Salieri - Tarare - Rousset - vc - Philharmonie - 28/11/2018

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JdeB
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Salieri - Tarare - Rousset - vc - Philharmonie - 28/11/2018

Message par JdeB » 27 nov. 2018, 08:27

Antonio Salieri : Tarare (1787)
Opéra en un prologue et cinq actes sur un livret de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

Cyrille Dubois — Tarare, Ombre de Tarare
Karine Deshayes — Astasie, Ombre d’Astasie
Jean-Sébastien Bou — Atar, Ombre d’Atar
Judith van Wanroij — La Nature, Spinette
Enguerrand de Hys — Calpigi
Tassis Christoyannis — Arthénée, Le Génie du feu
Jérôme Boutillier — Urson, un esclave, un prêtre
Philippe-Nicolas Martin — Altamort, un paysan, un eunuque
Marine Lafdal-Franc — Élamir
Danaé Monnié — Une Bergère sensible, Ombre de Spinette

Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles
Les Talens Lyriques

Christophe Rousset — direction musicale

Paris, Cité de la Musique, 28 novembre 2018



« TARARE! Interject. du style familier. Bon, bon ! je m'en moque ; je n'en crois rien. »
Dictionnaire critique de la langue française de Féraud (1787)


L’œuvre

Concomitamment au succès de son Barbier de Séville (lequel avait été conçu comme un opéra comique), Beaumarchais entama une réflexion sur une voie de réforme possible de l’opéra français. A cette fin, en cette année 1775, il élabora un livret dont il précise : « J’ai fait des vers fort courts, parce que la musique est toujours fort longue. […] J’ai rendu mon style fort simple, parce que le rythme de la musique […] vicie à force d’abonder en ornements superflus. J’ai appelé mon opéra Tarare […] ». Son texte fut donné en lecture en petit comité durant l’été 1784, un mois avant la représentation du Mariage de Figaro ; Les Danaïdes de Salieri triomphaient alors à Paris. Renonçant finalement à en composer la musique (n’oublions pas qu’il fut le maître de musique des filles de Louis XV), Beaumarchais communiqua le livret de Tarare à Salieri, après avoir un temps pensé à Gluck. Alors que Salieri s’attelait lentement à l’élaboration de la partition, tout en ne cessant de composer pour Vienne, le dramaturge, en publiciste habile, sut fort bien faire monter l’attente d’un auditoire français choisi.

La partition fut composée entre 1784 et mai 1787. Durant deux ans, le compositeur échangea avec son librettiste, n’hésitant pas à lui demander quelques aménagements. Après la chute de ses Horaces, Salieri s’installa chez Beaumarchais en décembre 1786 : dans une charmante lettre à la fille de ce dernier, Salieri se souviendra avec attendrissement de l’accueil chaleureux qu’il reçut dans ce foyer, tout comme d’une collaboration très proche, puisque précise-t-il, « Beaumarchais m’instruit avec une manière paternelle ». Mais Beaumarchais souhaitait aussi sans doute avoir son compositeur sous la main, afin de contrôler plus aisément sa stratégie consistant à faire valoir son œuvre (ce qui fut relevé par certains contemporains). La genèse de Tarare fut d’ailleurs ponctuée de coups de théâtres, d’exclusivité diverses et de rumeurs lancées par l’écrivain. L’attente était donc fort vive et on dut faire intervenir les soldats pour contenir la foule pressée d’entrer dans le théâtre, lors des premières représentations…

Après la première du 8 juin 1787 à l’Académie royale de musique de Paris, le succès fut immense : les trente-trois premières représentations données en neuf mois représentèrent un quart de la recette annuelle de l’institution. Si ce « monstre dramatique & lyrique, tel qu’on en a jamais vu, & tel qu’on en reverra peut-être plus » suscita des débats passionnés, le livret qui restait soigneusement dans un entre-deux — assez avant-garde et révolutionnaire pour offusquer les uns et suffisamment traditionaliste pour fâcher les autres — permit également à l’œuvre de survivre jusqu’en 1828, au prix de modifications successives. Un Couronnement de Tarare fut même ajouté à la fin de l’ouvrage en 1790 ! Et l’adaptation réalisée par Salieri et Da Ponte en 1788, Axur, Re d’Ormus, si elle revenait sur certaines des innovations de Beaumarchais et supprimait des allusions politiques ou philosophiques impropres au genre italien et au contexte viennois, se tailla également une excellente réputation.

