Entretien avec Mathieu Gardon

 

Gardon

 

Elu Révélation artiste lyrique ADAMI 2013 et nommé aux Victoires de la musique 2014 dans la catégorie révélation artiste lyrique, Mathieu Gardon a mené parallèlelement des études médicales et des études de chant. Il termine actuellement son master au CNSMD de Lyon et chantera dans Les Boréades qui seront données en concert au prochain Festival d'Aix en Provence. Nous l'avons rencontré pour évoquer ses années de formation et ses projets.

 

Vous êtes devenu chanteur lyrique après un parcours pas très conventionnel…
J’ai commencé la musique quand j’avais cinq ans en étudiant le saxophone au Conservatoire de Mâcon. Je l’ai continué jusqu’à l’âge de dix sept ans. Comme j’aimais bien chanter, je suis entré à huit ans dans la Maîtrise de chant. Après ma mue j’avais toujours envie de chanter et j’ai suivi l’enseignement de chant lyrique, aussi au Conservatoire de Mâcon. Mon bac en poche je ne me voyais pas arrêter mes études pour ne faire que de la musique. Ce n’était pas une pression familiale mais plutôt une envie personnelle d’apprendre un métier autre que la musique. Je suis venu à Lyon où je suis entré à la Faculté de médecine. J’ai réussi le concours d’entrée à l’Ecole de sage femme. C’était pour moi un bon compromis entre mes aspirations pour une profession médicale et une durée d’études, une charge de travail qui me permettaient de continuer à étudier la musique pour, à un moment, choisir entre un métier et la musique.
Donc simultanément à mes études de sage femme j’ai continué le chant au Conservatoire de Villeurbanne dans la classe de Catherine Maerten avec un parcours un peu chaotique. J’avais des examens partiels, des gardes de nuit et c’était parfois un peu compliqué de mener les deux activités en parallèle.
La semaine où j’ai obtenu mon diplôme de sage femme, en juin 2010, j’ai passé le concours d’entrée au CNSMD de Lyon où j’ai été admis à l’unanimité dans la classe de Françoise Pollet tout en travaillant à mi-temps à l’Hôpital Femme Mère Enfant de Bron. Je ne voulais pas faire de moi-même le choix de me consacrer à la musique, je voulais que ce choix s’impose à moi et il s’est imposé fin 2012. Il ne m’était plus possible de mener les deux activités. Les deux emplois du temps devenaient inconciliables. Mon planning à l’hôpital était fixe et celui de musicien trop aléatoire. J’avais suffisamment de travail vocalement, une visibilité à plusieurs mois et j’ai donc arrêté mon activité médicale ce que je ne regrette pas compte tenu de ce qui s’est passé depuis.

Il n’y a donc pas eu un évènement particulier qui vous a amené à prendre cette orientation…
Non, c’est une envie qui m’a porté depuis que je suis tout petit. J’ai fait beaucoup de choses, de l’orgue au Conservatoire, je jouais du saxo dans l’Harmonie de Mâcon, je chantais avec la Maîtrise, tout cela me prenait beaucoup de temps quand j’étais adolescent. Je suis d’une famille de gens qui exercent des professions médicales et il n’y avait aucune pression de mes parents de les suivre dans cette voie. C’était une envie de ma part de connaître aussi ce milieu et j’ai été à la fois passionné par la musique et la médecine. Je n’avais pas envie de regretter plus tard de ne pas l’avoir fait.

Votre famille était musicienne ?
Mélomane, oui. Mon père faisait de la guitare en amateur. Ce qui est amusant c’est que c’était moi qui faisais le plus de musique mais à une période mes parents, mon frère et ma sœur se sont tous inscrits au Conservatoire. Mon père faisait de la guitare jazz, ma mère du trombone, mon frère de la basse et ma sœur du piano…

L’opéra était-il déjà présent ?
L’opéra pas trop, mais on était assez ouvert, rien n’était banni en terme de répertoire, de Bach aux Pink Floyd. J’ai surtout découvert l’opéra quand je suis entré dans la classe de chant lyrique. Quand j’avais entre quinze et dix-huit ans je faisais du théâtre dans une petite troupe et j’ai découvert que l’opéra pouvait m’apporter à la fois l’aspect musical mais aussi l’aspect scénique et théâtral.

Quelle a été la première représentation d’opéra que vous avez vue?
C’est quand je suis arrivé à Lyon, en 2006, la création française de Faustus, la dernière nuit de Pascal Dusapin. J’étais au sixième balcon, je voyais à peine l’avant de la scène. Cette première expérience aurait pu me dégoûter de l’opéra (rires)…Ensuite j’y suis retourné régulièrement.

