Entretien avec Pavol Breslik

 

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Vous êtes slovaque. Y a-t-il une tradition, une école du chant, en Slovaquie ?
Je suis, en fait, né en ex-Tchécoslovaquie, d'où viennent beaucoup de grands chanteurs : Edita Gruberova, Lucia Popp, Peter Dvorsky… C'est un peuple qui a toujours chanté.

Y a-t-il une différence entre l'art du chant tchèque et l'art slovaque?
Oui, il y a une grande différence : l'école tchèque est proche de l'école allemande alors que l'école slovaque est plus proche de l'école russe, voire de l'école italienne. La langue slovaque est plus douce que le russe, donc plus proche de l'italien.

Vous avez gagné le Prix Dvorak, en République Tchèque, bien après la division de la Tchécoslovaquie. Cela a-t-il été utile pour vos débuts ?
A l'époque, j'étais en dernière année du Conservatoire. Ça a été un grand succès de recevoir ce prix. Ça m'a permis de lier des contacts en République Tchèque et j'ai plus souvent chanté là-bas qu'en Slovaquie, où je chante pour la première fois de ma vie la prochaine saison, à l'Opéra de Bratislava ! J'ai déjà chanté à l'opéra de Prague, suite à ce concours.

Alliez-vous déjà à l'opéra pendant votre enfance ?
Non ! à l'école primaire, j'ai étudié l'accordéon car ma mère le voulait, mais moi, je ne le voulais pas ! La principale raison pour laquelle je suis allé au Conservatoire, c'est parce qu'on n'y étudie ni les mathématiques, ni la physique, ni la chimie ! Etudier le chant, je me suis dit que ce serait plus simple. Ils m'ont pris et, en troisième année, j'ai compris que chanter n'était pas seulement "chanter" mais comprenait bien d'autres choses à faire sur scène, même pour interpréter un Lied. Je me suis aussi rendu compte qu'il fallait faire ce pour quoi on est sur terre.

Vous ne connaissiez pas les grands chanteurs, les grandes œuvres du répertoire ?
Non, je n'avais pas la moindre idée de tout cela. Mon premier disque, un grand 33 tours, je l'ai emprunté à la bibliothèque où je voulais prendre un disque de Prince ou de Madonna, mais il ne les avaient pas. J'ai pris un disque de la soprano Gabriela Benackova. Ça m'a enthousiasmé, c'était vraiment formidable. Je me suis dit que c'était ça que je voulais faire.

Puis, vous avez très vite commencé à chanter professionnellement. Au CNIPAL de Marseille et en Allemagne, surtout.
Oui, j'ai fait auparavant un bref séjour à la Hochschule de Bratislava, pas plus de trois mois car on y étudiait la théorie musicale, l'histoire de la musique, quatre fois plus que le chant. Je leur ai dit que je voulais chanter, que je trouvais que la meilleure école était la scène. Ensuite, je suis allé au CNIPAL, à Marseille, puis à Berlin.

Comment était-ce, à Marseille?
Ça m'a beaucoup aidé. Beaucoup, dans la mesure où on y travaille beaucoup : on apprend de nouveaux rôles et on acquiert une méthode de travail. C'est très important.

Avec quels autres chanteurs étiez-vous, à l'époque, au CNIPAL ?
Il y avait Xavier Mas, par exemple, et une basse géorgienne qui a ensuite été engagée en Allemagne.

