Wagner - Lohengrin - Güttler/Homoki - Wiener Staatsoper - 01/2020

Représentations
Répondre
RODELINDA
Soprano
Soprano
Messages : 74
Enregistré le : 27 févr. 2014, 22:41

Wagner - Lohengrin - Güttler/Homoki - Wiener Staatsoper - 01/2020

Message par RODELINDA » 27 janv. 2020, 23:40

WAGNER - LOHENGRIN

Représentation du 19 janvier 2020

Chef d'orchestre: Michael Güttler (en remplacement de Valery Gergiev)

Mise en scène: Andreas Homoki

Lohengrin: Piotr Beczała

Elsa de Brabant: Cornelia Beskow

Ortrud: Linda Watson

Friedrich de Telramund : Egils Siliņš

Heinrich l'Oiseleur : Ain Anger

le Héraut du Roi : Boaz Daniel





Une soirée mémorable pour clôturer dignement cette série de Lohengrin qui a pourtant débuté sous des auspices difficiles : malade, Piotr Beczała doit déclarer forfait pour la 1ère représentation, remplacé par Klaus Florian Vogt (excellent du reste, comme toujours dans ce rôle). Le jeudi suivant, le maestro Gergiev, toujours par monts et par vaux, arrive avec 10 bonnes minutes de retard, retard qui a visiblement fortement déplu à une partie du public et à la direction. Ce dimanche 19 janvier donc, Dominique Meyer parait devant le rideau pour annoncer que le vol du maesto avait été retardé ; sans laisser le temps au public de réagir, il enchaîne avec une déclaration qui surprend par sa fermeté, voir sa sévérité à l’endroit du retardataire : « notre public est venu à l’heure pour voir le spectacle, nos musiciens dans la fosse sont venus à l’heure, il n’y pas de raison que cette représentation ne commence pas à l’heure. Nous avons ici un chef d’orchestre qui est prêt, il dirigera cette représentation. »
Le chef allemand Michael Güttler, (qui d’après sa biographie, avait déjà fait sensation en remplaçant Gerviev au pied levé pour le Ring et Parsifal, au Mariinsky) est accueilli en héros salvateur, ovation par ailleurs largement méritée au vu de sa prestation ce soir-là : galvanisés sans doute par le désir de se surpasser dans ces circonstances particulières, l’orchestre et les excellents chœurs du Staatsoper ont offert au public, sous sa direction à la fois rigoureuse et d’une grande finesse, une performance des grands soirs : depuis un prélude aérien, finement ciselé, jusqu’au final étincelant, il maintient un arc de tension dramatique constante tout en se montrant extrêmement attentifs aux chanteurs, qu’il ne couvre jamais. Il faut dire qu’il dispose ici d’une distribution de haute volée, et surtout d’un couple magique : Piotr Beczała, splendide en Chevalier du Cygne et la jeune soprano suédoise Cornelia Beskow (33 ans), véritable révélation de cette série.
D’après la biographie succincte figurant dans le programme, elle a chanté jusqu’ici essentiellement dans les pays scandinaves, notamment à Copenhague et à Stockholm. Les rares extraits vidéo que l’on peut trouver sur Internet ne permettent pas vraiment de se faire un aperçu de son potentiel – car ce n’est pas tant le timbre ou le format vocal qui capte l’attention dès les premières notes, mais plutôt un sens inné du théâtre, une capacité à donner au personnage un rayonnement, une vibration particulière. Dès sa première apparition, son Elsa séduit par une grâce juvénile, une luminosité qui procède moins de la voix elle-même que d’une ferveur, une sincérité touchantes, alliés à une projection remarquable. Galvanisée sans doute aussi par la présence d’un partenaire suprêmement bien-chantant tel que Piotr Beczała, qui lui aussi se glisse dans le concept scénique d’Andreas Homoki et son ambiance « taverne bavaroise » avec un naturel confondant, elle va nous offrir à ses côtés