Cherubini - Médée - Hengelbrock/Stone - Salzbourg - 08/2019

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Cherubini - Médée - Hengelbrock/Stone - Salzbourg - 08/2019

Message par Tico » 22 août 2019, 17:45

Mėdėe

Opéra-comique en trois actes composé par Luigi Cherubini 
Livret de François-Benoît Hoffman

Direction Musicale : Thomas Hengelbrock
Mise en scène : Simon Stone
Décors : Bob Cousins
Costumes : Mel Page
Lumières : Nick Schlieper
Conception sonore : Stefan Gregory
Dramaturgie : Christian Arseni

Médée : Elena Stikhina
Jason : Pavel Černoch
Créon : Vitalij Kowaljow
Dircé : Rosa Feola
Néris : Alisa Kolosova
Première Femme de Dircé : Tamara Bounazou
Deuxième Femme de Dircé : Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Voix répondeur de Médée : Amira Casar

Concert Association of the Vienna State Opera Chorus
Ernst Raffelsberger Chorus Master
Vienna Philharmonic

Coproduit avec le Teatr Wielki — Opera Narodowa / Polish National Opera, Warsaw

Compte-rendu de la représentation du 16 août 2019 (vue en salle)

Après le Staatsoper de Berlin il y a moins d’un an, le Festival de Salzbourg proposait une nouvelle production de la rare Médée de Luigi Cherubini, dans sa version française ici coupée des récitatifs parlés que Barenboim et Andrea Berth avaient choisi de conserver à Berlin. Bien qu’il ait occupé le poste de Direction du Conservatoire de Paris de 1822 jusqu’à sa mort en 1842, on ne retient aujourd’hui de Luigi Cherubini que des œuvres de musique de chambre pour cordes, un requiem et quelques opéras : Lodoïska, Les Abencérages, Les Deux Journées et Médée étant les seuls présents à ma connaissance dans la discographie.
On n’apprendra probablement à personne ici que c’est Maria Callas qui a redoré le blason d’un Cherubini totalement tombé dans les oubliettes depuis la fin du XIXème, en interprétant le rôle de Médée au Mai Musical Florentin en 1953 dans la version italienne de l’opéra – traduite d’une version germanique avec récitatifs chantés adaptée par Lachner - puis en tournant dans le célèbre film de Pasolini en 1969. La version italienne fut quasiment la seule représentée pendant une cinquantaine d’années, malgré des tentatives de résurrection de la version française en Angleterre dans les années 80 (Festival de Buxton en 1984, ROH en 1989).
Créé pour le Théâtre Feydeau en 1797 sur un livret de François Benoit Hoffman, l’opéra commence à la veille du mariage de Jason et de Dircé, fille de Créon roi de Corinthe, et se concentre avant tout sur l’évolution psychologique du personnage de Médée, qui abandonnée par Jason, ira jusqu’à commettre le meurtre de Dircé puis sacrifier ses propres fils.

Simon Stone opte pour la transposition du drame de Médée à l’époque contemporaine, dans la haute société salzbourgeoise. Grâce à une vidéo en noir et blanc aux plans magnifiquement tournés, projetée sur un écran qui occupe toute la largeur de la scène du Grosses Festspielhaus, nous apprenons pendant l’ouverture que Médée a divorcé après avoir découvert au domicile conjugal Jason et son amante, alors que Médée revenait chercher le violon malencontreusement oublié par l’un de ses enfants un jour de concert. Histoire on ne peut plus banale : nous comprenons que Simon Stone ne cherchera pas à montrer le mythe de Médée dans ce qu’il a d’intensément tragique, mais à la représenter sous un fait divers emprunt d’actualité.
A l’opposé de la Médée d’Andrea Berth à Berlin, sorcière possédée et maléfique depuis sa première apparition, la Médée de Simon Stone que nous découvrons pendant les premières mesures est une femme lumineuse et heureuse que nous verrons progressivement évoluer, dans un scenario cinématographique ultra réaliste, vers la rage et la démence qui sont le fruit du mépris dont elle est victime. Les premiers mots que nous entendons de Médée au premier acte, sont ceux laissés sur le répondeur de Jason. Pour ce message écrit par Simon Stone comme pour les deux qui suivront au cours de l’opéra, Amira Casar prête sa voix et son bel accent à Médée avec une déclamation d’une infinie simplicité, absolument touchante. Nous découvrons ensuite Médée assise dans un cybercafé de Tbilissi (dans la moderne Colchide), à en juger le poster collé sur le mur au-dessus des ordinateurs, dans un tableau qui traduit toute la distance entre l’étrangère et la société salzbourgeoise, en nous montrant simultanément Médée dans son cybercafé géorgien d’un côté, le décor d’un club X salzbourgeois tenu par Créon puis la chambre de Jason de l’autre. Le duo entre Médée et Jason de la fin du premier acte devient une altercation téléphonique : Médée acharnée dans sa cabine téléphonique, Jason en boxer et robe de chambre à l’autre bout du combiné pendant qu’une prostituée prend sa douche. « Ô fatale toison ! ô conquête funeste ! » seront prononcés par Jason et Médée à la fin de l’acte tandis que leurs deux blondinets aux cheveux longs, se livrent à une bataille de polochons sur le lit d’hôtel.

