Dossier Ludovic Tézier

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Photographie (c) DR

 

Après avoir chanté dans Le Nozze di Figaro au Staatsoper la saison dernière, Ludovic Tézier est revenu à Vienne en ce mois de décembre. Il a accepté de nous répondre avec humour et franchise.

 

Vous chantez actuellement à Vienne le comte des Nozze di Figaro. Vous avez chanté ce rôle dans plusieurs productions. Avez-vous aimé particulièrement une de ces productions ? qu'en est-il de la production du Staatsoper ?
J'ai eu la chance de faire mes débuts pour ce rôle sous la direction de Jean-Pierre Vincent, et ce fut un privilège de bénéficier de l'aide d'un metteur en scène si scrupuleux et respectueux du texte. Pour ce qui est de celle que je chante à Vienne, je l'avais déjà chantée la saison passée, mais il est vrai que la reprendre en ce moment sous la direction de Muti, c'est magnifique.

Sophie Koch nous confiait que vous avez chanté ce rôle plusieurs soirs d'affilée sans discontinuer. Ce n'est pas banal.
Oui c'était un peu comme un défi à relever, une manière de tester ses capacités et cela s'est bien passé.

Après le comte vous partez à la Scala pour Eugène Onéguine j'imagine qu'il y a une difficulté ajoutée quand on reprend un rôle du répertoire russe.
Je ne l'ai chanté qu'une fois et quand on reprend le rôle, il est vrai que le terrain est plus friable. On a les morceaux du puzzle en tête, mais il faut le reformer.

Onéguine est un personnage complexe : souhaitez-vous l'approfondir dans l'avenir ?
Oui, il est vrai qu'il n'est « pas clair ». c'est un noeud de contradictions, sur lequel on peut être tenté de projeter telle ou telle interprétation. Mais quand on l'aborde, on propose une vision, qui part d'abord de ce que l'on est, soi, et qui pourra bien sûr évoluer au contact d'un nouveau metteur en scène. Il peut être antipathique, comme d'autres rôles de baryton d'ailleurs. Mais même les rôles de « brutes », doivent être défendus. Ces personnages méchants ont aussi un moteur qui les pousse à agir, il ne faut pas tomber dans la caricature, et jouer le méchant juste pour « faire le méchant ».

Dans le répertoire français, vous avez chanté parfois des raretés, ou des oeuvres rarement données (Lucie, Hamlet...). Etait-ce anecdotique dans votre carrière, au sens de « je ne les chanterai qu'une fois », ou sont-ce des oeuvres que vous aimeriez reprendre ?
d'abord Hamlet est une grande oeuvre. Certains font la fine bouche, mais pendant des décennies, ces oeuvres étaient au répertoire ! Et des oeuvres sans aucune faiblesse, les chefs-d'oeuvre absolus ne sont pas si nombreux ! Hamlet comporte des scènes superbes ; par exemple l'apparition du spectre, ou le duo avec la mère.
s'il faut chercher un point faible, c'est dans la fin tronquée qui s'éloigne de Shakespeare. c'est dommage car un duel entre Laërte et Hamlet aurait pu être très fort sur le plan musical. Et puis des compositeurs qui aient adapté cette pièce superbe en opéra, il n'y en a pas des dizaines ! Le Henry de Lucie est intéressant également ; le rôle est plus étoffé que celui de Lucia et la langue française donne un éclairage différent.

Votre annulation concernant votre projet de chanter le rôle de Mandryka dans l'Arabella de Toulouse en 2006 a suscité un certain nombre de commentaires.
Oui, je n'ai pas pris la décision à la légère, surtout vis-à-vis du Capitole de Toulouse qui est une maison que j'aime, qui m'a tant offert, vis à vis aussi de Nicolas Joel qui est un très grand directeur. j'ai voulu annuler suffisamment tôt pour que le Capitole ait le temps de trouver un Mandryka. La raison est simple : cette prise de rôle aurait été prématurée dans mon évolution vocale. Ce rôle, à ce stade de ma carrière sollicite trop aigu, grave et largeur de la voix. La sagesse était de tirer la conclusion rapidement.

