Battistelli: Richard III, création mondiale au Vlaamse Opera

Représentations
Avatar du membre
lachlan
Ténor
Ténor
Messages : 561
Enregistré le : 30 mars 2003, 23:00
Localisation : Antwerpen

Battistelli: Richard III, création mondiale au Vlaamse Opera

Message par lachlan » 31 janv. 2005, 15:57

30/1: soir de première à l'Opéra de Flandre à Anvers. Un soir particulier puisque c 'était aussi le gala de l'Union de la Presse musicale belge. Toutes les signatures célèbres sont là. De Morgen, Le Soir, La Libre. Beaucoup de correspondants étrangers aussi. Des VIP's, tous les mécènes. Ambiance un peu raide.

Richard III: l'oeuvre

Opéra en 2 actes de Giorgio Battistelli, livret de Ian Burton d'après l'oeuvre éponyme de William Shakespeare.

Je ne vais pas tenter de résumer l'intrigue du livret car tous nous connaissons le drame du dernier des Plantagênets, ces rois venus d'ailleurs. L'homme est ambitieux, sanguinaire, psychotique et enfanticide. Il ne s'agit pas de dresser le portrait du Richard historique, 3è du nom, que le célèbre drame de Shakespeare a dépeint pour la postérité comme l'archétype du fêlon, avide de pouvoir et sans scrupule. Même si on est loin de la sublime trilogie Hamlet/Othello/Macbeth de la "maturité", cette oeuvre tout comme HenriV reste un pur chef-d'oeuvre qui démonte le mécanisme de la démence. Ou lorsque l'avidité du pouvoir annhile la raison.

L'Histoire aura cependant retenu un portrait plus contrasté de ce roi-césar. La responsabilité même de Richard dans l'assassinat des Enfants d'Edouard reste une question qui divise les historiens.

La pièce comme le livret évacue ces questions tout comme le caractère stratégique de l'entreprise de consolidation du trône d'Angleterre dans la lutte acharnée qui divisait le Royaume dans ce qui est resté pour la postérité La guerre des Roses: Lancaster/York. Evacué aussi tout ce qui pouvait rendre plus sympathique un Roi (aimé de son peuple au début de son règne) dont la devise était quand même si je me souviens bien Loyaulté m'oblige ou quelque chose dans le genre.

Oui mais, c 'était sans compter avec la propagande élizabéthaine qui bien sûr voyait dans les divertissements populaires une manière ludique et peu coûteuse d'entretenir l'aura du Pouvoir et de refaire l'Histoire. Les Tudor ont succédés aux Plantes à Genêt, ces rois disais-je, venus d'ailleurs et qui ne s'intéressaient guère aux affaires du pays (hormis certes le Conquérant). Plus intéressés par leur légitimité outre-manche et ne pipant mot de cet anglais embryonnaire à qui les Chaucer, Milton, Johnson... et bien sûr Shakespeare (et ses contemporains, Marlowe...) allait donner ses lettres de noblesse. La poésie de la langue avant l'Académie.

Les compositeurs ne s'y sont pas trompés qui par le passé s'inspirèrent de ces récits et les mis avec souvent bcp de bonheur - pour l'amateur d'opéra s'entend - en musique.

Car si la source est inépuisable, quel est cependant l'oeil nouveau que le specateur/auditeur peut espérer au mieux?

Cet écueil, Ian Burton et Battistelli l'ont évité. En reprenant non seulement le drame dans la langue du dramaturge mais aussi en reprenant mot pour mot les vers originaux. Certes, il a fallu élaguer. On ne regrettera pas (dans la vision des Tudors) l'absence de l'intrigue matrimoniale, l'absence d'Anjou etc. Mais 2h30 sont suffisant pour brosser le portrait d'un personnage dont la complexité psychologique est certes évacuée mais parfaitement rendue dans sa concision.

La distribution

Beaucoup de nouvelles têtes:

Richard...............Scott Hendricks (bariton)
Lady Anne...........Lisa Houben (soprano)
Lynne Dauwson....Queen Elizabeth (sop)
Anne Mason.........Duchess of York (ms)
Urban Malmbrg.....Buckingham (bb)
Philip Sheffield......Edward IV (T)
Timothy Simpson...Richmond (T)
Mark Tevis............Clarence/Tyrrel (T)
Russel Smythe......Hastings (bar)
Marc Claesen........1st murderer/archbishop (bar)
Heijnsbergen........2nd murderer/Mayor (bas)
Frans Fiselier........Rivers/Catesby
Simon Kirkbride....Brackenbury/Ratcliffe (bas)
Cromheeke..........Lovell (bas)
J. De Ceuster........Prince Edward (contre-ténor)
M. Lamiroy...........Prince Richard of York (boy soprano)

Luca Pfaff dirige l'orchestre symphonique du Vlaamse Opera. Les choeurs (y compris celui des enfants) sont ceux de l'opéra.

