Interview Rinaldo Alessandrini

Rinaldo Alessandrini
entre nuit monteverdienne et clarté mozartienne.


Vous venez de sortir un CD de Monteverdi consacré à la nuit… Pensez-vous que ce thème parle davantage à notre époque ? Surtout dans la forme très théâtralisée que vous avez choisi, en agençant les madrigaux selon une dramaturgie ?

Oui, c’est un peu une forme théâtralisée.
La nuit ? Je ne pense pas que ce soit forcément le cas. C’est comme le jour, d’ailleurs. Ce programme s’appelait « la nuit, le jour ». C’était la première moitié de ce que vous avez écouté. Il y avait tout un passage sur le jour. On pouvait y mettre de la musique de danse, des petites chansons comme cela… Mais je me suis dit qu’on allait essayer d’explorer l’idée de la nuit. La nuit, c’est un lieu théâtral très fort, qui n’a pas été seulement célébré par Monteverdi.

Justement, selon vous, dans la production de l’époque, quelle est la spécificité de Monteverdi ? Car tous les madrigalistes utilisent à peu près les mêmes textes…

Oui, il utilisait les textes qui étaient aussi adoptés par les autres. Mais le problème, c’est que l’approche de la poésie du XVIIe siècle était différente de celle d’aujourd’hui. Il y avait une approche bien plus quotidienne à la poésie qu’aujourd’hui. C’était une manière de… Il n’y avait ni télévision, ni radio, et le livre et la poésie était un aspect de…

Sociabilité ?

Non seulement. D’utilisation du temps.

Pour rythmer le temps ?

Oui. Donc il y avait un certain répertoire qui était plus populaire que d’autre. En général, dans le cas le plus important, sélectionner une poésie, c’était diffuser un plaisir un peu spécial. C’est-à-dire une poésie qui était connue, mais qu’on écoutait mise en musique.

Donc comme si on la redécouvrait.

Exactement. Donc, on a des informations sur les académies auxquelles on pouvait assister à Ferrare, dans la première moitié du XVIIe siècle, où il y avait des compagnies qui chantaient les madrigaux. En général, avait l’habitude de réécouter le même madrigal plusieurs fois, pour avoir la possibilité de mieux apprécier plus en détail la synthèse entre le texte et la musique. Donc, il ne s’agissait pas de concerts comme aujourd’hui. On chantait cinq six madrigaux, mais on les écoutait plusieurs fois pour essayer d’apprécier les détails. Vu d’aujourd’hui, c’est un plaisir un peu étrange. Cela partait plus du texte que de la musique. La musique s’ajoutait et ajoutait un point de vue différent.

Pour le madrigal, je dis toujours que l’essentiel, avant de l’écouter il convient d’avoir appris par cœur le texte. Car si on ne part pas du texte, on va se couper de 70% du plaisir du madrigal. La musique est agréable, évidemment, mais c’est l’union entre le texte et la musique qui fait retrouver la vérité du madrigal. Se priver de pouvoir apprécier les textes, c’est dommage pour le madrigal….

Quel est la place de l’interprétation de la vision du compositeur, qui en mettant en musique le madrigal, lui donne une certaine interprétation lui-même ? Une orientation, une couleur ? Une émotion qui doit suivre le texte, mais qui peut aussi s’y ajouter…

Ecoutez, moi, je partage plutôt l’idée que plus qu’interpréter le chanteur doit illustrer ce qui est déjà dans la partition. On n’interprète pas ; on ne peut pas changer la vision du compositeur. En général, les informations que nous avons à partir de la partition sont éclairantes... Donc, ce qui nous reste à faire, c’est recréer acoustiquement ce qui est marqué dans la partition. C’est plutôt une opération de simulation, pas d’interprétation.

Pour la musique, je refuse l’idée d’interprétation. Je trouve que c’est une idée un peu primitive.

Ah !

En général, je trouve que pour le message qui se trouve contenu dans une partition, la compréhension du message, donc la restitution du message au niveau sonore, ce n’est pas une question d’interprétation. Ce n’est absolument pas un message unique. Pas un seul message.

Donc c’est une transmission…

C’est plutôt une transmission… Donc je répète, c’est plutôt une simulation qui peut être plus ou moins élaborée, plus ou moins efficace. De toute façon, il y a aussi l’habilité technique de ceux, qu’en général, on appelle les interprètes. Il y a des interprètes qui sont capable d’une simulation d’une très grande qualité, et ceux qui sont un peu plus faibles. Le niveau de la simulation, on peut l’appeler « interprétation », si vous voulez, mais je ne pense pas que littéralement on puisse « interpréter », c’est-à-dire, c’est de dévoiler un sens très caché. Très très caché. Et surtout un sens qui n’est pas univoque.