Si le rôle-titre emprunte son nom à un conte d’Hamilton, Histoire de Fleur-d'Épine (voir ci-dessous), l’intrigue s’inspirait, et même plagiait, un autre conte, Sadak et Kalasrade, paru dans le Cabinet des Fées. Quand cette découverte fut rendue publique, Beaumarchais se défendit maladroitement, avançant qu’« autrefois, [il avait] entendu lire ce conte à la campagne » ! En réalité, Beaumarchais avait amalgamé plusieurs influences dans son livret ; et son choix de Tarare devait probablement autant à l’envie de « faire sourire » qu’à un sens aigu de la communication, visant à interloquer les habitués de l’Académie royale de Musique. Ajoutons qu’un tarare, comme l’explicitait en détail Hélène Himelfarb en 1991, est aussi une machine agricole permettant d’obtenir une farine plus fine et de meilleure qualité : le tarare « était devenu une sorte d’emblème du progrès agronomique ». Ne pourrait-on pas voir dans le choix de ce titre une revendication politique sous-jacente encore plus appuyée ? D’ailleurs, certains crurent reconnaître en Tarare le général et marquis de La Fayette qui revenait tout juste d’Amérique. (Ceci dit, Beaumarchais avait aussi pensé à nommer son opéra Le Libre arbitre, ou le Pouvoir de la Vertu.)

L’actualité brûlante du sujet annonçait quasiment la Révolution française, Beaumarchais s’y faisant théoricien politique et prônant une royauté quasiment constitutionnelle car provenant du peuple. Le tyran Atar est ainsi renversé par un soulèvement de soldats et d’esclaves venus au secours du noble soldat Tarare, opprimé pour ses vertus (et la beauté de son épouse). Les oripeaux orientaux du sujet ne trompaient guère, mais la censure laissa (étrangement) faire.

Image

Histoire de Fleur-d'Épine


Dans la préface de son livret, « Aux amateurs de l’Opéra qui voudraient aimer l’opéra », l’auteur s’étendait sur les relations entre paroles et musique, estimant que compositeur et librettiste devaient collaborer plus étroitement. En réalité, il plaide pour que ce dernier ait la haute main (les opéras français « puent de musique », affirme-t-il, citant Gluck), car « le musicien doit traduire le livret en musique, il ne doit rien y ajouter, il ne doit pas s’en éloigner en composant » (comme le souligne Rudolf Angermüller). Il nous ainsi reste deux exemples très précis de la traduction de ces idées dans l’élaboration de Tarare, Beaumarchais ayant annoté très précisément son texte à destination de Salieri :

Image etc…

Image etc…

E. Lintilhac, Beaumarchais et ses œuvres… (1887)
(BNF / Gallica)


On voit par là-même que Salieri s’est montre très fidèle à ces indications. Toutefois, loin de se distinguer par une sécheresse expérimentale, cet opéra qui participait de l’effervescence entourant le renouveau de la tragédie lyrique n’est ni ingrat ni purement théorique. Par la multitude des thèmes abordées et des registres musicaux et linguistiques (du vocabulaire philosophique et scientifique au registre noble de la tragédie lyrique, en passant par des calembours), Tarare était conçu comme une nouvelle forme de théâtre en musique, bien que s’inspirant de la tragédie lyrique, de la comédie mêlée d’ariettes, du dramma giocoso et des sujets orientaux alors en vogue. Ce pot-pourri revendiqué fit le succès de l’opéra, bien qu’il ait également suscité des levées de boucliers virulentes et des parodies.

Il s’agissait pourtant d’une expérience sans réel avenir immédiat : ce mélange d’idéalisme, de réflexion politique, de satire contre le despotisme religieux et politique, de farce, d’exotisme et de drame sentimental rendait d’autant plus difficile au compositeur de couler sa partition dans un moule aussi bigarré. Cette succession de petites formes contrait le développement d’élans lyriques de belle ampleur, déroutant le public d’alors, mais stimulant chez Salieri une inventivité protéiforme : il unifia toutes ces facettes par le dynamisme d’un récitatif accompagné très souple où s’insèrent airs assez brefs, chœurs somptueux et ensembles plus vastes regardant vers des formes lyriques plus usitées. Bref, du Durchkomponiert. Davantage que le triomphe de Beaumarchais, dont le texte trahit des maladresses étonnantes au milieu de réelles fulgurances, on doit voir en Tarare un opéra avant-gardiste de l’héritier reconnu de Gluck, trouvant ses limites dans sa conception même.