 

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Vous avez très vite travaillé avec les plus grands chefs : Barenboïm, Jurowski, Nagano… Comment fait-on pour recevoir ces engagements ?
Je ne sais pas! (rires) Mon agent m'a appelé un samedi matin, alors que j'étais encore au CNIPAL. Il m'a demandé si j'étais bien réveillé, si je pouvais me concentrer quelques minutes. Il m'a dit que Barenboïm voulait m'entendre le lundi matin suivant : "tu dois aller à Berlin". Je n'en croyais pas mes oreilles. J'avais fait des auditions au Komische Oper et au Staatsoper et la directrice du Staatsoper m'avait remarqué. J'avais bien sûr déjà entendu le nom de Barenboïm mais je ne l'avais jamais vu, même en photo. Un petit homme est arrivé avec un cigare, je lui ai demandé ce qu'il voulait entendre, il a répondu "Tamino et Nemorino", je lui ai chanté ces rôles, ça lui a plu. La directrice m'a alors donné la possibilité de travailler avec de grands chefs, dans ce théâtre : Barenboïm, Nagano, Jurowski.
Quand j'étais encore à Marseille, j'avais chanté un petit rôle de choriste dans Elias de Mendelssohn, avec Kurt Masur et ça a été le début de notre collaboration. J'ai beaucoup travaillé avec lui, aux BBC Proms de Londres par exemple, et pour la Missa Solemnis au Théâtre des Champs-Élysées, en mai 2006.
Je ne sais pas trop comment ça vient (rires). Il faut de la chance.

 Vous avez été l'élève de Mirella Freni, Mady Mesplé, Peter Dvorsky, William Matteuzzi, Yvonne Minton. Qu'avez-vous appris de ces chanteurs ?
Mon Dieu, c'est difficile à dire ! Je pense que les chanteurs fonctionnent comme des éponges [en français dans le texte]. Je ne saurais pas trop dire comment ça marche. Tout passe par le corps, dont la voix fait partie. Il est essentiel de savoir comment son corps fonctionne et alors on sait instinctivement ce qu'on doit faire. On doit toujours apprendre à mieux connaître son corps. Il faut savoir ce qu'on peut faire travailler à son corps. Chacun d'eux m'a appris quelque chose. Je n'ai passé que trois semaines avec Freni mais j'étais très enthousiasmé par ses cours car, pour moi, elle est l'Alpha et l'Oméga de la technique du chant. Depuis les rôles mozartiens jusqu'à Manon Lescaut. Pour sa technique, pour son expressivité.

Admirez-vous certains grands ténors ?
Des ténors ? Naturellement, Pavarotti, Domingo, Carreras : les trois ténors. Mais en fait, j'aime des chanteurs pour des choses précises. Par exemple si je veux écouter Simon Boccanegra, ce sera avec Carreras en Gabriele Adorno, car ce qu'il y fait est incroyable. Si c'est Nemorino ou la Fille du Régiment, je choisis Pavarotti. Pour chaque opéra, j'ai un chanteur préféré.

Vous avez une voix de ténor lyrique léger. Quels sont les nouveaux rôles que vous souhaitez aborder ? Je crois qu'il y a un Idamante de prévu : c'est rare, aujourd'hui, de le distribuer pour un ténor.
L'étendue vocale d'un ténor est à peu près la même que celle d'un mezzo-soprano. C'est comparable. En ce qui concerne Mozart, j'aimerais chanter Idomeneo mais je suis trop jeune. Pour Idomeneo et Titus, il faut être plus âgé, plus expérimenté que je ne le suis.
Pour les autres rôles, sont prévus Lenski dans Eugène Onéguine, Gennaro dans Lucrezia Borgia, par exemple. J'essaie de faire plus de rôles italiens car c'est une musique que je porte dans mon cœur. Je ne veux pas en rester à Mozart, je pense à Ernesto dans Don Pasquale, des choses comme ça.

Vous avez tout de même une voix très puissante : pensez-vous aborder un répertoire plus lourds, dans quelques années ? Verdi?
Oui, j'adorerais chanter Alfredo, tous ces rôles italiens, c'est mon rêve! J'attends que la voix se développe. Il y a beaucoup de collègues qui ne savent pas attendre et abordent ces rôles trop tôt. Si je commence déjà à faire des rôles plus dramatiques, je ne pourrai plus retourner ensuite aux rôles lyriques, ma voix sera fatiguée.

