Vivaldi - Juditha triumphans - Spinosi/VC - Lyon et Paris (TCE)- 02/2020

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HELENE ADAM
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Vivaldi - Juditha triumphans - Spinosi/VC - Lyon et Paris (TCE)- 02/2020

Message par HELENE ADAM » 09 févr. 2020, 12:34

Juditha triumphans
(Juditha triumphans devicta Holofernis barbarie)

Antonio Vivaldi

Première représentation : 1716 à l'Ospedale della Pietà
Oratorio de voix féminines.
Livret en latin.

Avec
Marie-Nicole Lemieux Juditha
Ana Maria Labin Vagaus
Sonia Prina Holopherne
Benedetta Mazzucato Abra
Dara Savinova Ozias

Jean-Christophe Spinosi direction
Ensemble Matheus
Chœur de chambre Mélisme(s)

Représentation du mardi 11 février, Théâtre des Champs Elysées.

Judith est un oratorio de guerre, une composition épique à la gloire de la victoire de Venise contre les Ottomans, et entièrement féminin. Etrange contraste donc que ce choix qui séduit immédiatement dès le premier morceau le chœur des soldats assyriens.
Ensuite s’enroulent très courts récitatifs et brillants arias, en alternance parfaite, avec présentation des personnages qui ont chacun (chacune) leurs lots de vocalises et de reprises : Holopherne, Vargaus, Judith, Abra. C’est très logiquement construit avec ce qu’il faut de différences dans la phrase musicale pour caractériser les « personnages ». L’orchestre est le plus souvent en écho aux voix, la répétition de thèmes musicaux qui deviennent rapidement obsessionnels, répondant aux innombrables reprises des mêmes phrases dans les arias.
C’est du Vivaldi, c’est donc une musique brillante. C’est un oratorio de combat, c’est donc un ensemble plus héroïque qu’illustratif ou langoureux, plus dramatique que romantique, l’ensemble tendant vers le dénouement brutal.
L’unité de style n’est interrompue que par l’évolution des thèmes et par la coloration différente que doivent mettre personnages et instrumentistes au cours de l’évolution du récit.
L’histoire, tirée de la Bible, celle de Judith piégeant le tyran Holopherne et lui tranchant la tête lors de son sommeil, n’est que prétexte pour Vivaldi à exalter les sentiments nationalistes de la cité Vénitienne face à l’agression de l’empire Ottoman.
Ce Judith est le seul oratorio qui soit parvenu jusqu’à nous dans l’œuvre de Vivaldi et il est assez rare.
De ce point de vue et parce que c’est une œuvre particulièrement originale pour son époque, on ne peut que se réjouir que le Théâtre des Champs Elysées l’ait mis à son programme cette année. La Philharmonie de Paris nous avait proposé une version très homogène et d’une grande splendeur dramatique, il y a deux ans, sous la baguette de Jordi Savall, avec le chœur entièrement féminin de la Capella Reial de Catalunya et son orchestre du Concert des nations.
Et Jean-Christophe Spinosi n’a pas hésité à convoquer à peu près tous les instruments que Vivaldi avait génialement prévu dans son audacieuse partition : les violes de gambe en accompagnement des arias les plus somptueusement calmes et voluptueuses de Judith, notamment le « Summe Astrorum Creator » ou cet étrange ancêtre de la clarinette de bois, le « chalumeau » qui psalmodie en écho au « Veni veni me sequere fida », aria virtuose envoûtante, ou encore cette jolie mandoline qui dialogue avec les cordes pour le « Transit aetas volant anni », toujours chanté par Judith.
L’ensemble offre un écrin d’une très riche étoffe aux voix et permet au spectateur d’admirer de tous les points de vue la virtuosité de l’orchestre et son sens subtil de l’accompagnement qui sait se faire discret tout en étant indispensable au charme très spécial de l’œuvre.
On saluera de ce point de vue le choix fait de faire précéder l’ouverture de l’oratorio et ce chœur des soldats assyriens extrêmement enlevé (Arma, cædes, vindictæ, furores), d’un « lever de soleil » (symbolisé par l’arrivée progressive de la lumière sur le plateau) et accompagné du seul jeu d’un oud, ce luth syrien qui évoque les lieux et la ville de Béthulie.
On regrettera cependant que les arrivées des solistes instrumentistes (et de leurs pupitres) donnent à chaque fois une impression de rupture de la continuité nécessaire à cette partition qui doit garder au contraire une grande unité pour que l’émotion soit à son comble dans la montée dramatique ménagée par le compositeur dont l’objectif, ne l’oublions pas, était de créer un « climax » propice aux sentiments d’attachement aux splendeurs menacées de la cité vénitienne.
Sans doute faut-il y voir aussi l'effet d'une légère amplification des « tempi » adoptés par Jean-Chhristophe Spinosi, lenteur ou vitesse excessive selon les passages, qui bousculent un peu l'harmonie de l'ensemble.