Vous êtes sur le point de terminer vos études au Conservatoire…
Je suis en dernière année de master. Je viens de rendre mon mémoire et je fais mon récital de master le 13 juin.

Vous avez suivi cette année une formation au Studio de l’Opéra de Lyon. Pourquoi ce choix ?
A Lyon il y a une spécificité par rapport à d’autres Opéra-Studios. On n’est pas engagé pour une saison mais pour une production. Son directeur Jean-Paul Fouchécourt essaie d’accompagner les jeunes chanteurs sur deux ans et de leur proposer plusieurs productions, ce que j’espère pour mon cas.
Le Conservatoire apprend à chanter, à faire de la musique, mais l’apprentissage de la scène nécessite d’y être confronté. On peut avoir des qualités de chanteur et de comédien, le fait de les mettre ensemble comporte une difficulté supplémentaire. C’est en faisant des productions que l’on apprend. Le Studio le permet avec un statut qui permet d’avoir plus de temps et de mettre un pied dans le métier sans prendre trop de risques tout en étant entouré de très bons professionnels que l’on voit travailler et qui peuvent nous faire partager leur expérience.

Dans le cadre de ce stage au Studio de l’Opéra de Lyon vous venez de faire une production de Steve Five, opéra multimedia de Roland Auzet.
C’est une expérience particulière, parfois difficile, mais qui m’a appris à repousser beaucoup de limites de ce que l’on peut faire ou ne pas faire sur scène.

Parmi les productions d’opéra que vous avez faites, quelles sont celles qui vous ont le plus marqué ?
La production des Contes d’Hoffmann que j’ai faite dans le cadre du Festival Escales Lyriques de l’île d’Yeu m’a beaucoup marqué. Je faisais Dapertutto et le Docteur Miracle. C’était ambitieux mais c’était dans une version un peu réduite avec piano à quatre mains. Je m’abstiendrais pour le moment de l’accepter sur une scène d’opéra avec orchestre.
J’ai aussi un excellent souvenir d’une Chauve-souris que l’on a faite au CNSMD. On a eu une vraie expérience de troupe pendant deux mois. On a travaillé avec un très bon metteur en scène, Benoit Bénichou, qui avait une approche théâtrale intéressante. Je faisais Eisenstein, rôle assez conséquent qui m’a demandé de pousser mes limites vocales. C’est une des premières fois où sur scène je me suis senti épanoui au point de me dire « c’est ce que je veux faire toute ma vie ».

 

Pour vous le côté scénique est aussi important que le côté musical ?
Oui. C’est une tendance pour les metteurs en scène depuis pas mal d’années de revenir à une lecture crédible théâtralement. On a de moins en moins de metteurs en scène qui demandent d’être debout en devant de scène pour interpréter son air. Il y a vraiment une recherche de la vérité dramatique qui fait des chanteurs de vrais comédiens à part entière. C’est difficile, exigeant mais c’est ce qui permet au rôle de prendre tout son sens. Ce serait dommage de laisser uniquement les contraintes vocales prendre le dessus. Les deux aspects doivent coexister.

Vous faites aussi beaucoup de récitals et de musique religieuse…
C’est une voie que je veux absolument garder. Je prends énormément de plaisir à chanter de la mélodie et du lied. Je travaille depuis quatre ans avec Ursula Alvarez, une pianiste rencontrée au conservatoire avec qui j’ai fait beaucoup de concerts. J’y trouve mon compte et çà me sert dans mon travail à l’opéra parce que dans le récital on doit aller chercher des émotions très profondes. Musicalement çà me nourrit aussi. Il y a une communication directe avec le public. Si l’on me demandait de choisir j’aurais du mal à faire le choix.

Vous avez été élu révélation artiste lyrique 2013 par l’ADAMI et nommé aux Victoires de la Musique 2014 dans la catégorie révélation artiste lyrique. Ces reconnaissances ont-elles eu un impact sur votre carrière ?
Ma nomination à l’ADAMI m’a beaucoup aidé parce que pour les professionnels du spectacle c’est depuis plusieurs années un garant de qualité aussi bien pour les instrumentistes que pour les chanteurs. J’ai eu à la suite plusieurs propositions. L’ADAMI, comme les victoires, apporte une certaine crédibilité. On se dit que si un artiste a bénéficié de cette reconnaissance c’est que des personnes ont cautionné un certain niveau de qualité. Le système professionnel marche comme çà.
Pour les victoires j’étais un peu l’outsider. Ma nomination ne m’a pas apporté autant de propositions que je pouvais en attendre. En fait j’en ai refusé quelques unes parce qu’elles n’étaient pas en adéquation avec mes moyens actuels. Si l’on veut faire une carrière un peu longue il faut la mener prudemment en acceptant des rôles qui sont à notre portée. Je veux privilégier des productions qui m’apporteront artistiquement et professionnellement.
La voix de baryton a une maturité plus tardive que celle d’autres tessitures. J’ai énormément travaillé depuis un an et demi et même s’il ne faut pas que je traîne je veux pouvoir prendre un peu de temps pour travailler des rôles que je n’ai pas eu encore le temps de travailler, pour consolider ce que j’ai appris et ne pas me retrouver dans quelques années avec des failles dans ma technique.

