Mozart et ses contemporains- G. Vashegyi- Paris (TCE) & Lyon- 01/2020

Représentations
Répondre
Avatar du membre
JdeB
Administrateur ODB
Administrateur ODB
Messages : 26499
Enregistré le : 02 mars 2003, 00:00
Contact :

Mozart et ses contemporains- G. Vashegyi- Paris (TCE) & Lyon- 01/2020

Message par JdeB » 28 janv. 2020, 08:22

Requiem

W. A. Mozart (1756-1791) - Sancta Maria, Mater Dei, KV. 273 (1777)
Johann Georg Albrechtsberger (1736-1809) - Domine, secundum actum meum (1799)
Gregor Joseph Werner (1693-1766) - Requiem en ut mineur (1763)
Mozart - Ave verum Corpus, KV. 618 (1791)
Mozart – Requiem en ré mineur, KV. 626 (1791)

Emőke Baráth - soprano
Anthea Pichanick - contralto
Zachary Wilder - ténor
István Kovács - basse

Orfeo Orchestra
Purcell Choir


György Vashegyi – direction musicale

Théâtre des Champs-Elysées, 29 janvier 2020.
Concert « Les Grandes Voix »


C’est en compagnie de Mozart et de ses proches contemporains que nous emmenaient le chef hongrois György Vashegyi et son ensemble sur instruments d’époque Orfeo Orchestra (bien connus en France pour sa collaboration avec le CMBV), avec un programme ambitieux comprenant deux pièces rarissimes jamais entendues depuis le XVIIIe siècle.

Débutant avec le connu Sancta Maria, Mater Dei, œuvre d’un Wolfgang Mozart vingtenaire, cette œuvre de jeunesse est autant un exemple éclatant de l’intérêt profond manifesté par le Salzbourgeois pour les textes de dévotion mariale qu’un témoignage de sa virtuosité à transfigurer les contraintes musicales édictées par l’archevêque Colloredo. Sa simplicité apparente est contredite par les jeux de couleurs et de rythmes scandant ce graduel, bien mises en évidence par la fluidité du chant du Purcell Choir. Si l’on regrette que György Vashegyi ait choisi une approche purement hédoniste qui en amoindrit les élans de ferveur, le chœur se montre souverain dans la délicatesse de ses accents, malgré des alanguissements un peu surprenants.

Avec la seconde pièce du programme, on abordait un compositeur encore très mal connu, dont les liens avec Mozart sont attestés dix ans avant la composition de la précédente pièce. S’il est connu pour avoir été brièvement le maître de Beethoven (se glissant entre les brouilles de ce dernier avec Haydn et son enseignement par Salieri), Albrechtsberger fut un compositeur prolifique dans le domaine de la musique sacrée (on compte par exemple, environ 30 messes composées entre 1783 and 1785). Successeur de Mozart comme Kappellmeister adjoint à la cathédrale Saint-Etienne de Vienne (très probablement sur la recommandation de ce dernier), avant d’en devenir pleinement maître de chapelle au décès de son titulaire, Leopold Hofmann, en mars 1793, le compositeur avait d’excellentes relations avec le Salzbourgeois. On sait, par Leopold, qu’il avait laissé le petit Wolfgang jouer de l’orgue à l’abbaye de Melk en 1767. De même, Albrechtsberger atteste dans ses mémoires de la capacité d’improvisation du jeune garçon sur un thème qu’il lui avait donné. Mozart possédait des partitions de fugues de son aîné, gage de son admiration, et l’on sait qu’ils essayèrent ensemble l’orgue de St. Laurenz en 1790. Professeur réputé, Albrechtsberger conserva d’excellentes relations avec le fils cadet de Mozart, lequel déplora la mort d’un maître et d’un ami.
Le responsorium pour la Semaine Sainte composé en 1799 présenté dans ce programme rend peu compte de la variété de sa musique d’église, mais son côté un peu archaïsant n’est pas déplacé dans le cadre souvent conservateur de la musique religieuse viennoise. Sérénité affichée, bien que suppliante, et fugue conclusive magistrale participent à la beauté sévère d’une découverte passionnante dont la partition est conservée dans les archives de la famille Esterházy.

