Poulenc – La Voix humaine – Massis / Palloc – Capitole, Toulouse – 14/02/2020

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jeantoulouse
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Poulenc – La Voix humaine – Massis / Palloc – Capitole, Toulouse – 14/02/2020

Message par jeantoulouse » 18 févr. 2020, 11:40

Poulenc – La Voix humaine – Massis / Palloc – Capitole, Toulouse – 14/02/2020

Annick Massis
Soprano
Antoine Palloc Piano

La brièveté peut aller de pair avec la profondeur, l'intensité, la noblesse. Le spectacle mis en scène par Annik Massis et Antoine Palloc le confirme hautement. Le noir se fait sur le plateau et dès que la lumière l'éclaire à nouveau, on retrouve le pianiste installé et la cantatrice, une lettre à la main,vêtue d'automne, s'épanche dans une mélancolique mélodie bellinienne à la beauté belcantiste souveraine (1). Quelques éclats de Piaf (La Vie en rose) à la radio que la chanteuse revenue sur scène dans un désahabillé vert éteint aussitôt. Les premières notes de La Voix humaine résonnent. Deux fauteuils, un divan, sur une petite table un téléphone ancien et au sol, son long, très long fil enroulé.Voici plantés le décor, le climat de ce que Cocteau décrivait comme « une chambre de meurtre »... S'engagent près de cinquante minutes d'émotion pure où on retrouve la beauté inaltérée d'un timbre opalescent, l'engagement dramatique combiné à l'absence de pathos, la maîtrise du souffle, la puissance de la voix et l'art des nuances, le sens de la progression, de la tension dramatiques, celui de la prosodie, la clarté et l'élégance de l'élocution d'une grande tragédienne lyrique, d'une grande artiste.

Le Capitole a programmé La Voix humaine il y a dix ans, en mars 2010. C'était (hors les murs pour cause de travaux) dans un spectacle (orchestre et mise en scène) très original qui appariait trois œuvres à une voix, Erwartung et Pierrot Lunaire de Schoenberg, et la « tragédie lyrique »de Poulenc. Sous la direction d'Alain Altinoglu, Elle était Stéphanie d’Oustrac. C'est aujourd'hui dans la version avec accompagnement piano que le monodrame est proposée dans la série des Récitals du soir avec celle qui incarnait il y a précisément un an ici même une stupéfiante Lucrèce Borgia, l'héroïne de Donizetti, et son complice le magnifique pianiste accompagnateur qu'est Antoine Palloc, directeur musical de récitals de L'instant lyrique à Paris.

Le « mono-dialogue » pour soprano et orchestre, fondé sur la pièce de Jean Cocteau (1889-1963) écrite en 1928 a été présenté la première fois salle Favart. le 6 février 1959. Poulenc retrouvait Cocteau dont il avait mis en musique les trois mélodies de Cocardes (1919) et Le Gendarme incompris (1920) « comédie-bouffe en un acte mêlée de chant ». La Dame de Monte Carlo (1961) signerait leur dernière collaboration, elle aussi créée par Denise Duval. Poulenc explicite dans une lettre à Rose Dercourt-Plaut datée du 20 avril 1958 le sujet de ce qu'il nomme joliment « ce bel enfant triste » ou ailleurs plus âprement « un ensemble atroce » : « Je fais un opéra en un acte avec La Voix humaine de Cocteau. Vous connaissez le sujet : une femme (c’est moi, comme Flaubert disait « Bovary, c’est moi ») téléphone, pour la dernière fois, à son amant qui se marie le lendemain ».
Dans L'Opéra français : une question de style, François Le Roux analyse : « Le plus difficile, pour l'interprète, c'est de dépasser sa condition de chanteuse, pour entrer « dans la peau du personnage » […] : il faut chercher en soi et dans sa propre expérience vécue les points d'ancrage qui permettent de vivre le personnage. L'actrice-chanteuse […] doit rester en permanence à fleur de peau, comme si elle jouait vraiment sa vie. Ce qui rend l’œuvre, de toute évidence, épuisante à chanter, malgré sa relative courte durée (moins d'une heure). C'est un déchirement, un sacrifice, qui doit être joué en permanence sur scène, un peu comme si on prenait plaisir à rouvrir inlassablement une plaie qui peine à se cicatriser ». (Hermann éditions, 2019, p 324-325).

Cette analyse définit à merveille l'interprétation lyrique d'Annik Massis. Assise ou arpentant la scène, parfois juvénile, enjouée d'un faux entrain, torturée, pathétique mais digne, fiévreuse, se raccrochant à la voix de l'Autre, l'Absent dont on sent à chaque instant la voix immatérielle, virtuelle mais que l'actrice sait pourtant nous faire entendre dans ses silences brefs ou prolongés, Annik Massis est Elle, toutes les femmes abandonnées, tous les êtres trahis et délaissés. La voix sait tout faire, tout exprimer, le sourire mélancolique des souvenirs heureux dans des ébauches d'arioso lyrique ou la violence des accès de douleur, avec les éclats d'une grande soprano, la souplesse de la mélodiste, les nuances de la fine belcantiste. Et toujours l'articulation parfaite d'un texte dont on perçoit la moindre syllabe, la plus délicate inflexion, le surtitrage proposé s'avérant inutile. Parfois quelques notes perdues dans le grave, d'infimes interpolations du texte apparaissent des effets de sens ou de sensibilité. L'actrice a aussi des trouvailles subtiles : par deux fois, l'appareil assourdi sur le cœur, le dialogue devient monologue intime quand l'Autre ne doit pas entendre la plainte, le reproche. Et à l'issue de l'exécution, Elle se saisit d'un revolver jusque là dissimulé et le porte à sa tempe. Nul ne s'étonne d'entendre le bruit de l'explosion quand le noir tombe comme un couperet. Tout au long de l’œuvre, le piano d'Antoine Palloc « cogne », se veut violent, meurtrier presque, refusant la complicité doloriste ou l'effusion lyrique. Il dit l'effroi intérieur, l'implacable mise à mort, mais il sait aussi s'attendrir dans les moments de valse triste que réserve la partition. Et que de beautés conjuguées dans le si tragique et émouvant passage de : « J'ai le fil autour de mon cou / J'ai ta voix autour de mon cou ».
Un public rajeuni assiste à ce spectacle prenant et manifeste bruyamment son enthousiasme devant la performance de la chanteuse, émue et ravie, et de son parfait complice.
Après des Dialogues des Carmélites de haute tenue, une soirée Mélodies de Poulenc composant un exigeant florilège sous la houlette d'Anne Le Bozec, le récital d'Annik Massis au Capitole couronne une saison hommage au compositeur français, hommage dont il faut souligner la cohérence et la richesse musicale.

Jean Jordy

(1) L'air d'Amina dans la Somnambule, Ah! non credea mirarti.

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