Si la dramaturgie a été confiée au librettiste, la mise en scène est de Carsen qui participera aussi à l'élaboration très pointue de l'éclairage avec Peter Van Praet.

La représentation

Point de rideau. Alors que l'amphithéâtre se remplit timidement (beaucoup de jeunes cependant aussi bien attirés par le choix du sujet que la possibilité de découvrir une création contemporaine). Du côté de l'intendance, on est aux petits soins avec la presse mais la nervosité est palpable.

Point de rideau, gît au centre de la scène le corps inerte d'un homme, la couronne d'Etat brillant de mille feux. La surface est entièrement recouverte de sable coloré qui selon le jeu des lumières s'étire du rose pâle au rouge sang. Décor unique que cette coupe d'arène aux gradins de bois bien sommaires et qui par un astucieux jeu de perspectives n'est que le prolongement de la disposition des balcons supérieurs de l'amphithéâtre. Cirque? Ou une arène romaine dans une province reculé de l'Empire ou peut être encore une représentation de ce qu'a pu être un jour The Globe?

L'ouverture est courte, brillante, vive avec beaucoup de cuivres, de percussion et l'utilisation d'un synthétiseur. La ligne traduit d'emblée le caractère psychotique du personnage principal. Il est envahissant, mordant, sans demi-mesure.

Le prologue commence par un choeur... voix latines:

Lux purpurata radiis
Diligite justitiam.

Lux pupurta radiis
Diligite justitiam.


Impressionnant.

9 scènes se succèderont dans le 1er acte qui dure presque 1h30. Elles s'enchaînent avec frénésie. Chaque scène rapprochant Richard de son but... chaque marche vers le couronnement étant entâché de sang. Chaque meurtre voit cependant se graver dans la mémoire collective - qui sera le cauchemar de Richard la veille de la fameuse bataille de Bosworth Field - repris dans un choeur de voix synthétisées. A la 8è scène, le chuchottement est un terrifiant bourdonnement. D'où vient-il? Du peuple? De la conscience collective? Ou du coeur peut être pas aussi sombre de l'homicide?

Richard est un psychopathe manipulateur et calculateur qui s'avance comme une brebis blessé et inoffensive, gagnant la confiance de ses cousins, frères, épouse pour mieux les éliminer par la suite. Il se retrouvera seul, dépouvu de tout et de tous mais offrant tout ce qu'il a (c'est à dire plus rien, mais en est-il conscient?) pour un ultime moyen de récupérer ce qu'on tente de lui spolier: A horse! A horse! My kingdom for a horse!

Pour camper RichardIII, le bariton Scott Hendricks fait preuve d'une grande prouesse d'acteur digne de la Company. Même si on peut regretter une diction peu châtiée et une projection insuffisante face à un orchestre qui déployait des trésors d'énergie insoupçonné.

C'est que le langage orchestral prend ici toute sa mesure. En l'absence de mélodie et malgré quelques arias dont celui du 2è acte qui réunira les 3 dames, c'est davantage vers le phrasé que l'on s'attarde. L'orchestre dépeint avec une farouche prérogative son droit à exprimer les sentiments et la déraison. Il y a une véritable fusion entre les personnages et la musique. Entre la mise en scène et la lumière afin de parvenir à un langage commun qui exclu toute approche séparé.

Ainsi, la spectaculaire avant-dernière scène (6è) du 2è acte (The battle of Bosworth) qui atteint un degré de dramarturgie musicale éblouissant et qui rythme dans un ballet chorégraphique d'une terrifiante horlogerie la MORT. Richmond de retour au pays et au milieu de cette scène, englué dans ce sable sang, l'homme agonisant qui vendrait son âme au diable pour reconquérir son droit.

Si Lisa Houben en Lady Anne m'a semblé bien fade tout au long du 1er acte, (timbre peu rayonnant, aigus raides), elle sortira comme métamorphosée de la pause.