Le concert

Image
Tarare à l'Opéra royal de Versailles. Photographie (c) Eric Larrayadieu

Après Jean-Claude Malgoire (avec une mise en scène de Jean-Louis Martinoty) au Festival de Schwetzingen en 1988, puis Frédéric Chaslin (avec une mise en scène de Christian Gangneron) pour l’Opéra du Rhin / Palais de la musique et des congrès de Strasbourg en 1991, c’est donc au tour de Christophe Rousset de relever le défi d’une partition assez inclassable. Ses Talens Lyriques sont à la fête, se coulant avec aisance dans le discours fluide, imaginatif et changeant de Salieri. Par leur dextérité, cet opéra bigarré retrouve une unité remarquable malgré les limites de l’écriture foutraque de Beaumarchais, car le dramaturge a parfois contraint Salieri à passer d’une idée musicale à une autre sans avoir pu pleinement en déployer les charmes. Mais l’habileté de Christophe Rousset, son empathie pour tous les genres lyriques sur lesquels se fonde ce patchwork musical, son sens aiguisé de l’architecture et du théâtre lui permettent de dérouler un discours cohérent qui rend pleinement justice aux changements parfois abrupts de tonalités (musicales et émotionnelles), de tempi et de couleurs. Avec ampleur, élan et verve, Les Talens Lyriques expriment toutes ces atmosphères successives avec une grande attention aux détails : les couleurs flamboient, les miroitements sous-jacents réfléchissent les équivoques du discours et les émotions fusent. La partition de Salieri est d’abord un triomphe de l’orchestre et du chœur. Pour leur part, les chantres du CMBV sont comme toujours exemplaires, faisant de leurs interventions des moments forts de la soirée.

Image
Tarare à l'Opéra royal de Versailles. Photographie (c) Eric Larrayadieu

Cyrille Dubois offre distinction, vaillance admirable et la pureté de sa diction à Tarare, ce héros sans peur et sans reproche, lui insufflant un grand charme, des dégradés subtils et des aigus impérieux. En opposition parfaite avec tant de clarté, Jean-Sébastien Bou embrase la perversité manœuvrière d’Atar. Acteur engagé, il distille autorité, foucades et courroux sans jamais perdre d’une superbe qui se fissure peu à peu, grâce à un instrument chatoyant, une diction superlative et un style parfait. Loin, bien loin, du bouffon présenté par Martinoty en son temps, son incarnation impressionne par sa noirceur. Prétexte à l’antagonisme des deux hommes, le personnage d’Astasie est peu présent ; Karine Deshayes lui confère une véritable présence, malgré un chant trop en force, et qui pour être impressionnant, n’en est pas moins en porte à faux avec le reste de la distribution. Dans un double rôle, Tassis Christoyannis séduit davantage par sa maestria cauteleuse en opportuniste et manipulateur Arthénée qu’il n’impressionne en Génie du feu trop raisonneur dans un prologue où Beaumarchais se prend à la fois pour Quinault et pour Voltaire. Mais la présence de l’interprète reste magistrale. Enguerrand de Hys est un Calpigi caméléon au bien bel abattage dramatique, qui déploie avec empathie les tourments de sa position. La barcarolle du « povero Calpigi » est enlevée avec une saveur ambiguë qu’un Michael Kelly, créateur du Basilio mozartien et témoin de la création de l’air, aurait enviée. Nature plus charmeuse qu’autoritaire, puis « épouse » de Calpigi à laquelle on doit un faux duo d’amour savoureux, Judith van Wanroij prête son charme piquant à la seconde mais convainc moins en allégorie. Regrettons qu’elle ne soit pas toujours très compréhensible, mais sa partie n’est pas aidée par le texte alambiqué du Prologue. Philippe-Nicolas Martin fait belle impression dans son défi lancé à Tarare où son Altamort périra ; tandis que Jérôme Boutillier dans le récit du duel mortel qui s’ensuit, incarne parfaitement les desiderata de Beaumarchais, ici magnifiés par un timbre séduisant et un style exemplaire. Marine Lafdal-Franc, Élamir atterré par son erreur, et Danaé Monnié, charmante dans ses brèves apparitions, complètent un plateau homogène et dramatiquement impliqué.

Après Les Danaïdes et Les Horaces, un enregistrement à venir pérennisera cette série de concerts en bouclant la trilogie lyrique parisienne de Salieri. Beaumarchais avait ironisé en nommant son héros « cause toujours, tu m’intéresses ! », mais après ce concert, on pensera plutôt : « chante encore ! ».

