Hasse: Les Serpents de feu dans le désert. Correas, 14/10/05

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EdeB
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Hasse: Les Serpents de feu dans le désert. Correas, 14/10/05

Message par EdeB » 16 oct. 2005, 17:12

Maison de Radio France, Salle Olivier Messiaen, vendredi 14 octobre 2005

Johann Adolf Hasse
Motet « Alta Nubes Illustrata »*
Oratorio « Les Serpents de feu dans le désert »


Valérie Gabail : Ange *
Isabelle Poulenard : Josué
Stéphanie d'Oustrac : Elias, Natanaël
Anette Markert : Moïse
Robert Expert : Eléazar

Les Paladins :

Gilone Gaubert-Jacques : premier violon
Léonor de Recondo, Bérangère Maillard, Isabelle Perez, Françoise Duffaud, Guillaume Humbrecht et Diane Chmela : violons
Camilo Peralta et Dominique Dujardin : violoncelles
Thomas de Pierrefeu : contrebasse
Nicolas Pouyanne : basson
Marc Wolff : théorbe
Frédéric Rivoal : clavecin et orgue

Jérôme Correas : clavecin et direction

(Diffusé en direct sur France Musique et en simultané avec les Radios de Berlin, Francfort, Dresde et Sarrebrück.)


J A Hasse (1699-1783) est l?un des compositeurs d?opéra les plus insignes de son temps, mais il est principalement connu aujourd?hui des mélomanes par ses oratorios et cantates, plus fréquemment donnés que ses opéras ? même si René Jacobs a exhumé, avec des bonheurs divers, son Solimano en 1997 et 1999, et s?il existe plusieurs versions de son Piramo e Tisbe ainsi qu?une belle version du Cleofide.
Né en Allemagne du nord, il y reçut sa première éducation musicale, avent de partir dans les années 1720 en Italie où il compléta sa formation, principalement auprès d?Alessandro Scarlatti, et où il devint un compositeur réputé pour les scènes napolitaines. Dès les années 1730, il voyagea un peu partout en Europe, mais se fixa principalement à Dresde (où il fut nommé Kapellmeister entre 1730 et 1763), Venise et Vienne.
Il composa près de 60 opéras entre 1721 et 1771, au moins onze oratorios et de nombreuses ?uvres sacrées et instrumentales. La variété de son ?uvre rend d?autant plus étonnante la relative méconnaissance que l?on a de l??uvre lyrique d?un compositeur dont Haendel s?inspirait fréquemment, alors que celle de son rival connaît désormais la postérité qu?on lui connaît?. Les parisiens ont donc pu découvrir un autre aspect de l??uvre de ce compositeur malheureusement méconnu -après l?exécution de sa cantate Marc?Antonio e Cleopatra (écrite pour rien moins que Carlo Broschi et Vittoria Tesi, à l?aube de leur prestigieuse carrière, en 1725) au TCE en avril 2001 par René Jacobs- après le public du Festival d?Ambronay, où ce programme avait été créé le 18 septembre dernier.

L?oratorio qui formait la principale partie de la soirée a été précédé par le motet Alta nubes illustrata, écrit, nous apprend le texte de Germain Trouvé dans le programme , spécifiquement « pour la chanteuse Maria Teresa Tagliavacca, dont les services furent appréciés aux Incurables de 1733 à 1740, puis de 1747 à 1755. »
Il m?a semblé retrouver des similitudes dans la ligne de chant avec le « famosissime » « Alto Giove » (tiré du Polifemo de Porpora, 1735). Coïncidence intéressante, ce dernier fut également employé aux Incurabili entre 1726 et 1733, puis à partir de 1737.) interprété par Farinelli dans la première partie du motet (« Alta nubes illustrata / Solis rutilo fulgore, / suo candore nitescit, rubescit ».)
Valérie Gabail remplaçait Sandrine Piau, originellement prévue et souffrante lors du festival Ambronay. A l?audition de l??uvre, on comprend rapidement la raison du choix de la première interprète, qui aurait trouvé en l??uvre un écrin idéal pour ses grandes qualités stylistiques et techniques et la lumière de son timbre. Non que la remplaçante n?ait en rien démérité ! Si elle semble parfois un peu en retrait et manquer un tout petit peu de puissance (on pourrait imaginer une interprétation plus flamboyante et extravertie, pour sa partie parfois très vocalisante), elle donne une intériorisation remarquablement adéquate à ces textes sacrés, rendant leur sens aux mots, colorant les reprises avec aisance, et vocalisant dans l?aigu sans aucune difficulté. La chanteuse a parfaitement su allier la légèreté aérienne (pour la première partie) avec l?introspection nécessaire pour la superbe partie médiane du motet, illustrant la gravité ardente du raptus dont l?aspiration à la paix et la sensualité semblaient curieusement faire écho à l?un des airs de la cantate Marc?Antonio e Cleopatra?