Mais il y a plus de marge de manœuvre dans un opéra, non ?

Oui, mais on parle de musique qui dure 4 minutes, comparé à une musique qui dure trois heures.

Vous avez donc la même analyse pour l’opéra ?

Non, absolument pas. L’opéra consiste en la musique, la mise en scène, les costumes, la lumière…

Là, on est vraiment dans l’interprétation…

Non. On est toujours dans le devoir de devoir déchiffrer une signification qui est déjà dans la partition. Absolument.
Mais je n’arrive pas à comprendre un compositeur qui ne prend pas position vis-à-vis d’un livret.

Oui, c’est toujours la lecture d’un livret, une partition. Mais l’interprète, c’est le compositeur.

Oui, l’interprète du livret, c’est le compositeur. C’est lui qui décide de donner une musique plutôt qu’une autre. Alors là, je trouve qu’il y a une interprétation plutôt qu’une autre.
Mais pour nous, interpréter… Disons qu’on peut parler plutôt d’une certaine…. En italien, on utiliserait le mot sapore, le goût.

La saveur.

Exactement. Mais la douceur reste la douceur ; cela peut être plus ou moins doux, mais cela reste la douceur.

Il peut aussi avoir un oxymore, comme dans le vers de Corneille, « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles »…

Oui. Mais interpréter jusqu’à changer délibérément l’opinion, la vision d’un compositeur, je trouve que c’est un peu violent. Je ne partage pas cette idée.

Dans le cas de Monteverdi, tout ne serait pas noté, donc il y aurait une marge…

Tout est noté. Le continuo est chiffré, mais il donne une très grande souplesse technique car on a une attitude dans l’écoute qui est essentielle. On approche techniquement une voix d’une manière qui est différente d’une autre voix. C’est une notation absolument parfaite, qui n’a rien de primitive.

Donc, en fait, il n’y a qu’une seule vérité musicale…

Je dis souvent qu’il n’y a qu’une seule vérité dans la partition en elle-même. Après…

C’est très intéressant ce que vous êtes en train de dire. Tout le monde n’a pas ce type d’approche.

Quand on entend des versions faites par différents musiciens, on peut avoir des résultats radicalement différents…

Ah, oui ! Et on peut dire « J’aime » ou « je n’aime pas ».

Evidemment.

Et c’est la fin de l’histoire : disons que la conséquence ultime de la musique de l’époque de Monteverdi, cela justement été la création de l’opinion publique. Laquelle n’existait quasiment pas avant. Pour que Monteverdi approche l’acte de composition, c’est un acte qui est destiné au public, dédié à stimuler la réaction émotionnelle du public. Et à partir de ce point-là, il faut accepter que quelqu’un puisse dire « j’ai adoré » et quelqu’un d’autre qui dise qu’il n’a pas aimé. Et après cela, il n’y a rien de plus.

C’est l’époque où le public s’élargit considérablement.

Oui, c’est l’époque de la création du public du théâtre, du concert, du concert public.

Personnellement, je respecte toutes les solutions possibles adoptées par mes collègues, je ne veux pas départager. Donc j’imagine que si j’écoute d’autres versions, il y a surement des moments durant lesquels je peux dire « tiens, il y a quelque chose que je n’avais pas vue, ou pas compris ». Mais à part cela, c’est automatique, le droit de dire : j’aime ou je n’aime pas. Donc la vérité en elle-même ne peut pas créer une valeur. Il faut qu’elle soit justifiée par l’efficacité. Toujours. C’est pour cela que je parle de simulation, parce qu’une simulation peut être plus ou moins efficace.

Cela dépend aussi de la technique et de la sensibilité. Car une simulation part toujours du contact un peu privilégié entre le musicien et le public. Donc cela fonctionne ou pas. C’est très important de voir comment cela fonctionne. Donc il y a une sensibilité très spéciale dans le processus de simulation, car il faut être compréhensible et il faut être efficace.

La clarté du discours…

Oui. La clarté du discours, ce n’est pas la banalité du discours. Le discours peut être un discours très structuré, avec une clarté d’exposition maximale.

Donc on en revient toujours à la rhétorique et au théâtre…

Oui. On en revient toujours à la rhétorique et au théâtre, et surtout à l’habilité. Car il faut être capable…

Evidemment.

Il faut être capable. Car si on prend la liberté de « changer » la nature de certaine musique, on prend aussi le risque de changer le résultat final… Et ce n’est pas garanti que la nouvelle combinaison vis-à-vis de la partition puisse marcher, donc c’est vraiment un risque énorme.