A propos de début, vous avez récemment chanté Posa dans Don Carlo et vous chanterez bientôt la version française, Don Carlos. Avez-vous une petite préférence ?
J'ai une tendresse pour la version italienne, qui remonte à ma jeunesse, au fait que j'ai été bercé par les interprétations légendaires en italien. Mais la version française a ses points forts, et c'est tout de même en français qu'elle a été conçue à l'origine.

Votre carrière tourne autour de quatre répertoires : français, italien, allemand, russe. Souhaitez-vous continuer de front ces quatre répertoires ?
J'ai eu la chance que le Capitole me propose des rôles de répertoires différents et je souhaite continuer ainsi. En n'oubliant pas le lied, qui est un répertoire à part entière.

On a lu parfois des critiques qui évoquait un Ludovic Tézier très concentré sur scène ; on a parlé d'une certaine froideur ou de « raideur » scénique. qu'en dites-vous ?
Prenons l'exemple de Rodrigue, marquis de Posa, grand d'Espagne. On peut imaginer le rôle de l'infant extraverti, mais un grand d'Espagne doit être réservé ! Ce n'est pas La Folie des grandeurs ! Et au moment de la mort de Posa, j'ai beaucoup étudié comment jouer cette mort. Mon Posa se tordait de douleur, vraiment, et certains spectateurs m'ont dit qu'ils avaient été impressionnés par cette fin, mais cela ne m'a pas empêché pour autant de soigner la ligne de chant !
La grande partie de mes rôles ne sont pas des personnages décontractés. Le comte des Nozze a un statut social, Don Juan, le prince Yeletzky aussi ! Onéguine est calculateur... Une fois quelqu'un m'a dit que mon Don Juan risquait d'être antipathique et donc de ne pas plaire au public. Cela ne me paraît pas un bon argument.
Escamillo est un autre exemple : certaines personnes du public aimeraient voir un torero d'opérette clinquant, tout dans l'effet facile. Mais un torero, ce n'est pas ça. D'ailleurs le texte qu'il chante et le rythme de la musique n'est pas si joyeux.
Et puis, je reconnais que j'interprète avec le caractère que j'ai en moi. Ceci dit, je suis capable d'être plus expansif si le rôle le demande. Je vais chanter Belcore à Covent Garden, et je vous assure qu'il n'aura pas cette « raideur » dans le jeu ! D'ailleurs ce n'est pas facile de garder une certaine froideur. Être décontracté ou les mains dans les poches me paraît plus facile.

Je me suis laissé dire que vous aimiez le théâtre. Y allez-vous souvent ? Aimez-vous certains comédiens ou types de spectacles ?
Malheureusement pas autant que je le voudrais. Mais j'ai des souvenirs de Didier Sandre, par exemple, « monstrueux » de talent. Cela donne des complexes ! j'envie au théâtre cette liberté rythmique, alors que nous chanteurs suivons le rythme de la musique ; mais suivre la musique est sublime aussi.
Quand je peux, j'aime entendre des textes bien dits, au Théâtre Français par exemple. Mais pas les mises en scène où l'on hurle du début à la fin !

Vous vouez une admiration à certains barytons qui vous ont précédé : Massard, Dens...
Mais quel « diseur » Robert Massard, justement ! Quelle maîtrise chez Dens ! On n'entend pas l'effort. Et Van Dam ! Voilà quelqu'un qui dit le texte. Je l'ai entendu dans le Winterreise à New-York et cela rend modeste. Il « vit » le legato. C'est un artisan qui transmet la paix intérieure qui l'habite. Voilà un artiste qui remplit l'âme. C'est un seigneur.

Vous avez rencontré R. Massard justement...
Oui, je pense que ces barytons nous ont montré le chemin et qu'ils sont contents de voir qu'il y a une succession. La musique était leur passion, et voir que l'héritage est bien passé à la génération suivante, cela fait plaisir.

Vous semblez ne pas ressentir le trac que certains chanteurs éprouvent plus que d'autres.
Je l'ai éprouvé et j'ai fini par me raisonner. Evidemment un impondérable, comme une bronchite, peut survenir et créer une tension, une appréhension. Mais je me dis que le public qui fait l'effort de se déplacer, de payer sa place, n'est pas là pour casser du sucre sur le dos du chanteur. Les gens viennent en amis. Et quand on y songe, c'est un privilège de donner au public, à un public qui écoute en silence, respectueusement. C'est du bonheur à partager. Et puis l'occasion de faire de belles rencontres...

 

 

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