Image
Moïse et le serpent d?airain. (vers 1770.)


Les trois premiers oratorios de Hasse furent composés au début des années 1730 pour la Hofkapelle de Vienne (Daniello, en 1731, sur un livret de Zeno) et pour Venise, plus précisément l?Ospedale degl'Incurabili, les suivants le furent principalement pour Dresde.
Les deux oratorios vénitiens, Serpentes ignei in deserto (vers 1730-33; livret de B. Bonomo) et S. Petrus et S. Maria Magdalena (vers 1730) ont un texte latin, ce qui était la norme dans les conservatoires vénitiens, et ils sont relativement courts et en une seule partie, tout comme un seul des oratorios composés à Dresde ; il est intéressant de noter cette particularité, car les autres oratorios composés au cours de sa carrière sont en italien, sur un modèle métastasien, dont Hasse mit d?ailleurs en musique la majeure partie des textes.
Hasse, comme le fit également Leo, mélange des éléments de style plus ancien avec un langage musical plus innovant : on retrouve des éléments fugués dans la sinfonia d?ouverture. Le premier air d?Elias, « Incerta vivendo? », et celui de Josue « Spera, o cor? », mêlent des textures baroquisantes avec un style mélodique beaucoup plus récent : la basse continue fait presque contrepoint à la ligne vocale, alors que cette dernière reste pourtant simple et balancée. Par contraste, l?air de l?Ange, « Caeli, audite, deplorate? ». ainsi que celui d?Eleazar, « Dolore pleni humo jacentes? » sont de facture plus classique.
Les airs sont de forme da capo, ou légèrement modifiées, comme la plupart des oratorios de la période.

L?épisode biblique dit du « serpent d?airain » relaté dans le Livre des Nombres, chap 21 (http://www.biblia-cerf.com/BJ/nb21.html) , est le sujet de cet oratorio. Sujet qui semblerait peu propice à un long développement, mais qui permet néanmoins au librettiste, Bonimo, de brosser un catalogue étendu des passions humaines, et de conclure sur la prophétie de Moïse, qui prédit l?avènement du Christ et sa passion ?que préfigure la figure du Serpent d?airain-, avant de conclure par un épilogue qui incite le public à méditer sur les paroles prononcées (« Nunc igitur atenti percoite, et audite Regis afflicti voces, dum nos moesti, et devoti Davidici concentus praestantia imitamur, et sacrum Vatis carmen modulamur. »)

A Stéphanie d?Oustrac revenait l?ouverture et la fermeture de l?oratorio, puisqu?elle incarnait deux personnages et que lui était également dévolu l?arioso conclusif dévolu à l?Ange (d?après le livret.) Présence physique engageante (silhouette de rêve en tailleur-pantalon noir, flot de cheveux fixé sur le côté), et autorité dramatique que sert un timbre toujours aussi séduisant, elle a eu ici les défauts de ses qualités ; dès le premier récitatif, elle a tendance à surjouer un texte qui n?en demande sans doute pas tant, se jetant dans l?affliction avec emportement et gémissant presque ses interminables vocalises de « Incerta vivando » avec une technique ébouriffante, mais, me semble-t-il, au détriment d?une émotion plus sincère. Elle trouve mieux ses marques dans son second air, « Furit grando procellosa? » qui monte « crescendo » avec panache et brillance.

Le rôle « principal », celui de Moïse, est interprété par Annette Markert, qui met son talent de diseuse au service de l?autorité du patriarche. Sa voix assurée, chaude et bien timbrée rend tout à fait crédible cet emploi. Son récitatif d?entrée, « Ergo semper ingrati ! » est magnifiquement conduit, et l?air qui suit « Caelo turbido et irato? » témoigne des qualités dont elle fait preuve tout au long de l??uvre, sensibilité et équilibre. Les deux dialogues (en récitatif) avec l?ange font partie des beaux moments de cette soirée, grâce au frémissement et à l?engagement des deux interprètes.