Lynne Dawson est tout simplement méconnaissable en Elizabeth. Une sorte de Rigoletto-façon-McVicar, claudiquant à l'aide de 2 parapluies. Vocalement, le rôle est particulièrement ingrat. Une palette d'aigus, (la plus riche de la partition il me semble dominé par des tessitures toujours cantonnés vers le médium voire le bas médium) qui fait la part belle à l'outrance.

Les ténors ne sont pas mieux lotis. Ne cherchez pas des contre-uts! Dans ce foisonnement de notes d'orchestres aux sonorités bizaroïdes, orientales et passées à la moulinette du synthé, les couleurs vocales manquent de chatoyements. Exception faite de Simpson cumulant les rôles de Clarence et surtout du méchant Tyrrel. Certes, l'EdwardIV de Sheffield n'a pas démérité. Un timbre chaud, un port soigné.

Le dernier des trois, le Richmond de Simpson m'a surtout donné le souvenir d'un rôle parlé...

Seul rayon bien heureux, le Prince Edward du jeune et tout adorable Jonathan De Ceuster, un contre-à-la-Deller.

Reste l'excellente prestation d'un Smythe en Hastings. Impressionnant de dignité, voix bien projeté et phrasé onctueux.

Il est impossible que je passe en revue tous les interprètes mais je pense que le public d'Anvers a assisté à la création d'un véritable chef-d'oeuvre qui je pense pourrait entrer un jour dans le Répertoire.

L.

Avatar du membre
olaf
Mezzo Soprano
Mezzo Soprano
Messages : 228
Enregistré le : 27 août 2004, 23:00

Message par olaf » 31 janv. 2005, 16:24

:)
Et bien quel beau commentaire, moi qui trépigne d'impatience depuis l'annonce de cette création. Je vais attendre avec encore plus d'impatience la matinée gantoise du 20/02.
Comme quoi un opéra du XXIème siècle peut enthousiasmer ;)

Avatar du membre
lachlan
Ténor
Ténor
Messages : 561
Enregistré le : 30 mars 2003, 23:00
Localisation : Antwerpen

Message par lachlan » 31 janv. 2005, 16:36

Je me suis rendu compte que je tapais depuis 1h (c'est presque un record :oops: ) alors j'ai brutalement abrégé. Mais j'ai encore plein de chose à dire. J'attends que d'autres aillent le voir et je pense y retourner la semaine prochaine.

A noter que ODB est le premier vecteur d'information a rendre un echo (même subjectif) de cette création mondiale. Je suis curieux de lire comment la presse va recevoir l'oeuvre.

Côté public, l'ovation était sincère et enthousiasmante malgré que la moitié des places étaient évidemment squattés par les RAIDES.

Difficile cependant de s'enthousiasmer des perf' vocales. Mais Battistelli, Carsen et toute la petite bande ont été bruyamment ovationné.

J'ai oublié une info aussi très importante. L'oeuvre sera radiodiffusé le samedi 12/02 à 20h sur Klara (radio3).

L.

Avatar du membre
richie3774
Ténor
Ténor
Messages : 513
Enregistré le : 06 avr. 2004, 23:00
Localisation : Quaregnon Belgique
Contact :

Message par richie3774 » 31 janv. 2005, 17:26

Très beau compte-rendu mon cher Lachlan. :D

Avatar du membre
philou
Alto
Alto
Messages : 357
Enregistré le : 10 mars 2004, 00:00
Localisation : Paris
Contact :

Message par philou » 31 janv. 2005, 18:57

Comme disait Gad Elmaleh dans Chouchou, 'Richard III j'ai pas tout compris, j'ai pas vu le I et le II' - on a les références que l'on peut.....

En tous cas merci pour ce compte rendu, j'y vais ce dimanche et trépigne d'impatience !

Rendons grâce au Seigneur notre Dieu, Lachlan a enfin trouvé un clavier avec des accents !!

Avatar du membre
Clement
Alto
Alto
Messages : 447
Enregistré le : 12 août 2004, 23:00
Localisation : PARIS

Message par Clement » 31 janv. 2005, 19:54

olaf a écrit ::)
Comme quoi un opéra du XXIème siècle peut enthousiasmer ;)
j'espère bien !!! :P

à Paris récemment, pour un "Angels in America" discuté mais très réussi pour moi, il a fallu subir l'échec du "My way of life" d'après les oeuvres de Takemitsu... tellement décevant que je n'ai pas envie (et personne d'autre apparemment) d'en faire l'écho.

je me réjouis du compte-rendu de Lachlan, très motivant, et de manière générale, du succès d'une grande partie de ces grandes créations médiatisées, avec grands chanteurs, des moyens, coproductions, etc... Comme par exemple le Wintermärschen de Boesmans, ou The Tempest d'Adès.
ce Richard III circulera-t-il dans d'autres maisons d'opéra ?
Opera's not dead !! :punk:

Avatar du membre
EdeB
Dossiers ODB
Messages : 3253
Enregistré le : 08 mars 2003, 00:00
Localisation : Ubi est JdeB ...

