Page 1 sur 1

Le répertoire de l’Opéra de Paris (salle Montansier) de 1794 à 1821 sous la Première République et le Premier Empire

Posté : 20 juil. 2019, 20:43
par David-Opera
Dans la suite des articles sur Le répertoire de l'Opéra de Paris (salle Le Peletier) de 1821 à 1874 sous la Restauration et le Second Empire (http://www.odb-opera.com/viewtopic.php? ... er#p350429) et sur Le répertoire de l’Opéra de Paris de l’inauguration du Palais Garnier (1875) à nos jours (http://www.odb-opera.com/viewtopic.php? ... rnier+1875), le présent article rend compte du répertoire de l'Opéra de Paris après la Révolution, qui fut dénommé successivement, de 1794 à 1821, Théâtre des Arts, Théâtre de la République et des Arts, Théâtre de l'Opéra, et, en alternance, Académie Impériale de Musique et Académie Royale de Musique.

Il permet en un coup d’œil de comparer les œuvres les plus jouées du répertoire à cette époque, et de voir l'évolution jusqu'à la seconde guerre mondiale.


Image
Vue de la scène de l'Opéra de Paris, Rue Richelieu, Paris - Ecole française

Ces données sont à prendre dans un premier temps avec précaution car plusieurs périodes sont omises sur la source (Chronopera.free.fr), 1800 à 1801, 1803 à 1810 et 1817 à 1823, si bien que ces périodes manquantes ont été reconstituées à partir d'une autre source (Artlyriquefr.fr).

Image
Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1794 à 1939. Classement des œuvres les plus jouées.

L’Opéra de 1794 à 1821 sous la Première République et le Premier Empire

Depuis les succès de Jean-Philippe Rameau et de Christoph Willibald Gluck, le répertoire de l’Académie royale de musique apparaît d’une indéniable richesse de genres : opéras, tragédies lyriques, ballets héroïques, comédies lyriques, intermèdes et pastorales, ballets pantomimes, sont parfois joués à travers deux ou trois œuvres différentes au cours de la même soirée.

Par la suite, après la Révolution de 1789, l’Académie de Musique, logée à la salle de la Porte Saint-Martin, passe sous la régie de la Commune de Paris.

Une comédienne et directrice de théâtre, Mademoiselle Montansier, fait alors construire en 1793 un vaste théâtre, rue de la Loi – l’actuelle rue Richelieu -, qu’elle nomme ‘Théâtre National’. Mais, sous la Terreur, le comité de l’Opéra l’en dessaisit et y installe l’Académie de Musique.

Au cœur de cette salle, le répertoire de l’institution plus que centenaire s’apprête dorénavant à vivre une période de transition tout en assurant une continuité avec la seconde partie du Siècle des Lumières.

La tradition classique perpétuée par les protégés de Marie-Antoinette (Gluck, Sacchini, Piccinni, Salieri, Grétry)

Grâce au succès de ses opéras parisiens, Iphigénie en Aulide, Iphigénie en Tauride et Armide, Gluck avait considérablement gêné les compositeurs italiens tels Sacchini, Piccinni et Salieri. Mais après l’échec d’Echo et Narcisse qui entraîne son départ de Paris, ce sont les œuvres de ces compositeurs qui maintiennent en grande partie la tradition classique après la Révolution.

Le dernier opéra d’Antonio Sacchini, Œdipe à Colone (87), connait un succès posthume qui lui vaut d’être l’œuvre la plus jouée jusqu’à l’ouverture de la salle Le Peletier. Il se maintiendra au répertoire jusqu’en 1844 avec près de 600 représentations au total.

Plusieurs tragédies lyriques de Sacchini composées dans les années 1780 poursuivent par ailleurs leur carrière, Renaud (83), inspiré de la Jérusalem délivrée du Tasse, Arvire et Evelina (87), Dardanus (84). En revanche, Chimène, ou le Cid (84) est dorénavant oublié.

Et parmi les ouvrages de Niccolo Piccinni, seul Didon (83), le prédécesseur des Troyens de Berlioz, survit à cette rude concurrence. Et bien que Gluck n’exerce plus la domination absolue acquise sous Marie-Antoinette, ses deux Iphigénie font toujours partie des 10 ouvrages les plus représentés, et Alceste, Armide et Orphée et Eurydice, concurrencent encore les 20 ouvrages les plus représentés.

Quant à Salieri, en qui Beaumarchais avait cru voir le successeur de Gluck, le succès initial de Tarare (87) se prolonge à l’Académie de Musique, moyennant plusieurs remaniements entre 1795 et 1819, mais également au Théâtre des Italiens sous le titre Axur. Et Les Danaïdes (84), hérité d’un livret destiné à Gluck, continue de captiver un public avide de pompe et d’éclat.