Isabelle Poulenard, ex-enfant de la Maison Ronde, et faisant presque figure ici de vétérante du chant baroque, a une longévité vocale assez extraordinaire (si on en juge d?après son très abondant legs discographique et ses dernières prestations.) Si elle semble avoir un peu perdu dans l?extrême de sa tessiture (non sollicitée dans sa partie), elle a en revanche gardé toutes les caractéristiques de son chant stylé et virtuose, de la limpidité et du charme de son timbre. Son air « Spera, o cor, laetare, consolare » est adéquatement présenté par une voix qui est un baume pour les oreilles et pour le c?ur, berceuse presque maternelle et même quasi mariale. La palette délicate des couleurs et la légèreté de toucher de cette presque miniature en font un oasis reposant quasiment au milieu de l??uvre, et idéalement annonciatrice de la venue de l?ange.

Ce dernier est incarné par Valérie Gabail, qui fait preuve des même qualités que pour la cantate, et incarne jusque dans ses diverses attitudes les revirements de l?annoncier divin (« Ipse mecum pleni summo stupore arcana Dei conspicio, alto tremore.» n° VIII.) Elle joue des plis de l?étole frangée qui flanque son foureau noir, dans des attitudes quasiment mimétiques de certains anges du fonds du Musée du Petit Palais d?Avignon. Elle apporte en tout cas sa clarté et une fraîcheur parfois un peu arrogante et boudeuse (comme il sied à certains êtres surnaturels !) à un ange quelque peu dépassé et désolé devant l?ingratitude humaine, mais qui n?en perd pas pour autant la faculté de compassion.

Last but not least, Robert Expert, que l?on a connu parfois un peu inégal, est ici au meilleur de ses possibilités. La présence d?un contre-ténor pourrait paraître quelque peu surprenante, étant donné que l??uvre fut créée pour une distribution entièrement féminine, mais le timbre si particulier du chanteur crée ici un effet de contraste bienvenu et sa science du verbe est ce soir au service du dialogue introductif qui expose la situation, puis du texte qui marque la césure de l??uvre. Si le personnage semble plus effacé, il ne s?agit donc que d?un effet de rhétorique puisque son intervention déclenche la réaction du Prophète et la grâce divine. Son air, « Dolore pleni humo jacentes » est chanté avec pudeur et retenue, sans pathos excessif, avec une sérénité douloureuse presque apaisée.
Sublime duo entre Josue et Eleazar, un des sommets de l??uvre, par sa tendresse et sa fluidité, dans lequel les voix se répondent et se marient idéalement. La qualité du silence qui y a fait suite était sans doute le plus beau des hommages.

Les Paladins offrent une sonorité claire et pleine d?allant, qui met en valeur les voix. Magnifique pupitre de violons, mené par Gilone Gaubert-Jacques. Jérôme Correas, qui dirige plus qu?il ne joue de son instrument, mène son affaire entre maestria et soutien attentif à ses solistes. La palette de l?orchestre reste toujours sonore, sans couvrir les chanteurs et attentive au méandres du discours quelquefois un peu rhétorique, qu?il rend très lisible (y compris le dernier air de Moïse qui aurait pu lasser un peu l?auditeur actuel.)

Le programme de cette soirée passionnante a été enregistré lors du concert d?Ambronay et devrait faire l?objet d?une parution prochaine dans le nouveau label du Festival, qui vient de (re)sortir un remarquable disque consacré aux sonates écrites par Scarlatti pour Maria Barbara de Bragance, future reine d?Espagne et mélomane passionnée : Una nuova inventione per Maria Barbara. L?interprétation d?Aline Zylberach, sur pianoforte d?après Cristofori, est remarquable. Un petit bijou. (Editions Ambronay, distribué par Harmonia Mundi.)

Emmanuelle

NB : Pour aller plus loin sur Hasse, un site francophone : http://www.hasse-compositeur.net/fr/index.html (avec discographie)

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Message par Clement » 16 oct. 2005, 22:19

merci Emmanuelle pour ce compte-rendu complet d'une retransmission que j'ai ratée, malheureusement...
Je suis bien d'accord pour réclamer le retour de Hasse à une place plus affirmée dasn les programmations et enregistrements ! il le mérite au moins autant que Vivaldi, si à la mode maintenant.

