Krzysztof Warlikowski | mise en scène
Małgorzata Szczęśniak | scénographie, costumes
Claude Bardouil | chorégraphie
Felice Ross | lumières
Kamil Polak | vidéo
Véronique Gens | La Maréchale
Niamh O'Sullivan | Octavian
Regula Mühlemann | Sophie
Peter Rose | Le Baron Ochs von Lerchenau
Jean-Sébastien Bou | Monsieur de Faninal
Eléonore Pancrazi | Annina
Krešimir Špicer | Valzacchi
Francesco Demuro | Un chanteur italien
Laurène Paternò | Marianne
Florent Karrer | Un commissaire / Un notaire
François Piolino | Le majordome de la Maréchale / Le majordome de Faninal
Yoann Le Lan | Un aubergiste
Orchestre National de France
Chœur Unikanti, Maîtrise des Hauts-de-Seine

TCE, le 21 mai 2025
La Rose pourpre du Caire ou le maréchal et son mutisme.
Le Théâtre des Champs-Élysées peut s'enorgueillir de multiples versions de concert de grand luxe du Rosenkavalier. Le 6 septembre 1937, Clemens Krauss y a dirigé les mythiques Viorica Ursuleac, Tianna Lemnitz et Maria Cebotari. Le 28 février 1956, c'est Georg Solti qui a amené une distribution presque aussi légendaire réunissant Maria Reining et Christa Ludwig. Plus près de nous il y eu deux autres grandes soirées. Le 4 février 2009, Thielemann était à la tête d'un trio stellaire : Renée Fleming, Sophie Koch, Diana Damrau avec Ramon Vargas en "chanteur italien". Cinq ans plus tard, on retrouvait Sophie Koch entourée cette fois par Soile Isokoski et Peter Rose sous la direction de Kirill Petrenko. Il y aussi en 1985 une autre version de concert avec Teresa Zylis-Gara et Hanna Schwarz.
Du côté des productions scéniques, on note l'accueil, dans le cadre de la saison de l'Opéra de Paris hors les murs, en novembre et décembre 1981, d'un spectacle superbement mis en images par Ezio Frigerio avec Kiri Te Kanawa, Frederica Von Stade et Kurt Moll. Huit ans plus tard, la production de Jean-Louis Martinoty affichait M. Gessendorf et S. Mentzer et voyait les débuts avenue Montaigne d'une certaine Natalie Dessay en orpheline.

Au prisme de cette glorieuse histoire, l'affiche de ce soir faisait évidemment pâle figure et suscitait même des réactions pessimistes. Mais comme l'horizon d'attente était bien bas, on a éprouvé finalement un agréable soulagement.
Après un début délicat, comme de coutume désormais où on dirait qu'elle ne chauffe sa voix qu'une fois arrivée sur scène, Véronique Gens fait montre d'une intelligence incisive du texte sans nulle afféterie ni préciosité et, dans le trio final, la voix libérée et verticalisées trouve des inflexions souples et suaves inespérées. Un peu Anna Wintour, et Fedora (celle de Billy Wilder) avec un zeste callassien new look, elle campe une Maréchale reconvertie dans le monde des télénovelas comme si Marisa Berenson était guest dans Les Mystères de l'amour. Du haut de son 1m82 et de sa soixantaine rayonnante elle incarne l'héroïne avec une classe folle et inouïe. Forcément les amateurs de double crème resteront sur leur faim mais le pari est gagné largement.
Peter Rose connaît son Baron sur le bout des doigts et s'y abandonne avec un naturel confondant en exhibant à qui mieux-mieux une longueur de souffle d'athlète malgré son âge.
Francesco Demuro en chanteur italien brille par une autodérision irrésistible et un style parfaitement idiomatique et emphatique à souhait.
Eléonore Pancrazi déploie des trésors d'abattage.
Florent Karrer confère un beau relief viril à son commissaire.
Yoann Le Lan est un vrai luxe en aubergiste.

Le reste de la distribution n'arrive guère à convaincre. Remplaçant Marina Viotti, Niamh O'Sullivan joue la tapineuse avec un certain brio dans la "farce viennoise" de l'auberge de la Baleine mais n'offre que peu de satisfaction vocale.
La Sophie de Regula Mühlemann frise parfois la caricature avec une émission old school fort datée de canari.
Jean-Sébastien Bou manque de largeur vocale pour Faninal mais non de présence scénique.
Henrik Nánási dirige avec un certain raffinement, un sens du discours plein d'allant et ondoyantes lignes serpentines, un orchestre très correct mais sans plus.
Formidable directeur d'acteurs, Krzysztof Warlikowski sauve sa production banale et brouillonne dans son concept de porosité des arrière-fonds théâtraux, un peu à la Bunuel finalement dans Le Charme discret de la bourgeoisie, par un final qui touche au sublime et émeut profondément dans sa parfaite simplicité humaine et sa haute beauté plastique où l'on aperçoit le Maréchal muet dans un clip qui conjugue les génies de L'Herbier et d'Antonioni.
Notons la présence dans la salle de Laure Adler, François-Marie Banier, NEO et Benjamin Bernheim.
Jérôme Pesqué