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Le plateau vocal, entièrement féminin comme il se doit, est dominé par l’interprétation de Marie-Nicole Lemieux en Judith, qui enfile résolument la tunique de Judith et sait fait naitre ce climat de plus en plus dramatique au fur et à mesure que sa détermination se transformera en geste fort et si résolu que l’artiste abat une main vengeresse sur son pupitre lors de l’acte fatidique. La contralto canadienne déploie un chant magnifique aux multiples couleurs, accents et nuances qui font sa signature vocale et son excellence depuis longtemps dans ce rôle. Dommage que le contrôle du volume dans ses aigus glorieux ne soit pas toujours parfait avec cette impression qu’elle donne souvent d’être parfaitement à l’aise et dans sa zone d’absolu confort dans son médium et son grave, dans le phrasé lent et la note tenue, mais un peu moins dès que la partition exige quelques envolées vocalisantes vers le haut de la gamme. Détails dans une prestation qui n’a pas manqué de panache.

La jeune soprano mozartienne Ana Maria Labin, incarne une Vargaus au très joli timbre qui vocalise admirablement bien, avec beaucoup de précisions et de charme. Son premier air « Matrona inimica » détimbre malheureusement à plusieurs reprises avant que sa voix ne prenne du corps et ne s’échauffe pour nous donner un beau chant bien maitrisé, à la technique impressionnante, parfois un peu trop doux, avant de nous offrir finalement, l’un des airs les plus émouvants et les plus énergiques, le célèbre et fougueux « Armatæ face, et angibus », véritable exercice de style qui doit tout à la fois avoir la légèreté de la dentelle de notes qui se succèdent à une vitesse vertigineuse et la colère que les paroles expriment. Magnifique réussite hier soir que cet ultime moment qui conclut pratiquement l’ensemble de l’œuvre.

Image

La contralto Sonia Prina (Holopherne) a montré hier soir, un instrument qui se dégrade de temps en temps avec des sauts de registre peu élégants, un timbre parfois discrâcieux et un « style » peu homogène, dès son premier aria « Nil arma, nil bella ». Dommage car l’artiste a du caractère et propose une incarnation vraiment jouée sur scène au moins au travers de ses expressions corporelles et faciales et son « Sede, o cara, dilecta speciosa » avait de la classe.
La soprano Benedetta Mazzucato en Abra nous charme plutôt dès son « Vultus tui vago splendori » par son timbre agréable, clair et lumineux et la beauté globale d’un chant mélancolique et bien cadencé, cependant un peu trop uniforme pour parvenir à habiter réellement le personnage.
Bel Ozias de la belle Dara Savinova, qui a illuminé le plateau pour ses très courtes interventions.
Enfin Chœur Melisme (presque entièrement féminins), malheureusement placé un peu loin dans le fond de la scène ce qui a parfois rendu un son un peu mat, ont parfaitement et brillamment tenu leur rôle notamment en début et fin de l’oratorio avec le panache qu’on attend de ce cri de gloire militaire !
Si cette soirée laisse pourtant une impression d’insatisfaction c’est sans doute du fait d’un parti pris, renforcé par le style des artistes lyriques, plus romantique que fougueux, plus méditatif qu’agissant, qui frustre un peu l’amoureux d'un Vivaldi plus dynamique.

