Mozart et l'opéra – Pichon / Pygmalion – Grands Interprètes – Toulouse – 16/12/2019

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jeantoulouse
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Mozart et l'opéra – Pichon / Pygmalion – Grands Interprètes – Toulouse – 16/12/2019

Message par jeantoulouse » 18 déc. 2019, 10:40

Mozart et l’opéra, Libertà !

Pygmalion
Raphaël Pichon, direction
Mari Eriksmoen soprano
Siobhan Stagg soprano
Adèle Charvet mezzo-soprano
Linard Vrielink ténor
John Chest baryton
Nahuel Di Pierro basse

1) – Canon K.562 «Caro bell’idol mio» (arr. Vincent Manac’h) 3 voix 1788
2) – Ouverturede Lo Sposo deluso, K. 430
3) – Quatuor «Ah, che ridere!», de Lo Sposo deluso, K. 430 (arr. Pierre-Henri Dutron)
4) – Air «Dove mai trovar qual ciglio», de Lo Sposo deluso, K. 430 (arr. Pierre-Henri Dutron)
5) – Duetto «Spiegarti non possio», Idomeneo, K. 489
6) – Air «Chi sa qual sia», K. 582
7) -G. Paisiello – Sérénade «Saper bramate», Il Barbiere di Siviglia
8) - Aria «Alma grande e nobil core», K. 578
9) – Air «Ogni momento dicon le donne», K. 422 (arr. Pierre-Henri Dutron)
10) – Canon, «Nascoso è il mio sol», K. 557


11) – Ouverture de Der Schauspieldirektor
12) - V. Martín y Soler – Sextuor «O quanto un si bei giubilo», Una Cosa Rara
13) – Air «Io ti lascio, o cara addio» K.Anh. 245 (621a)
14) - Air «Vado ma dove? O dei!», K. 583
15) – Air «Ah, non lasciarmi, no»
16) – Nocturne «Più non si trovano», K. 549 (arr. Vincent Manac’h)
17) - A. Salieri – Sextuor «Son le donne sopraffine», tiré de La Scuola de’ Gelosi
18) – Sextuor «Che sorpresa inaspetta» (extraits), tiré de La Finta Giardiniera, K. 196


19) – Ouverture, de l’opéra Thamos, König in Ägypten, maestoso, K. 345
20) – Air «Bella mia fiamma, addio… Resta o cara», K. 528
21) – Trio «Ah che accidenti!» tiré de l’opéra inachevé Lo Sposo deluso, K. 430
22) – Air «Per pietà non ricercate» K. 420

23) – Air «Männer suchen stets zu naschen» K. 433 (arr. Pierre-Henri Dutron)
24) – Air «Ridente la calma», K. 152 (arr. Vincent Manac’h)
25) – Sextuor et chœur «Corpo di Satanasso!», tiré de L’Oca del Cairo, K. 422 (arr. P-H Dutron)
26) – Air «Aspri rimorsi atroci», K. 432 (421a)
27) – Air avec chœur «Ne pulvis et cinis», K.Anh. 122 d’après l’opéra Thamos, König in Ägypten
28) – Finale, Thamos, K. 345


Dans le cadre du Cycle Grands Interprètes, Raphaël Pichon et son ensemble Pygmalion proposent un concert intitulé, tel l'album paru cette année chez Harmonia mundi, Mozart et l’opéra, Libertà ! Comme on parle en peinture ou en architecture de point de fuite, je dirais que la trilogie de Mozart/Da ponte est le point de fuite du programme. Tout y converge, mais on n'entend que quelques brefs récitatifs extraits des trois célèbres opéras. Cependant on y songe toujours, on en respire les parfums, on y entende battre les cœurs de Suzanne, d'Anna, de Fiordiligi, gronder les colères de Figaro ou du Comte, soupirer Don Ottavio et Ferrando, on y voit les Don Juan séduire, mentir, provoquer la souffrance. Je pensais rendre compte d'un concert. Et j'ai le plaisir de faire la critique d'un spectacle. Tout en effet est jeu théâtral, dialogues entre personnages, effets raffinés de mise en scène élégante et pleine d'esprit, jeux de scènes et jeux de lumière, divertissements autour d'accessoires (chaises, cravates, masques, pupitres), utilisation efficace de l'espace de la salle, mouvements des corps, esprit d'une troupe d'acteurs-chanteurs emportés dans le lent et parfois tragique tourbillon d'une musique elle même acteur de la comédie humaine. C'est vivant, palpitant, frémissant, léger et mélancolique, beau et profond. Merci à Raphaël Pichon, à la fois, dramaturge, musicien, chef d'orchestre et de troupe d'avoir conçu cette petite merveille