Emmanuelle Pesqué

Une dernière version de concert de Tarare sera redonné à Caen le 9 décembre prochain.
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Salieri - Tarare- Rousset- Philharmonie- 28/11/2018

Message par HELENE ADAM » 27 nov. 2018, 09:01

Le rare Tarare d'Antonio Salieri (1787), a déjà été donné le 22 novembre à l'Opéra Royal de Versailles et le 24 novembre au Theater an der Wien, et sera donné également après la séance de Paris (Cité de la musique), au Théâtre de Caen le 9 décembre.
Un enregistrement est prévu chez Aparté.
Très belles critiques de deux premières séances. :wink:
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
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Re: Salieri - Tarare- Rousset- Philharmonie- 28/11/2018

Message par Hermangarde » 27 nov. 2018, 13:26

C'est plein. J'ai essayé de prendre 2 places, la semaine dernière. Plus de places abonnés et une seule place hors abonnement. J'aurais dû me réveiller plus tôt. Personne n'était à Versailles pour en parler? Cela m'a peut-être échappé sur le forum.

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Re: Salieri - Tarare- Rousset- Philharmonie- 28/11/2018

Message par genoveva » 28 nov. 2018, 10:35

Avez-vous regardé sur la Bourse aux billets de la Philharmonie ?

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Re: Salieri - Tarare- Rousset- Philharmonie- 28/11/2018

Message par HELENE ADAM » 28 nov. 2018, 10:50

Hermangarde a écrit :
27 nov. 2018, 13:26
C'est plein. J'ai essayé de prendre 2 places, la semaine dernière. Plus de places abonnés et une seule place hors abonnement. J'aurais dû me réveiller plus tôt. Personne n'était à Versailles pour en parler? Cela m'a peut-être échappé sur le forum.
Des "dernières places" sont mises en vente sur le site de la PP
Attention il s'agit de la salle des concerts de la Philharmonie de Paris, pas de la grande salle Pierre Boulez...
Il y a donc moins de places... en même temps la taille de la salle est plus adaptée à cet opéra en concertante.
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Re: Salieri - Tarare- Rousset- Philharmonie- 28/11/2018

Message par Hermangarde » 28 nov. 2018, 17:39

Merci, je regarde. Je ne pense pas à la Bourse aux billets de la Philarmonie....Alors que je vais souvent sur celle de l'opéra!!!

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Re: Salieri - Tarare- Rousset- Philharmonie- 28/11/2018

Message par HELENE ADAM » 29 nov. 2018, 00:48

Service minimum aussi puisque j'y étais et que c'était bien. Pas de mise en scène, c'est plus simple.
Mon résumé en sortant : Ce soir, Tarare de Salieri à la salle des concerts de la Philharmonie de Paris, éblouissant opéra, étonnamment riche et pourtant fort peu connu, une interprétation d'une grande qualité, mention spéciale à l'abattage de Jean-Sébastien Bou, au charme de Enguerrand de Hys, à la voix magnifique de Karine Deshayes, au style racé de Cyrille Dubois, à ma découverte personnelle le talentueux Jérôme Boutillier et bien sûr aux choeurs, à l'orchestre et à la baguette magique comme toujours de Christophe Rousset.
Livret (français) très bien écrit par Beaumarchais.
Admirative de ces chanteurs français qui ne cessent d'apprendre ces rôles difficiles pour deux ou trois représentations (4 dans ce cas précis), multipliant les challenges acrobatique puisque Karine Deshayes était à Marseille pour la Donna del Lago il y a peu et Cyrille Dubois à Vienne pour un concert Berlioz avec Jordan...(et tous deux dans les Huguenots il n'y a pas si longtemps).
Rôles bien maitrisés, diction parfaite, surtitres présents mais inutiles à ce point de naturel et de netteté des interprétations.

