Mahler – Symphonie n° 2 Sokhiev / ONCT / De Bique / Mayer – Toulouse/ Paris 02/2020

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jeantoulouse
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Mahler – Symphonie n° 2 Sokhiev / ONCT / De Bique / Mayer – Toulouse/ Paris 02/2020

Message par jeantoulouse » 09 févr. 2020, 14:15


Orchestre national Capitole Toulouse

Tugan Sokhiev Direction
Jeanine De Bique Soprano
Christa Mayer, Mezzo-soprano (remplaçant Janina Baechle)
Chœur Orfeón Donostiarra
José Antonio Sáinz Alfaro, chef de chœur

MAHLER SYMPHONIE N° 2 EN UT MINEUR « RÉSURRECTION »


Ce concert sera donné le 11 février à 20h 30 à la Philarmonie de Paris.

C'est en ce 8 février la Halle aux Grains de Toulouse qui accueille « son » orchestre et « son » chef , devant un public très, très nombreux et fervent : Mahler fait décidément recette. On cite souvent ce jugement de Debussy après l'écoute de cette deuxième : " Ouvrons l’œil (et fermons l'oreille)... Le goût français n'admettra jamais ces géants pneumatiques à d'autre honneur que de servir de réclame à Bibendum". Géant sans doute, mais rien dans cette interprétation soignant l'équilibre qui ne soit maîtrisé, dominé, conduit avec fermeté et clarté. Imposant, sans saturation, affûté, jamais touffu ou désordonné, moins encore Bibendum artificiellement gonflé.Il faut pour conduire à son terme ce long fleuve parfois impétueux, véhément et grandiose une poigne et un sens des proportions, une direction claire et tendue malgré des méandres, une vision de l'architecture d'ensemble que parachève la haute page finale, la maîtrise des masses et le dosage subtil des contrastes, si importants et vigoureux dans cette œuvre. Autant de qualités dont fait preuve Tugan Sokhiev. Mahler (comme par ailleurs Berlioz ou Chostakovitch) convient à son tempérament et à sa conception de l'interprétation musicale.
La présence imposante des quelque cent choristes en fond de scène reconfigure la disposition des pupitres. Les percussions déployées tout près du public, à gauche et à droite de l'orchestre, amplifient les effets de spatialisation en plein accord avec une partition qui dessine un monde. Une grosse harmonie précise et virtuose se fera entendre des couloirs de la Halle aux grains, derrière et sous le public donc, créant une impression saisissante et spectaculaire d'espace sonore en abyme, à l'infini. la fanfare rejoindra pour le final grandiose de l’œuvre le fond des chœurs pour participer au déchaînement colossal largement déployé. Tugan Sokhiev obtient (dans le deuxième mouvement par exemple) d'un orchestre qui sait rugir et caresser, danser et menacer, sourire et ricaner,des diminuendo et des pizzicati des cordes d'une grande finesse ou des traits cocasses ou goguenards aux bois qu'on n'avait jamais aussi distinctement entendus. Chaque pupitre, presque chaque instrumentiste seront aux saluts dignement mis à l'honneur et fortement acclamés, tant leur implication et leur virtuosité participent à la réussite de cette interprétation collective. J'ai écrit dans ma critique du très récent Parsifal combien l'Orchestre National du Capitole de Toulouse se hissait à la hauteur des plus grands orchestres français. Cette interprétation confirme cette excellence. Jusqu'où montera-t-il ?
Si je prends l'exemple du mouvement le plus complexe de l’œuvre, le troisième, comment ne pas se perdre dans ce sinueux Scherzo ? Mahler évoque « un mouvement tranquille et coulant » (In ruhig fliessender Bewegung). C'est loin souvent d'être une évidence. L'ONCT y déploie sa flexibilité, la richesse de ses timbres, la précision de ses attaques, l'aptitude à répondre aux sollicitations et aux indications du chef, comme toujours sculptées dans une invisible matière. Je le dis dans presque chaque compte rendu d'un concert de Tugan Sokhiev : regarder sa battue, le travail des mains, sa gestuelle si mobile, l'acuité des regards ( oui de dos, on peut saisir cette aptitude) distribués sur un très large empan est un spectacle en soi. L’œil écoute.

Le public toulousain connaît et aime l'impeccable et imposant Chœur Orfeón Donostiarra (ensemble d'amateurs, rappelons-le, mais d'une qualité rare) dirigé par José Antonio Sáinz Alfaro, entendu notamment dans un mémorable Requiem de Berlioz ou le Requiem allemand de Brahms. Cet ensemble exceptionnel interprétait déjà la Deuxième de Mahler dans un enregistrement vidéo d'Abbado à Lucerne. La cohérence, la précision, l'art des nuances et la ferveur de cette formation s'avèrent encore aujourd'hui à la hauteur de l'interprétation construite. Dans le silence d'un orchestre apaisé, quand s'élèveront les pianissimi éthérés et tendres des choristes, le public suspendu baignera dans le recueillement le plus pur, alors même que les affirmations glorieuses de la foi à pleine voix du groupe masculin éblouiront par la vigueur des attaques et la rigueur du déploiement vocal. Christa Mayer, familière du festival de Bayreuth, remplace Janina Baechle annoncée souffrante. Sa voix, profonde sans noirceur est celle d'une Erda, d'une Fricka, d'une Brangäne. Les premiers mots de Urlicht (La lumière originelle) ouvrent une parenthèse magique après le déferlement orchestral. « Le bon Dieu me donnera une petite lumière, » : cette certitude naïve est portée avec une distinction, une assurance qui sont celles d'une grande « diseuse ».
Dans le cheminement du long et sublime cinquième mouvement, naît brusquement une précieuse émotion. Dans le silence éclôt, telle une épiphanie pudique, le murmure du chœur a cappella relayé par la voix rayonnante et fervente de la soprano Jeanine de Bique. On découvre cette artiste, son timbre d'une grande richesse, cette voix prenante, charnue comme on l'entend chez peu de ses collègues auxquelles on dévolue les rôles de Micaëla et Suzanne par exemple. Sa récente prestation dans la Rodelinda de Haendel a été unanimement saluée. On regrette ce soir de l'entendre si brièvement, d'autant que sa prestation permet de pressentir un investissement émotionnel d'une étrange intensité. Tout près de la fin de l’œuvre, le duo féminin aux voix superbement mêlées dans leur contraste de couleurs, s'épanouit dans une sorte d'émulation de la foi chrétienne, tissant avec les choristes un ample hymne de célébration que l'orchestre soulève en vagues déferlantes. C'est majestueux et grandiose. On frissonne plus qu'on est ému, mais cette fin prodigieuse soulève les cœurs.
Le public emporté par cette houle éclate en ovations prolongées. Musiciens, chanteurs et chef sont réunis dans le même enthousiasme. Une grande, une exceptionnelle interprétation.

Jean Jordy

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Piero1809
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Re: Mahler – Symphonie n° 2 Sokhiev / ONCT / De Bique / Mayer – Toulouse/ Paris 02/2020

Message par Piero1809 » 13 févr. 2020, 10:24

Merci pour ce beau compte rendu.
Cette symphonie fut une révélation pour moi quand je l'entendis pour la première fois. Elle m'accompagna pendant de longues années. Aujourd'hui je suis un peu moins attiré par elle comme par les neuf autres symphonies en comptant la dixième. La musique baroque est devenue ma nouvelle passion et c'est justement dans Rodelinda que j'ai découvert Jeanine de Bique, sa voix dense au grain fin et la noblesse de ses interprétations.

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