Raphaël Pichon a imaginé et avec quelle intelligence musicale, la liaison entre les ving-huit moments musicaux de cette nouvelle trilogie. Nahuel Di Pierro, lui même chanteur, en a réalisé le dispositif scénique. Le public se place encore quand peu à peu musiciens et chanteurs arrivent sur la scène, bavardent entre eux par petits groupes ; les uns font mine de chauffer la voix, d'autres accordent leurs instruments ; Pichon s'installe un temps au piano forte, avant de s’asseoir au devant de la scène, plaisantant avec Nahuel Di Pierro... Le spectacle commence avant la musique quand soudain, lumière s'abaissant, la soprano Mari Eriksmoen, que suivront Siobban Stagg et Adèle Charvet, entame a cappella le canon initial que la mélodie et les paroles placent sous le signe de la peur de l'abandon, de l'infidélité possible, du désir amoureux de l'unité. S'enchaîne le quatuor de Lo sposo deluso, très enlevé, plein de mouvement et d'esprit. Le ton et l'acte de foi sont affirmés : Mozart, c'est un théâtre. Le jeu sur les cravates rouges – fil … rouge de ce premier acte - , la parade cocasse à la fin du duetto d'Idoménée, les scènes du balcon... au balcon, la colère des femmes solidaires de leur consoeur trompée par le vil séducteur, toute la mise en scène renvoie à Don Giovanni un peu (la sérénade de Paisello), aux Noces et au Comte plus explicitement. L'évocation de Cosi constituera le deuxième temps du concert et on a aimé la construction de la trame narrative, faite, nous y reviendrons, de  pièces rapportées, d'emprunts à des pages de Mozart rarement offertes. Les pièges de la séduction et du mensonge, de bonne et de mauvaise foi sont montrés de façon très simple : un mouvement, une mimique, des yeux bandés, puis dessillés, un personnage caché, un rire suffisent à rendre compte du jeu de de dupes dont les hommes sont les instigateurs et les femmes, souvent victimes. Renversement plaisant de Cosi fan tutte. Le troisième acte, dans un climat sombre (plateau plongé dans l'ombre, éclairé par quelques pales ampoules) suggère un Mozart plus tragique, placé sous le signe d'un Don Giovanni, séducteur et criminel. C'est une veillée funèbre qui s'installe autour d'un homme tué, alors qu'une Elvire cherchera un temps un insaisissable galant... Drama giocoso, assurément qui se clôt par le poignant Ne pulvis et cinis, rappel du dénouement d' aIl dissoluto punito, annonce du Requiem. Tout l'univers de Mozart est enclos, mieux encore éclot, dans cette mise en espace exemplaire fondée sur des matériaux musicaux a priori disparates...

