Peter Grimes
Opéra en 3 actes et un prologue. Livret de Montagu Slater d'après le poème de George Crabbe: The Burrough (Le Bourg, 1783). Créé à Londres au théâtre Sadler's Wells le 7 juin 1945.
Direction musicale : Wayne Marshall
Mise en scène : Christof Loy
Scénographie : Johannes Leiacker
Costumes : Judith Weihrauch
Lumières : Bernd Purkrabek
Chorégraphie : Thomas Wilhelm
Collaborateur artistique : Georg Zlabinger
Chef des Chœurs : Benedict Kearns
Peter Grimes : Sean Panikkar
Ellen Orford : Sinéad Campbell-Wallace
Capitaine Balstrode : Andrew Foster Williams
Auntie : Carol Garcia
Mrs Sedley : Katarina Dalayman
Swallow : Thomas Faulkner
Ned Keene : Alexander de Jong *
Bob Boles : Filipp Varik *
1re nièce : Eva Langeland Gjerde *
2e nièce : Giulia Scopelliti **
Hobson : Lukas Jakobski
John : Yannick Bosc
Le Révérend Adams : Erik Årman
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon
** Solistes du Lyon Opéra Studio, promotion 2024-2026
* Lyon Opéra Studio, promotion 2022-2024
A l'Opéra de Lyon le 9 mai 2025 (prochaines représentations les 11, 13, 15, 17, 19 et 21 mai 2025).
Peter Grimes est présenté dans une mise en scène minimaliste de Christof Loy qui adopte l'idée que Grimes est rejeté par les pêcheurs de son village du fait de son homosexualité. C'est une production d'une grande efficacité dramatique et d'une très impressionnante qualité musicale.
« Il a fallu attendre la mort du compositeur (1976) pour que l'on ose attirer l'attention du public sur certaines évidences. Jusque là on parlait de tension entre originalité individuelle et société normative [...]Un tabou fut brisé quand le musicologue Philip Brett (1937-2002), dans son essai Britten et Grimes(1977), exposa sa thèse, désormais classique, et argumentée d'exemples musicaux à l'appui, de l'exclusion de Grimes comme figure de l'homosexualité» (Jérôme Fronty in Peter Grimes, l'invaincu prémonitoire, 2014, cité dans le programme de salle).
Piotr Kaminski conteste formellement cette vision de Peter Grimes dans son ouvrage Mille et un opéras (Fayard, 2003)

Copyright Agathe Poupeney/Opéra de Lyon
« Le réalisme à l'opéra mène rapidement à quelque chose de « gentil » ou de « joli » qui ne représente pas avec justesse les relations entre les personnages. J'ai toujours été partisan d'une esthétique minimaliste, tout particulièrement dans ce cas, parce que notre approche doit être plus universelle » (Christof Loy , metteur en scène, d'après une interview réalisée par Karine Bohnert en 2021 lors de sa production à Vienne et reprise à Lyon. Citée dans le programme de salle).
La scénographie de Johannes Leiacker est fort dépouillée : ni mer, ni bateau, ni plage, ni cabanes de pêcheurs... Un simple plan incliné depuis le fond de scène jusqu'à la la fosse d'orchestre et un lit, plusieurs fois occupé, défait et refait en équilibre précaire au-dessus de la fosse. S'y ajoutent des chaises et un canapé. La direction d'acteurs de Christof Loy et les lumières de Bernd Purkrabek jouent le rôle essentiel dans la compréhension de l'évolution dramatique de l'action.

Copyright Agathe Poupeney/Opéra de Lyon
Le ténor américain, d'origine sri-lankaise, Sean Panikkar, domine la distribution. Une voix puissante, capable d'exprimer tous les sentiments complexes et les attitudes ambiguës de son personnage: rancoeur et haine pour les habitants du village, violence contre tous et même sur Ellen, désespoir, obsession de gagner de l'argent grâce à sa pêche, moments de rêverie et même… de douceur. C'est un formidable chanteur-acteur. Sinéad Campbell-Wallace est Ellen Orford, institutrice imprégnée d'empathie chrétienne pour Grimes qui ne lui rend pas. Soprano à la voix chaude, ses aigus sont puissants et sa longueur de souffle parfaitement maîtrisée. Le rôle du Capitaine Balstrode est tenu par le baryton Andrew Foster Williams. Il soutient de Grimes de son timbre convaincant et sait rendre sa voix très inquiète pour le sort de son ami. Dans un des interludes musicaux, il est en scène avec John car, lui aussi pour Christof Loy, il est fortement attiré sexuellement par l'apprenti. Mrs Sedley, Katarina Dalayman, mezzo-soprano, chante son rôle en parfaite malade psychologique réclamant son laudanum. Sa curiosité est malsaine et sa langue de vipère. Auntie/Tatie, Carol Garcia, a vraiment l'allure et la voix pleine de l'aplomb d'une tenancière de bar doublée d'une mère maquerelle qui n'a pas froid aux yeux. Elle est la seule en robe d'un rouge éclatant entourée de ses deux « nièces » en tenues roses virevoltantes (Eva Langeland Gjerde et Giulia Scopelliti excellentes chanteuses et comédiennes) au milieu d'une communauté au triste conformisme vestimentaire! Filip Varik en Bob Boles est un ténor à la voix puissante et incisive. Il sait être « monstrueux », Bible menaçante, en éructant des condamnations à l'enfer pour Grimes. Parfait hypocrite, il se saoule et tente de soulever l'une des nièces de Tatie. De sa très jolie voix fine et claire, Erik Årman en Révérend Horace Adams, est bien incapable de calmer ses paroissiens face au fanatique Bob Boles. L'homme de loi Swallow, Thomas Faulkner, de sa voix de bronze à la splendide projection, fait de l'interrogatoire de Grimes dans le prologue, un moment dramatique. Le charretier Hobson, Lukas Jakobski, basse profonde, tient son rôle avec talent.

Copyright Agathe Poupeney/Opéra de Lyon
Le Choeur de l'Opéra de Lyon est remarquable tout au long de l'ouvrage. Il bénéficie d'une direction d'acteurs de Christof Loy d'une lisibilité et d'une efficacité redoutable face à Grimes et à Ellen. Il occupe la scène pendant une bonne partie de l'ouvrage magistralement, chantant tout en se déplaçant continuellement (sauf dans la scène de l'église) et, en l'absence de décor, rend « visible » le drame dont il est un acteur essentiel. On ne peut qu'admirer la qualité de sa préparation par son chef Benedict Kearns.

Copyright Agathe Poupeney/Opéra de Lyon
Splendide modernité de la musique de Britten. On entend la mer, le vent et la tempête, On perçoit l'ambiguïté du personnage de Grimes, on participe à sa violence. On est partie prenante de la haine des villageois et de l'amour d'Ellen pour Grimes. Grâce à une orchestration dans laquelle les vents, les bois et les percussions sont très présents . Dans laquelle se côtoient le folklore anglais, des emprunts au baroque de Purcell , des chorals et des pages symphoniques en interludes à la belle ampleur et pleines d'émotions . Une musique qui fait vivre le drame. On comprend que cette partition, ce spectacle, malgré son modernisme, ait connu un immense succès à la création en 1945 avec Peter Pears dans le rôle-titre. Wayne Marshall obtient de l'Orchestre de l'Opéra de Lyon, dans cette partition à la rythmique et à l'harmonie savantes toute la finesse, la fantaisie, la violence qui éclairent, qui illuminent et qui rendent évident le livret en l'absence d'une scénographie réaliste et figurative.
Pierre Tricou.