Lehar - Giuditta - Rösner/Wietz - ONR - 05/2025

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JdeB
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Lehar - Giuditta - Rösner/Wietz - ONR - 05/2025

Message par JdeB » 09 mai 2025, 07:28

Direction musicale Thomas Rösner
Mise en scène, décors, costumes Pierre-André Weitz
Chorégraphie Ivo Bauchiero
Lumières Bertrand Killy
Chef de Chœur de l’Opéra national du Rhin Hendrik Haas


Giuditta: Melody Louledjian
Anita: Sandrine Buendia
Octavio : Thomas Bettinger
Manuel, Sir Barrymore, son Altesse : Nicolas Rivenq
Séraphin : Sahy Ratia
Marcelin, l’Attaché, Ibrahim, un chanteur de rue: Christophe Gay
Jean Cévenol : Jacques Verzier
L’Hôtelier, le Maître d’hôtel: Rodolphe Briand
Lollita, le Chasseur de l’Alcazar Sissi Duparc, Le Garçon de restaurant, un chanteur de rue, un sous-officier, un pêcheur: Pierre Lebon

Chœur de l’Opéra national du Rhin
Orchestre national de Mulhouse


Enregistré par France Musique. Diffusion le 7 juin à 20h dans l’émission Samedi à l'Opéra présenté par Judith Chaine

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Strasbourg, le 13 mai 2025

A l’origine, on trouve une artiste de cabaret parisienne, toxicomane et proxénète de jeunes mineures, réfugiée au Maroc dont la vie a inspiré un roman à un certain Benno Vigny (1889-1965), qui avait épousé la mère de Charles Trenet et s’était installé avec elle à Berlin à partir de 1922. C’est en allemand que Vigny publie en 1927 ce court romain intitulé Amy Jolly, la femme de Marrakech. Les droits en sont rachetés par la Paramount à la société allemande Felsom Film même si le roman est trop sulfureux pour Hollywood. Le scénariste Jules Furthman et Joseph Von Sternberg en tirent une adaptation que ce dernier porte à l’écran sous le nom de Morocco avec Marlene Dietrich et Gary Cooper qui sort aux USA le 14 novembre 1930. C’est un triomphe public et critique avec quatre nominations aux Oscars à la clé. Un an plus tard, ce sera, avec Carmen, le point de départ du livret de Giuditta cosigné par Fritz Löhner-Beda et Paul Knepler. Est-ce comme on le lit page 73 du programme de salle « le premier ouvrage lyrique à puiser son inspiration dans une œuvre cinématographique à succès » ? On mise plutôt sur Forfaiture de Camille Erlanger d’après le film The Cheat de Cecil B. deMille (Paris, 1921).

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L’ouvrage est créé à le 20 janvier 1934 au très prestigieux et très sérieux Staatsoper de Vienne sous la direction de Franz Lehar lui-même (qui assurera 29 autres représentations in loco) avec le couple vedette Richard Tauber / Jarmila Novotna et une diffusion radiophonique mondiale dans 120 pays. Dans cette maison l’ouvrage cumulera 81 levers de rideau, jusqu’au 12 avril 1953, ce qui paraît peu. A titre de comparaison Der Zigeunebaron de Johann Strauss y a atteint les 308 représentations. Seul l'air irrésistible "Meine Lippen, sie küssen so heiss" (Sur mes lèvres se brûle ton coeur") est vraiment passé à la postérité.
Après un long purgatoire, Giuditta a été montée à Munich en 2022
viewtopic.php?f=6&t=23901&hilit=Giuditta

Ce soir nous entendons la version française d’André Mauprey qui a vu le jour à La Monnaie le 17 mai 1935 avec Kate Walter-Lippert et José Janson.
Seul le IIIième acte été donnée à Garnier et qu’une seule fois, lors d’un gala pour la Caisse de retraite, avec le compositeur à la baguette et les deux créateurs, Tauber et Novotna. C’était le 26 décembre 1935. L’ouvrage a été ensuite, dans la foulée, monté au Capitole de Toulouse où l’ouvrage a été dénigré ; « La pièce n’apparaît pas comme l’une des plus heureuse du compositeur viennois » (Jean Boyer). C'est vrai qu'on pourrait aisément en soustraire une trentaine de minutes.

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L’ouvrage vaut surtout pour son refus du happy end, sa scène finale très poignante et fort originale, sa riche orchestration avec des pupitres de cuivres étoffés (quatre cors, trois trompettes, trois trombones et un tuba), et le recours à une harpe, un célesta et un vibraphone, orchestration où l’on peut déceler une influence puccinienne, le rôle-titre étant à la fois la synthèse de Carmen, d’Adèle, de Lulu, de Manon et de Mimi.