C’est à cette dernière que nous devons également le Requiem de Werner, prédécesseur de Haydn auprès de ces richissimes aristocrates mélomanes. Des cinq Requiem composés par ce compositeur d’origine autrichienne, seul l’un d’entre eux a été enregistré et celui au programme de la soirée est inédit. S’il ne peut rivaliser avec celui de Mozart, sa tonalité est bien plus apaisée, presque joyeuse. Même son Dies Irae porté par les solistes se replie vers une expression lumineuse, dont le style rappelle quelque peu celui de Biber qui fut maître de chapelle à Salzbourg dès 1684. Laissant la part (très) belle à un chœur tout aussi engagé où les sopranos dominent le discours, les solistes ne sont pas pour autant négligés, et leurs relativement brèves interventions se font sous le sceau de la ferveur et de l’invocation. L’entrée tardive du ténor, au Sanctus, donne un relief particulier à son intervention soulignée ici par un timbre séduisant, et les contrepoints savants, ainsi que la présence forte des bois et des cuivres colore habilement le texte enchâssé dans une prière toute en retenue. Soulignons la splendeur d’une fugue magistrale pour un Amen transportant vers une éternité palpable.

La seconde partie du concert, entièrement consacrée à Mozart faisait s’enchaîner le célébrissime motet Ave verum Corpus, composé à Baden pour son ami Anton Stoll, le directeur musical de l’église Saint-Etienne, et son non moins célébrissime Requiem. Dans le cadre de ses fonctions comme Kappellmeister adjoint, Mozart a sans doute souhaité faire jouer cet Ave Verum à Saint-Etienne de Vienne durant l’été 1791, mais la disparition d’une partie des archives de la cathédrale ainsi que la perte de plusieurs lettres de Mozart à Stoll rendent les informations très lacunaires sur ce point. La volonté du chef de faire se succéder ces deux partitions si proches dans la composition comme dans un certain esprit (mélanges stylistiques assumés, réminiscences volontaires, intensité de l’expression) est d’autant plus probante que l’excellence du chœur donne à cette une nécessité impérieuse, d’un jugement indulgent au jour de colère redouté.

C’est une vision volontairement traditionnaliste aux tempi plus modérés que la plupart de ceux adoptés actuellement que nous fait partager György Vashegyi pour le Requiem de Mozart. La supplication des fidèles incarnés par le chœur est d’autant plus cruciale que l’orchestre, bien que bien chantant et idéalement coloré, se place au second plan, se cantonnant parfois à soutenir les voix. C’est donc le dernier chant de Mozart qui nous est adressé, incarné avec énergie par un quatuor de solistes où se distinguait la plénitude vocale d’Emőke Baráth, aux côtés de la moire chaleureuse d’Anthea Pichanick, la suavité de Zachary Wilder et un István Kovács moins percutant. Les interventions du chœur parfois sensiblement détachées plutôt que liées, en petites touches impressionnistes, contribuait à ces fluctuations où la lumière fusait et dont les ombres chatoyaient, comme en des vitraux frappés par un soleil déclinant. De la bien belle ouvrage, et une réinterprétation très personnelle s’inscrivant dans une tradition revisitée.

En bis, une reprise de l’Ave verum, encore plus intense, concluait ce beau et passionnant concert, accueilli par une ovation enthousiaste dans une salle pleine à craquer.

Emmanuelle Pesqué
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
Odb-opéra

Avatar du membre
EdeB
Dossiers ODB
Messages : 3253
Enregistré le : 08 mars 2003, 00:00
Localisation : Ubi est JdeB ...

