Lettres inédites à Brigitte Manceaux de Francis Poulenc

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JdeB
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Lettres inédites à Brigitte Manceaux de Francis Poulenc

Message par JdeB » 12 mars 2021, 09:53

POULENC, Francis, Lettres inédites à Brigitte Manceaux, édition de Pierre Miscevic, Paris, Orizons, 2019, 415 pages, 27 euros


A sa nièce, Brigitte Manceaux (1914-1963), qui n’avait que 15 ans de moins que lui, Poulenc se livrait tout entier (à l’exception d’un grand secret dévoilé post-mortem) comme à une petite sœur, à une confidente doublée d’une conseillère musicale, excellente pianiste à l’oreille sûre. Elle faisait office aussi de secrétaire officieuse et, d’une certaine manière, d’attachée de presse et de relations publiques chargée de se faire l’écho dans le microcosme français des triomphes internationaux de son oncle et de chouchouter le réseau de ses fidèles soutiens.

Au fil des 192 lettres, qui s’échelonnent du 6 octobre 1941 au 5 mars 1963, on approfondit bien des aspects de Poulenc. D’abord, se précisent ses goûts de mélomane, celui qui adore les vieilles gloires de l’art lyrique (visites à Lily Pons ou à Lotte Lehmann lors de ses séjours aux USA), la Tebaldi (qu’il applaudit à tout rompre dans Aïda à Naples en 1953, Desdemona à Rome l’année suivante et Tosca à Milan en décembre 1959) plutôt que Callas (qu’il entend dans Bolena à la Scala en avril 1957), celui qui sort d’un concert de Leyla Gencer les yeux mouillés de larmes, qui suit de près l’essor de la carrière de Gérard Souzay, formé par Pierre Bernac, et quelques jeunes pianistes comme Gabriel Tacchino. Pilier du festival d’Aix, il évoque Roger Bigonnet, le directeur du Casino de la ville, mécène de la manifestation, comme un décideur artistique au moins autant que Gabriel Dussurget, question qu’il faudrait creuser.

Ensuite, on voit bien que cet ami de Christian Dior se passionne pour la haute couture et qu’il est capable, dans une réception chic, d’attribuer telle robe à son créateur.

Cette correspondance éclaire parfaitement la genèse des Dialogues des Carmélites, leur création mondiale à la Scala puis celle de la création de la version française à Garnier. On aperçoit ainsi, notamment, les négociations de Poulenc et de l’Opéra au sujet du metteur en scène (veto de Poulenc contre José Beckmans, refus de la direction d’engager Max de Rieux proposé par le compositeur)

Surtout c’est à Brigitte Manceaux que son oncle évoque, presque en exclusivité, ses amants les plus marquants dont Pierre Miscevic trace le portrait en fin de volume. On apprend au détour du récit d’un concert d’Edith Piaf que l’expression "beau gosse" avait déjà cours l’été 1959….

Mais bien sûr, le document le plus précieux figurant ici est la lettre testamentaire de Poulenc qui institue sa nièce comme légatrice, détentrice du droit moral sur son œuvre (tache dont elle ne put s’acquitter puisqu’elle rendit l’âme trois mois seulement après son oncle), lui révèle sa paternité cachée d'une fille qui le prenait pour son parrain et liste des dons attribués à des proches, ce qui nous permet de connaître les objets précieux qu’il possédait (dont un Picasso)….

Saluons bien bas le travail érudit et sensible de Pierre Miscevic, qui fait de cette édition critique un plaisir de lecture et une mine d’informations précises et vivantes. Précisons toutefois que, contrairement à ce qu’il affirme, Régine Crespin a bien chanté le Stabat Mater de Poulenc, une unique fois. C’était le 13 novembre 1955, au Châtelet, avec l’Orchestre Colonne dirigé par Louis Frémaux.

Jérôme Pesqué
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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