Wagner - Lohengrin Young/Homoki - Vienne - 10-11/2018

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RODELINDA
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Wagner - Lohengrin Young/Homoki - Vienne - 10-11/2018

Message par RODELINDA » 11 nov. 2018, 01:42

Richard Wagner – Lohengrin – Wiener Staatsoper


Représentation du 7 novembre 2018


Direction musicale : Simone Young
Mise en scène: Andreas Homoki

Heinrich l’Oiseleur : Kwangchul Youn
Lohengrin : Andreas Schager
Elsa de Brabant : Elza van den Heever
Friedrich de Telramund : Evgeny Nikitin
Ortrud : Petra Lang
Héraut du roi : Clemens Unterreiner




Je n’avais pas l’intention d’ouvrir un fil sur cette production déjà évoquée sur odb, mais certains commentaires que j’ai pu lire (pas ici) ces derniers jours m’ont portée à réagir. J’ai assisté à la représentation du 7 novembre, qui m’a laissé une impression étrangement contradictoire, entre déception et fascination. De là à parler de désastre ou de médiocrité, il y a un pas que certains censeurs se sont empressés de franchir, passant au scalpel les insuffisances et carences des chanteurs et en particulier du rôle-titre, mais en éludant l’essentiel : aussi décevante qu’elle soit pour certains, la prise de rôle d’Andreas Schager n’a pu laisser personne indifférent. Pour ma part, je l’ai entendu pour la première fois dans cette salle en juin dernier, son premier Max dans le Freischütz – également une prise de rôle. J’avais trouvé difficile de juger objectivement sa prestation dans une mise en scène exécrable où je le sentais mal à l’aise – mais il y avait une présence, un rayonnement vocal que je n’étais pas prêt d’oublier. Ici encore, c’est bien dans l’impact de cette voix hors-norme que se dessine un personnage d’ombre et de lumière beaucoup moins monolithique qu’il n’y parait à prime abord.

Il y a d’abord cette scène du 1er Acte, o combien délicate de la première intervention de Lohengrin, qui dans l’interprétation d’Andreas Homoki, apparaît littéralement entre les jambes du bon peuple de Brabant réuni entre les tables d’une taverne, en chemise de nuit, recroquevillé par terre, aux pieds de son Elsa (toute aussi démunie que lui) . K.F Vogt (titulaire de la première série) dont le timbre unique incarnait d’emblée la fragilité lumineuse de ce héros venu d’ailleurs, en faisant un moment de poésie inoubliable, transcendé par un « Nun sei bedankt, ein lieber Schwan » d’une légèreté, d’une douceur bouleversante. Il était à craindre en revanche, que l’association du format stentorien de Schager à cette entrée en matière rien moins qu’avantageuse ne tourne rapidement au ridicule, voire au grotesque. Etrangement il n’en n’est rien – bien au contraire : car dès les premiers mots, la singularité de ce Lohengrin subjugue et fascine, portée par ce timbre franc et pur, cette projection phénoménale qui prend littéralement possession de l’espace – ce « Heil, König Heinrich! » qui traverse la salle comme un glaive brandi. Nulle délicatesse, nulle poésie dans ces adieux au cygne chantés à pleine voix – mais une autorité, un détachement qui n’exclue pas la ferveur et une ardente tendresse. Et surtout – le chanteur réussit la gageure de restituer à nos oreilles e héros superbe et lumineux, le chevalier debout sur sa nacelle, à l’armure étincelante, que la mise en scène dérobe à nos yeux: « Ein Wunder! ein unerhörtes, nie geseh’nes Wunder ». Car il y a bel et bien quelque chose d’unique, de jouissif dans le bronze inaltérable de ce Lohengrin des 2 premiers actes : l’émerveillement, puis la confiance et la ferveur mystique des chœurs (particulièrement somptueux ce soir-là, les chœurs du Wiener Staatsoper), en particulier dans la scène cruciale de l’accusation de Friedrich au II, s’en trouve ici magnifiés, car d’une évidence absolue devant tant de superbe et d’assurance : « Oui, même au Roi je devrai la refuser (…) car ils sont vu mon noble exploit ! » (Juste un détail pour revenir à la mise en scène – que l’on aime ou pas le concept d’Andreas Homoki « Lohengrin en culotte de peau »(moi c’est plutôt :cry: ) il faut reconnaître qu’elle fonctionne plutôt bien et qu’en particulier la gestion des chœurs est assez remarquable de tension dramatique, notamment dans les scène de confrontation Friedrich/Lohengrin et Ortrud/Elsa).