Hélène Adam
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
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Re: Vivaldi - Juditha triumphans - Spinosi/VC - TCE - 11/02/2020

Message par perrine » 10 févr. 2020, 11:02

Superbe représentation hier soir à la chapelle de la trinité à Lyon. A noter que Ana Maria Labin a été remplacée, mais je n'ai pas encore le nom de la remplaçante.
CR à venir. Toutes les chanteuses ont été extraordinaires !
Le problème quand on trouve une solution, c\'est qu\'on perd une question.

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Message par JdeB » 10 févr. 2020, 11:13

perrine a écrit :
10 févr. 2020, 11:02
Superbe représentation hier soir à la chapelle de la trinité à Lyon. A noter que Ana Maria Labin a été remplacée, mais je n'ai pas encore le nom de la remplaçante.
CR à venir. Toutes les chanteuses ont été extraordinaires !
il faut vraiment ouvrir le fil 2 jours avant quand on y va pour ODB pour éviter bien des problèmes (comme ce fut le cas pour le Barbe-Bleue à Marseille récemment). Merci !

j'ai modifié le titre du fil en conséquence
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Vivaldi - Juditha triumphans - Spinosi/VC - Lyon et Paris (TCE)- 02/2020

Message par perrine » 10 févr. 2020, 20:12

Merci Jérôme!

petite erreur de ma part, c'est bien Ana Maria Labin qui a chanté le rôle de Vagaus. Le programme de la Chapelle indiquait initialement Ekaterina Bakanova.
Le problème quand on trouve une solution, c\'est qu\'on perd une question.

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Re: Vivaldi - Juditha triumphans - Spinosi/VC - Lyon et Paris (TCE)- 02/2020

Message par perrine » 10 févr. 2020, 23:11

Juditha triumphans
ANTONIO VIVALDI

Marie-Nicole Lemieux, Judith
Ana Maria Labin, Vagaus
Sonia Prina, Holopherne
Benedetta Mazzucato, Abra
Dara Savinova, Ozias


Chapelle de la trinité, dimanche 09 février 2020.

Avant de faire étape au Théâtre des Champs Élysées, et après une représentation passée a priori inaperçue au centre des congrès de Loudéac en janvier, c’est à la chapelle de la trinité que fait étape Jean-Christophe Spinosi pour une représentation en tous points exceptionnelle du seul oratorio de Vivaldi qui nous soit parvenu.

Cet oratorio composé en 1716 pour l’Ospedale della Pietà de Venise relate de manière simplifiée le Livre de Judith, jeune veuve juive qui se rend dans le campement ennemi pour demander grâce pour sa ville de Béthulie. Le chef de l’armée, Holopherme, tombe immédiatement amoureux de la belle Judith. L’invitant à souper, elle finira par lui trancher la tête une fois endormi, ivre. Cris d’horreur et de vengeance pour les Assyriens, chants de remerciements pour les juifs.

Composé pour un des orphelinats de jeunes filles de Venise, cette partition est donc écrite pour des femmes exclusivement, nécessitant trois altos, une mezzo et une soprano. D’un côté, Judith et son esclave Abra, de l’autre le chef de l’armée Holopherne et son écuyer Vagaus, sans oublier le petit rôle du prêtre Ozias.

La distribution est en tous points parfaite. Pour toutes, on peut louer la caractérisation des personnages, l’investissement simple mais efficace dans cette version scénique, et qui plus est dans un espace restreint du fait de l’étroitesse du plateau de la chapelle versus l’effectif du chœur et de l’ensemble. Nul besoin de théâtre, les voix ont tout fait.

Dara Savinova dans le court rôle d’Ozias révèle de superbes graves appuyés, une belle homogénéité et des aigus joliment enrobés. La servante de Judith, Benedetta Mazzucato alias Abra, fait également partie de ces chanteuses à suivre de près. Le timbre est teinté et coloré, alliant douceur, ou puissance. Les interventions toujours subtiles.

