Ces chiffres sont issus des rapports d’activités de l’ONP rendus publics et conservés sur la période 2000 à 2002 et 2005 à 2018 avec cependant quelques trous lors des changements de direction.
L’intérêt est de dégager une tendance , de voir dans quelle mesure le public plébiscite une œuvre, et d’identifier les réussites où les déceptions.
Une constante valable pour tous les ouvrages est que généralement les longues séries (plus de 10 représentations) programmées en septembre ou en juillet font rarement le plein.
Les 11 Blockbusters
11 ouvrages constituent une véritable vache à lait pour la salle Bastille.
- 3 Mozart (Don Giovanni, Les Noces de Figaro, La Flûte Enchantée)
- 1 Rossini (Le Barbier de Séville)
- 2 Verdi (Rigoletto, La Traviata)
- 3 Puccini (La Bohème, Tosca, Madame Butterfly)
- 1 Bizet (Carmen)
- 1 Offenbach (Les Contes d’Hoffmann)
Le record est tenu par Carmen qui, lors de la saison 2016 /2017 de Stéphane Lissner, a tenu 25 représentations avec une fréquentation de 100%.
Il y a eu quelques contre-performances avec les dernières reprises de Don Giovanni et de Madame Butterfly lors du début de la saison 2015/2016 de Lissner, avec respectivement 81% et 87%, la programmation d’une telle série au mois de septembre faisant généralement rarement le plein.
Ce fut le cas également des Contes d’Hoffmann sous Nicolas Joel, lors de la saison 2012/2013 avec seulement 85% de remplissage.
Tosca n’a également connu que deux années de faiblesses, l’une sous Mortier à cause de grèves obligeant à donner 3 versions en concert, et l’une sous Joel à cause d’une durée de programmation trop longue (20 représentations), soit moins de 90% dans les deux cas.
Avec le passage prochain de Don Giovanni, des Noces de Figaro et de la Traviata à Garnier (trois œuvres pour lesquelles Mortier avait également consacré de nouvelles productions à Garnier), se pose ensuite la question des ouvrages pouvant se substituer à ces trois chefs-d’œuvre à Bastille.
Richard Wagner
Richard Wagner n’est généralement programmé qu’une fois par saison, parfois deux fois, mais, sauf exception, aucun de ses scores ne passe en dessous de la barre des 90% de fréquentation.
Chacun de ses dix opéras (hormis ceux de jeunesse, Die Feen, Das Liebesverbot, Rienzi) ont été programmé au moins deux fois depuis l’an 2000, tous étant à l’affiche en moyenne tous les 5 à 10 ans pour une série de 8 représentations.
Avec un taux de remplissage moyen de 96%, il s’agit d’une valeur sûre de l’opéra Bastille.
Giuseppe Verdi
Mis à part Rigoletto et La Traviata qui sont ses œuvres les plus jouées à Bastille, tous les ouvrages de la maturité de Verdi (Hormis Stiffelio et Aroldo), ont connu cette scène, et de sa jeunesse, seuls Nabucco, Attila et Macbeth l’ont déjà fréquenté.
Les versions parisienne et milanaise de Don Carlos s’imposent régulièrement avec des taux de remplissage toujours supérieurs à 95%, taux de remplissage moyens que couvrent tous ses autres ouvrages pour une série de 10 représentations en moyenne tous les 3 à 6 ans.
Lissner a eu un peu de mal à remplir avec les reprises d’Il Trovatore et d’Aida, toutes deux programmées 2 ans après leur dernière reprise sur une longue série en juin/juillet, comme ce fut le cas également pour Otello sous Joel.
La contre-performance de Falstaff (87%), fin 2017, est, elle, moins explicable.
Don Carlo, et peut-être Il Trovatore, seront probablement amenés sous Lissner à se substituer à La Traviata parmi les Blockbusters de Bastille.
Les opéras russes
Les opéras russes sont eux aussi une valeur sûre de Bastille.
Chacune des œuvres de Tchaïkovski (Eugène Onéguine, La Dame de Pique), Moussorgsky (La Khovantchina, Boris Godounov), Prokofiev (Guerre et Paix, l’Amour des 3 oranges), Chostakovitch (Lady Macbeth de Mzensk), et récemment Rimski-Korsakov (Snegourotchka) sont régulièrement programmées tous les 6 à 10 ans pour une série de 8 représentations, et réalisent de beaux résultats avec une fréquentation moyenne de 93%.