Message par EdeB » 31 janv. 2005, 21:20

Grand merci de ton compte rendu qui m'a fait saliver... Je vais essayer de ne pas rater la diffusion radio via l'internet.
Un CD ou un DVD sont-ils prévus ?

Sur le Richard III "historique", qui n'avait rien d'un monstre semble-t-il (ah... la propagande Tudor...) on peut lire la biographie de Paul Murray Kendall (Fayard) et un roman policier (!!) enthousiasmant, La fille du temps, de Joséphine Tey ( 10/18; (Grands Détectives)) http://www.apajh.org/livres/livres266 (les opinions de la romancière sont quelque peu controversées, mais c'est une bonnne introduction à la période, pour les flemmards...)

Avatar du membre
lachlan
Ténor
Ténor
Messages : 561
Enregistré le : 30 mars 2003, 23:00
Localisation : Antwerpen

Message par lachlan » 01 févr. 2005, 14:03

philou a écrit :Comme disait Gad Elmaleh dans Chouchou, 'Richard III j'ai pas tout compris, j'ai pas vu le I et le II' - on a les références que l'on peut.....

En tous cas merci pour ce compte rendu, j'y vais ce dimanche et trépigne d'impatience !
Rendons grâce au Seigneur notre Dieu, Lachlan a enfin trouvé un clavier avec des accents !!
Je serai sans doute à Bruxelles pour La Dame mais peut être irai-je un autre jour. Je voudrais le revoir. On pourrait se rencontrer? Avant, après? J'habite à 2 min de l'opéra. Pour tous ceux que cela intéresse, vous êtes le bienvenu à un p'tit rouge à la maison...

réponds-moi sur mp si tu veux bien...

L.

Avatar du membre
lachlan
Ténor
Ténor
Messages : 561
Enregistré le : 30 mars 2003, 23:00
Localisation : Antwerpen

Message par lachlan » 01 févr. 2005, 14:11

EdeB a écrit :Grand merci de ton compte rendu qui m'a fait saliver... Je vais essayer de ne pas rater la diffusion radio via l'internet.
Un CD ou un DVD sont-ils prévus ?

Sur le Richard III "historique", qui n'avait rien d'un monstre semble-t-il (ah... la propagande Tudor...) on peut lire la biographie de Paul Murray Kendall (Fayard) et un roman policier (!!) enthousiasmant, La fille du temps, de Joséphine Tey ( 10/18; (Grands Détectives)) http://www.apajh.org/livres/livres266 (les opinions de la romancière sont quelque peu controversées, mais c'est une bonnne introduction à la période, pour les flemmards...)
Merci Emma. Je me sens très honoré. Merci aussi pour les références historiques. J'ai un souvenir très très vague de l'histoire des premiers rois normands d'Angleterre. Will a eu tendance a brouiller les pistes.

Attention à la radiodiffusion. Comme je l'ai signalé, il est difficile de faire l'impasse sur la gloabalité du spectacle. L'audition seule risque de décevoir.

Je n'ai pas voulu parler trop en détail de la mise-en-scène qui réserve des surprises colossales... Suspens.

Premiers échos dans la presse francophone belge: http://www.lalibre.be/article.phtml?id= ... _id=204284.

Pas l'enthousiasme fou, analyse un peu tronqué et partielle autant que spartiate. Tout cela demande un peu plus de réflexion pour laisser décanter.

L.[/quote]

Avatar du membre
lachlan
Ténor
Ténor
Messages : 561
Enregistré le : 30 mars 2003, 23:00
Localisation : Antwerpen

Message par lachlan » 07 févr. 2005, 16:18

Selon une info répercutée dans la presse flamande, RichardIII aurait déjà été programmé par Mortier pour l'ONP.

Il n'est pas précisé pour quelle saison. Si je comprend bien, Mortier aurait été enthousiasmé par cet opéra contemporain qui serait "tout sauf un spectacle bon marché".

L.

Répondre