La médiatisation, l’image, Internet, prennent une importance grandissante dans la construction d’une carrière. Comment y faites vous face ?
Internet, YouTube sont des moteurs d’une carrière. Il y a un an et demi j’ai crée mon propre site sur Internet. Je l’ai réalisé tout seul, j’y ai passé du temps mais j’ai rapidement senti la différence. Auparavant peu de monde me connaissait. Un site permet une diffusion très facile. Quand je suis contacté et que l’on me demande d’envoyer des éléments sur moi, je peux diriger mon interlocuteur vers mon site. Un site Internet fournit un condensé d’informations sur un artiste qui peut donner envie de l’engager. Mais il faut que ce soit actualisé, que l’agenda soit à jour et cela demande beaucoup de travail sinon ceux qui le consultent peuvent se demander si l’artiste chante encore. Pour les Victoires la bataille s’est beaucoup faite sur Internet.

Quand on vous entend on est frappé par deux choses, votre diction et la clarté de votre émission…
Je dois beaucoup à l’enseignement de Françoise Pollet et de Hélène Lucas au Conservatoire qui m’ont transmis l’importance du texte et le travail que nous avons fait sur le lied et la mélodie où le texte est primordial m’a amené à soigner la diction.
J’ai une émission très claire et souvent on a pu dire que j’étais un ténor qui s’ignorait parce que j’ai cette voix claire et des aigus faciles. Je suis dans la case des barytons aigus, dits barytons Martin pour lequel il existe un répertoire qui me plait. J’essaie maintenant d’avoir une émission homogène, plus connectée avec le grave. J’ai 26 ans et je ne vais pas chanter comme un baryton de 40 ans mais il faut que j’arrive à trouver une palette qui me permette de chanter avec cette clarté mais aussi de développer un côté plus « charnu ».

Vous chantez des mélodies en langue française et en langue allemande. On dit que le Français est plus difficile à chanter. Est-ce votre avis ?
Je n’ai jamais eu l’impression que le Français était plus difficile. Il a ses contraintes, ses règles qui sont complètement différentes de celle de l’Allemand. Beaucoup d’opéras français où le texte est compliqué à prononcer même quand on est Français le sont par le fait que le texte en soi est compliqué. Ce n’est pas le fait de le chanter. C’est difficile de chanter une mélodie de Debussy ou de Fauré, mais pas plus que de chanter du Schumann ou du Mahler.

Comment souhaiteriez vous que votre carrière se développe ?
J’aime bien faire de la musique au sens le plus large du terme. Je voudrais garder cette palette des différents styles de musique que je fais actuellement. Hier j’ai pris énormément de plaisir à chanter du Boismortier avec Hervé Niquet, la semaine prochaine je serai dans une production de Carmen. Je voudrais continuer à faire du baroque, du répertoire du XXeme siècle et pouvoir à côté faire des récitals et de la musique contemporaine ou religieuse. Je voudrais trouver un équilibre entre production d’opéras et tous ces autres domaines.

Vous êtes tout jeune amené à chanter dans des lieux distants, dans des répertoires différents. Ce n’est pas trop difficile de gérer cette polyvalence ?
Je pense qu’aujourd’hui c’est une force que d’être polyvalent parce que le milieu du chant devient très compétitif et l’on a de moins en moins de travail pour autant de chanteurs voire plus. Il faut faire ce métier convenablement, sans s’éparpiller, mais être polyvalent est une bonne chose.

Passer de Boismortier à Escamillo…
J’ai une voix assez souple qui me permet de chanter différents répertoires de façon assez naturelle. On se nourrit aussi de toutes ses expériences. Boismortier va m’aider à aborder d’autres styles qui lui ont succédé. Je ne vois pas ces répertoires comme des cases différentes. Elles ont un lien et il faut les faire exister ensemble.