Photos demain.
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Re: Salieri - Tarare- Rousset- Philharmonie- 28/11/2018

Message par cosimus » 29 nov. 2018, 01:33

Tout à fait d'accord avec toi,. J'ajouterais que j'ai été également très impressionné par l'excellent baryton Tassis Christoyannis, en particulier dans le prologue. Je connaissais le livret (et la préface, très riche et très actuelle, d'une certaine manière) de Beaumarchais mais j'ai découvert la musique de Salieri avec grand intérêt et plaisir. :D
"Est modus in rebus", Horace

"La vérité luit de sa propre lumière;& on n'éclaire pas les esprits avec la flamme des bûchers." Marmontel, Bélisaire,

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Re: Salieri - Tarare - Rousset - vc - Philharmonie - 28/11/2018

Message par HELENE ADAM » 30 nov. 2018, 14:02

CR plus complet :
Cette redécouverte d’œuvres tombées plus ou moins dans l’oubli est l’un des grands plaisirs que nous donne l’art lyrique actuellement, tant le 18ème et le 19ème siècles regorgent d’opéras qui ont eu leur succès en leur temps puis se sont retirés des scènes durant tant de décennies qu’ils ont disparu des mémoires.
L’Opéra Comique s’est spécialisé dans ce créneau avec beaucoup de bonheur grâce notamment à un choix de qualité des formations musicales et des artistes lyriques prêts à prendre le risque de remettre au goût du jour une œuvre inconnue du « grand » public lyrique.
Le label Palazetto Bru Zane a également édité en CD (avec livret et présentation très riche) des opéras français devenus très rares.
Des chefs d’orchestre et leurs formations propres en ont aussi réhabilité un grand nombre avec la passion qui leur est propre.
Christophe Rousset et les « Talens lyriques » en sont des représentants emblématiques, parmi les meilleurs actuellement.
Et pourtant, sans doute le sous-estime-t-on, l’exercice est difficile : il s’agit de demander à des artistes lyriques qualifiés, si possible excellents, d’apprendre des rôles pour quelques soirées, rôles qu’ils et elles n’ont a priori jamais appris, dont ils et elles n’ont même jamais fredonné les airs, ou eu l’occasion de les entendre. Il s’agit aussi de former des chœurs adéquats et de travailler avec des musiciens sur instruments anciens avec toutes leurs qualités, et d’abord celle d’être adéquats à l’œuvre, mais aussi tous leurs défauts : maniement difficile, propension à se désaccorder rapidement, inconfort de l’utilisation.

Tout cela Christophe Rousset le maitrise très bien, j’ai parlé de sa « baguette magique » et c’est l’impression qu’il donne, sans ostentation, avec la modestie du musicien inspiré d’abord par la belle ouvrage plutôt que par la gloire et soucieux de transmettre de l’émotion avant tout.
Son projet autour de la « réhabilitation » d’Antonio Salieri dont on connait la réputation fausse et «maudite », (il serait responsable d’avoir précipité la mort de Mozart), comprend trois œuvres : les Danaïdes, les Horaces et ce Tarare qui sont ou seront enregistrées et deviendront ces intégrales de référence qui manquent au grand compositeur bien plus célèbre et fêté en son temps que l’image du tâcheron dans l’ombre de Mozart qu’en fit le film de Forman « Amadeus ».
Et c’est surtout la rencontre avec Beaumarchais, l’excellent et truculent librettiste de ce Tarare qui transforme une composition musicale pleine de richesses extrêmement variées en opéra passionnant et passionné.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce Tarare de 1787, qui manie allègrement les thèmes des Lumières et de la lutte contre l’obscurantisme et le despotisme, donnant le pouvoir aux petits et renversant les grands.
Le livret est très bien écrit, drôle, caustique, plein d’allant, en osmose parfaite avec une musique qui sort largement des règles étroites alors établies pour s’épanouir dans l’audace demandant à ses interprètes de sacrées acrobaties vocales et ne souffrant pas l’approximation.
Ce Tarare perdrait une partie de son intérêt si l’orchestre ne respectait pas les sons des instruments de l’époque, si la diction des chanteurs était incompréhensible, s’ils adoptaient un ton emphatique ou grandiloquent.
Mais mercredi soir, rien de tel au contraire.
Evidemment une version concert pose le problème des va et vient des chanteurs côté cour ou jardin, de la présence des partitions sur de hauts pupitres (on comprend que nos artistes ne puissent pas connaitre par cœur autant de nouveaux rôles qu’ils n’auront sans doute guère l’occasion de pratiquer à nouveau) et d’une difficulté « géographique » à traduire l’histoire sur scène.