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Elena Stikhina (Médée), Pavel Černoch (Jason), Alisa Kolosova (Néris)

Au deuxième acte, la tension est encore renforcée par la scène du retour d’exile de Médée, qui superpose le décor du hall d’aéroport où arrive Médée devant les caméras des journalistes, et celui du salon de Jason où Néris fidèle servante et confidente de Médée attend le retour de sa maîtresse en la regardant au journal télévisé. En plus de la saturation de l’espace via la juxtaposition systématique de plusieurs décors d’espaces clos, Simon Stone joue habilement sur l’alternance de décors fermés et d’espaces largement ouverts sur l’arrière-scène : le duo de Jason et Médée du deuxième acte qui suit un nouveau message vocal éploré de Médée, se déroule autour d’un abri de bus. La scène finale se passe enfin dans une station-service, dans une ambiance de polar renforcée par l’obscurité du fond de scène et la froideur de l’éclairage. Malheureusement de part sa longueur et le peu de mouvements qui l’animent en-dehors des gesticulations de Médée, cette scène est la moins réussie du spectacle, avec un final qui tombe à plat : la voiture aspergée d’essence dans laquelle Médée s’enferme le briquet à la main avec ses enfants n’explose pas. Tout juste verra-t-on une fumée rougeoyante s’échapper de l’habitacle.
Il faut reconnaître néanmoins que la transposition fonctionne parfaitement, aidée par une direction d’acteurs calée au millimètre et les décors dignes d'un plateau de tournage de Bob Cousins. Bien qu’on soit loin de la Grèce antique, cette mise en scène de Simon Stone démontre l'éternelle actualité des mythes, et il est difficile de ne pas croire à cette histoire de femme victime, qui finit par perdre la tête et commet le double infanticide.

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Elena Stikhina (Médée)

Depuis son apparition en scène assise devant un écran du cybercafé en train de regarder des photos de ses fils, jusqu’à sa disparition dans la voiture qu’elle embrase, Elena Stikhina est une Médée profondément humaine, dont l’expression du visage et les gestes expriment tantôt la détresse, tantôt la colère, et enfin la rage suicidaire. Impossible de ne pas être touché lorsque dans l’abri de bus elle serre dans ses bras ses deux fils après avoir prononcé ces mots : « Chers enfants, il faut donc que je vous abandonne ! » Au contraire de Sonya Yoncheva à Berlin et qui devait initialement chanter le rôle à Salzbourg, la Médée de Stikhina n’est pas le torrent vocal qu’on pourrait attendre, mais son abattage et sa présence n’en sont pas moins exceptionnels, avec l’intonation juste et une technique solide. Malgré une diction qui laisse à désirer – un défaut partagé avec la quasi-intégralité de la distribution à l’exception de la Néris de Alisa Kolosova – un souffle plus court que Yoncheva et une fatigue qui apparait au cours de son immense scène finale – Stikhina obtient une belle ovation méritée. Les autres rôles sont très en retrait de la performance de Stikhina, à commencer par le Jason terne et en difficulté dans les aigus de Pavel Černoch, peu aidé dans son grand air du premier acte par un tempo trop lent. Le ténor tchèque est toutefois crédible scéniquement, en flambeur Don Juan. Le Créon de Vitalij Kowaljow est un beau père plein aux as, propriétaire d’hôtels et de clubs. Son air magnifique du premier acte est chanté avec les phrasés et le souffle requis, néanmoins la projection n’est pas suffisante pour affronter l’orchestre et on ne tremble pas en écoutant ses menaces prononcées à Médée par téléphone : « c’est à vous de trembler, femme impie et barbare ». Rosa Feola est une Dircé très solide techniquement. Immobile à l’avant-scène, dans un imper rouge qui contraste devant une projection vidéo en noir et blanc, elle chante son air d’entrée avec une grande facilité et justesse dans les coloratures. L’interprétation est propre, comme le personnage est sage, mais on aurait aimé plus de passion et de prise de risque de la part de la soprane. Elsa Dreisig à Berlin m’a semblé sur ce point beaucoup plus convaincante. Je découvrais la mezzo russe Alisa Kolosova, à qui l’on doit dans le bref rôle de Néris un des plus beaux moments de la soirée, dans son air magnifiquement accompagné au basson. Les rôles des deux confidentes de Dircé sont bien chantés par Tamara Bounazou et Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, mais on regrette que la prononciation des deux seules françaises de la distribution ne soit pas non plus intelligible. Belle prestation enfin des chœurs du Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor.

La direction de Thomas Hengelbrock accentue les contrastes rythmiques. Il aborde la partition avec plus de nervosité que de lyrisme, comme il dirigerait sans doute un orchestre sur instruments anciens, au risque de tester les limites de l’Orchestre Philarmonique de Vienne. La direction colle si bien à la mise en scène qu’on finit convaincu. À ce titre, l’introduction orchestrale du troisième acte (une des plus belles pages de la partition à mon avis) accompagne parfaitement les très belles images vidéo de la course nocturne effrénée de Médee au volant de sa voiture, en pleine tempête, au point que le spectateur devient lui-même prisonnier de Médée dans une accélération cinématographique et un crescendo musical oppressants.

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Re: Cherubini - Médée - Hengelbrock/Stone - Salzbourg - 08/2019

Message par Tico » 28 août 2019, 11:38

Compte-rendu posté en tête de fil

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