Chausson - Le Roi Arthus - Jordan/Vick - ONP - 05-06/2015

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faustin
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Re: Chausson - Le Roi Arthus - Jordan/Vick - ONP - 05-06/201

Message par faustin » 01 juil. 2015, 11:51

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Je suis très souvent consterné quand je lis les livrets de voir à quel point les metteurs en scène se soucient comme d'une guigne de ce qui est écrit, les fameuses <<didascalies>> et comme spectateur, je me sens floué. Cette idée que le metteur n'aurait de comptes à rendre à personne, que ce qu'il fait, c'est son œuvre me paraît totalement dénuée de la moindre pertinence.

Un des derniers exemple, et des plus fâcheux, qui nous a été donné, c'est le Roi Arthus d'Ernest Chausson, mise en scène de Graham Vick, mise en scène déplorable, absurde, débile, dérisoire et laide. La maison qui tombe du ciel, qui se reconstruit comme un jeu de lego, c'est qui est un symbole lourdingue de la décadence et de la chute finale de l'ordre de la Table Ronde, c'est à peu près le niveau zéro qu'on puisse faire pour une œuvre sublime.

Quand je consulte l'avant scène opéra, je vois que la plus belle des scénographies, celle qui vraiment a dû transporter les spectateurs dans l'univers de la chevalerie légendaire de la Table Ronde, c'est celle de la création en 1903, au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles mise en scène de Charles de Beer décors de d'Albert Dubosq.

Les didascalies indiquent parfois des motifs scéniques qu'il n'est pas facile de représenter. Je constate que les metteurs en scène, loin d'être stimulés par la difficulté, capitulent. Ils font l'impasse sur ce qui est indiqué par le livret.

Je prendrai pour exemple la scène finale du Roi Arthus. Sur le plan musical, c'est une apothéose, qui transporte le spectateur dans un monde céleste. Pour l'obtenir, Chausson a prévu deux choeurs mixtes avec cinq sopranos solistes, qui se superposent et qui se répondent. Le tintement de petites cymbales antiques complètent l'impression de se trouver dans un monde transcendant.


Voici ce qui est écrit :


Acte III, scène 6
(...)

ARTHUS
Esprits mystéirieux
Je n'ose comprendre
Venez-vous, venez-vous répandre
L'éternel oubli sur les yeux ?

CHOEUR
Viens ! Celui qui nous envoie
T 'assigne un sublime sort.
Le sommeil et non la mort
Bercera ton cœur sans joie.
Viens !


ARTHUS
Dormir, oublier , ne plus être !
Ne plus souffrir aussi.


Au fond du théâtre au milieu des lueures roses et dorées, qui entourent le soleil couchant, on voit apparaître sur la mer une nacelle remplie de femmes. L'une d'elle, debout à l'arrière de la nef, étend de grandes ailes en guise de voiles.


CHOEUR
Viens, viens !


CINQ SOPRANOS
Oublie un monde impur.
Viens ! Ô grande âme blessée,
Dans une île caressée
Par des flots d'or et d'azur.
Des brises fraîches et calmes
Font chanter les bois épais.
Dans une éternelle paix
Tu dormiras sous les palmes
L 'oeillet, la rose et le lys
Se pencheront sur ta bouche
Et pour embaumer ta couche
S'ouvrira la fleur d'iris.

ARTHUS
Ô Terre que j'aimais, ô Bretagne, ô Patrie
Sol sacré que baigna le sang de mes aïeux ;
Sauvage Carmélide et toi, verte Cambrie,
Recevez mes derniers adieux.

CHOEURS
Arthus, ô noble victime !
Jouet d'un rêve éternel, viens !
Le monde fut cruel
Pour ton âme trop sublime.

ARTHUS
Les temps sont accomplis des grandes aventures,
Des chevaliers vaillants bardés d'or et de fer,
Doux pour les malheureux, terribles aux parjures ;
Rochers debout contre la mer.


CHOEURS
Le sort trompa tes desseins,
Ton œuvre chancelle et croule
Dans l'inévitable houle
Qui roule tous les humains
Viens !


ARTHUS (il détache lentement son bouclier et son épée).
Vous, fidèles amis dans les jours de bataille,
Pridwnn, Escalibor, adieu, je vous quitte à jamais ;
Dormez dans l'Océan qui baigne Cornouailles :
Nul ne vous prendra désormais.


Arthus s'avance sur le bord de la falaise et jette ses armes dans la mer.

À ce moment, la nacelle est arrivée jusqu'au rivage. Arthus descend lentement lntement le chemin qui y conduit. Un rocher empêche de voir Arthus monter dans la nacelle.



