Mise en scène, décors, costumes Pierre-André Weitz
Chorégraphie Ivo Bauchiero
Lumières Bertrand Killy
Chef de Chœur de l’Opéra national du Rhin Hendrik Haas
Giuditta: Melody Louledjian
Anita: Sandrine Buendia
Octavio : Thomas Bettinger
Manuel, Sir Barrymore, son Altesse : Nicolas Rivenq
Séraphin : Sahy Ratia
Marcelin, l’Attaché, Ibrahim, un chanteur de rue: Christophe Gay
Jean Cévenol : Jacques Verzier
L’Hôtelier, le Maître d’hôtel: Rodolphe Briand
Lollita, le Chasseur de l’Alcazar Sissi Duparc, Le Garçon de restaurant, un chanteur de rue, un sous-officier, un pêcheur: Pierre Lebon
Chœur de l’Opéra national du Rhin
Orchestre national de Mulhouse
Enregistré par France Musique. Diffusion le 7 juin à 20h dans l’émission Samedi à l'Opéra présenté par Judith Chaine

Strasbourg, le 13 mai 2025
A l’origine, on trouve une artiste de cabaret parisienne, toxicomane et proxénète de jeunes mineures, réfugiée au Maroc dont la vie a inspiré un roman à un certain Benno Vigny (1889-1965), qui avait épousé la mère de Charles Trenet et s’était installé avec elle à Berlin à partir de 1922. C’est en allemand que Vigny publie en 1927 ce court romain intitulé Amy Jolly, la femme de Marrakech. Les droits en sont rachetés par la Paramount à la société allemande Felsom Film même si le roman est trop sulfureux pour Hollywood. Le scénariste Jules Furthman et Joseph Von Sternberg en tirent une adaptation que ce dernier porte à l’écran sous le nom de Morocco avec Marlene Dietrich et Gary Cooper qui sort aux USA le 14 novembre 1930. C’est un triomphe public et critique avec quatre nominations aux Oscars à la clé. Un an plus tard, ce sera, avec Carmen, le point de départ du livret de Giuditta cosigné par Fritz Löhner-Beda et Paul Knepler. Est-ce comme on le lit page 73 du programme de salle « le premier ouvrage lyrique à puiser son inspiration dans une œuvre cinématographique à succès » ? On mise plutôt sur Forfaiture de Camille Erlanger d’après le film The Cheat de Cecil B. deMille (Paris, 1921).

L’ouvrage est créé à le 20 janvier 1934 au très prestigieux et très sérieux Staatsoper de Vienne sous la direction de Franz Lehar lui-même (qui assurera 29 autres représentations in loco) avec le couple vedette Richard Tauber / Jarmila Novotna et une diffusion radiophonique mondiale dans 120 pays. Dans cette maison l’ouvrage cumulera 81 levers de rideau, jusqu’au 12 avril 1953, ce qui paraît peu. A titre de comparaison Der Zigeunebaron de Johann Strauss y a atteint les 308 représentations. Seul l'air irrésistible "Meine Lippen, sie küssen so heiss" (Sur mes lèvres se brûle ton coeur") est vraiment passé à la postérité.
Après un long purgatoire, Giuditta a été montée à Munich en 2022
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Ce soir nous entendons la version française d’André Mauprey qui a vu le jour à La Monnaie le 17 mai 1935 avec Kate Walter-Lippert et José Janson.
Seul le IIIième acte été donnée à Garnier et qu’une seule fois, lors d’un gala pour la Caisse de retraite, avec le compositeur à la baguette et les deux créateurs, Tauber et Novotna. C’était le 26 décembre 1935. L’ouvrage a été ensuite, dans la foulée, monté au Capitole de Toulouse où l’ouvrage a été dénigré ; « La pièce n’apparaît pas comme l’une des plus heureuse du compositeur viennois » (Jean Boyer). C'est vrai qu'on pourrait aisément en soustraire une trentaine de minutes.

L’ouvrage vaut surtout pour son refus du happy end, sa scène finale très poignante et fort originale, sa riche orchestration avec des pupitres de cuivres étoffés (quatre cors, trois trompettes, trois trombones et un tuba), et le recours à une harpe, un célesta et un vibraphone, orchestration où l’on peut déceler une influence puccinienne, le rôle-titre étant à la fois la synthèse de Carmen, d’Adèle, de Lulu, de Manon et de Mimi.
Le problème majeur de cette production c’est que la titulaire du rôle-titre Melody Louledjian n’est pas une Mimi (C’est dans ce rôle que Novotna fit ses débuts au Met en 1940) mais une Musetta. Si elle brille d’un vif éclat par sa beauté, assez singulière dans le circuit, et sa prestance sur scène, tout aussi remarquable, sa voix manque de corps et de sensualité, de projection aussi, sauf dans le registre aigu.
Thomas Bettinger, dans un rôle taillé sur mesure pour Tauber pour lequel Lehar écrivait non pas des airs mais des Tauber lieder, c’est-à-dire des airs courts et hérissés d’aigus éclatants, s’en tire avec panache et vaillance, une excellente projection, mais à l’ancienne avec quelques coups de glotte intempestifs.
Tous les autres rôles parlés ou chantés sont parfaitement distribués sauf celui de Lolita où Sissi Duparc en fait des tonnes d’une voix très sonore mais éraillée avant de nous faire rire in fine.
Une fois de plus on admire Sahy Ratia pour son timbre, sa ligne si souple, sa musicalité exquise, son sens de la caractérisation si fin et son abattage scénique supérieur, ici à son zénith.
Sandrine Buendia charme dans le rôle d’Anita par son style, sa voix charnue et pleine, ses qualités de comédienne également.
Nicolas Rivenq, de sa haute silhouette aristocratique, campe superbement Lord Barrymore et « Son Altesse » mais convainc un tantinet moins dans Manuel. Christophe Gay dessine quatre personnages avec talent et brille surtout par un impeccable attaché au service de Son Altesse. Jacques Verzier confère beaucoup de relief à Jean Cévenol tandis que Rodolphe Briand s’avère, une fois de plus, irréprochable dans ses trois personnages.

La production de Pierre-André Weitz, très dans le sillage des films de Julien Duvivier, semble être avant tout un hommage au corps, dans toutes son immense palette d’incarnations si diverses et bariolées, du nain un peu à la Lautrec à l’homme fort, en passant par la femme obèse, la danseuse sylphide, les sœurs siamoises, la reine de beauté, l'acrobate de cirque et de cabaret bien galbé, le militaire et le milord, le majordome et le freluquet, l’Altesse et le chanteur des rues, … C'est aussi un hymne à la théâtralité pure et tout aussi fièrement exhibée que les corps ainsi qu' aux arts dits "mineurs".
C’est très brillant et plein de clins d’œil notamment à une célèbre image publicitaire de Chanel avec Vanessa Paradis en oiseau de paradis, à Miss Knife, aux grands affichistes des années 1930, à la vie foraine et d’Alcazar (superbes décors de miroitements noirs), à la Café Society qui a lancé Tanger et à Carmen avec même, dans la scène finale, la bague offerte à Giuditta par son soupirant d’Altesse tombant à terre, …
On retiendra aussi et surtout la poésie des ombres chinoises et la fusion de la maquette du paquebot Champollion avec la ciel constellé des toiles / étoiles.
La direction vive et colorée Thomas Rösner à la tête de l’Orchestre national de Mulhouse contribue aussi beaucoup au succès du spectacle qui fera l’objet d’une captation vidéo le 20 mai pour une diffusion sur OperaVision à partir du 4 juillet 2025.
Jérôme Pesqué