Et puis viennent d’autres passages, plus singuliers encore dans leur interprétation – on pourrait bien sûr en parler en termes de carences, comme je l’ai lu ici et là : manque de nuances piano, trop « terrien », trop « solide ». Mais là encore – l’impact est bien réel et jette un éclairage troublant sur le personnage. Je veux parler surtout de l’accusation d’Elsa dans la troisième scène de l’acte III (« Zum andren aber sollt ihr Klage hören »), d’une véhémence, je dirais presque d’une violence rarement entendue ici. Passage d’autant plus marquant qu’il porte en écho l’avertissement (de Lohengrin, au I : « Elsa ! hast du mich wohl vernommen ? », si sombre, si comminatoire dans la voix d’A. Schager, que l’on sent passer comme un frisson prémonitoire du drame qui se noue… Au total, le fameux récit du Graal est probablement le moment le moins spectaculaire de cette interprétation – ce qui naturellement lui a été reproché : inutile d’y chercher la lumière diaphane dont Vogt nimbe chaque note, ou encore la douloureuse mélancolie dont J.Kaufmann ourle chaque mot – là encore, on se situe ici beaucoup moins dans l’évocation poétique que dans la continuité de son discours précédent : on retrouve la même force affirmative, avec laquelle il repoussait l’accusation de Friedrich au II, mais aussi, au début du III, la ferveur éclatante avec laquelle il évoquait « la clarté et la félicité » dont il est issu. Et c’est bien la question de la culpabilité de Lohengrin qui affleure ici avec une netteté rarement ressentie, car quelle Elsa ne perdrait pas la tête à l’évocation de ce « bonheur suprême » claironné ici avec cet aplomb renversant? Tout cela, je trouve, contribue à forger un personnage de chair et de sang, bien loin de l’image d’Epinal du héros pur et lumineux.

S’agissant des reproches sur le « manque de nuances piano » ou le « chant exclusivement forte », qui sont parfaitement excessifs, je pense par ailleurs qu’il est très injuste de n’en parler qu’à propos du rôle-titre. D’abord parce que dans certains passages, notamment dans le duo du III, A. Schager montre qu’il est tout à fait capable de moduler son instrument pour déployer (enfin) de très belles nuances, des accents de de tendresse et de poésie (« Atmest du nicht mit mir die süssen Düfte… ») - on oublie parfois que Schager, « Heldentenor », donne aussi des récitals de lieder). D’autre part la direction de Simone Young a aussi sa part de responsabilité – dès le prélude, malgré la beauté des timbres que l’on ne se lasse pas d’admirer chez cet orchestre – le soyeux des cordes, les cuivres renversants…), on s’aperçoit très vite que la délicatesse des textures, la luminosité irradiante qui font la magie de l’œuvre se seront pas au rendez- vous ce soir-là (et l’on pense avec nostalgie à Yannick Nezet Seguin, en 2016). Le I s’achève dans un torrent tumultueux qui laisse le public pantois et quelque peu dubitatif….La suite n’est guère à l’avenant, on a même la fâcheuse impression que la chef relâche son contrôle au point que les chœurs – ces messieurs surtout, superbes par ailleurs – et l’orchestre, toutes voiles dehors, se livrent à un concours de décibels certes jouissif mais pas vraiment au service de l’œuvre – et encore moins des chanteurs.

Le plus désavantagé à cet égard est probablement Evgeny Nikitin, dont le timbre clair s’accommode parfois difficilement d’une telle déferlante orchestrale. Sans avoir le charisme et l’éloquence de Wolfgang Koch (2014) ou la noirceur de Tomasz Konieczny (2016), il reste pourtant un excellent Telramund, fielleux et arrogant à souhait, doté d’une diction expressive, acteur très engagé sans jamais donner dans l’excès. Une qualité que ne partage malheureusement pas toujours l’Ortrud de Petra Lang, déjà présente il y a 2 ans aux côté de Vogt, Ricarda Merberth et T. Konieczny. Si l’abattage et la noirceur du personnage sont toujours aussi fascinants (cet éclat de rire terrifiant dans le duo du II avec Telramund « Gott! »), la ligne de chant est parfois passablement malmenée et elle met tellement de cœur à l’ouvrage que son jeu menace à plusieurs reprises de verser dans l’expressionnisme caricatural (« entweihte Götter » d’une puissance dévastatrice mais plus vociféré que chanté).