Quels sont les rôles que vous rêvez de chanter ?
Les rôles de baryton de Mozart, Don Giovanni, Le Comte, Guglielmo, Papageno…Ils sont exceptionnels aussi bien au plan dramatique que musical. Dans le répertoire français j’ai la voix un peu « taillée » pour Pelléas. C’est un rôle que j’ai commencé à étudier il y a quelques années et je veux prendre le temps de le travailler. Hamlet aussi. En ce moment je fais beaucoup d’opéras baroques, pour un jeune chanteur ce sont des rôles qui sont accessibles. Je n’ai pas encore la capacité lyrique de chanter des rôles romantiques français. Je vais chanter Escamillo en version réduite mais pour le moment je ne l’accepterais pas en intégralité avec un grand orchestre.
Mais puisque vous me demandiez de rêver, Gurnemanz. On verra dans trente ans où j’en serai…(rires)

Y a-t-il des artistes qui sont pour vous des modèles ou que vous admirez particulièrement ?
Comme modèle de carrière, Stéphane Degout. Nous avons la même tessiture, un début de parcours identique. J’espère pouvoir garder l’équilibre entre opéra et récital qu’il a réussi à préserver. Quand il a chanté ses premiers Pelléas, tout le monde a dit qu’il était dans la continuité de ce qu’il avait fait en récital jusque là. J’apprécie aussi beaucoup ce que Dietrich Fischer-Dieskau a fait pendant les trois premiers quarts de sa carrière. Il y a aussi Christian Gerhaher qui fait une carrière magnifique, Thomas Hampson, « bête de scène » avec une voix incomparable. Dans d’autres tessitures j’aime beaucoup ce qu’a fait Françoise Pollet. J’écoute beaucoup d’opéras mais je suis assez éclectique dans mes choix.

Etes vous amené à refuser certaines propositions ?
J’ai dû refuser certaines propositions après les Victoires. A partir du moment où je suis étiqueté baryton, on m’a proposé des rôles de diables que j’ai refusés. Ce n’est pas facile de dire non parce que l’on est dans une course au travail pour remplir l’agenda. On fait un métier où on a l’angoisse de l’agenda vide et quand on débute c’est encore plus difficile. Mais on ne peut pas ne pas penser qu’en chantant trop vite des rôles trop difficiles il puisse y avoir des conséquences négatives. Le star system et la pression médiatique amènent à pousser les jeunes chanteurs à accepter des rôles trop durs, trop exposés, trop tôt.

Auprès de qui prenez vous conseil pour choisir vos rôles ? Avez-vous un agent ?
Je prends conseil auprès de mes professeurs au CNSMD qui continueront à me conseiller. Je suis en train de commencer à collaborer avec une agence. C’est indispensable, on ne peut pas auditionner avec des directeurs artistiques sans agent. J’ai fait l’Académie européenne d’Aix, le Studio de Lyon ; Il y a un moment où il faut passer dans la cour des grands.
Les Victoires de la Musique m’ont amené sur la scène médiatique très rapidement. Mais je veux utiliser cette nomination pour me conférer plus de crédibilité lors des auditions. Je ne vais pas avoir le même parcours que d’autres gens passés par les Victoires les années précédentes. J’aurais pu accepter toutes les propositions que l’on m’a faites après cette nomination mais je pense que çà m’aurait plutôt desservi.

De quels engagements peut on parler ? Après avoir chanté l’an dernier à Aix dans le cadre de l’Académie, vous y retournez cet été mais cette fois dans la « cour des grands »….
Lors d’une audition j’ai rencontré Marc Minkowski qui m’a appelé quelques jours après pour remplacer Stéphane Degout dans les rôles d’Adamas et d’Apollon des Boréades qui seront données en concert.
J’aime beaucoup Rameau, le Théâtre de Provence est un bel endroit. J’ai déjà chanté à Aix l’an dernier pour la première fois, c’est un grand souvenir.
Ce concert sera redonné à Versailles, Cracovie et Grenoble. En mai 2015 je serai le Dancaïre à Lyon dans la reprise de Carmen mise en scène par Olivier Py. L’ensemble du quatuor des contrebandiers est confié à des artistes du Studio de l’Opéra.
Je chanterai aussi à l’Auditorium National de Lyon avec Ton Koopman pour la Messe en Ut de Mozart.

Avez-vous quelques loisirs préférés ?
J’aime bien manger et j’aime bien habiter à Lyon. J’aime cuisiner. Pendant les périodes plus calmes j’aime beaucoup lire. Et quand je peux prendre des vacances, je pars faire de la plongée.

Le saxophone… ?
Je ne l’ai pas sorti de sa boîte depuis un certain temps. A chaque fois qu’il fait des brèves sorties, je suis tellement déprimé que je le remise rapidement…(rires)

 

 

Le site de Mathieu Gardon : Mathieu Gardon
Photo : site Mathieu Gardon

 

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