Très belle soirée dans un cinéma très confortable et très bien rempli où les spectateurs, mélomanes avertis manifestement, applaudissent les meilleures performances des chanteurs (et il n'en manquait pas hier soir !), et participent presque comme dans une salle d'opéra (sans tousser !)
J'ai été complètement séduite aussi par ce
Don Giovanni formidablement interprété par un
Simon Keenlyside qui, vu les risques physiques et vocaux qu'il prend dans la grande salle du MET, a manifestement retrouvé toute sa forme et c'est un plaisir immense pour moi comme pour beaucoup des présents dans la salle, de le retrouver ainsi.
Il campe un DG "mûr" mais resté follement séduisant, qui se jette à corps perdu dans ses obsessions, et défie la mort et le commandeur lors de la l'avant-dernière scène, avec une classe folle très fin 18ème, aristocratie décadente et soif de liberté en même temps.
Quand il prend les vêtements de Leporello, il devient réellement "valet", se courbe un peu, prend l'air "pauvre", perd son port altier, baisse un peu la tête : je crois que c'est la première fois que je vois un réel contraste entre le maître et le valet souvent interprété par des artistes interchangeables mais qui, là, symbolise plus l'opposition des deux conditions que la "gémellité" parfois recherché dans nombre de mises en scène.
Il entame pourtant son rôle avec une légère faiblesse vocale (qui m'a fait un peu peur) mais très rapidement on oublie ses graves ennuis de santé (passés), tant il fait plaisir à voir et à entendre. Un DG qui chante aussi bien (et quelles nuances de rêve) qu'il joue. Génial. (je l'avais déjà ré-entendu, brillant, dans Germont père cet été à Munich, dans un rôle très différent, il confirme qu'il a retrouvé les palettes de son talent lui qui s'est justement toujours caractérisé par un éclectisme fort convainquant).
photo album SK
La
mise en scène est en effet parfaite de tous les points de vue :
- modernisée pour ce qui permet d'alléger les lourdeurs de certains décors des mises en scène non transposées (fond de scène en haut panneaux représentant des dizaines de fenêtre sur une façade assez délabrée, le premier panneau coulisse pour dévoiler une arrière scène pour le mariage, pour le bal, pour la scène du cimetière, pour le souper et surtout lors du final, pour s'ouvrir sur un splendide ciel bleu, le bien a triomphé, le soleil se lève).
- classique pour le strict respect du livret : les chanteurs font exactement ce qu'ils chantent, la direction d'acteurs est formidable et l'ensemble des artistes jouent admirablement bien (et même plus encore, la caméra indiscrète révèle en gros plan la qualité de ce jeu)
Une excellente approche de DG pour ceux qui ne l'auraient jamais vu et pour moi, une des meilleures mises en scène vues depuis une dizaine d'année et autant de DG.
Fabio Luisim'a fait craindre lors de l'ouverture, un DG trop lent et trop peu intense, mais pas du tout. Il a au contraire dirigé un DG fort coloré, très dynamique, très mozartien, extrêmement en phase avec mise en scène et chanteurs. Un bonheur de plus.
Ensuite dans l'ordre des impressions, je nommerai le Leporello d'
Adam Platcheka qui confirme son immense talent de comédien et sa maitrise d'un rôle de valet roublard et peureux, absolument fascinant de vérité. Un partenaire de rêve pour le DG de Keenlyside. Ses deux là se donnent la réplique au millimètre et c'est parfait.
Mais le
Don Ottavio de
Paul Appleby , qui remplaçait Vargas si j'ai bien compris, lui dispute largement la "deuxième" place. Le chant est superbe, toutes les nuances de ce qui est parfois surtout chanté comme un bel air de ténor sans plus, toutes les nuances qu'il maitrise sont belles et font sens, l'émotion y est et comme le chanteur maitrise aussi la scène, tout y est. C'est lui qui a été le plus applaudi dans la salle de cinéma, et c'était sans doute parce qu'il n'est pas très connu ici et qu'il a représenté la belle surprise de la soirée.
La Zerlina de
Serena Malfi ne démarre pas très bien non plus mais ensuite, quel festival, elle est fraîche, elle est jeune (ou le parait), elle chante bien, elle joue bien (l'oeil malicieux qu'elle arbore sur les gros plans
), un plaisir à entendre et à voir.
photo du Guardian
La Donna Anna d'
Hibla Gerzmava demanderait sans doute une technique de vocalises un peu plus séduisante (surtout au cinéma) mais il y a beaucoup d'engagements chez cette artiste et elle campe finalement une bonne Donna Anna, avec, elle aussi, le physique du rôle (tout juste un peu âgé pour le jeune
Don Ottavio) et de très beaux passages (que ce rôle est casse-gueule quand même).
Le Masetto de
Matthew Rose (que Adam Plachetka chantera dans d'autres représentations de ce DG au MET) est une sorte de colosse un peu brut de décoffrage qui convient bien au rôle, chant un peu sommaire mais rien de rédhibitoire et une crédibilité lui aussi dans le personnage qu'il campe fort bien.
J'ai été un peu moins séduite par la Donna Elvira de
Malin Byström (quelle femme superbe), sa voix m'a semblé à plusieurs reprises à la peine avec quelques aigus bien difficiles, mais ce n'est que du chipotage par rapport à une prestation globalement très "hystériquement" convaincante et très à sa place dans l'ensemble de la distribution.
Je passerai sur le petit rôle du commandeur que
Kwangchul Youn ne chante pas très bien sans créer l'émotion, la gravité et la frayeur nécessaire.
Bref une très belle soirée, et le plaisir de voir encore cet opéra qui pour moi, représente une sorte de perfection de l'époque, qu'on doit à un Mozart très inspiré et qui a parfaitement construit la lente montée de cette noire comédie vers le drame et la rédemption (parfois je me dis qu'il aurait dû s'arrêter juste avant le final mais hier soir il était très beau et très convainquant).