Quel dommage, en revanche, que Piau n'ait pas pris part aux concerts (et donc à l'enregistrement...) ! Sa technique impeccable, sa précision rythmique, sont des qualités particulièrement nécessaires à cette musique aux inflexions, aux rythmes pointés et ornements délicats si caractéristiques, et qui doivent être rendus avec incisivité et sensibilité.

J'attends le disque avec intérêt.

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Message par EdeB » 16 oct. 2005, 22:32

Clement a écrit :merci Emmanuelle pour ce compte-rendu complet d'une retransmission que j'ai ratée, malheureusement...
Je suis bien d'accord pour réclamer le retour de Hasse à une place plus affirmée dasn les programmations et enregistrements ! il le mérite au moins autant que Vivaldi, si à la mode maintenant.
:D
Sans comparer à tout prix Vivaldi et Hasse ce qui revient à mettre en compétition des éléments incomparables, je dois avouer que j'ai un grand faible pour Hasse, pour ce que j'en ai entendu. Malheureusement, Jacobs ne se décide pas à enregistrer ses deux coups d'essais (et un de maître) la fameuse cantate Marc'Antonio... et le Solimano (que j'ai trouvé fort intéressant lors de sa retransmission d'Insbruck en 1997, mais qui m'a semblé manquer de "poli" pour l'interprétation vocale...) Ce serait déjà cela... La discographie est trop maigrelette pour un compositeur qui a tellement marqué son temps. Au lieu de nous ressortir tous les brouillons de Handel, ce serait plus intelligent de s'attaquer à ce "caro sassone" là !! (Ceci dit, l'incendie où ont disparus beaucoup de ses manuscrits doit rendre la tâche très difficile et onéreuse, je suppose...)
Quel dommage, en revanche, que Piau n'ait pas pris part aux concerts (et donc à l'enregistrement...) ! Sa technique impeccable, sa précision rythmique, sont des qualités particulièrement nécessaires à cette musique aux inflexions, aux rythmes pointés et ornements délicats si caractéristiques, et qui doivent être rendus avec incisivité et sensibilité.
Oui, j'ai regretté S Piau -que j'adore !!- mais on n'a pas perdu au change. On y a gagné une superbe interprétation, très différente de ce qu'aurait sans doute chanté S Piau, peut-être plus "prudente" pour les amateurs de vocalises débridées, mais tout à fait touchante et en situation... Certains passages étaient profondément émouvants.
J'attends le disque avec intérêt.
Moi aussi !!! On ne peut être dans la salle et avoir le doigt sur le bouton "record + play" de la chaîne hi fi !! :wink:

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Message par Clement » 17 oct. 2005, 00:17

Effectivement, je ne voudrais pas qu'on arrête de faire du Vivaldi pour faire du Hasse, ce n'était pas mon propos.
Je n'ai entendu que des extraits de la cantate Marc'Antonio e Cleopatra, malheureusement, et j'ai les trois airs gravés sur le récital Cléopatre de Bayrakdarian.
Soliman, c'est encore pire : juste quelques bouts à la radio il y a longtemps, passionnants, et aucune trace. certains avaient l'air assez dépassés, vocalement, c'est vrai. Quel dommage que Jacobs ne l'ait pas enregistré, à l'époque où il gravait toutes ses recréation ! cela vaut bien un Graun, zut !
J'adore Cleofide, c'est vraiment un opera magnifique, et les nombreux airs de Hasse enregistrés dans le pasticcio Bajazet de Biondi (Ces airs comme ceux de Broschi et Giacommeli sont honteusement mal attribués) sont parmi les plus prenants. Cela donne envie d'écouter son Siroe...
Enfin, Artaserse est une oeuvre mythique qui doit bien être disponible puisqu'elle a été modestement montée il y a quelques années, et qu'on en trouve plusieurs extraits : Pallido il sole, Per questo dolce amplesso, Se al labro mio non credi...

Ah, si une Bartoli réussissait un Hasse-album... :roll:

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Message par JdeB » 17 oct. 2005, 11:02

Un programme Broschi -Giacommeli- Hasse par une Bartoli ou une Genaux serait un événement magnifique !
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Message par JdeB » 18 oct. 2005, 13:25

Je ne croyais pas si bien dire !
V. Genaux va enregistrer au printemps prochain un disque Haendel- Hasse avec Bernard Labadie et Les Violons du Roy
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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