Il faut aussi que le public soit éduqué. Ce qui était le cas auparavant, et qui ne l’est peut-être plus maintenant.

Pas seulement. Je ne partage pas l’idée que l’on doive passer par l’université avant d’aller au concert. La musique, c’est autre chose.

Mais dans ce répertoire très littéraire ? Vous dites vous-même qu’il faudrait apprendre par cœur le texte.

Alors, disons qu’on pourrait parler de la difficulté… Non, pas de la difficulté, mais de la possibilité d’approcher dans ce cas-là un texte en italien, un texte très littéraire…

Et dans l’italien de cette époque, en plus.

Oui, un texte d’une certaine beauté liée à la sonorité de ce type d’italien, qui est mal compris. Evidement les italiens ont un peu plus de possibilité de s’en approcher. Avec une traduction, une belle traduction, on peut avoir l’occasion de sectionner le texte, de comprendre l’utilisation d’un mot plutôt qu’un autre… C’est plutôt compliqué… Mais avec le français littéraire, on rencontre plus ou moins le même problème.

Il y a des répertoires dont la sensibilité moderne se rapproche plus ou moins. Il me semble que la poésie peut être plus hermétique pour un certain public.

On a perdu un peu le contact avec la poésie. Et c’est justement pour cela que je disais que le madrigal en lui-même était le résultat d’une pratique quotidienne qui a disparu. Je ne connais pas de gens qui lisent de la poésie quotidiennement.

En France, c’est le même problème. Et on a aussi le même problème avec la mélodie française qui s’éloigne de plus en plus du public, d’une certaine manière… Ou même les livrets de Quinault pour Lully, par exemple.

Mais il n’y a pas de recette. On espère toujours que le public soit, disons, moyennement informé. Le public qui va assister à un concert de mélodie française ou de Lieder, sait exactement ce qu’il va écouter.

Forcément… Quel souvenir gardez-vous de votre fameuse trilogie Monteverdi faite avec Bob Wilson ?

Un bilan global, c’est un peu compliqué…

Est-ce la première fois que vous travailliez avec lui ?

Quand on a commencé, c’était la première fois. Parler de Bob Wilson est compliqué car vous savez comme moi que c’est un metteur en scène qui est adoré et en même temps détesté. Peut-être que ce n’est pas évident, mais Bob Wilson est très préoccupé de créer les équivoques qui sont nombreuses dans le théâtre d’opéra. C’est-à-dire, quand une certaine idée du metteur en scène se surimpose à la partition, à la vision, à l’idée première du livret, et prétend les changer, avec presque une certaine violence. Je vois plutôt Bob Wilson comme un créateur d’images, et les images deviennent presque comme un… comment dit-on en français, contenitore…

Un cadre ?

Comme un cadre, exactement ! Où la musique n’est pas obligée de changer de visage. Son apport s’arrête là où la musique s’impose. Son apport n’est jamais violent. Même au niveau des mouvements corporels. Vous voyez, c’est toujours très statique. Mais ce n’est pas un manque de volonté. C’est pour permettre au public de se concentrer sur la musique. Pour Bob Wilson, c’est quelque chose qui doit aider à écouter la musique. Il s’éloigne un peu afin d’essayer de ne pas détruire le moment de l’écoute.

Dans les trois opéras de Monteverdi, qui sont des opéras très différents les uns des autres, il a eu des moments plus réussis que d’autres. Personnellement, je pense que des trois, c’est Le Retour d’Ulysse dans sa patrie qui était le plus réussi. Je pense que c’était un spectacle vraiment impressionnant. Parce qu’il y avait à la base une idée générale du spectacle très forte. Parce qu’il y avait un sens d’oppression qui ne se révélait vraiment qu’à la fin. On vivait vraiment l’angoisse de Pénélope tout du long de l’opéra et c’était très fort. J’ai beaucoup aimé, vraiment.

Orphée, c’était bien, un peu plus figuratif. Poppée était déjà plus limite en terme d’image : il avait des images très très très très belles, mais peut-être un peu trop statiques vis-à-vis du livret. Les images était très belles, très soignées. Il a mis des semaines entières sur la lumière.

Finalement, il faut un peu de temps pour s’insérer dans le mécanisme qu’il propose. Il aime beaucoup exposer ses idées, et cela devient très intéressant. Il faut aussi proposer quelque chose d’autre, ce qu’il aime beaucoup. Il dit, « moi, je fais cela parce que je l’imagine ainsi », mais on peut arriver à discuter de solutions alternatives. Je le trouve très stimulant. De toute façon, je pense qu’au niveau visuel, de toute façon, le résultat est toujours de très bonne qualité. Après, c’est toujours son style à lui, mais j’ai été très content de réaliser ce cycle avec lui.