A la lecture du titre et du programme, certains spectateurs, ignorant le concept du concert (et du disque) auraient pu se sentir frustrés.. Mais le tissu musical présenté, original, s'avère fort habilement construit . Entre l'Enlèvement au sérail (1781) et le début de la trilogie Da Ponte (1786), en matière d'opéras quatre œuvres inachevées, faute de bon livret. C'est dans cet entre temps, cet entracte subi, que se faufile le programme entendu ce soir, que nourrissent d'autres œuvres -tremplins vers les chefs d’œuvre à venir , mais aussi, et avec quel délice, des airs de concert aux climats proches de ceux de la fameuse trilogie. Le titre d'ensemble claque, telle la proclamation provocatrice de Don Giovanni, Viva la libertà. Près de 30 numéros l'organisent, des moments musicaux empruntés à l’œuvre symphonique ou lyrique de Mozart écrits entre 1875 et 1889, voire 1891 année de la mort du compositeur. Des airs de concert, d'opéras, des canons, des chœurs, des ouvertures, des musiques de scène que Raphaël Pichon coud de pages contemporaines d'opéras de Paisello, Martin y Soler et Salieri. Ainsi s'élabore devant nous une sorte d’œuvre lyrique rapiécée avec goût et finesse, un jeu musical intelligent fait d'empreintes et d'emprunts qui comble (un peu) le vide lyrique de quatre années de « laboratoire » musical, selon le mot même du maître d’œuvre du projet. Des années pour Mozart compositeur d'opéras, de latence, de recherche d'un bon livret, de brouillons, d'essais, de confrontation aussi avec d'autres compositeurs présents à Vienne. Réveillant une mémoire paresseuse, stimulant notre conformisme, à partir d’œuvres moins connues, voire rares, Pichon et ses amis rendent un hommage à Mozart, respectueux (et les arrangements et les liaisons habiles dus à Pierre-Henri Dutron le sont ), agréable, parfois émouvant, toujours magnifiquement interprété par des musiciens alertes et des chanteurs de haute volée. De cet ensemble hétérogène mais toujours fidèle à l'esprit de Mozart parfaitement honoré, on retiendra des échos d’œuvres à venir et des moments de tendresse, de douceur triste, de rayonnement et d'intensité que seule peut apporter à ce degré la musique de Mozart.

Et combien l'ensemble Pygmalion (instrumentistes et chœurs) sous la baguette vive de son chef sait nous la rendre vivante, vibrante. Elle virevolte, s'emporte, s'infléchit, caresse, module, s'amuse, avec des sonorités pleines de suc, des couleurs riches de lueurs. L'ouverture du Der Schauspieldirektor est un régal d'énergie et de rythme. Mais combien surtout, cette direction est à l'écoute des chanteurs, portés, animés, choyés, dans des ensembles toujours si justes d'énergie théâtrale, et cependant variés, dans les airs et singulièrement les airs de concerts choisis avec un sens de la dynamique remarquable. Que retenir ? Linard Vrielink, beau ténor « mozartien » lumineux de timbre émeut dans l'air de concert   Per pietà non ricercate, à la ligne si élégante. Jonh Chest offre son beau timbre de baryton et un admirable phrasé dans deux airs très expressifs (n° 13 et 23). Nahuel Di Pierro arpente la scène avec une autorité de grand comédien et fait valoir une voix de baryton-basse (n° 26 et 27) déjà admirée dans l'air Ogni momento dicon le donne (n°9). L'exquise Mari Eriksmoen prête sa voix de soprano, souple et lumineuse, au grand aria  Alma grande et nobil core. Siobhan Stagg est l'interprète poignante de l'air redoutable Bella mia fiamma, addio… Resta o cara» écrit pour Josepha Duschek dans des circonstances assez cocasses. Adèle Charvet, au timbre si particulier, si prenant – une vraie signature vocale – nous gratifie d'un Vado ma dove très émouvant. Tous excellent dans les ensembles à deux voix, à trois, à quatre, participant aux chœurs dans un esprit de troupe qui renforce la cohérence du programme et la puissance de son interprétation. Tous encore confirment leur engagement de comédiens, d'acteurs de cette fantaisie joyeuse et grave mis en musique et en scène avec un brio réjouissant.
Viva la liberta pour ces noces joyeuses de la musique et du théâtre et bravo à tous. Le public ravi leur a fait un triomphe.

Jean Jordy

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