Pour le reste, c’est-à-dire l’essentiel, nous touchions à la perfection dans cette petite salle des concerts de la Philharmonie, très adaptée à ce type d’œuvre, de voix et d'instruments.
Et je voudrais d’abord dire mon admiration pour le travail d'orfèvre de Christophe Rousset qui a su donner des couleurs à un orchestre d’époque, soulignant les évolutions considérables de la partition selon les « morceaux », soutenant sans faille des chœurs (divins) et des solistes dominant leur sujet avec un naturel confondant et une diction impeccable.
Beaumarchais voulait au travers de cette histoire s’attaquer à la monarchie et à l’Eglise, il a choisi de mêler intrigue politique, dimension sociale et histoires amoureuses avec personnages masqués, faisant rebondit régulièrement l’intérêt de l’œuvre auprès du public par des fantaisies littéraires à répétition. Il met en scène une révolution deux ans avant la Révolution française.
Salieri de son côté a manifestement expérimenté toutes sortes d’exercices musicaux, instrumentaux et vocaux en les faisant se succéder de manière variée et étourdissante.

Et le succès de la soirée doit beaucoup évidemment à l’excellence du plateau vocal.
Grand luxe que d’avoir choisi la magnifique Karine Deshayes pour incarner le modeste rôle d’Astasie et très bonne idée. Notre mezzo est partout depuis longtemps et singulièrement ces deux derniers mois, Urbain très remarqué dans les Huguenots de Meyerbeer à Batille récemment, Elena dans la Donna del Lago de Rossini à Marseille, autre style, autre triomphe, elle campe cette pauvre Astasie bien malmenée, d’une voix profonde au timbre très soutenu, faisant frissonner tout le public avec son fameux cri « Tarare », qui symbolise l’appel au ralliement de tous à la révolte contre le sultan Atar.
Atar c’est justement Jean-Sébastien Bou, la figure la plus charismatique de la soirée, qui respire l’intelligence du texte et sa parfaite adéquation au personnage volontairement caricatural du tyran. La voix est superbement projetée, il ose toutes les nuances et les outrances du personnage et ma foi, comme d’habitude, c’est l’un des artistes qui me donne le plus de plaisir à écouter et à voir.
Cyrille Dubois est un Tarare à la jolie voix de ténor « léger ». On peut imaginer sans doute le rôle joué par un ténor à la voix plus large notamment pour les passages un peu plus héroïques du rôle mais le savoir-faire du jeune ténor est toujours bluffant : il adapte parfaitement bien ses moyens à lui au rôle qu’il incarne. Du coup nous avons un Tarare tout jeune, avec une forte dose d’innocence indignée et volontaire, qui laisse sa marque de fabrique à un rôle que personne n’avait de toute façon jamais entendu auparavant. Et comme il excelle dans la précision de la ligne de chant et le naturel confondant d’une diction parfaite (comme Bou d’ailleurs), on est comblé. Bravo.
Les deux excellentes « découvertes » pour moi auront été le Calpigi du jeune ténor Enguerrand de Hys, avec son beau timbre teinté d’une légère acidité qui le rend franchement émouvant comme le jeune eunuque qu’il incarne : son irrésistible « povero Calpigi » est un must qui restera longtemps dans les mémoires, surtout avec les encouragements tout aussi irrésistibles de son compère Bou, leurs jeux respectifs dans cette partie ludique de l’opéra, démontrant une très grande complicité réjouissante. L’autre c’est le baryton Jérôme Boutillier (Urson, un esclave, un prêtre), qui sait changer de couleurs et de style selon les différents personnages qu’il incarne et fait preuve lui aussi d’un grand sens de la comédie et d’une forte personnalité sur scène.
Plus connu (de moi) mais tout aussi impressionnant le baryton Tassis Christoyannis en Arthénée et en Génie du feu, a, des trois barytons, la voix la plus profonde avec des graves abyssaux et une modulation vocale parfaite.
Il ne faut bien sûr pas oublier Judith van Wanroij qui ouvre le bal en incarnation de La Nature, puis joue un rôle pivot en Spinette. La voix m’a paru un tout petit peu instable au début mais elle s’est rapidement chauffée et a gagné en largeur. L’artiste est vive et enjouée, avec beaucoup de qualités d’interprétations comiques là aussi.
Et ma foi aucune raison de ne pas citer aussi Philippe-Nicolas Martin, qui en Altamort était parfait, sans la moindre réserve. Mêmes remarques d'ailleurs pour les petits rôles de Marine Lafdal-Franc et Danaé Monnié.

Il ne reste plus qu’à attendre la sortie du CD (à venir chez Aparté) qui immortalisera cette soirée…
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Re: Salieri - Tarare - Rousset - vc - Philharmonie - 28/11/2018

Message par DieFeen » 30 nov. 2018, 20:54

Oui, vivement le CD, Hélène car ton compte-rendu donne vraiment envie :-)

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