Profitant de l’affaiblissement de Gluck et du désir d’alternance entre tragédie lyrique et comédie lyrique, André Grétry, qui fut le directeur de musique de Marie Antoinette, est à son apogée avec des ouvrages qui ne s’écartent guère des modèles établis par Lully et Rameau, compositeurs disparus de l’Académie peu avant la Révolution (si l'on exclut le succès du remake de Castor et Pollux par Pierre-Joseph Candeille). La Caravane du Caire (84) est le second titre le plus joué du répertoire, et Panurge dans l’Ile des lanternes (85), ainsi qu’Anacréon chez Polycrate (97), font eux aussi partie des 10 premiers ouvrages les plus interprétés. La Double Epreuve, ou Colinette à la cour (82) vit néanmoins ses dernières années de programmation.

Dans la même veine comique, mais il s’agit d’un compositeur français qui prétendait assurer à travers ses premières tragédies l’héritage de Gluck, Sacchini et Piccinni, Jean-Baptiste Moyne obtient son plus grand succès avec Les Prétendus (89), et le petit intermède de Jean-Jacques Rousseau, Le Devin au village (1753), continue à faire la première ou la seconde partie d’un grand nombre de représentations lyriques.

Image
Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1794 à 1939. Classement des œuvres les plus jouées.

Mozart à l’Académie de Musique

Le public de la salle Montansier ne va découvrir Mozart qu’à travers deux adaptations françaises de La Flûte Enchantée et de Don Giovanni fort différentes des versions originales.

Les Mystères d’Isis, remaniement de Die Zauberflöte par Ludwig Wenzel Lachnith, entre au répertoire le 20 août 1801, et est une version qui conserve la plupart des airs tout en incorporant des airs empruntés à Don Giovanni et La Clémence de Titus.

Quant à Don Juan, réorchestré par Christian Kalkbrenner (l’auteur de Saül), sur un livret d’Henri-Joseph Thüring de Ryss et Denis Baillot, l’ouvrage entre à l’Académie le 17 septembre 1805. Il s’agit d’une version de Don Giovanni en français totalement modifiée, sans duel, et avec des ténors à la place des sopranos.

Image
Auguste Blanchard, Vue du théâtre de l'Opéra et de la Bibliothèque du Roi (rue Richelieu). Estampe coloriée, 1807. BnF, département de la Musique, Bibliothèque-musée de l'Opéra

Le culte impérial à l’Opéra (Méhul, Le Sueur, de Persuis, Kreutzer, Catel, Le Brun)

Alors que la période révolutionnaire avait fait subitement apparaître nombre d’hymnes incitant à l’agitation politique, c’est à Napoléon que l’on doit la reprise en main de l’Académie de Musique, notamment à coups de décrets limitant le paysage théâtral parisien, et la mise en avant de compositeurs français engagés afin de remodeler le répertoire de l’Académie à sa gloire.

Etienne Nicolas Méhul, le plus important compositeur français de chants patriotiques sous la Révolution, fait triompher son Chant du départ, bien que ses opéras ne réussissent qu’à l’Opéra-Comique (Stratonice, La légende de Joseph en Egypte, Uthal). Il obtient le départ de Giovanni Paisiello, compositeur italien que l’Empereur avait fait venir de Naples, ce qui profite à Jean-François Lesueur.

Jean-François Lesueur, maître de Chapelle de Notre-Dame de Paris (1786), puis nommé maître de Chapelle des Tuileries par Bonaparte (1804) pour succéder à Paisiello, devient membre de l’Institut en 1815.
Ossian ou les Bardes, inspiré du cycle de poèmes épiques de Macpherson, obtient un succès total. Le sujet évoque l’Ecosse, et l’apparition du surnaturel correspond au goût de Napoléon et du romantisme naissant. Les mythologies Celtes et Scandinaves rentrent à l’Opéra, mais l’Empereur rappelle que l’on ne bâtit pas un Empire en rêvant.

Des sujets plus réalistes sont en fait nécessaires à la propagande officielle.

Le Triomphe de Trajan (1807), avec ses défilés de chevaux, atteint l’invraisemblable. Un journaliste allemand constate ainsi que le premier théâtre de France est devenu un manège où la musique n’a plus qu’un rôle d’apparat. Les leçons de Gluck sont oubliées.

