L'Opéra du Roi Soleil (K. Watson / A. Kossenko) - CD Aparté, 2019

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EdeB
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L'Opéra du Roi Soleil (K. Watson / A. Kossenko) - CD Aparté, 2019

Message par EdeB » 03 janv. 2020, 15:00

L’Opéra du Roi Soleil

Louis de Lully – Orphée (1690)-« Ah! que j'éprouve bien que l'amoureuse flamme... »
Marin Marais – Alcione (1706) - Ouverture
Marin Marais – Ariane et Bachus (1696) – « Croirai-je, juste ciel! ce que je viens d'entendre? » - Sinfonie du sommeil – air pour les flûtes
André Campra – Idoménée (1712, version de 1731) - Chaconne
Jean-Baptiste Lully – Acis et Galatée (1686) – « Enfin, j'ai dissipé la crainte... »
Henry Desmarets – Circé (1694) – « Sombres marais du Styx, Cocyte, Phlégéton... » - « Calmez votre violence… »
Jean-Baptiste Lully – Psyché (1671) – « Deh, piangete al pianto mio... »
Jean-Baptiste Suck – air ajouté à Thétis et Pélée (1708) – « Non sempre guerriero... »
André Campra – L’Europe Galante (1697) – « Mes yeux, ne pourrez-vous jamais... »
André Campra – Télèphe (1713) – Sarabande – « Soleil, dans ta vaste carrière » - « Charmant Père de l'harmonie »
Marin Marais – Ariane et Bachus – Rondo
André Campra – Télèphe (1713) – « Quelle épaisse vapeur tout à coup m'environne? »
Marin Marais – Alcione (1706) - Marche pour les matelots
André Campra – Idoménée (1712) – « Espoir des malheureux, plaisir de la vengeance... »
Marin Marais – Alcione (1706) - Deuxième air des matelots
Michel Pignolet de Monteclair – Les fêtes de l’été (1716) – « Mais, tout parle d'amour dans ce riant bocage! »
André Campra – Idoménée (1712, version de 1731) - « Coulez, ruisseaux; dans votre cours... »
Jean-Baptiste Lully – Le Bourgeois gentilhomme (1670) – Marche de la cérémonie des Turcs
Jean-Baptiste Suck – Polydore[/i] (1720) – « C'en est donc fait: le roi n'a plus de fils... »

Katherine Watson, soprano
Les Ambassadeurs
Alexis Kossenko, flûte et direction musicale

CD Aparté, 2019 (Enregistrement en septembre 2018).


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« Tendre et pathétique », avec passion

Il fut un temps où l’on était, quasiment pour toute sa carrière, du moins au théâtre, « jeune premier », « soubrette », « père noble » ou « valet ». Les emplois théâtraux sont désormais brisés et il faut s’en féliciter (en partie) puisque cela consacre la diversité magnifique du théâtre et sa fluidité d’incarnations. Mais il reste un domaine, la tragédie lyrique ou la tragédie en musique, dans lequel ces frontières exaltent les beautés de figures essentielles dans le territoire dramatique auxquelles elles appartiennent. Avec son premier récital-carte de visite, la charmante et fraîche Katherine Watson, fragrance goûteuse issue du florissant Jardin des Voix, explore les multiples facettes des héroïnes fragiles et résilientes nichées au cœur d’un répertoire lulliste et post-lulliste, regardant vers le prochain préromantisme.

Comme le faisait déjà valoir en 2000 le contre-ténor et historien Jean-Loup Charvet dans L'Éloquence des larmes, les rôles tendres et pathétiques, la douceur ambigüe de l’expression des douleurs circonscrites dans une tonalité retenue, s’attirent les suffrages d’un public friand de victimes exprimant « fidélité, courage, résignation », vertus « petites » (si l’on en croit Carlo Ossola) mais qui n’en demandent pas moins force d’âme et un héroïsme perçu en partie comme appartenant à la sphère féminine. Héroïsme qui s’exprime également dans leur prise en main de leur destin contrarié, avec une belle énergie.

Ce sont ces qualités en forme d’oxymore qui irriguent ce beau florilège d’airs très rares et d’autres plus connus (sélectionnés par le CMBV, partie prenante de ce projet), en une évocation séduisante du versant pathétique et mélancolique de l’art vocal français des XVIIe et XVIIIe siècles. Si le choix des airs relève de variations sur un thème spécifique, il n’en pour autant pas monotone, car les gradations émotionnelles abondent, allant jusqu’aux éclats de fureurs telluriques et relevées imperceptiblement par mille teintes. Ce, avec un art de la nuance vivifiant s’étayant sur les fondements stylistiques mis en place par Lullÿ. S’ils sont sensibles dès la première scène (en forme de passacaille) de Louis de Lully pour la lamentation d’Eurydice, les méandres des affects délivrés par la Galatée de Jean-Baptiste Lully prouvent que dès sa création avec l’air séminal « Deh, piangete al pianto mio », l’art déclamatoire et sensible avait trouvé à la fois ses beautés et ses chausse-trapes pour l’interprète. Cette dernière en relève d’ailleurs brillamment les défis dynamiques et intérieurs, faisant glisser avec fluidité l’abattement de la Circé de Desmarets vers une fureur éclatante. Qui s’exalte en un dernier air, en un contrepoint savoureux avec le reste du programme, le très virtuose et bien plus tardif «C'en est donc fait: le roi n'a plus de fils... » de Suck.

Le soutien discret des Ambassadeurs tout aussi moelleux et nuancés relève un discours tout de frémissement, de retenue et aux ornements judicieux (relevons de superbes trilles, et des « r » ourlés) colorant une ligne de chant élégante et pudique au vibrato contrôlé. Si la voix accuse une ou deux fois un peu de dureté, la science du discours est admirable dans sa variété. La flûte d’Alexis Kossenko ajoute une dentelle moirée à ce foisonnement d’atours enserrant le dénuement volontaire de cœurs qui s’épanchent et imposent doucement leurs angoisses et leurs révoltes à notre empathie. Ainsi, avec ce florilège, « l’art d’attendrir » se conjugue avec celui d’enthousiasmer.

Emmanuelle Pesqué
Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles. - M. Leiris
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