Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

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Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

Message par Tico » 11 juil. 2019, 22:31

Direction musicale : Esa-Pekka Salonen
Mise en scène : Ivo van Hove
Scénographie et lumière : Jan Versweyveld
Costumes : An d’Huys
Vidéo : Tal Yarden
Dramaturgie : Koen Tachelet
Assistante musicale : Natalie Murray Beale
Chefs de chants : Jean-Paul Pruna, Frédéric Calendreau
Assistant à la mise en scène : Frans Willem De Haas
Assistant aux décors : Bart Van Merode
Assistante aux costumes : Angèle Mignot
Assistant à la lumière : François Thouret
Assistant vidéo : Christopher Ash
Cadreur : Vadim Alsayed


Leokadja Begbick : Karita Mattila
Fatty, der "Prokurist" : Alan Oke
Dreieinigkeitmoses : Sir Willard White
Jenny Hill : Annette Dasch
Jim Mahoney : Nikolai Schukoff
Jack O’Brien / Tobby Higgins : Sean Panikkar
Bill, genannt Sparbüchsenbill : Thomas Oliemans
Joe, genannt Alaskawoljoe : Peixin Chen
Six Filles de Mahagonny : Kristina Bitenc, Cathy-Di Zhang, Thembinkosi Magagula, Maria Novella Malfatti, Leonie Van Rheden, Veerle Sanders

Chœur : Pygmalion - chef de choeur : Richard Wilberforce

Orchestre : Philharmonia Orchestra - direction Esa-Pekka Salonen

Nouvelle production du Festival d'Aix-en-Provence, coproduite avec le Dutch National Opera, le Metropolitan Opera, l'Opera Ballet Vlaanderen, et Les Théâtres de la Ville du Luxembourg.


Représentation du 6 juillet (Première)

« Opéra corrosif », « Opéra iconoclaste » (d’après les termes repris dans le programme de salle) : Grandeur et Décadence de la Ville de Mahagonny fut créé au milieu d’un scandale retentissant le 9 mars 1930, par Kurt Weill et Bertolt Brecht à Leipzig, en pleines années folles de la République de Weimar et à la veille de la prise de pouvoir par les Nazis. Caricature du capitalisme et d’une société de consommation effrénée et libertaire, l’opéra inspire toujours le même sentiment contradictoire de dégoût et de fascination que lors de sa création, et 90 ans plus tard le livret de Bertolt Brecht continue de nous parler, Mahagonny devenant le miroir de notre société actuelle, décomplexée et outrancière, dont on ne sait si la qualifier de grande ou de décadente.

Mahagonny, « opéra épique ». Ivo van Hove s’empare de l’œuvre dans sa simplicité : celle d’un enchaînement d’actions et de chansons, avec un rythme qui va crescendo depuis l’entrée en scène de Fatty, Moïse La Trinité et Mrs Begbick sur un plateau quasi vide, jusqu’à l’apocalypse de la destruction finale. Privilégiant l’approche du divertissement que Bertolt Brecht lui-même soulignait dans ses Essais, le spectacle nous immerge dans une Mahagonny de cinéma fiction, dans un décor de studio, où se déplacent en toute fluidité aussi bien les chanteurs et les chœurs (ainsi que de nombreux figurants) que le mobilier : loges de théâtre, table, lit, jusqu’aux grands écrans verts du deuxième acte. Ivo van Hove emporte le spectateur dans un tourbillon, au risque de nous perdre dans une débauche d’images et de mouvements. Filmés en temps réel par un cameraman dont il faut bien reconnaître le talent et la facilité à se glisser entre les foules, les chanteurs n’ont rien à cacher. L’effet visuel des vidéos est à mon avis le plus impactant que j’ai pu voir sur scène depuis le Couronnement de Poppée de Calixto Bieito à Zurich l’an dernier (avec dans cette dernière production une technique bien moins performante), grâce aux expressions des visages – les yeux magnifiques et le sourire de Sean Pannikar ! les expressions angoissées à l’arrivée de l’ouragan ! la mine grimaçante et sournoise de Begbick ! La mise en scène recèle d’excellentes idées, comme le recours aux ventilateurs géants pour la scène de l’ouragan. Ou l’utilisation des écrans verts devant lesquels « tournent » nos hommes de Mahagonny, ici dans une cuisine (scène mémorable de la mort de Jack O’Brien par indigestion – avec un tube de ketchup manipulé par Jim visiblement bouché, qui a beaucoup fait rire le public le soir de la première), là sur le ring de boxe, avant de pénétrer fesses à l’air dans la chambre d’une prostituée pour une tournante que certains spectateurs auront sans doute trouvé un peu longue… Ivo van Hove sait néanmoins nous ménager des instants de répits, comme ce magnifique duo de Jenny et Jimmy où seule l’image spectrale de deux oiseaux vient accompagner le chant, avant qu’ils ne se séparent. Plutôt que d’être exécuté sur la chaise électrique, Jimmy, voleur devenu figure antéchrist, est enveloppé dans un linceul par les hommes de Mahagonny jusqu'à ce que sa voie disparaisse étouffée. Puis c’est ce le cataclysme final, la destruction du studio par le peuple révolté, dans un fracas tonitruant que ni l’orchestre survolté ne peut couvrir, et l’arrivée du nouveau « Dieu [qui] vint à Mahagonny. En plein whisky ». Ce dieu du whisky venu peut-être des horizons de Benares serait-il incarné par le retour de Sean Pannikar sur scène, affublé d’un sweat à capuche (comme un clin d’œil à sa tenue de Dionysos dans Les Bassarides de Warlikowski à Salzbourg l’été dernier), Jack O’Brien ressuscité après son indigestion de l’acte II, réincarné en assassin absous par Mrs Begbick dans l’acte III, avant de devenir le nouveau Dieu imposteur de Mahagonny ?

