Jenufa Opéra de Gand, le 23/11/04
Jenufa : Anja Kampe
Kostelnicka : Joséphine Barstow
Laca : Peter Straka
Steva: Klaus Florian Vogt
L?aïeule: Diana Vivian
Starek: Russell Smythe
Jano: Petra Van Tendeloo
Karolka: Anne Cambier
Le bourgmestre: Piet Vansichen
La femme du bourgmestre : Mireille Capelle
Barena : Beatrijs Desmet
Une villageoise : Anja Wolbrink
La tante : Marie-Louise De Cort
Mise en scène : Robert Carsen
Décor et costumes : Patrick Kinmonth
Direction : Stefan Klingele
Pour célébrer dignement l?année Jancek, l?Opéra des Flandres a choisi de reprendre cette belle production de Jenufa, créée en 1999 et exportée en 2001 au Festival japonais Saito Kinen.
La distribution fait montre de beaucoup de qualités mais aussi de quelques faiblesses, faiblesses compensées chez chacun par une présence dramatique indéniable.
Au sommet, il y a une éblouissante
Anja Kampe dans le rôle-titre, timbre magnifique, aigus rayonnants, voix puissante, traversant sans peine l?orchestre. Elle se révèle également une excellente actrice, aussi convaincante en fraîche jeune fille amoureuse dans le I, qu?en mère attentionnée dans le II et qu?en future mariée désabusée dans le III.
La Kostelnika de
Joséphine Barstow transcende les nombreuses réserves vocales qu?on peut lui faire (en résumé, à part un reste de substance dans le bas-médium, elle n?a plus de timbre, et elle crie plus qu?elle ne chante), par un investissement dramatique hors du commun. Encore discrète dans le I, elle éclate littéralement pendant sa discussion avec Steva et pendant la scène du meurtre, durant laquelle elle fait se dresser les cheveux sur la tête du public. La suite la montre totalement crédible en femme brisée par le meurtre qu?elle a commis, mais elle se redresse crânement pour s?accuser de l?infanticide après la découverte du corps de l?enfant. Elle ne manque décidément pas de grandeur, et l?expression « s?identifier totalement à un rôle » prend tout son sens face à la Kostelnicka de
Joséphine Barstow.
Peter Straka chante du Janacek sur toutes les scènes d?Europe, et on sent bien que ce n?est pas la première fois qu?il aborde le rôle, car il rend particulièrement bien le caractère tourmenté et violemment amoureux de Laca. Psychologiquement, il réussit à faire évoluer avec beaucoup de justesse son personnage de l?amoureux transi, rustre et plutôt inquiétant jusqu?à devenir un époux fort qui inspire confiance. Vocalement, il met un bon acte à se chauffer, mais il ouvre son c?ur et trouve de magnifiques aigus dans le III.
Le Steva de
Klaus Florian Vogt est plus problématique, le timbre manque d?éclat et de substance, et le style est débraillé, ce qui n?est finalement pas trop gênant puisqu?il est saoul dans le I. Dans le reste de l??uvre, sa performance vocale assez moyenne est rattrapée par une sincérité de chaque instant.
Les petits rôles sont dans l?ensemble très bien tenus, avec mention spéciale pour deux sopranos ,
Anne Cambier et
Petra Van Tendeloo, aux voix fraîches et séduisantes, avec en prime chez
Cambier l?impression qu?elle parle parfaitement le tchèque, comme si c?était sa langue maternelle.
L?orchestre de l?Opéra flamand est en bonne forme, les cordes déploient des sonorités chaudes et sensuelles, bois vifs et précis, mais cuivres font parfois n?importe quoi. Soulignons le jeu magnifique du konzertmeister, très émouvant lors de ses passages solo.
Le jeune chef
Stefan Klingele joue à fond la carte de la beauté sonore et de la rutilance orchestrale, ce qui ne serait pas un mauvais choix s?il ne couvrait pas trop souvent les chanteurs. Principale victime des décibels de l?orchestre,
Joséphine Barstow qu?on verra plusieurs fois se démener à tenter de franchir la barrière de la fosse, sans qu?on entende strictement rien.
Le chef allemand adopte des tempi plutôt amples, ce qui a tendance à gommer légèrement le dramatisme de l??uvre, mais nous offre en contrepartie une scène finale d?un lyrisme exacerbé et profondément émouvant.
La mise en scène de
Robert Carsen est à la fois intelligente et émouvante, exploitant au maximum le décor aride qui peut sembler rebutant au premier abord (quelques portes et panneaux sur un sol de terre battue). Ces éléments sont déplacés selon les actes afin de représenter des murs et des pièces, l?effet est particulièrement réussi et permet une grande liberté de déplacement aux différents protagonistes.
Cette mise en scène combine une direction d?acteurs très juste à des moments plastiquement très réussis, le moment le plus fort étant la pluie libératrice qui tombe au final sur Jenufa et Laca.
Un seul bémol, s?il y a bien un lit dans la chambre de Jenufa, pourquoi ne pas avoir meublé la pièce voisine d?au moins une table ? C?aurait été beaucoup plus logique.
En résumé, un magnifique spectacle, avec une distribution galvanisée par une mise en scène particulièrement remarquable d?intelligence et d?émotion.
Photos à voir sur le site du VLO:
http://www.vlaamseopera.be/productionde ... ed&prd=343
Prochaine Jenufa : en février à l?Opéra de Wallonie
Richard