Est-ce la première fois que vous réalisiez le cycle avec un même metteur en scène ?

Oui.

Au départ, les trois devaient venir à Paris, non ?

Oui, mais je crois qu’il y a eu quelques problèmes de l’utilisation du décor à Garnier. Même Bob Wilson ne savait pas vraiment pourquoi Orfeo et Ulisse ne sont pas venus ici.

Espérons qu’ils viendront un jour… Vous avez des projets d’opéra en France ?

Non. Ces deux dernières années, j’ai dirigé onze productions. Donc…

Beaucoup de Mozart, de Haendel…

J’ai fait beaucoup de Mozart, un peu de Haendel. Donc, cette année, il y avait l’année déjà bouclée pour l’année Monteverdi, donc c’était un peu compliqué.

Je recommence l’année prochaine. Je vais diriger une production d’un opéra de Donizetti en Italie.

C’est la première fois que vous dirigez un répertoire aussi romantique ?

Tardif ? Oui. Disons que c’est l’idée qui m’intéresse, en général. Je ne suis pas un très grand fan de la musique de Donizetti, mais je pense que c’est une opportunité de découvrir ce que je n’avais pas compris. Il me semble plus stimulant de diriger Donizetti que le Barbiere. En général. Barbiere, on ne connait bien.

Et pensez-vous qu’il y a un vrai héritage du baroque vers le bel canto ?

Cela dépend. En général, je trouve que surtout dans le bel canto, que ce soit Bellini, Donizetti, il y a une attitude vis-à-vis des chanteurs qui est un peu de l’anarchie. Il y a des habitudes qui sont basées sur une extrême liberté ; disons qu’aujourd’hui cela rentre dans les habitudes d’écoute. Cela devient une musique très très très fluide, et je me demande si l’idée originelle était ce type de fluidité. Car de toute façon, quand on considère la manière dont les orchestres fonctionnaient à l’époque, il n’y avait pas de vrai chef d’orchestre. La responsabilité de l’orchestre était partagée entre le premier violon et un chef plus ou moins…. Il était assis, face à un piano. Donc cette fluidité, aujourd’hui…. Disons que pour le chef d’orchestre, diriger un opéra de bel canto, c’est très compliqué. Bien plus compliqué que de diriger Mozart. Alors, il faut peut-être travailler sur l’idée que l’aspect musical puisse être un peu différent. Moi je crois toujours que la majeure partie des informations sont dans la partition.

On n’a toujours pas décidé quel opéra de Donizetti, d’ailleurs. Il y a un festival qui a démarré il y a très peu de temps, à Bergame où on essaye de mettre en scène tous les opéras de Donizetti, dans leur ordre chronologique de composition. S’il s’agit de l’année prochaine, ce sera Enrico di Borgona. Si je décide de travailler l’année suivante, ce sera Pietro di Nuncia, ou quelque chose comme cela.

C’est très très rare…

Exactement. On est en train de discuter. On n’a pas encore décidé…

Il y a un pianiste qui a enregistré l’intégrale de Chopin par ordre chronologique de composition. Abdel Rahman El Bacha, en 19 CDs.

Ah ? Ça, c’est très intéressant… Je pense que c’est l’approche la plus logique. Finalement, si on accepte l’idée que le chemin d’un compositeur, il y a une certaine logique, évidemment.

Aujourd’hui, je suis très intéressé par ce projet, mais je n’ai pas encore reçu les partitions. Donc, je ne sais pas ce qui peut arriver un jour. (Il sourit.)

L’avantage aussi, avec des œuvres si rares, c’est que les chanteurs n’ont pas encore pris d’habitudes…

Oui, cela, c’est un problème…. Cela arrive surtout quand on dirige des grands tubes.

Surtout pour la vitesse. Aujourd’hui, on retombe toujours dans une certaine vérité de notation, quand on considère les indications de Mozart.

