Tristan et Isolde à Genève

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philou
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Tristan et Isolde à Genève

Message par philou » 15 févr. 2005, 10:34

Quel choc ! J?en ai encore les larmes aux yeux ! Il est un peu tôt pour parler de production de l?année, mais ça m?étonnerais qu?une représentation arrive à égaler celle-ci en intensité et en qualité d?ici la fin de la saison en ce qui me concerne.

Olivier Py a signé à Genève des Contes d?Hoffmann très provocateurs mais bien pensés, et une Damnation de Faust explosive et magnifique visuellement.
Mais avec Tristan, le metteur en scène français semble transcendé, et propose une lecture d?une noirceur et d?une tristesse bouleversantes, avec une cohérence d?idées remarquable, et sans jamais céder à la provocation ou à la facilité.

Le premier acte s?ouvre sur un immense paquebot qui avance dans la nuit millimètre par millimètre, et dont on devine la proue dans l?obscurité. Cette obscurité ne va d?ailleurs pas quitter le plateau. Les seules lueurs proviennent de quelques néons épars qui donnent à la scène une allure de rêve glauque (ce qui doit être le cas pour les deux héros à ce moment précis d?ailleurs). Sur ce navire que l?on voit évoluer imperceptiblement, Tristan et Isolde vont se chercher à tâtons jusqu?à se retrouver au moment du philtre. Pendant que le roi Marke attend entouré de sa garde et de chiens sur un quai industriel et froid, un bouquet à la main, Brangäne jette sur sa maîtresse un voile de mariée trouvé en vitesse et Tristan s?effondre sur le pont.


Au deuxième acte, le noir est toujours omniprésent. Les amants se retrouvent dans la chambre de passe d?un hôtel miteux, et vont passer pendant tout l?acte dans une succession de chambres qui défilent, comme un résumé de leur histoire fugace, et comme s?ils devaient changer d?endroits à chaque instant pour ne pas se faire surprendre. La succession offre un panorama impressionnant d?ambiances qui changent au fur et à mesure que le long duo d?amour évolue : une chambre à la clarté insoutenable, puis une chambre souterraine, une chambre vide ou Brangäne veille, puis on revient à la chambre de départ, et enfin le décor s?envole quand Melot et Marke surgissent, laissant les amants découverts sur l?immense plateau nu et froid du Théâtre de Genève. Marke chante son monologue dans une lumière crue tandis que les personnages se réfugient aux extrémités de la scène, en une image saisissante.

Au troisième acte, l?île de Karéol est résumée à un lit sanguinolent posé sur une sorte de petit carré surélevé, autour duquel flotte un liquide qui envahit toute la scène, sorte de mer sombre ou de liquide amniotique d?où émergent des images fantomatiques pendant le délire de Tristan (on le voit enfant, avec sa mère, puis son père). Enfin survient Isolde, du fond de la scène, et elle se rapproche de Tristan aussi imperceptiblement que n?avançait le paquebot du premier acte. Elle ne le rejoint que quand il meurt. Le liebestod plonge toute la scène dans le noir total, d?où émerge illuminé le visage d?Isolde, tandis que le carré où elle s?est réfugiée avec le corps sans vie de Tristan s?élève lentement jusqu?à transporter les deux amants dans les cintres tandis que retentit le dernier accord de si majeur?..La dernière image est si forte qu?il y a eu un silence de quinze à vingt secondes après le dernier son, avant qu?un tonnerre d?applaudissements n?envahisse le théâtre.

Py a non seulement restitué le caractère violent et déchirant du mythe médiéval, mais sa direction d?acteurs est formidable. Et sa lecture presque psychanalytique du dernier acte m?a fasciné, autant que sa vision globale de l??uvre, et sa faculté à offrir un cadre visuel aussi puissant que la partition elle-même.

Armin Jordan connaît bien son Wagner, et aussi l?orchestre de la Suisse Romande, puisqu?il a dirigé ici-même la Tétralogie à l?époque de René Auphan. Il offre un Tristan souple, précis, avec des tempi soutenus, sans laisser trop s?épancher le rubato, mais en respectant scrupuleusement les nuances écrites, et surtout en portant une grande attention aux chanteurs, qu?il ne laisse presque jamais couvrir. Du coup l?orchestre est aéré et clair, et les moments de grande tension dramatique ressortent avec plus de noirceur.