La réussite du spectacle tient beaucoup à l’implication des chanteurs et des chœurs, guidés par une excellente direction d’acteurs. Karita Mattila et Alan Oke sont parfaitement investis dans leurs rôles de Mrs Begbick et Fatty, et passent bien l’orchestre depuis le fond de la salle (j’étais au rang Y). Karita Mattila n’a plus le même timbre qu’avant certes, mais la projection est bien là, et sa capacité à moduler l’intonation, passer de voix de poitrine à un registre aigu attaqué avec précision, confère au personnage toute sa force dramatique. Sir Willard White par contre ne parvient pas à passer l’orchestre, mais partage avec ses coéquipiers ce même sens théâtral qui anime la production. Sean Pannikar prend un plaisir évident à jouer le rôle de Jack O’Brien dans la scène gargantuesque du veau dévoré, et impressionne comme l’an dernier à Salzbourg par ce timbre de voix d’une grande pureté et sa belle ligne de chant, nous faisant regretter que son intervention soit si brève... Thomas Oliemans et Peixin Chen apportent respectivement leurs belles voix de baryton et de basse à Bill et Joe, Peixin Chen semblant par ailleurs visiblement beaucoup s’amuser de son rôle. Enfin Annette Dasch – malgré des tentatives parfois maladroites de transformer son soprano lyrique en voix de soubrette (plus audibles à la réécoute sur France Musique qu’en salle) – et Nikolai Schukoff (à la limite de son registre, très tendu dans certains aigus du premier acte, il devient de plus en plus à l’aise à mesure que l’opéra avance) crèvent l’écran, grâce à une interprétation magnifique de leurs songs et du duo – habilement déplacé avant la mort de Jimmy alors que l’enregistrement de Max Thurn et Lotte Lenya le présente au milieu de la scène 14 entre « remplir son ventre » et « faire l’amour » (est-ce une liberté de l’équipe de production ? sachant que ce duo a été composé après la fin de la composition de l’opéra, à la demande du Directeur de l’opéra de Leipzig et pour la création). Les six filles de Mahagonny sont totalement crédibles, en plus de très bien exprimer toute la mélancolie de l’air de la Lune d’Alabama qui ouvre la scène 2. Enfin on frémit en écoutant le chœur Pygmalion, d’une force et d’une présence sur scène magistrale. On est soufflé !

Esa-Pekka Salonen à la tête de son orchestre Philarmonia emporte tout sur son passage, au prix de devoir mettre vocalement en situation de risque les chanteurs, mais sa lecture est pleine de contrastes, et met en valeur la richesse de la partition qui outre les songs bien connues, recèle des pages chorales magnifiques, marches funèbres, valse et fugues, ainsi qu’une richesse instrumentale qu’on appréciera d’autant plus à la réécoute (quel bonheur d’entendre l’accompagnement des saxophones !).