Le cas d’Elza van den Heever est plus douloureux. Là encore, j’ai lu diverses critiques sur sa soi-disant médiocrité, je trouve au contraire qu’elle a tous les atouts pour chanter une très belle Elsa. Grande et sculpturale, elle campe une Elsa bien différente de la jeune femme frêle et vulnérable que l’on voie trop souvent dans le personnage – c’est la tête haute et forte de sa foi qu’elle affronte l’accusation de Friedrich. Excellente actrice, elle rend palpable et même audible la douleur d’Elsa au III, même lorsqu’elle ne chante pas, on perçoit sa respiration oppressée. Hélas, ce soir-là elle semble être quelque peu en méforme, diction floue, aigus étroits en quête de stabilité, des passages à vide étonnants malgré de très beaux moment : de sa prestation je veux surtout retenir sa réponse à la fin du II, pour moi un des sommets de la soirée : « Mein Retter, der mit Heil gebracht! (…) hoch über alles Zweifels Macht soll meine Liebe stehen ». Dans ces quelques mots, elle déploie toutes les couleurs de son soprano riche et légèrement corsé pour restituer avec un relief saisissant tous les sentiments contradictoires qui assaillent la jeune femme, la flamme rayonnante de son amour et de sa foi où dansent encore, avec une netteté troublante, les ombres du doute et du tourment.

Une mention particulière aussi pour cette humanité si émouvante que Kwangchul Youn (Heinrich der Vogler) fait passer dans tous les rôles qu’il chante, bien que sa voix accuse désormais une certaine fatigue, ainsi que pour la belle performance de notre baryton Clemens Unterreiner (Héraut), l’un des piliers de la troupe.

En fin de compte, et quelles que soient les raisons que l’on invoque pour justifier une déception relative (manque de nuances, manque d’affinité avec le personnage, temps de répétition insuffisants et/ou planning surchargé), je pense qu’on a assisté là non pas à une prise de rôle ratée mais à une première approche riche de promesses…..Si Andreas Schager a à cœur de conserver ce rôle à son répertoire et de l’approfondir (idéalement dans le cadre d’une nouvelle production), on pourrait bien tenir là un grand Lohengrin à venir.

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Re: Richard Wagner – Lohengrin – Wiener Staatsoper - 10-11/2018

Message par HELENE ADAM » 11 nov. 2018, 09:18

RODELINDA a écrit :
11 nov. 2018, 01:42
Si Andreas Schager a à cœur de conserver ce rôle à son répertoire et de l’approfondir (idéalement dans le cadre d’une nouvelle production), on pourrait bien tenir là un grand Lohengrin à venir.
Merci de ton CR, c'est toujours avec plaisir qu'on lit tes nouvelles de Vienne !
J'ai vu Simone Young récemment dirigeant l'orchestre de la Staatskapelle de Berlin au Staatsoper, dans Strauss (FROSCH) et le torrent de décibels mettait en effet à rude épreuve les chanteurs mais autant dans Strauss, cela fait sens, autant dans Lohengrin, c'est tout autre chose et une telle direction est sans doute excessive si elle ne permet pas suffisamment de respirations aux chanteurs.
Concernant Andréas Schager que j'ai entendu à présent dans pas mal de rôle dans des salles différentes (Siegmund, Parsifal, Tannhauser, Tristan) et même en retransmission (les deux Siegfried), je ne pensais pas qu'il aborderait Lohengrin, rôle plus lyrique et moins "heldentenor" mais il parait vouloir faire le tour des rôles wagnériens sans rien laisser de côté et c'est un challenge qu'il faut saluer.
On a tout dit sur sa vaillance et son souffle infini, son endurance remarquable. Personnellement (voir le fil ouvert dans "artistes"), je ne l'ai jamais considéré comme monolithique, donc incapable de nuances, cela n'a jamais été le cas dès ma découverte du ténor en direct à Baden Baden en Siegmund (j'avais déjà écouté une retransmission de son Parsifal à Berlin avec Barenboim et une de son Siegfried à la Scala en remplacement impromptu de Lance Ryan il y a quelques années déjà). C'est plutôt sa difficulté à caractériser ces différents personnages dans leurs évolutions au cours de l'oeuvre qui me pose parfois problème. Il adopte un style (souvent similaire d'ailleurs quelque soit le rôle) et s'y tient d'un bout à l'autre, nuances comprises, car son chant est plutôt varié. Mais son Tannhauser, son Tristan, son Siegmund surtout (c'est moins vrai, quoique..., de son Siegfried) sont eux monolithiques. On ne sent pas suffisamment leurs évolutions. Cela m'avait notamment particulièrement frappée dans son Tannhauser à Berlin (ovationné au DOB qui l'adore), où manquait quand même toute la dimension lyrique du personnage. C'est la raison pour laquelle j'étais sceptique a priori sur le rôle de Lohengrin.
Mais j'essayerai de l'entendre dès que possible !
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

Mon blog :
https://passionoperaheleneadam.blogspot.fr

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