Elektra à Nantes (septembre 2005)
Posté : 23 sept. 2005, 22:20
Alieia a écrit ce beau compte-rendu par erreur en proposition de news.
"Que ceux qui en ont la possibilité courent voir Elektra, à Nantes ! Deux représentations, j'étais à la première, jeudi. La prochaine sera dimanche. Cette Elektra marque le triomphe de Janice Baird, dans le rôle titre qu'elle a déjà interprété ailleurs. J'ai écouté Eva Marton et Deborah Polaski dans ce rôle, l'une à Bastille, l'autre au Châtelet, il y a déjà quelques années. Elles ne m'ont pas marqué autant que Baird, stupéfiante à tous niveaux : la voix d'abord, incroyablement timbrée et puissante, mais jamais forcée ; l'intelligence scénique du rôle : la cantatrice ne joue pas la carte de l'hystérique de service, mais s'efforce de rendre au maximum l'humanité du personnage : un engagement sans faille et réellement bouleversant. L'actrice est en outre très belle, même en haillons ! Cette Elektra est une torche vivante, elle a la rage viscérale, dans la voix, dans le regard, dans le geste. Sidérante. Brûlante. Parfois on entend quelle Brunnhilde d'exception elle doit également composer. L'entourage est d'un moindre niveau, mais globalement très satisfaisant : Nadine Denize est une Clytemnestre impressionnante : la voix accuse certaines inégalités de registre, certaines notes paraissent un peu sourdes, mais l'aigu est encore là, opulent. Et l'actrice est tout simplement... royale. Ricarda Merbeth me semble un peu en retrait : grande voix, je veux dire une ligne de chant ample, joliment posée, mais peut-être pas assez de personnalité vocale : elle paraît en outre un peu légère, parfois couverte par l'orchestre qui, dans le dernier quart d'heure, ne se contient plus ! Ceci dit, le trio fonctionne à plein. Du côté des hommes, j'aime bien l'Oreste de Ned Barth, au phrasé noble et habité, sans emphase wagnérienne superflue. Stuart Kale est ce qu'on attend dans Egisthe. Guy Etienne Giot chante avec beaucoup de goût le précepteur et le vieux serviteur. Et le plaisir de voir Gilles Ragon est toujours intact... superbe artiste. Pour finir, les servantes sont très bien : voix bien projetées et individualisées. Guido J. Rumstadt dirige avec beaucoup de pugnacité, sans parvenir à tirer de l'orchestre la débauche de sonorité qui fait le prix des grandes versions au disque. J'aime beaucoup la mise en scène de Charles Roubaud : un décor unique, l'intérieur de la maison dans une perspective verticale qui traduit le vertige d'Elektra ; une interprétation originale du symbole de la hache, dans un finale vraiment surprenant, je n'en dis pas plus pour ne pas déflorer le plaisir de ceux qui iront voir tout cela dimanche... Et des costumes très réussis, notamment ceux de Clytemnestre, vue comme un sorte de vamp décatie grande prêtresse d'une compagnie de débauchés et pervers en tous genres ! Bref, scéniquement cela fonctionne à merveille, sans lourdeur. Le mythe enfin éclairé ! Ovation finale pour Baird, visiblement très émue. Une soirée franchement mémorable, comme on en voudrait plus souvent... y compris à Paris. Pourvu qu'on pense à la filmer, dimanche (apparemment point de caméra ni de micros jeudi... ce qui serait un incroyable gâchis...). Foncez, amis lyriques !"
"Que ceux qui en ont la possibilité courent voir Elektra, à Nantes ! Deux représentations, j'étais à la première, jeudi. La prochaine sera dimanche. Cette Elektra marque le triomphe de Janice Baird, dans le rôle titre qu'elle a déjà interprété ailleurs. J'ai écouté Eva Marton et Deborah Polaski dans ce rôle, l'une à Bastille, l'autre au Châtelet, il y a déjà quelques années. Elles ne m'ont pas marqué autant que Baird, stupéfiante à tous niveaux : la voix d'abord, incroyablement timbrée et puissante, mais jamais forcée ; l'intelligence scénique du rôle : la cantatrice ne joue pas la carte de l'hystérique de service, mais s'efforce de rendre au maximum l'humanité du personnage : un engagement sans faille et réellement bouleversant. L'actrice est en outre très belle, même en haillons ! Cette Elektra est une torche vivante, elle a la rage viscérale, dans la voix, dans le regard, dans le geste. Sidérante. Brûlante. Parfois on entend quelle Brunnhilde d'exception elle doit également composer. L'entourage est d'un moindre niveau, mais globalement très satisfaisant : Nadine Denize est une Clytemnestre impressionnante : la voix accuse certaines inégalités de registre, certaines notes paraissent un peu sourdes, mais l'aigu est encore là, opulent. Et l'actrice est tout simplement... royale. Ricarda Merbeth me semble un peu en retrait : grande voix, je veux dire une ligne de chant ample, joliment posée, mais peut-être pas assez de personnalité vocale : elle paraît en outre un peu légère, parfois couverte par l'orchestre qui, dans le dernier quart d'heure, ne se contient plus ! Ceci dit, le trio fonctionne à plein. Du côté des hommes, j'aime bien l'Oreste de Ned Barth, au phrasé noble et habité, sans emphase wagnérienne superflue. Stuart Kale est ce qu'on attend dans Egisthe. Guy Etienne Giot chante avec beaucoup de goût le précepteur et le vieux serviteur. Et le plaisir de voir Gilles Ragon est toujours intact... superbe artiste. Pour finir, les servantes sont très bien : voix bien projetées et individualisées. Guido J. Rumstadt dirige avec beaucoup de pugnacité, sans parvenir à tirer de l'orchestre la débauche de sonorité qui fait le prix des grandes versions au disque. J'aime beaucoup la mise en scène de Charles Roubaud : un décor unique, l'intérieur de la maison dans une perspective verticale qui traduit le vertige d'Elektra ; une interprétation originale du symbole de la hache, dans un finale vraiment surprenant, je n'en dis pas plus pour ne pas déflorer le plaisir de ceux qui iront voir tout cela dimanche... Et des costumes très réussis, notamment ceux de Clytemnestre, vue comme un sorte de vamp décatie grande prêtresse d'une compagnie de débauchés et pervers en tous genres ! Bref, scéniquement cela fonctionne à merveille, sans lourdeur. Le mythe enfin éclairé ! Ovation finale pour Baird, visiblement très émue. Une soirée franchement mémorable, comme on en voudrait plus souvent... y compris à Paris. Pourvu qu'on pense à la filmer, dimanche (apparemment point de caméra ni de micros jeudi... ce qui serait un incroyable gâchis...). Foncez, amis lyriques !"