CHOEURS
Ton œuvre écroulée est belle
Ceux-là seuls sont des héros
qui luttèrent sans repos
pour la justice éternelle
mais quand viendra le réveil
tu déchireras tes voiles
et, le front mirté d'étoiles
tu descendras du soleil.



La nacelle reparaît et se dirige vers le fond du héâtre. Arthus, couche sur une sorte de lit de repos semble dormir.


CHOEURS ET CINQ SOPRANOS
Comme un sublime manœuvre
Sur terre tu reviendras
Pour reprendre ta grande œuvre
et livrer de fiers combats
Arthus ! Sur ton front royal
qu'a dédaigné la victoire
plane la suprême gloire
d'avoir cru dans l'idéal


Le soleil plonge dans la mer. Son éclat aveuglant empêche de distinguer pendant un instant la nacelle qui se dirige vers lui. Quand le soleil a disparu, la scène est absolument vide. L'incendie du ciel s'atténue et la toile tombe très lentement


FIN DE L'OPÉRA


Je peux bien imaginer qu'une nacelle remplie de femmes ça ne doit pas être un motif très facile pour un metteur en scène. Pas tant pour des raisons matérielles, on lui mettra des roulettes qui seront soigneusement cachées, mais la peur de faire kitsch. Le risque de faire kitsch, je crois qu'il faudrait savoir, de de temps en temps l'affronter.

Il y a une réelle difficulté mais quand un instrumentiste rencontre une difficulté renonce-t-il ? Non, il n'est pas autorisé à le faire. Face à ces didascalies, Graham Vick a capitulé sur toute la ligne.

Mais il y a selon moi un moyen d'éviter le kitsch, c'est de se resituer dans l'univers esthétique de l'époque, cet univers c'est le symbolisme. Avec Pelléas, Le Roi Arthus est un des grands chefs d'oeuvre du symbolisme en musique. Le symbolisme est ce vaste mouvement artistique de la fin du XIXe siècle qui faisait suite au romantisme allemand et qui venait en réaction au naturalisme et au réalisme en priviligiant l'expérience de l'absolu et l'appel à l'intuition. Une mise en scène du Roi Arthus pourrait s'inspirer de la peinture symboliste, par exemple Odilon Redon, Puvis de Chavannes, Gustave Moreau, Arnold Böcklin, ou des nombreux précurseurs du symbolisme par exemple William Blake. Bien entendu, la chose devrait être faite avec finesse, un pastiche des peintures d'Odilon Redon ne serait pas la meilleure des solutions.


Je me suis posé la question : ces femmes sur un bateau, qu'est-ce que ça veut dire ? C'est assez mystérieux. Peut-être est-ce fait pour l'être. Mais ce motif me rappelle une œuvre de Memling qui illustre la légende de sainte Ursule, c'est la chasse de sainte Ursule qui se trouve à Bruges.

Selon cette légende, la Sainte, une princesse originaire d'Angleterre accomplit avec son fiancé, un païen, et onze mille vierges, ses suivantes un pèlerinage à Rome auprès d'un pape légendaire, Cyriaque. Au retour, tous sont massacrés par les Huns près de Cologne. Le chiffre de onze mille pourrait être une erreur commise sur l'interprétation d'une inscription XI. M. V onze vierges martyres serait devenu onze mille vierges.

On peut donc penser, telle est mon hypothèse que cette nacelle évoque le pèlerinage de Sainte Ursule qui, à travers le martyre conduit les êtres élus vers la félicité.

Quoi qu'il en soit, j'estime qu'une réflexion plus profonde sur ce livret, qui ne l'oublions pas est de la main du compositeur, et davantage de respect auraient permis d'éviter cette chose pitoyable et désastreuse qu'était la mise en scène de Graham Vick.

Faustin

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Re: Chausson - Le Roi Arthus - Jordan/Vick - ONP - 05-06/201

Message par Musanne » 01 juil. 2015, 14:08

Plus qu'à la légende chrétienne de sainte Ursule et ses 11(000) vierges, la fin d'Arthus se réfère à la légende celte, païenne, de l'île d'Avalon, telle que transmise par Geoffroy de Montmouth, repris par diverses sources ultérieures. Dans cette île règne Morgane, soeur ou demi-soeur d'Arthur, entourée de fées ou prêtresses. Quelques-unes de ces compagnes de Morgane transportent Arthur blessé dans l'île, qui peut évoquer le séjour des morts mais le nom d'Avalon se réfère à la pomme, symbole d'immortalité dans beaucoup de traditions. Les versions divergent sur le sort d'Arthur, mort de ses blessures ou seulement endormi dans l'île d'où il reviendra un jour

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