N'avez-vous pas l'impression que les jeunes chanteurs d'aujourd'hui sont plus prudents que ceux d'autrefois ?
Vous trouvez ? Non, je ne pense pas. Les chanteurs ont toujours eu tendance à aborder des rôles dangereux et à se casser la voix dessus. Je pense que ça a toujours existé. Bien sûr, on ne chante pas la même chose sur scène et dans son salon. A l'Opéra, je chante surtout du Mozart, mais chez moi, je chante le rôle complet de Don Carlo ou celui d'Otello! (Rires).

 

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Après un Couronnement de Poppée à Garnier, Jaček Laszskowski et Barry Banks sont revenus dans leur loges en chantant le Trouvère, pour se défouler...
Oui, c'est une façon de se relaxer. C'est mon rêve de chanter ces rôles, mais j'ai encore le temps!

Oh oui! Vous avez beaucoup d'engagements en France, vous chantiez en juillet 2006 Tamino à Aix-en-Provence.
Il est très difficile de chanter Tamino car il en existe des interprétations exceptionnelles au disque, comme celle de Wunderlich, qui pour moi a toujours été le meilleur Tamino. Le rôle est écrit très différemment des autres rôles mozartiens comme Ottavio ou Ferrando. Je ne sais pas si c'est le personnage le plus important de la Flûte Enchantée. Je pense que Papageno est le personnage le plus important car il a une relation très proche avec le public, humainement. Tamino est moins riche mais le personnage se développe de façon très intéressante : il passe du statut jeune Prince à celui d'Homme. Techniquement, c'est difficile car on commence avec un passage dramatique "Zu Hilfe, zu Hilfe!", puis il y a un air très lyrique : "Dies Bildnis ist bezaubernd schön". Ce que j'aime énormément et que je chante toujours avec un très grand plaisir, c'est la scène avec le Sprecher. La discussion entre ce vieux sage et le jeune homme impulsif est écrite d'une façon tellement incroyable, que ce soit le livret ou la musique. Puis, il y a l'air de la flûte : de nouveau un passage lyrique. J'aime que les chanteurs assument les passages dramatiques. C'est un opéra dramatique. Un jeune homme y tombe amoureux pour la première fois… Il faut chanter Tamino avec les couilles ! [en français dans le texte]

Et le contexte de la création est celui d'un accent porté sur la théâtralité, loin de figer la pièce dans le hiératisme qu'on lui impose souvent aujourd'hui.
Je m'intéresse avant tout à la musique, je n'essaie pas forcément, pour chaque personnage, de faire passer des messages : la musique le fait toute seule.

A Paris, vous allez chanter la Passion selon Saint-Jean de Bach mise en scène par Bob Wilson, ce que Pier Luigi Pizzi avait déjà fait à Venise. Avez-vous déjà participé à la mise en scène d'un oratorio ?
Non, je suis très enthousiasmé. C'est une nouvelle production. Ce rôle est très long et très difficile. Raconter l'histoire, simplement en récitatif, en Sprechgesang, c'est intéressant, surtout avec Emmanuelle Haïm avec qui j'ai toujours été heureux de travailler, de découvrir de nouvelles choses. Je suis aussi content de travailler avec Bob Wilson, dont j'ai vu quelques mises en scène.

Chantez-vous souvent en récital ?
C'est difficile, pour un jeune chanteur, de faire des Liederabend. Quand j'étais en Tchécoslovaquie, j'en a fait beaucoup, puis j'ai quitté mon pays et, après trois ans, j'ai fait un Liederabend au Staatsoper de Berlin puis à la Monnaie de Bruxelles ainsi qu'un récital Duparc avec Malcom Martineau à Londres. J'adore ça !

Les mélodies françaises ?
Oui, ainsi que le Lied allemand et les mélodies slaves : Rachmaninov, Tchaïkovski, Dvorak. Brahms, Liszt : les Sonnets de Pétrarque sont superbes. Mais j'adore vraiment Duparc.

Merci !

 

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