Dufay - motets catholiques/orthodoxes XVème s.- Ensemble Irini/L.Hajosi -Vézelay 24/08/2024

Représentations
Répondre
petitchoeur
Ténor
Ténor
Messages : 519
Enregistré le : 19 sept. 2009, 23:00

Dufay - motets catholiques/orthodoxes XVème s.- Ensemble Irini/L.Hajosi -Vézelay 24/08/2024

Message par petitchoeur » 01 sept. 2024, 17:16

Échos du dernier schisme

Ensemble Irini
Lila Hajosi
direction

Œuvres de Guillaume Dufay(1397-1474),
de Janus Plousiadenos(1429-1500)
de Manuel Doukas Chrysaphes (1415-1480)
et d'autres anonymes orthodoxes des XIIIème, XIVème et XVème siècles

Eglise Saint-Germain de Lugny le 24 août 2024

Depuis le transfert en 330 de la capitale de l'Empire à Byzance, devenue Constantinople, par Constantin et la chute de l'Empire Romain d'Occident en 476 avec la prise de Rome par les Barbares, les relations entre l'Eglise latine (Rome) et l'Eglise grecque (Constantinople) n'ont fait que s'envenimer. Du Pape de Rome, successeur de Saint Pierre, ou du Patriarche de Constantinople choisi par l'Empereur et dont le siège est dans la capitale de l'Empire qui ne disparaît qu'en 1453, qui a l'autorité sur l'ensemble du Monde Chrétien ? Cette querelle de pouvoir se double de divergences doctrinales que les différents conciles ne règlent pas (la nature de l'Esprit Saint, le rôle des images de la divinité...). Le couronnement de Charlemagne par le Pape à Rome dans la nuit de Noël 800 rétablit l'Empire d'Occident, ce qui inquiète l'Empereur d'Orient. Ces oppositions aboutissent à l'excommunication du Patriarche comme du Pape en 1054 : c'est le Grand Schisme. Pourtant les Orientaux font appel aux Latins pour tenter d'arrêter l'avancée des Ottomans qui menacent leur Empire, ce qui est à l'origine des Croisades. En 1204, les Croisés de la quatrième croisade doivent payer les bateaux vénitiens qui les transportent en Orient. Ils se laissent entraîner, sur leur route, à assiéger Constantinople, la prendre et la piller pour dédommager les Vénitiens : la rupture entre les Eglises latine et grecque est confirmée dramatiquement. Plusieurs tentatives de réconciliation échouent notamment lors du IIème Concile de Lyon en 1274.
En revanche la culture grecque fascine de plus en plus l'Occident  et des liens culturels se tissent avec l'Orient. Des mariages renforcent ces relations : par exemple celui de Cleofe Malatesta, d'une grande famille princière italienne, avec Théodore, fils de l'Empereur Manuel II Paléologue en 1421. Le Pape Eugène IV est convaincu qu'il faut aider les Orientaux assaillis par les Ottomans. Eux-même réclament cette aide. Du coup l'Empereur, le Patriarche et le Pape se réunissent au Concile oecuménique de Florence en 1439 qui aboutit à la réunion des Latins et des Grecs mettant fin au Grand Schisme. Union qui ne durera pas du fait de l'opposition d'une partie de la hiérarchie orthodoxe et surtout de la prise de Constantinople par les Turcs en 1453 entraînant la disparition de l'Empire d'Orient. Ce qui interrompt toute relation entre l'Orient et l'Occident. On continue à s'ignorer jusqu'au XXème siècle avec la rencontre entre le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras en 1964 et la révocation mutuelle en 1965 des décrets d'excommunication de 1054 !
Lila Ajosi et son Ensemble Irini (la paix en grec) ont construit un programme très cohérent sur ce XVème siècle en illustrant ses trois moments des relations entre les Latins et les Grecs, le rapprochement, l'union et l'échec, d'œuvres de Guillaume Dufay et de musiciens orthodoxes célèbres du XVème siècle.
Guillaume Dufay, né à Cambrai est au service des Malatesta. Il compose pour le mariage de Cleofe avec le fils de l'Empereur d'Orient un motet Vasilissa ergo gaude qui célèbre le rapprochement des chrétiens d'Occident et d'Orient. Suit le motet Apostolo Giocoso dédié à Pandolfo Malatesta, frère de Cleofe, nommé archevêque de Patras. Dufay l'accompagne. Sur la route du Péloponnèse, ils font escale à Bari, occasion de chanter un motet à Saint Nicolas, patron des marins, pour qu'il protège leur traversée : O Gemma lux. Ces motets sont écrits dans le style Ars Nova apparu à Paris dans la deuxième moitié du XIVème. Chaque voix répète les paroles sur le même rythme tandis qu'une voix tient des notes longues comme le cantus firmus. Cela donne une profondeur et une dimension nouvelle à la musique. Comme le dit joliment le musicologue Nicolas Dufetel dans la « mise en oreille » précédant ce concert : l'Ars nova en musique est l'équivalent en peinture  de « l'invention » de la perspective. Les compositions de Dufay sont, du coup, d'une polyphonie complexe. Elles sont accompagnées par des sacqueboutes ou des trompettes médiévales. Lila Hajosi intercale des hymnes orthodoxes anonymes du XIVème siècle chantées lors des mariages: Potirion Sotiriou et En Ti Erythra Thalassi.
Pour illustrer le succès du Concile de Florence, Lila Hajosi a choisi un motet de Dufay, Ecclesiae militantis. dédié au Pape Eugène IV, signataire de l'acte d'union retrouvée. Puis un autre motet : Nuper rosarum flores qui glorifie le Duomo de Florence dans lequel s'est réuni le Concile. Et enfin le motet Salve flos tuscae, à la gloire de la ville elle-même. Sont intercalés entre ces motets un canon de Jean Plousiadenos, musicien grec du XVème siècle : nous honorons ce vénérable synode rassemblé à Florence pour rétablir dans l'unité les églises divisées. Ce moment consacré à l'union se termine par le Trisagion, le chant d'acclamation au Dieu trois fois Saint dans la liturgie orthodoxe.
Trois « lamentations » illustrent l'échec de l'union. Celle de Dufay: Lamentatio Sanctae Matris Ecclesiae :la Vierge, symbole de l'Eglise, pleure la mort de son fils. Celle d'un anonyme grec du XIIIème siècle sur le Dies Irae et celle de Manuel Doukas Chrysaphes, le plus célèbre des musiciens orthodoxes du XVème siècle, qui compare la chute de Constantinople à la ruine du Temple à Jérusalem par Nabuchodonosor pleurée par le prophète Jérémie.
La beauté des voix de l'Ensemble Irini, leur belle harmonie, la brillance des sacqueboutes et des trompettes médiévales, la souplesse de la direction de Lila Hajosi au service de l'esprit religieux de ces œuvres de circonstances et chantées avec ferveur, sont séduisantes. Ce concert est aussi l'occasion d'entendre des motets de Dufay très rarement donnés car marqués par des moments historiques précis et de découvrir des compositeurs orthodoxes inconnus. Enfin Lila Hajosi et son Ensemble Irini permettent de faire le constat que les musiques « latine » de Guillaume Dufay et « orientale » de Manuel Doukas Chrysophes ou de son successeur, comme maître du Choeur impérial, Janus Plousiadenos, sont proches. Le XVème siècle est véritablement un temps où les échanges culturels et religieux entre les Occidentaux et les Orientaux se multiplient et s'influencent mutuellement.

Pierre Tricou

Répondre