Alfred Reiter est le point faible de la distribution, car malgré un timbre rond et chaud et des graves sonores, la projection est faiblarde et le phrasé monotone.

Albert Dohmen est un Kurwenal de première classe, un véritable luxe en soi : après avoir chanté Wotan ici de manière remarquable, il confirme son statut de baryton wagnérien de premier ordre, avec cette voix puissante, assurée, marbrée, aux aigus énormes, au phrasé intelligent et au timbre d?airain.

Mihoko Fujimura est une Brangäne qui connaît son métier, et l?on sent bien qu?elle l?a déjà pratiqué à Bayreuth : précise, gérant toutes les difficultés du rôle avec aisance, elle domine le personnage avec superbe, des aigus arrogants, un volume homogène, un médium savoureux et une fébrilité troublante au deuxième acte ?..

Clifton Forbis était très attendu, car il n?a chanté le rôle écrasant et mythique qu?en version concert. Au début il m?a fait un peu peur, car tous les aigus étaient engorgés, et un vibrato un peu marqué, mais dès la scène du philtre, il se libère vocalement, lache une voix puissante et ferme, des aigus brillants, et nous offre un duo d?amour, et surtout un troisième acte d?anthologie. Le timbre est frais et clair comme un jeune Melchior, et il semble posséder les réserves d?énergie requises pour en faire un titulaire du rôle à l?égal des plus grands aujourd?hui ( Heppner, Franz, West?.)

Jeanne-Michèle Charbonnet aussi était très attendue, car une telle prise de rôle suscite toujours la curiosité. La splendide Médéa de Bastille, que l?on voit surtout à Paris dans un répertoire contemporain, prouve aussi que la magicienne irlandaise lui va à ravir. Le volume est un peu en deçà de celui de Forbis (d?ou un petit déséquilibre dans les duos), mais elle campe une Isolde guerrière, déterminée, au médium immense, et aux aigus assurés ( avec une certaine fragilité sur les deux contre-ut du II, mais gérés intelligemment). Comme son timbre est assez clair aussi, on est très loin de la couleur vocale d?une Nilsson ou d?une Flagstad, ( Wagner voulait une Isolde jeune) : elle déploie lors du récit du Ier acte un savoir-faire impressionnant et son Liebestod bouleversant prouve qu?elle peut aussi devenir l?une des grandes titulaires, comme Nina Stemme l?a fait il y a deux ans à Stockholm.

A vous les studios !
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Message par muriel » 15 févr. 2005, 11:11

Critique de M A Roux dans LE MONDE daté du 15 février

"Le metteur en scène , auteur et comédien français , réalise une magistrale version du chef d'oeuvre wagnérien , plastique et superlativement musicale, intelligente et hautement sensible"...

"la mise en scène est métaphorique de la mélodie infinie de Wagner."

" ...agonie de Tristan sur un lit radeau au milieu d'eaux létales et amniotiques."

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Message par philou » 15 févr. 2005, 11:21

Ouh là ! Je commence à avoir des avis semblables à ceux de Marie- Aude, ça m'inquiète franchement ! Je vais bientôt déclarer que la Flûte de la Fura del Baus est une vrai réussite, car ils l'ont ' dénué des oripeaux philomaçonniques du librettiste' , ou que Montalvo et Hervieu ont tout compris à Rameau et rendent sa musique 'épicée', ou que le Figaro de Dalibor Jenis est un 'Papageno du désert ' !
C'est grave docteur ?

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Message par Barberine » 15 févr. 2005, 13:12

Excellente critique du Figaro également ce matin qui rejoint la tienne (merci pour tous les détails que nous dévorons avidement), critique que vous pouvez consulter sur le site figaro.fr/culture.

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Re: Tristan et Isolde à Genève

Message par Ouf1er » 15 févr. 2005, 14:49

philou a écrit :Quel choc ! J?en ai encore les larmes aux yeux ! Il est un peu tôt pour parler de production de l?année, mais ça m?étonnerais qu?une représentation arrive à égaler celle-ci en intensité et en qualité d?ici la fin de la saison en ce qui me concerne.

Olivier Py a signé à Genève des Contes d?Hoffmann très provocateurs mais bien pensés, et une Damnation de Faust explosive et magnifique visuellement.
Mais avec Tristan, le metteur en scène français semble transcendé, et propose une lecture d?une noirceur et d?une tristesse bouleversantes, avec une cohérence d?idées remarquable, et sans jamais céder à la provocation ou à la facilité.