Sonia Prina est un guerrier vaillant ou intransigeant, se faisant petit à petit renverser par Judith. Son aria avec le hautbois (Marta Blawat) où elle se fait éconduire alors qu’elle brule d’un amour aveugle est suppliant. Elle pioche dans des graves magnifiques, presque susurrés, éclate dans des aigus fougueux. Douceur, langueur, fureur, sauts de registres précis et équilibrés font de son personnage un être qui devient presque attachant.
Ana Maria Labin est un écuyer magnifique. L’instrument est souple, le voile peut se faire délicat et caressant (splendide umbrae carae accompagné aux flutes, et appelant à l’apaisement de l’âme) ou éclatant de colère dans des vocalises rageuses et parfaitement découpées, lorsqu’elle découvre son chef mort. Nul besoin de se trémousser à l’instar de certaines de ses consœurs dans Armatae Face. Sa posture, sa maitrise, son engagement vocal font le travail.
Pour compléter ce plateau magnifique, Marie-Nicole Lemieux dans le rôle titre impose dès ses premières notes ce personnage en quête de paix pour son peuple. Guidée par l’amour de sa patrie, son entrée est d’une délicatesse incroyable. Visage serein et confiante, le chant est noble, racé. Elle affronte son oppresseur sans jamais chercher à le mépriser. Ce qui fait la force de cette Judith est cette humilité teintée d’espérance. Les arias avec les instrumentistes solistes (à la viole d’amour par J.C Spinosi, au chalumeau par Toni Salar-Verdu, à la mandoline par Anne Shivazappa) sont superlatifs. La tenue vocale semble se faire sans respirations, figeant le spectateur, amplifiant la sensibilité de ce personnage, au départ prêt au sacrifice pour sauver les siens.

Jean-Christophe Spinosi a eu l’excellente idée d’introduire un oud dans l’orchestre. Ainsi introduit-il l’œuvre : « 5h du matin, sur une plaine déserte ». Résonne alors ce oud (Mohamed Abozekry) qui remplace l’ouverture à l’orchestre jusqu’à ce que celui-ci le rejoigne, tambourinant et trompétant, lançant le chœur des soldats, ou accompagnant le luth et théorbe. Il mène sans effets superflus et de main de maître son ensemble. Face aux successions d’arias, il réussit également la gageure de tenir un public en haleine, n’osant pas rompre le charme de la soirée d’applaudissements intempestifs.

Une ovation leur sera réservée à la fin, le public voulant encore profiter de ce moment de partage et d’intense échange.

Perrine
Le problème quand on trouve une solution, c\'est qu\'on perd une question.

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Re: Vivaldi - Juditha triumphans - Spinosi/VC - Lyon et Paris (TCE)- 02/2020

Message par NiklausVogel » 12 févr. 2020, 10:13

Bon, c'était peut-être très joli, mais cela manquait singulièrement d'oxygène. La dernière fois que j'ai eu cette impression d'air raréfié, c'était au Tibet. Rentré à la maison, j'ai cherché à oublier ce bastringue ridicule avec (faute de Klemperer et de Karajan) Vittorio Negri, Birgit Finnilä, Julia Hamari et Elly Ameling... Je ne comprendrai jamais comment on a pu fausser le goût des gens depuis cinquante ans en transformant cette musique ample et spectaculaire en chuintements chichiteux et étriqués. Quelques moments de grâce dus à Marie-Nicole Lemieux, et au chalumeau. Cela fait longtemps que la voix de Sonia Prina se dégrade. Les vocalises du début sont savonnées et essoufflées, les articulations engorgées. Il faut attendre la deuxième partie pour profiter de quelques beaux graves bien appuyés. Ana Maria Labin a aussi été très appréciée. C'est assez gentillet. Mais enfin zut, Armatae face et anquibus, c'est une explosion de rage et un appel aux armes, pas une lamentation sentimentale (c'est sans doute une question de tempérament, mais pour moi, la colère et la rage, c'est pas ça...) et les furies étaient terriblement riquiqui. Un coup d'oreille aux sons de mitraillette que balance Bartoli dans cet air, et Labin fait sourire rétrospectivement. Vivement la femme sans ombre, même s'il faut y aller à pied. Ah oui, j'oubliais, et tous ces artistes qui échangent leurs coronavirus à la fin à grands renforts de gros poutous publics, c'est grotesque.

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Re: Vivaldi - Juditha triumphans - Spinosi/VC - Lyon et Paris (TCE)- 02/2020

Message par HELENE ADAM » 12 févr. 2020, 15:18

Mon CR est en tête de ce fil mais la représentation dont je rends compte a eu lieu après celle rapportée par Perrine à Lyon. :wink:
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
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