Le problème majeur de cette production c’est que la titulaire du rôle-titre Melody Louledjian n’est pas une Mimi (C’est dans ce rôle que Novotna fit ses débuts au Met en 1940) mais une Musetta. Si elle brille d’un vif éclat par sa beauté, assez singulière dans le circuit, et sa prestance sur scène, tout aussi remarquable, sa voix manque de corps et de sensualité, de projection aussi, sauf dans le registre aigu.
Thomas Bettinger, dans un rôle taillé sur mesure pour Tauber pour lequel Lehar écrivait non pas des airs mais des Tauber lieder, c’est-à-dire des airs courts et hérissés d’aigus éclatants, s’en tire avec panache et vaillance, une excellente projection, mais à l’ancienne avec quelques coups de glotte intempestifs.

Tous les autres rôles parlés ou chantés sont parfaitement distribués sauf celui de Lolita où Sissi Duparc en fait des tonnes d’une voix très sonore mais éraillée avant de nous faire rire in fine.
Une fois de plus on admire Sahy Ratia pour son timbre, sa ligne si souple, sa musicalité exquise, son sens de la caractérisation si fin et son abattage scénique supérieur, ici à son zénith.
Sandrine Buendia charme dans le rôle d’Anita par son style, sa voix charnue et pleine, ses qualités de comédienne également.
Nicolas Rivenq, de sa haute silhouette aristocratique, campe superbement Lord Barrymore et « Son Altesse » mais convainc un tantinet moins dans Manuel. Christophe Gay dessine quatre personnages avec talent et brille surtout par un impeccable attaché au service de Son Altesse. Jacques Verzier confère beaucoup de relief à Jean Cévenol tandis que Rodolphe Briand s’avère, une fois de plus, irréprochable dans ses trois personnages.

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La production de Pierre-André Weitz, très dans le sillage des films de Julien Duvivier, semble être avant tout un hommage au corps, dans toutes son immense palette d’incarnations si diverses et bariolées, du nain un peu à la Lautrec à l’homme fort, en passant par la femme obèse, la danseuse sylphide, les sœurs siamoises, la reine de beauté, l'acrobate de cirque et de cabaret bien galbé, le militaire et le milord, le majordome et le freluquet, l’Altesse et le chanteur des rues, … C'est aussi un hymne à la théâtralité pure et tout aussi fièrement exhibée que les corps ainsi qu' aux arts dits "mineurs".
C’est très brillant et plein de clins d’œil notamment à une célèbre image publicitaire de Chanel avec Vanessa Paradis en oiseau de paradis, à Miss Knife, aux grands affichistes des années 1930, à la vie foraine et d’Alcazar (superbes décors de miroitements noirs), à la Café Society qui a lancé Tanger et à Carmen avec même, dans la scène finale, la bague offerte à Giuditta par son soupirant d’Altesse tombant à terre, …
On retiendra aussi et surtout la poésie des ombres chinoises et la fusion de la maquette du paquebot Champollion avec la ciel constellé des toiles / étoiles.

La direction vive et colorée Thomas Rösner à la tête de l’Orchestre national de Mulhouse contribue aussi beaucoup au succès du spectacle qui fera l’objet d’une captation vidéo le 20 mai pour une diffusion sur OperaVision à partir du 4 juillet 2025.

Jérôme Pesqué
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Lehar-Giuditta- Rösner/Wietz- ONR- 05/2025

Message par Christopher » 09 mai 2025, 08:27

Est-ce que ça vaut le détour pour découvrir cette rareté ? Je n'arrive pas à me décider pour y aller...

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Re: Lehar-Giuditta- Rösner/Wietz- ONR- 05/2025

Message par JdeB » 09 mai 2025, 09:48

Christopher a écrit :
09 mai 2025, 08:27
Est-ce que ça vaut le détour pour découvrir cette rareté ? Je n'arrive pas à me décider pour y aller...
Regarde la bande annonce alors

https://www.facebook.com/share/v/1AnY6Ua4MS/
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Lehar - Giuditta - Rösner/Wietz - ONR - 05/2025

Message par Christopher » 13 mai 2025, 07:26

Le spectacle sera diffusé sur operavision à partir du 4 juillet

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Re: Lehar - Giuditta - Rösner/Wietz - ONR - 05/2025

Message par JdeB » 15 mai 2025, 08:44

je viens de publier ma critique en tête de ce fil.
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Lehar-Giuditta- Rösner/Wietz- ONR- 05/2025

Message par Piem67 » 15 mai 2025, 23:26

Christopher a écrit :
09 mai 2025, 08:27
Est-ce que ça vaut le détour pour découvrir cette rareté ? Je n'arrive pas à me décider pour y aller...
C'est une très belle production, très colorée et vivante, remarquablement réglée et exécutée.

L'œuvre est étonnante, très riche orchestralement comme l'a dit Jérôme, c'est étrange dans ce genre. Le style impose certaines constantes, comme des paroxysmes à répétition, avec force aigus.

Personnellement, malgré ses qualités, je n'ai pas été séduit par cette partition et j'ai trouvé cela assez lassant...