Longs applaudissements mérités pour toute l’équipe, Ivo van Hove recevant quelques huées d'autant plus grotesques que totalement isolées, qui n’ont fait que décupler les bravi du reste des spectateurs, jusqu’à faire se lever une grande partie de la salle.

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Re: Kurt Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

Message par muriel » 12 juil. 2019, 12:24

Vu hier en salle ( comble)
Totalement scotchée par ce spectacle .
Mise en scène fabuleuse, mais il est difficile de suivre les 60 personnages du plateau, la vidéo, les surtitres et de jeter un coup d'oeil sur l'orchestre. Trop de choses à voir, trop d'agitation partout.
Magnifique choeur Pygmalion, très bien dirigé, qui a un rôle fondamental.
Superbe Nikolai Schukoff, j'ai beaucoup aimé aussi Sean Panikkar.
Je passe sur Mattila, Dasch et Whitehorse, peu audibles et bien fatigués.
La fin est bouleversante et rappelle la fin du Dialogue des carmélites.

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Re: Kurt Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

Message par jeantoulouse » 12 juil. 2019, 13:07

Superbe Nikolai Schukoff
Je ne suis pas étonné par cette évaluation élogieuse. Et j'en suis ravi . C'est dans ce même rôle que j'avais découvert Nikolai Schukoff au Capitole de Toulouse en novembre 2010 dans la belle mise en scène de Laurent Pelly. Il était exemplaire d'engagement dramatique, d'émotion et de voix, saine, projetée, ardente.

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Re: Kurt Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

Message par muriel » 12 juil. 2019, 15:38

et dans la Juive à l'opéra de Lyon

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Re: Kurt Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

Message par Bernard C » 12 juil. 2019, 16:11

Je dirai la même chose de Sean Panikkar aux origines familiales sri lankaises entendu à ses débuts lointains notamment à Fort Worth...beau timbre, tenor attachant.

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Re: Kurt Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

Message par kirby » 12 juil. 2019, 18:10

muriel a écrit :
12 juil. 2019, 12:24
Vu hier en salle ( comble)
Totalement scotchée par ce spectacle .
Mise en scène fabuleuse, mais il est difficile de suivre les 60 personnages du plateau, la vidéo, les surtitres et de jeter un coup d'oeil sur l'orchestre. Trop de choses à voir, trop d'agitation partout.
Magnifique choeur Pygmalion, très bien dirigé, qui a un rôle fondamental.
Superbe Nikolai Schukoff, j'ai beaucoup aimé aussi Sean Panikkar.
Je passe sur Mattila, Dasch et Whitehorse, peu audibles et bien fatigués.
La fin est bouleversante et rappelle la fin du Dialogue des carmélites.
C’est en effet un spectacle très fort qui emporte tout sur son passage grâce à la forte cohésion que l’on sent entre chanteurs, orchestres, techniciens et metteur en scène....
Un grand moment d’opéra !!!

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Re: Kurt Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

Message par muriel » 12 juil. 2019, 18:25

Même impression avec JAKOB LENZ

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Re: Kurt Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

Message par Kristoff » 12 juil. 2019, 18:35

Est ce que le gros soucis d’acoustique a été réglé car moi à la première samedi dernier il y avait un fossé entre le plateau et la salle. Une horreur, du au fait qu'il y ai pas de décors pour renvoyer les voix vers la salle.
Difficile dans ce cas d'apprécier l'orchestre et les voix à leur juste valeur; grosse déception pour ma part pour un spectacle que j'attendait avec une grande impatience.
J''ai lu plusieurs critiques qui ont aussi fait part de ce dysfonctionnement, donc C. Merlin dans le Figaro ou E. Giuliani dans La Croix.

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Re: Kurt Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

Message par muriel » 12 juil. 2019, 18:53

Les voix passaient mal, sauf à la fin quand John est à l'avant de scène,
L'orchestre était bien sonore.

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Re: Kurt Weill - Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny- Salonen/van Hove- Aix- 07/2019

Message par kirby » 12 juil. 2019, 19:20

muriel a écrit :
12 juil. 2019, 15:38
et dans la Juive à l'opéra de Lyon
En effet, ce chanteur est moins considéré que d’autres plus médiatiques et passe pour un chanteur un peu « bouche-trou » mais chaque fois que je l’ai entendu, il ne m’a jamais déçu !! La juive et parsifal à lyon, mahagonny et tiefland à Toulouse...
Le timbre n’est pas le plus séduisant, mais quel implication !! (Et il chante toutes les notes)

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