Le premier acte s?ouvre sur un immense paquebot qui avance dans la nuit millimètre par millimètre, et dont on devine la proue dans l?obscurité. Cette obscurité ne va d?ailleurs pas quitter le plateau. Les seules lueurs proviennent de quelques néons épars qui donnent à la scène une allure de rêve glauque (ce qui doit être le cas pour les deux héros à ce moment précis d?ailleurs). Sur ce navire que l?on voit évoluer imperceptiblement, Tristan et Isolde vont se chercher à tâtons jusqu?à se retrouver au moment du philtre. Pendant que le roi Marke attend entouré de sa garde et de chiens sur un quai industriel et froid, un bouquet à la main, Brangäne jette sur sa maîtresse un voile de mariée trouvé en vitesse et Tristan s?effondre sur le pont.


Au deuxième acte, le noir est toujours omniprésent. Les amants se retrouvent dans la chambre de passe d?un hôtel miteux, et vont passer pendant tout l?acte dans une succession de chambres qui défilent, comme un résumé de leur histoire fugace, et comme s?ils devaient changer d?endroits à chaque instant pour ne pas se faire surprendre. La succession offre un panorama impressionnant d?ambiances qui changent au fur et à mesure que le long duo d?amour évolue : une chambre à la clarté insoutenable, puis une chambre souterraine, une chambre vide ou Brangäne veille, puis on revient à la chambre de départ, et enfin le décor s?envole quand Melot et Marke surgissent, laissant les amants découverts sur l?immense plateau nu et froid du Théâtre de Genève. Marke chante son monologue dans une lumière crue tandis que les personnages se réfugient aux extrémités de la scène, en une image saisissante.

Au troisième acte, l?île de Karéol est résumée à un lit sanguinolent posé sur une sorte de petit carré surélevé, autour duquel flotte un liquide qui envahit toute la scène, sorte de mer sombre ou de liquide amniotique d?où émergent des images fantomatiques pendant le délire de Tristan (on le voit enfant, avec sa mère, puis son père). Enfin survient Isolde, du fond de la scène, et elle se rapproche de Tristan aussi imperceptiblement que n?avançait le paquebot du premier acte. Elle ne le rejoint que quand il meurt. Le liebestod plonge toute la scène dans le noir total, d?où émerge illuminé le visage d?Isolde, tandis que le carré où elle s?est réfugiée avec le corps sans vie de Tristan s?élève lentement jusqu?à transporter les deux amants dans les cintres tandis que retentit le dernier accord de si majeur?..La dernière image est si forte qu?il y a eu un silence de quinze à vingt secondes après le dernier son, avant qu?un tonnerre d?applaudissements n?envahisse le théâtre.

Py a non seulement restitué le caractère violent et déchirant du mythe médiéval, mais sa direction d?acteurs est formidable. Et sa lecture presque psychanalytique du dernier acte m?a fasciné, autant que sa vision globale de l??uvre, et sa faculté à offrir un cadre visuel aussi puissant que la partition elle-même.

Armin Jordan connaît bien son Wagner, et aussi l?orchestre de la Suisse Romande, puisqu?il a dirigé ici-même la Tétralogie à l?époque de René Auphan. Il offre un Tristan souple, précis, avec des tempi soutenus, sans laisser trop s?épancher le rubato, mais en respectant scrupuleusement les nuances écrites, et surtout en portant une grande attention aux chanteurs, qu?il ne laisse presque jamais couvrir. Du coup l?orchestre est aéré et clair, et les moments de grande tension dramatique ressortent avec plus de noirceur.

Alfred Reiter est le point faible de la distribution, car malgré un timbre rond et chaud et des graves sonores, la projection est faiblarde et le phrasé monotone.

Albert Dohmen est un Kurwenal de première classe, un véritable luxe en soi : après avoir chanté Wotan ici de manière remarquable, il confirme son statut de baryton wagnérien de premier ordre, avec cette voix puissante, assurée, marbrée, aux aigus énormes, au phrasé intelligent et au timbre d?airain.

Mihoko Fujimura est une Brangäne qui connaît son métier, et l?on sent bien qu?elle l?a déjà pratiqué à Bayreuth : précise, gérant toutes les difficultés du rôle avec aisance, elle domine le personnage avec superbe, des aigus arrogants, un volume homogène, un médium savoureux et une fébrilité troublante au deuxième acte ?..