des pages d’une poésie, d’une grâce jamais encore ressentie dans cette production de 2014, qui a déjà connu pourtant des distributions prestigieuses, comme en 2016 : Vogt, Merbeth, Konieczny, Petra Lang, Yannik Nezet-Séguin). Il faut dire que cette mise-en-scène, pour efficace qu’elle soit, ne met pas forcément les chanteurs en valeur : lorsqu’Elsa fait son entrée (Acte I, 2ème scène), frêle jeune femme vêtue d’une simple chemise de nuit au milieu des choristes en culotte de peau, c’est le rayonnement qui émane de son chant et de sa personne qui restitue en quelque sorte à nos yeux ce que la mise en scène nous dérobe (Elsa : « dans l’éclat lumineux des armes, un chevalier vint à passer, un cor couleur d’or sur ses flancs et s’appuyant sur son épée »). Rappelons qu'ici, la venue de Lohengrin (I, 3ème scène) est un moment aussi discutable que spectaculaire – il apparaît, recroquevillé par terre, lui aussi vêtu d’une simple chemise de nuit, au milieu de la foule des Brabançons, tandis que le cygne qu’Elsa serrait dans ses bras passe de main en main – le rêve d’Elsa, en quelque sorte, prend forme et corps sous nos yeux.
Ce chevalier du Cygne est presque aussi mal en point que celui de la Scala – il salue le roi en cherchant péniblement ses appuis au sol – mais de même que sa jeune partenaire, P. Beczała relève le défi avec une assurance souveraine et un sens dramatique consommé. Les premières phrases sont chantées dos au public, avec une voix un rien en retrait, un timbre un peu moins éclatant que d’ordinaire. Il reste à genoux pendant une bonne partie de la scène, y compris lors du dialogue autour de l’interdit « Nie sollst Du mich befragen… ». Ce n’est que lorsque celle-ci s’agenouille à ses côtés pour lui témoigner sa foi qu’il se redresse lentement avec elle, leurs visages à un souffle l’un de l’autre. Lorsqu’ensuite retentit « Nun hört ! Euch, Volk und Edlen, mach ich kund…. ! », la voix est pleine, rayonnante, comme nourrie de la lumière qui procède du chant d’Elsa. Tout cela est bien sûr voulu, superbement maîtrisé et donne une crédibilité étonnante à des aspects scéniques que l’on croyait connaître – voir détester – et que l’on redécouvre ici avec intérêt – parfois même avec émotion.
Autre moment clé, le début de la scène de la chambre nuptiale (Acte III, 2) illustre à merveille cette intelligence scénique des deux chanteurs : lui, qui déploie des nuances d’une suavité et d’une douceur infinie (justement ce qui faisait défaut l’an passé dans la version A. Schager/Elza von den Heever), mais visiblement indécis, comme hésitant à s’approcher de son épouse qui dénoue lentement ses cheveux, dans un geste d’une troublante sensualité que dément son visage absent, soucieux, annonciateur du drame : là encore, elle se hisse au niveau de son partenaire en répondant à son lyrisme glorieux par cette ferveur lumineuse qui la caractérise (« Wie wäre ich kalt, mich glücklich nur zu nennen…. ! » ) ; c’est d’ailleurs toujours dans ce registre qu’elle trouve les accents les plus touchants, comme par exemple aussi au II, scène 2 lorsqu’elle invite Ortrud à partager son bonheur et sa foi («Laß mich dich lehren, wie süß die Wonne reinster Treu ! ») . En revanche, si je devais pinailler un peu, force est de constater que la voix n’est pas encore parfaitement maîtrisée, se durcit légèrement dans l’aigu, parfois un peu instable dans les nuances forte/piano. Espérons qu’elle saura résister à la tentation de chanter trop tôt ou trop souvent des rôles lourds (Santuzza et Sieglinde figurent déjà à son répertoire) pour préserver les qualités de son instrument.

