Somme toute, les straussiens sont assez peu gâtés à Paris, malgré le nombre de scènes lyriques ; ainsi dans les dix dernières années, et sauf erreur : deux Ariadne, deux Capriccio, deux Elektra (dont un concert), deux Rosenkavalier ; dernière Salomé en 2009 et Frau en 2008 à Bastille...
Et on pleure de ne jamais entendre des œuvres plus rares mais enthousiasmantes comme Hélène d’Egypte (il faut remonter à 1993 à Pleyel !), au livret pas plus insipide que cette Arabella (on y entend tout de même le fameux coquillage omniscient -
die allwissende Muschel ), œuvre pas simple à monter, mais que l’on pourrait au moins donner en concert ; la première phrase d’entrée d’Hélène est une des plus belles qui soient! La Scala le programme apparemment en novembre 2019, avec Ricarda Merbeth, Andreas Schager et Thomas Hampson, il va encore falloir s’expatrier…
Aussi n'était-il pas question de rater cette soirée d’Arabella, dont le casting était des plus prometteurs.
L'orchestre de Munich nous a donné au mieux la musique qui coule dans ses veines (et dans ses archets, ses cuivres, ses vents...) depuis que l'inséparable duo Strauss-Hoffmanstahl l'y a instillée. Pas d’inutile clinquant, de cordes trop appuyées, de cuivres tonitruants, mais un merveilleux tapis sonore sur lequel viennent se poser de trop courtes mais sublimes phrases musicales (le
Das ist ein Fall von andrer Art, dans le duo Waldner-Mandryka). Alors qu’importe le livret (quand on a l’ivresse
), pâle resucée de celui du Chevalier à la Rose, copié parfois presque mot pour mot (le
Welko, du packst ! de Mandryka à son valet au 3ème acte, parfaite réplique du
Leopold, wir gehen ! du baron Ochs…).
Le TCE nous a offert de plus des interprètes de haute volée, comme cela a été souligné, à commencer par Michael Volle, très bon acteur de cette scénographie allégée (mais il joue aussi bien la lourdeur vulgaire du baron Ochs qu’il joue la noblesse rustique de Mandryka), excellent diseur dont on loupe peu de mots, ce qui permet de déguster certaines tournures germaniques si particulières -
ich habe mich verhört! Anja Harteros, si elle n’a pas la juvénilité des 18 printemps d’Arabella (mieux incarnée théâtralement par la frimousse plus enfantine de Karita Mattila en 2002), en a la parfaite tessiture et s’investit avec peut-être plus de sincérité que Renée Flemming, autre fameuse détentrice du rôle. Je continue néanmoins à ne pas être un fan absolu de son timbre, réserve que je relie mieux maintenant à son accent allemand un peu étrange… Très bonne Zdenka d’Hanna-Elisabeth Müller qu’on retournera écouter sans problème dans n’importe quelle autre prestation. Kurt Rydl, étonnant de vigueur, qui illustre malheureusement bien le fil du temps car on se demande à quel âge, et dans quel Wagner probablement, on l’a croisé la première fois. Matteo idoine de Daniel Behle. En revanche, je n’ai, moi, aucun avis sur le Dominik de Sean Michael Plumb (
), ses brèves interventions peinant à se faire une place au milieu de tous ces autres talents, ce qui ne facilite pas la tâche.
Voilà, à l’issue de cette inoubliable soirée, nous réalisons tristement qu’il ne nous restera plus, à Paris tout au moins, que l’Ariadne du TCE le 30 mars prochain pour tenter d’assouvir nos besoins annuels en sonorités straussiennes