rendre compte de l?évolution vocale ou d?une carrière.
Il est également assez malaisé de parler d?un concert à ceux qui peuvent s?en faire une idée préconçue à partir d?un enregistrement studio.Il m?a semblé que, malgré l?excellence de ce disque qui offrait un prétexte à ces portraits de ?Divas Handeliennes?, le concert a amplement surpassé l?enregistrement...
Les quelques réserves que j?émettais sur le CD (cf.
http://site.operadatabase.com.site.hmt- ... c&start=10) et qui avaient plus à voir avec la prise de son elle même que sur le contenu du disque, n?ont plus lieu d?être, malgré l?acoustique généralement défavorable de ce lieu pour les instruments anciens. (Il est vrai que la fermeture de la scène favorisait un renvoi de son bien plus propice qu?à l?accoutumée dans cette salle.)
Le public du TCE, plein à craquer, a eu la chance d?assister à une grande soirée et n?a pas boudé son plaisir, on se serait presque cru à un récital de Bartoli? C?était donc l?enthousiasme des grands soirs
Le programme du récital était fort bien conçu, piochant évidemment dans le CD récemment paru chez Naïve (on en a parlé ici sur ODB :
http://site.operadatabase.com.site.hmt- ... opic&t=625 ), mais y adjoignant un "
Sposo ingrato, parto si", qui a sans doute été écarté à l?enregistrement au dernier moment.
La première partie commençait de manière plus progressive que le CD avec un "
Erbette liete verdi piante" un petit peu timide, suivi du feu d?artifice de l?
aria di furore "
Sposo ingrato, parto si" : vocalises hardies, jeu d?échos étonnants avec le violon (Stefano Montanari) concertant sur le mot
fedele, technique ébouriffante allié avec la plus grande sensibilité aux nuances et à l?affect de l?air. Si l?extrait d?
Orlando était presque craintif, ce deuxième air a semblé libérer la chanteuse d?une légère réserve.
La scène de
Rodelinda nous a permis de retrouver une Sandrine Piau à son meilleur, son attention aux demi teintes ne parasitant jamais l?hédonisme de son chant.
Après une pause orchestrale sur laquelle je ne dirai rien (la
Water Music étant un des machins que je m?étais juré de ne jamais réentendre de ma vie et dont j?avoue que n?ai pas grand chose à en dire, sinon que pour la
Water Music c?était très bien? bon, d?accord, je suis de mauvaise foi et je suppose que j?arriverai à trouver Vivaldi supportable si ce sont les Talens qui s?y collent !), Sandrine Piau revenait avec la scène de Cleopatra.
Le trac s?étant sans doute un peu dissipé, la soliste se lance dans un récitatif habité, bien plus qu?au disque, et culmine cette première partie par une interprétation concentrée d?intensité et d?implication théâtrale. On croit avoir entendu et compris tous les méandres d?une scène et une inflexion, une accentuation ouvrent des portes dont on ignorait la présence, suscitent tout un univers psychologique et une compréhension nouvelle du personnage. C?est un théâtre des sentiments qui se lève. Ovation.
La seconde partie a vu les interprètes s?abandonner davantage. Le début du concert a été un peu plombé par une excessive attention portée aux mots au détriment de la pure vocalité extravertie qu?on pourrait attendre d?un chanteur d?
opera seria. Certes la voix n?y était en rien forcée ou limitée, mais j?ai eu l?impression d?une légère gène, ce qui m?a surprise en regard des précédentes fois où j?ai entendu Sandrine Piau dans du Haendel.
Cette libération se fait aussi sentir par les postures, plus fluides, et un "jeu" plus spontané, comme si la conscience du récital, ou encore l?espace exigu de la scène entravait une incarnation en forme de miniature successives.
Le "
Son stanco pellegrino" est recueilli à souhait, tamisé comme des éclats de lumière filtrés par un vitrail en grisaille. Très jolie cadence du violoncelle (Emmanuel Jacques ?)
Le concerto qui suit ne rompt pas l?atmosphère attentiste qui s?est créée, et le "
Ah spietato" enchaîne sur une veine plus doloriste, pour clore le récital proprement dit avec les étincelles et les jaillissements de circonstances.
Devant les manifestations de joie du public, les artistes reviennent pour un extrait de
Tamerlano bouleversant et racé, épuré du moindre pathos, dédié par Sandrine Piau à la mémoire de son père récemment disparu, un extrait de
Faramondo, encore plus impressionnant qu?au disque, dans lesquels les Talens font preuve de toute leur virtuosité et Sandrine Piau de sa bravoure, et enfin l?extrait de
Deidamia qui est un des passages que je préfère dans le disque.
Mais le dernier bis, vraisemblablement non prévu, nous a offert une version encore plus aboutie, magnifique variation sur un thème, de l?air de Cléopâtre, plus charnel, moins éthéré? superbe conclusion à une soirée mémorable.
Les
Talens lyriques sont égaux à eux mêmes, c?est à dire excellents (bon, je crois que désormais je ne dirai plus rien en ce sens, et je me bornerai à mentionner qu?ils sont moyens si cela arrive !)
Christophe Rousset, qui vit cette musique comme il respire, la danse aussi. Démiurge et intercesseur, il porte une attention chaleureuse et tendre envers sa diva.
Que dire de l?artiste si ce n?est qu?elle arrive à allier la légèreté d?une voix ductile à la présence pourtant très charnelle (pas d?éther immatériel qui fasse obstacle à l?humaine condition de ses personnages) à une interprétation qui est théâtre pur ? paradoxe de cet art que l?on nomme baroque, et qui trouve l?une de ses plus belles égéries en cette superbe artiste.
Puisse ce récital, et sa collaboration avec Christophe Rousset , augurer d?autres futures merveilles.
PS : Dimanche 28 novembre à 17h , autre récital à l?Opéra national de Lyon.