Cet ouvrage, ode excessive au règne de Napoléon, est cosigné avec le premier violon et chef d’orchestre Louis-Luc Loiseau de Persuis, auteur du Chant de la Victoire en l’honneur de Napoléon (1806).
Louis-Luc Loiseau de Persuis se distingue plus particulièrement avec La Jérusalem délivrée (1812), qui vient rejoindre *Armide (Gluck), Renaud (Sacchini) et La Mort du Tasse (Manuel Garcia) parmi les œuvres inspirées du poème épique et de la vie du Tasse jouées sur cette période.

* Armide reste l’œuvre tirée de la Jérusalem délivrée la plus représentée à l'Opéra : voir " La carrière de six ouvrages lyriques tirés de la Jérusalem délivrée à l'Opéra de Paris (1686-1913) : Lully, Campra, Desmarets, Gluck, Sacchini et Persuis », Le Répertoire de l’Opéra de Paris (1671-2009). Analyse & interprétation. Actes du colloque de l’Opéra Bastille, Paris, Honoré Champion, 2011.

Issu également d’une famille de musiciens, Rodolphe Kreutzer est l’un des fondateurs de l’école française de violon moderne, auquel Beethoven, admiratif, dédira la sonate à Kreutzer. Avec l’âge, le compositeur prend avantageusement le dessus sur l’enseignant, si bien qu’il devient l’auteur de plusieurs opéras à succès, dont Aristippe (1808) et Astyanax (1801) restent les plus célèbres.

Autre figure majeure du nouveau régime, Charles-Simon Catel, chef assistant de Gossec dans sa jeunesse auprès de l’orchestre de la garde nationale, offre à l’Académie l’un de ses grands succès qui durera 17 ans, Les Bayadères (1811), et se permet même de prendre l’avantage sur Jean-François Lesueur qui voit sa version de Sémiramis rejetée au profit de celle de Catel (1802)

17 ans, ce sera aussi la durée de la carrière du Rossignol de Louis-Sébastien Lebrun (1816), chef de chant à la cour de Napoléon.

Sous Napoléon, l’Académie de Musique se révèle ainsi une institution prolifique, mais aucune œuvre lyrique de ces compositeurs français ne reste plus de 20 ans au répertoire.

Image
Le répertoire de l'Opéra de Paris de 1794 à 1939. Classement des œuvres les plus jouées.

La Renaissance artistique : Gaspare Spontini

La véritable renaissance artistique de l’Opéra de Paris date, quant à elle, du 15 décembre 1807.
Gaspare Spontini en est l’artisan, auteur de 29 opéras, mais dont la réputation tient à La Vestale (1807), Fernand Cortez (1809) et Olympie (1819).

Ce fils de cordonnier fou de musique et créateur d’une douzaine ouvrages lyriques en Italie, arrive en 1803 à Paris et est nommé compositeur de la chambre de l’impératrice dès 1805.

Avec La Vestale qui, malgré le cadre antique, porte la grâce mélancolique du bel Canto romantique, et dont Maria Callas restera une inoubliable interprète de Julia à La Scala en 1954, Spontini renouvelle l’esthétique du spectacle lyrique. Orchestration somptueuse, décors monumentaux et soin du détail, caractérisent désormais le grand opéra français. Spontini est l’un des premiers chefs avec Spohr et Weber à se mêler de mise en scène dans un souci de cohérence.

Image
Marias Callas (La Vestale) - Scala de Milan, 1954

Spontini présente ensuite Fernand Cortez le 28 novembre 1809, et sa version révisée le 28 mai 1817, pour lequel il a obtenu un budget généreux, d’après une idée de Napoléon qui espère que le choix historique de la Conquête du Mexique réconciliera les Français avec les Espagnols. Plusieurs scènes à grand spectacle sont incorporées, dont une charge de cavalerie.

Fernand Cortez se maintient au répertoire pendant 25 ans, et La Vestale près de 50 ans.

Mais le style musical de Spontini appartient au XVIIIe siècle, et dès qu’il quitte Paris en 1820 après l’échec d’Olympie, les sujets mythologiques sont délaissés au profit des mélodrames chargés en violence et passion de Delavigne, Hugo ou Scribe.

Image
Le Duc de Berry, fils de Charles X et successeur légitime de la dynastie des Bourbons, agonisant chez lui à la suite de son attaque, par Edouard Cibot, circa 1830

Le 13 février 1820, l’assassinat de Charles-Ferdinand d’Artois, Duc de Berry, par l'ouvrier bonapartiste Louis Pierre Louvel devant l'Opéra de la rue Richelieu précipite la fermeture de la salle Montansier. L’Académie de Musique se déplace à la salle Favart, et, un an plus tard, le 19 août 1821, la salle Le Peletier est inaugurée.