DavidLeMarrec a écrit :PS 2 : tu appelles cela "mixte" ou "hybridation", un spectateur du XVIIIe ne te comprendrait pas : c'est du "non seria", avec tout ce que cela implique.
Bien sûr que pour eux cela était évident, mais pas pour nous ! "Ce que tout cela implique", c'est ce que Bajazet explicitait par son "hybridation : il n'y a pas que des "éléments de rire" dans Don Giovanni, il y en a d'autres qui ressortent à d'autres genres. Même si l'ensemble en fait un "nonseria". Il fallait que nous le précisions, pour nous.
Précisez donc !
Mais ce que j'essaye de vous expliquer :
opera buffa (ou termes synonymes) =
1/ pour un spectateur du XVIIIe : tout ce qui n'est pas du seria, en forme d'opéra. donc pour lui, cette idée du mélange des registres comiques et tragiques n'a pas de sens.
2/ pour nous, spectateurs de maintenant : genre comique ou bouffe qui peut méler les registres (personnages plus ou moins sérieux, pouvant avoir des similitudes stylistiques avec les genres tragiques nobles)
EdeB a écrit :Même si l?on peut considérer que cette affirmation de troisième main est fiable, il est peu probable que Mozart ait souhaité faire un opera seria à partir d?une ?uvre devenue essentiellement populaire et du domaine de la farce. Cependant elle rend bien compte de la perplexité des spectateurs de cet opéra "expérimental", si différent des autres opéras bouffes de la fin du XVIIIème siècle. Le dramma giocoso -qui signifie en réalité la même chose qu?opera buffa, "pièce de théâtre bouffonne"- revenait à ce que Mozart entendait créer depuis 1780 : un opéra mêlant, comme le faisait Shakespeare qu?il avait lu, passages joyeux et sérieux, métaphysique et trivialité, tout une vie scénique qui revenait aux Mystères médiévaux, aux légendes populaires et aux exempla de prédication dont était tirée la légende dont il créait l?un des derniers avatars majeurs[/size].
et j'ajouterais,
....ce qui était une composante NORMALE, pour Vienne et Prague, de ce genre de prédilection de Joseph II.
Merci Emmanuelle pour cette mise au point. Tu as vu, Friedmund, il y a marqué
métaphysique !
Bon, ça me rassure, quand même, qu'il y ait du serio dans Don Giovanni. J'aurais même tendance à trouver la comparaison avec Shakespeare romantique, pour le coup.
Je ne l'aurais pas osée, moi.
David - ancêtre
Mozart possédait une édition complète des oeuvres de Molière traduit en allemand, mais apparemment pas Shakespeare. Ce qui ne veut pas dier qu'il ne connaissait pas certaines pièces : son beau-frère Lange était considéré comme un des Hamlet du siècle, et les troupes ambulantes en donnaient, même à Salzbourg (dont Schikaneder). Shakespeare était donné fréquemement en allemand au Burgtheater (pas tout, et souvent révisé) mais suffisamment pour que Vienne soit en pointe de la redécouverte shakespearienne de la fin du XVIII début XIXe. On a même donné une des premières adaptations de Shakespeare à l'opéra au Burgtheater :
Gli Equivoci, tiré de
Comedy of Errors. Musique de Stephen Storace. Livret de... Da Ponte.
D'où la comparaison que j'ai faite, et l'allusion à ces mélanges de genres, surprenant pour le spectateur de maintenant (le texte cité a été écrit pour un programme de salle avec très peu de place, d'où un texte très succinct et éliptyque)
On se fonde déjà sur Shakespeare pour réformer le théâtre allemand et apporter plus de mélanges dans les pièces, la fameuse "hybridation" de Bajazet (le grand Shroeder était en pointe, pour cela, parait-il) et le répertoire théâtral donné en alternance en allemand à l'opéra italien au Burgtheater, laissait la part belle aux théatre anglais. Les Viennois ont été un temps à l'avant garde de certains courants théâtraux.
Mais, non Shakespeare n'a pas l'air d'être considéré comme "romantique", selon notre conception du terme ; il intéresse pour la force de ses intrigues et leur structure dramatique.
La "Métaphysique", c'est la tonalité d'exemplum, source première du texte, et le sérieux avec lequel Da Ponte et Mozart traitent l'épisode de la statue Si c'est du premier degré -pas d'ironie des auteurs- donc c'est forcément surnaturel et métaphysique.
bajazet a écrit :Je disais genre mixte à partir où on assimile "comédie" et "bouffonnerie", ce que tu sembles faire toi-même quand tu traduis "dramma giocoso" par "pièce de théâtre bouffonne". La bouffonnerie suppose le rire, ce que la "comédie" ne suppose pas nécessairement.
Apparemment, d'après ce que j'ai lu, les frontières entre les 2 tendent à disparaître, du moins en ce qui concerne les
opere buffe des années 1780 à Vienne. Mais le bouffon reste très encadré.
EdeB = "Par contre, le Commandeur/statue et son ressort surnaturel sont perçus comme faisant partie, littérairement parlant, d'un vieux machin dramatique dépassé et même vulgaire, destiné aux enfants et au peuple..."
Très intéressant ? Auquel cas la musique de Mozart est complètement en porte-à-faux !! Tout se passe comme si la musique réinstituait la force dramatique d'un accessoire perçu comme une vieille lune.
Il ya a recyclage du mythe par rapport à la perception contemporaine, c'est certain, mais Bertati et Gazzaniga ont montré la voie.
On a des témoignages explicites de cette intention esthétique de Mozart, en particulier d'un désir de réforme de l'opéra contemporain à partir du modèle shakespearien
Ajoutons aussi modèle en partie français, pour créer un théâtre national.
On a quelques bribes des intentions de Mozart sur ce qu'il aimerait composer comme type opéras, mais bien antérieures (et ses goûts ont pu changer, en s'affinant au contact du milieu théâtral viennois). Il faudra que je retrouve les réf précises.
Par ailleurs, la réforme en cours du théâtre à Vienne et qui s'est faite par glissement progressif, montre que Shakespeare a une place importante dans le répertoire donné (tout comme à Londres), sans compter que Mozart est entouré de théâtreux allemands, dont certains qu'il connait depuis Salzbourg, comme Schikaneder et de Shakespeariens éminents.
Par ailleurs, Mozart ne choisit pas vraiment ses textes, on les lui donne et c'est Joseph II qui décide. Tout est vérifié en haut lieu. Qu'il puisse infléchir les choses, dans un certain sens oui, mais créer ex nihilo, jamais !
Le désir de réforme de l'opera buffa est aussi le fait de Joseph II qui veut en faire un objet politique de cohésion sociale, et porteur des idées qu'il veut mettre en place. C'est un instrument comme un autre. N'oublions jamais que le Burgtheater est son théâtre personnel et non un théâtre d'Etat.
PS : ce coup ci, je fais vraiment comme Basile, je vais me coucher.