Par exemple, dans Figaro, il y a des tempi qui sont complètement à l’opposé. Qui sont absolument à l’opposé… Il y a une certaine tradition… Franchement, je ne comprends pas. Cela a complètement modifié la structure, l’équilibre. Par exemple, dans le finale du deuxième acte, il y a plein d’exemples comme cela. L’un des opéras les plus compliqués, si l’on considère cet aspect, c’est Don Giovanni. Vraiment, la notation de l’indication des tempi est très très très compliquée. Et donc, pour considérer ce que Mozart a voulu indiquer avec le C barré, le C. Et surtout, la signification du mot Andante. Ça, c’est compliqué… Andante, en général, c’est un tempo qui n’est pas excessivement lent. C’est juste avant Allegro. Et donc, c’est un tempo qui a une certaine, pas rapidité, mais fluidité. Pour les mouvements lents, il faut attendre plutôt Largo, Larghetto. Et donc Andante, Andante poco, ou par exemple encore, Vivace, c’est un terme qui indique une vitesse moins rapide qu’Allegro. Allegro Vivace, c’est moins vite qu’Allegro.

Donc on va reconsidérer un peu tout cela. Il y a des aspects qui se présentent qu’on n’avait jamais considéré. Et dans beaucoup de tubes comme Figaro, on doit lutter contre les habitudes, les chanteurs qui ont appris l’opéra sur les enregistrements etc…

Salieri avait commencé à noter des indications de mesure sur ses propres partitions à la fin de sa vie…

Merci Salieri !

… et parfois, c’est beaucoup plus rapide qu’on pourrait le penser. Peut-on imaginer que cela pourrait parfois être aussi valable pour Mozart ?

On peut considérer une certaine sensibilité, certainement. En général, je trouve que lorsqu’on essaye d’imaginer la juste vitesse, il ne faut jamais oublier la perception de l’unité de la parole. Surtout quand la musique parle beaucoup. Si le temps est trop long, on n’arrive pas à percevoir la parole dans son unité, et cela ne marche pas très bien. Cela dépend. Si on est devant une composition musicale où la parole est presque un aspect secondaire, alors, ça va. Mais en général, quand la musique est une « musique parlante », il faut que la vitesse soit adaptée plutôt au rythme de la parole, et donc il faut toujours partir de la perception… Mais en général, on trouve toujours des solutions.

Disons que pour moi, dans le théâtre de Mozart, j’aime des tempi qui ne soient pas trop lents, des tempi rapides, mais je crois qu’il y a des chefs qui essayent d’aller encore plus vite que moi. (Il rit.) Et je trouve que c’est un peu dommage quelquefois, parce qu’avec un excès de rapidité, la musique devient un peu trop sombre, parce que cela devient un peu mécanique. L’instrumentation de Mozart est en général, tellement détaillée que tout devient du coup, toujours la même image sonore, et on perd tous les détails, surtout avec les voix des chanteurs. Donc, c’est un peu dommage…

C’est peut-être aussi dû à notre époque qui accélère de plus en plus…

Moi, avec l’âge, je me relaxe chaque jour… (Rires.)

C’est une belle évolution !

Ah oui ! Absolument. Il ne faut jamais regarder en arrière.

On est d’accord...

Ah, non….

Même quand on est spécialisé dans la musique des siècles précédents…

Non, je pense que c’est le cas d’un certain nombre de musiciens après un certain nombre d’années de travail…. Evidemment, quand on est jeune, c’est l’impatience de la jeunesse. Mais c’est la juste manière, qu’on ait vingt ans, trente ans, ce type d’énergie, qui est très forte. Mais après, la vie nous change, donc automatiquement, la manière d’approcher la musique change un peu, d’une manière qui est absolument naturelle. Pour chaque âge, il y a une chose très précise à faire.

On parlait de Lully, tout à l’heure. Est-ce un compositeur qui vous intéresserait, Lully ?

Il y a plein de choses, mais je pense que quelqu’un pourrait le faire mieux que moi. Il y a tellement de musiciens sur cette planète, donc je pense qu’il faut être modeste.
Plutôt que de diriger Lully, j’aimerais beaucoup diriger le Sacre du Printemps. C’est un morceau que j’adore, mais franchement…

Mais Gardiner a réussi ce passage. Il a dirigé Œdipus Rex, par exemple…

C’est juste pour citer un morceau que j’adore, mais il faut être raisonnable… Lully, c’est une musique que j’aime, mais que je ne connais pas très bien. En général, le style français XVIIe m’intéresse beaucoup. Je me suis beaucoup intéressé aux élèves de Lully. J’adore Muffat, je trouve cela très stimulant. Lully ne fait pas partie de mes habitudes d’écoute, mais Muffat, je connais sa musique par cœur. Mais je le répète, il y a des musiciens mieux informés que moi, pour la musique de Lully.

Merci infiniment pour cet entretien passionnant, maestro…


Interview réalisée par Emmanuelle et Jérôme Pesqué, à Paris, le 20 avril 2017
Transcription par Emmanuelle Pesqué.

Photographies © XXXX.

Merci à l’Agence Sequenza.

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