Re: Mozart et ses contemporains- G. Vashegyi- TCE - 29/01/2020

Message par EdeB » 01 févr. 2020, 18:26

Vous trouverez mon compte rendu de ce concert en tête de ce fil.
Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles. - M. Leiris
Mon blog, CMSDT-Spectacles Ch'io mi scordi di te : http://cmsdt-spectacles.blogspot.fr/
Mon blog consacré à Nancy Storace : http://annselinanancystorace.blogspot.fr/

Avatar du membre
dge
Basse
Basse
Messages : 3242
Enregistré le : 20 sept. 2004, 23:00
Localisation : lyon
Contact :

Re: Mozart et ses contemporains- G. Vashegyi- Paris (TCE) & Lyon- 01/2020

Message par dge » 03 févr. 2020, 10:08

Concert du 30 janvier à Lyon

Le même concert était donné le 30 janvier à Lyon dans la Chapelle de la Trinité dans le cadre du cycle Les grands concerts. Comme le souligne Emmanuelle Pesqué dans sa critique publiée en tête de fil le programme proposé est ambitieux puisqu’il intercale entre les chefs d’œuvre de Mozart des pièces peu ou jamais jouées de musiciens oubliés. Sancta Maria, mater Dei permet de suite d’apprécier la qualité du Purcell Choir qui séduit par sa cohésion et une fusion des différents registres qui lui confère une très belle expression. A la tête de l’ Orfeo Orchestra, György Vashegyi nous donne une lecture très soignée. On pourrait seulement souhaiter un petit supplément de ferveur à celle que confère l’écriture largement homophonique de cette œuvre qui annonce l’ Ave Verum composé une quinzaine d’années plus tard.

Domine, secundum actum meum d’Abrechtsberger, dont Emmanuelle rappelle la carrière et les liens qu’il avait avec Mozart, est une œuvre très rarement jouée et dont, selon le programme de salle, il n’existe pas d’enregistrement. C’est une pièce trop courte pour nous donner une idée représentative de la musique d’église de son auteur, considérable par son nombre d’œuvres. Au moins cette pièce permet au Chœur de montrer une belle palette de dynamiques.

Le Requiem de Werner ( il en a composé cinq, celui-ci est en do mineur) est une belle découverte mais il faut l’écouter en oubliant celui de Mozart qui sera donné après l’entracte. Les différentes parties qui le composent sont souvent très courtes et leurs ambiances sont peu différenciées. Le Lacrimosa, le Benedictus qui unit les deux voix féminines dans un bel élan, le Requiem aeternam très solennel et surtout la fugue finale m’ont semblé les parties les plus inspirées.

La deuxième partie voit s’enchainer sans coupure l’ Ave verum et le Requiem dans la version achevée par Sussmayr, tous deux composés la même année et du même niveau élevé d’inspiration. György Vashegyi nous propose du dernier chef d’œuvre de Mozart une lecture somme toute très classique, à l’écart d’effets baroquisants et de variations de tempi que certains chefs introduisent. C’est une lecture qui séduit par sa très grande probité et une grande intériorité, loin de tout expressionisme inutile. Il faut encore louer l’excellence du Purcell Choir et la grande qualité des différents pupitres de l’ Orfeo Orchestra.
Le quatuor de solistes montre une grande complicité avec le chef. On apprécie la voix sombre de la basse István Kovács. On regrette que le ténor Zachary Wilder ne soit pas plus sollicité tant on est séduit par un timbre solaire et un beau phrasé. Eszter Balogh (qui remplace Anthea Pichanick) séduit par le velours de sa voix mais manque un peu de projection. Enfin Emöke Baráth s’impose par une voix parfaitement projetée et une maîtrise parfaite de toute la tessiture.

Programme ambitieux avons-nous dit, mais pari réussi comme le montrent les longues acclamations d’un public visiblement séduit.


Gérard Ferrand

Répondre