Quant à Piotr Beczała …que dire…. il serait vain d’énumérer pour la énième fois les qualités qui font la magie de son chant, tant celui-ci se situe à mille lieux de tout artifice vocal : on écoute son « récit du Graal » bouche bée, sans penser une seconde à relever la perfection des piani, la longueur du souffle, la diction impeccable ou les aigus de bronze : le ténor a désormais une telle maîtrise de sa voix - en particulier cette technique "à l'italienne" qui fait merveille ici - qu’il peut se permettre de se donner entièrement à son personnage pour aller à l’essentiel – l’émotion, la musique, rien que la musique. Ma voisine, qui m’avait raconté son premier Lohengrin dans les années 50 au Theater an der Wien, pleurait à chaudes larmes en murmurant le texte avec le chanteur – et le reste de la salle retenait son souffle. Après ce moment de pure grâce, le final est d’autant plus saisissant qu’à aucun moment P. Beczała ne parait puiser dans ses réserves ou forcer ses moyens pour déployer un chant puissant et racé, tout de noblesse et de douleur contenue, où affleure ça et là, réminiscence du bonheur perdu, une bouleversante tendresse (déchirant « Leb wohl, mein süßes Weib ! »). Après son triomphe le mois dernier dans l’opéra polonais « Halka » aux côtés de son compatriote Tomasz Konieczny, le ténor vient d’offrir au public viennois - qui l’adore - un nouveau « début » flamboyant avant de reprendre, la semaine prochaine, l’un de ses meilleurs rôles, le Prince de Rusalka.
Autour de ce couple rayonnant, les autres rôles sont de haute tenue, avec une mention spéciale pour le baryton letton Egils Siliņš : projection et diction souveraines, densité du son, contraste saisissant entre sa silhouette athlétique et son incarnation réussie d’un personnage plus veule et pleutre que réellement malfaisant, le baryton letton campe un excellent Friedrich von Telramund, auquel il ne manque à mon goût qu’un rien de noirceur ou de mordant dans le timbre, à la manière d’un Wolgang Koch (2014) ou T. Kokniezni (2016). Son affrontement avec sa diabolique compagne au début du II est l’un des sommets de la soirée, scène où excelle également la soprano dramatique Linda Watson, Ortrud d’une grande classe, plus cérébrale, moins venimeuse que ce qu’on a l’habitude d’entendre dans ce rôle, mais qui exprime à la perfection, avec ses qualités propres – diction percutante, présence magnétique, aigus tranchants – l’ascendant psychologique écrasant qu’elle exerce sur son orgueilleux époux. Je dois avouer cependant que je préfère nettement entendre une voix plus grave dans ce rôle, car il y a des passages très attendus – notamment l’invocation aux dieux païens – « Entweihte Götter ! Helft jetzt meiner Rache ! » - et la confrontation avec Elsa dans la scène 4 de l’acte II où l’impact de la voix, sans doute à cause d’un contraste insuffisant entre les timbres, reste limité malgré l’engagement vocal et scénique de l’interprète. Ain Anger (Heinrich) et Boaz Daniel (Héraut), tous deux bien connus et appréciés du public viennois, délivrent une prestation solide, quoique légèrement en retrait.

Tous ont largement mérité l’ovation du public, écourtée par le retour sur scène du directeur Dominique Meyer venu remettre à Linda Watson le titre de Kammersängerin. Visiblement émue, la soprano américaine, viennoise d’adoption, a remercié chaleureusement son public qui l’a applaudie dans de nombreux rôles depuis ses débuts sur cette scène en 1986, notamment les 3 Brünnhilde, Isolde, Venus, Elektra, la Maréchale….) D. Meyer, qui venait d’assister à son dernier Lohengrin en tant que directeur de du Staatsoper, en a profité pour louer l’engagement, la qualité et le son si particulier de l’orchestre et bien sûr des chœurs, fabuleux ce soir-là. Et d’enfoncer le clou à propos de l’affaire Gergiev, en s’adressant à Michael Güttler : « tu n’as pas dirigé le Lohengrin de quelqu’un d’autre, tu as dirigé ton Lohengrin, avec tes propres tempi, tes choix d’interprétation et tu l’as fait magnifiquement ». Un avis largement partagé par le public (seul regret pour ma part, une petite pointe d’inquiétude concernant les engagements futurs de V. Gergiev au Staatsoper, il nous avait pourtant offert un Parsifal somptueux l’an dernier).

Une soirée wagnérienne à marquer d’une pierre blanche, mais aussi un nom à retenir, Cornelia Bescow.

Image

Image

Image

Image

Crédit photographique: Michael Pöhn - Wiener Staatsoper

Image

Image

Image

Répondre