Clifton Forbis était très attendu, car il n?a chanté le rôle écrasant et mythique qu?en version concert. Au début il m?a fait un peu peur, car tous les aigus étaient engorgés, et un vibrato un peu marqué, mais dès la scène du philtre, il se libère vocalement, lache une voix puissante et ferme, des aigus brillants, et nous offre un duo d?amour, et surtout un troisième acte d?anthologie. Le timbre est frais et clair comme un jeune Melchior, et il semble posséder les réserves d?énergie requises pour en faire un titulaire du rôle à l?égal des plus grands aujourd?hui ( Heppner, Franz, West?.)

Jeanne-Michèle Charbonnet aussi était très attendue, car une telle prise de rôle suscite toujours la curiosité. La splendide Médéa de Bastille, que l?on voit surtout à Paris dans un répertoire contemporain, prouve aussi que la magicienne irlandaise lui va à ravir. Le volume est un peu en deçà de celui de Forbis (d?ou un petit déséquilibre dans les duos), mais elle campe une Isolde guerrière, déterminée, au médium immense, et aux aigus assurés ( avec une certaine fragilité sur les deux contre-ut du II, mais gérés intelligemment). Comme son timbre est assez clair aussi, on est très loin de la couleur vocale d?une Nilsson ou d?une Flagstad, ( Wagner voulait une Isolde jeune) : elle déploie lors du récit du Ier acte un savoir-faire impressionnant et son Liebestod bouleversant prouve qu?elle peut aussi devenir l?une des grandes titulaires, comme Nina Stemme l?a fait il y a deux ans à Stockholm.

A vous les studios !
Philou, qui en frissone encore.....
Nous avons manifestement assisté à la même représentation (2me de Dimanche ?). Oui, superbe producttion, qu'il faudrait revoir plusieurs fois pour en saisir toute la profondeur, l'intelligence, l'intensité.

Extraordinaire idée que ce froid vaisseau (+ de 100 m de long) qui glisse imperceptiblement vers l'est, et sur les passerelles duquel se déroule l'action.

Extraordinaire idée que ces chambres qui se succedent tout au long du duo d'amour. A la fois chambre unique "éclairée" par les diverses phases de l'amour, et chambres démultipliées jusqu'à l'irruption du roi Marke et de ses gardes.

Extraordinaire idée que cette mer qui envahit le chateau de Kareol, et cette superbe mélodie de cor anglais joué sur scène par l'instrumentiste integré à l'action.

Extraordinaire idée que ce phare qui s'éleve, durant le "Mild und leise", des tréfonds du théatre pour emmener Isolde jusque dans "l'éternité" des cintres...

Production après production, le Grand-Theatre de Geneve nous habitue à un niveau difficilement égalable. Olivier Py, avec son fidele scénographe Pierre-André Weitz, a encore frappé un grand coup. Avec cette production, il a cassé son image "d'enfant terrible" et de provocateur, pour enfin susciter un unanime respect pour sa lecture et sa traduction dy mythe de Tristan.

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Message par Christopher » 15 févr. 2005, 23:27

où peut-on trouver des photos de cette production à défaut de pouvoir aller à Genève ?

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Message par philou » 16 févr. 2005, 00:59

En voici
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Message par Ouf1er » 16 févr. 2005, 05:32

Le probleme c'est que les photos ne rendent absolument pas l'ambiance, ni ne donnent une idée de la scenographie et de la mise en scene, à cause d'éclairage pas du tout "photogéniques".

Un DVD sera produit, mais je me demande comment les techniciens reussiront à rendre ce spectacle très sombre.

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Message par philou » 16 févr. 2005, 09:51

Absolument, les photos ne donnent aucune idée ni de la mise en espace, ni de l'ampleur du plateau, ni de l'ambiance, ni de la réelle obscurité, ni du jeu des acteurs.....

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Message par David » 16 févr. 2005, 10:01

A propos de Tristan et Isole mais à Bastille :
Il y a aujourd'hui quelques places en vente sur le site de l'ONP pour la première. (il me semble que des ODBiens cherchaient des places).

En plus, elles sont au tarif "normal" alors qu'il s'agit d'une soirée de gala aux prix majorés (mais que fait l'AROP??!!!).

David

Désolé si ce message est un peu hors sujet, mais il m'est impossible de rouvrir les fils précédents concernant Tristan à Bastille.

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