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Re: Lehar - Giuditta - Rösner/Wietz - ONR - 05/2025

Message par Christopher » 16 mai 2025, 07:27

Je ne ferai pas le déplacement et je me contenterai de la diffusion sur.Operavision pour découvrir cette oeuvre

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Re: Lehar - Giuditta - Rösner/Wietz - ONR - 05/2025

Message par Oylandoy » 16 mai 2025, 08:57

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la mélodie est immorale
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Re: Lehar - Giuditta - Rösner/Wietz - ONR - 05/2025

Message par Piero1809 » 19 mai 2025, 12:36

Merci Jérôme Pesqué pour le remarquable compte rendu très détaillé où il n’y a rien à rajouter et avec lequel je suis d’accord.

La mise en scène de Pierre-André Weitz, dense et fouillée, évoque remarquablement les années 1930. A chaque instant surgissent des trouvailles, spirituelles, amusantes, émouvantes et des gags loufoques. L’affiche de la Messagerie Maritime et la maquette du Champollion font rêver. La direction d’acteurs est remarquable : avec une scène souvent surpeuplée, la visibilité des acteurs est toujours parfaite, ils sont à leur place, au bon endroit, et interviennent à bon escient. Pour obtenir ce résultat, Pierre-André Weitz a bénéficié des splendides éclairages de Bertrand Killy. La scène dans laquelle Giuditta placée sous la haute autorité de Neptune et entourée de Néréides, chante : « Dans l’océan des rêves… », est un chef-d’oeuvre de Music-hall. Très beaux costumes et parures de Pierre-André Weitz.

Au plan musical, Giuditta est-elle le chef-d’oeuvre qui nous est vanté ? J’en doute personnellement. L’oeuvre est ambitieuse. On voit bien que Lehar a bien écouté les opéras classiques contemporains, notamment ceux de Richard Strauss. Les harmonies parfois hardies et une très belle orchestration le suggèrent fortement. Malheureusement ces instants sont très brefs et on retombe très vite dans la gaudriole, les rengaines et des banalités. Le manque d’unité est flagrant : opérette viennoise, harmonies orientales, mélodies espagnoles avec castagnettes, passages burlesques, mélange des genres, etc…Je ne comprends pas la comparaison faite de façon répétée avec Giacomo Puccini. Ce dernier, par l’unité qui règne dans ses grands opéras, la typicité et le souffle de ses mélodies, est aux antipodes de Lehar. Au risque de choquer, je me permets une remarque supplémentaire : ayant dans l’oreille les principales mélodies de Giuditta en langue allemande, j’ai été surpris par l’emploi du français qui, à mon humble avis, gomme l’aspect viennois de cette musique. Reste cependant un livret remarquable et une conclusion très émouvante, meilleure partie de l’oeuvre avec la fin du tableau 3..

Le plateau vocal est excellent. Melody Louledjian servie par sa belle plastique, gratifie le public d’une interprétation très élaborée. En parfaite actrice de music-hall, elle chante, danse et évolue sur scène avec grâce, dynamisme et beaucoup d’engagement. Ici les performances vocales sont à mettre en relation avec les performances scéniques et il convient de juger sa prestation comme une somme de qualités, un tout. La prestation d’ensemble est donc remarquable avec une belle interprétation de l’air célébrissime : « Sur ma lèvre se brûle ton coeur… ».
Le rôle d’Octavio est moins scénique mais comporte beaucoup de difficultés vocales avec des parties très tendues. Thomas Bettinger s’est joué de ces difficultés et a livré une prestation saisissante avec une « O ma belle étoile, d’anthologie.  Flamboyant duo d’Anita (Sandrine Buendia) et de Séraphin (Sahy Ratia), deux artistes sympathiques, désopilants et constamment inspirés. Les autres protagonistes sont excellents notamment les remarquables Jaques Verzier (Jean Cévenol), Christophe Gay (Marcelin), Nicolas Rivenq (Manuel) et Rodolphe Briand (Le Maitre d’hôtel). Les rôles parlés sont également très bien interprétés.

L’orchestration de Giuditta est très élaborée et donne la part belle aux bois. L’orchestre symphonique de Mulhouse a été performant. J’ai apprécié les très beaux solos de flûtes, de clarinettes et un magnifique cor anglais. Les bois étaient souvent associés à la harpe et au célesta qui enrichissaient la palette harmonique de sonorité grisantes et féériques. Le chef Thomas Rösner connaît sur le bout de sa baguette cette musique et lui a donné un surplus d’expressivité aux moments les plus palpitants.

mariuszbartok
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Re: Lehar - Giuditta - Rösner/Wietz - ONR - 05/2025

Message par mariuszbartok » 21 mai 2025, 16:09

Belle dernière strasbourgeoise hier.
Savez-vous où on peut trouver le livret de la version française de l'ouvrage ?

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