La récente série des Boris Godounov d’Ivo van Hove a visiblement souffert d’une trop longue programmation (12 représentations) en juin/juillet et des grèves qui ont obligé à jouer des versions de concert. Il en fut de même pour l’Amour des 3 oranges programmés sous Joel en juin/juillet 2012.
Les ouvrages français romantiques du XIXe siècle
A l’instar des opéras russes, les œuvres françaises romantiques du XIXe siècle (Halévy, Massenet, Gounod, Saint-Saens, Berlioz) attirent en nombre le public français, ces œuvres supportant une période de reprise de 5 à 8 ans pour 8 ou 9 représentations, avec un remplissage moyen de 92% (la moyenne de Bastille).
Il faut cependant une star telle Jonas Kaufmann pour faire décoller Werther au-delà de 80%, et si Mortier a atteint facilement 100% avec La Juive, il n’a fait que 90% avec les Berlioz, score largement dépassé sous Gall, Joel ou Lissner.
A noter les deux très bons scores de Don Quichotte de Massenet, à un an d’intervalle, sous Hugues Gall.
Le bel canto romantique italien du XIXe siècle
Bellini et, plus régulièrement, Donizetti, sont eux aussi proches des groupes d’opéras russes et français, avec des œuvres programmées tous les 5 ans sur 9 représentations en moyenne.
Cependant, une fois sur deux le remplissage est inférieur à 90%, sauf grandes stars à l’affiche. Le taux moyen de remplissage est donc de 91%.
Grand succès des Capulet et Montaigu avec Di Donato / Ciofi / Netrebko, Lucia di lammermoor et La Sonnanbula avec Dessay, L’Elixir d’amour avec Kurzak / Alagna.
Richard Strauss
Quasiment absent de Bastille sous Lissner, a connu un énorme succès à la fin du mandat Hugues Gall et sous tout le mandat Mortier, avec des remplissages dépassant les 97% (Die Frau ohne Schatten, Der Rosenkavalier).
Cela ne s’est plus reproduit depuis, et ses œuvres principales sont régulièrement reprises tous les 5 à 10 ans pour une série de 8 représentations.
Le taux moyen de remplissage est de 91%
Comme Wagner, Strauss n’est qu’exceptionnellement programmé pour des séries longues de 10 représentations ou plus.
Les Italiens post-Verdi
Ce genre n’a été programmé qu’exclusivement sous le mandat de Nicolas Joel, et Giancarlo del Monaco est l’un des metteurs en scène les plus sollicités pour ce répertoire.
Giordano, Leoncavallo, Mascagni, Ponchelli, Zandonai et les œuvres tardives de Puccini (La Fanciulla del West, Il Trittico) peinent à dépasser les 90% de remplissage, même avec Nina Stemme dans La Fanciulla del West (77,5% de remplissage), et affichent plutôt une moyenne de 88%.
La Gioconda réussit la meilleure performance avec 97% de remplissage.
3 œuvres singulières
Il s’agit de chefs-d’œuvre uniques de compositeurs qui n’entrent pas dans les catégories de cet article.
La création de la nouvelle production de Rusalka à Bastille, avec René Fleming, fut un événement salué par un remplissage de 100%, et celle de Die Tote Stadt eut elle aussi un beau succès avec 90% .
Plus modestement, la reprise de Juliette ou la clé des songes par Mortier ne remplit la salle qu’aux ¾ malgré 6 représentations seulement.
Le répertoire français du XXe siècle
Ce répertoire post-Wagner, mené par Debussy, Charpentier, Dukas et Ravel, fait difficilement le plein, mais peut obtenir un bon taux de fréquentation quand il est programmé avec suffisamment d’espace dans le temps.
Mortier a obtenu 95% à la création de Louise, mais n'a pu réitérer un tel score à la reprise, Joel 98% avec la reprise de Pelléas et Mélisande, et Lissner n’a obtenu que 80% en programmant une reprise en septembre et malgré 5 représentations.
Quant aux 10 représentations de l’Heure espagnole, elles étaient sans doute excessives.
En moyenne, ces œuvres peuvent être programmées tous les 5 à 8 ans avec 7 à 8 représentations, et pour un taux de remplissage attendu de 85%.
Les opéras viennois
Die Fledermaus et Die Lustige Witwe sont deux œuvres faites pour être jouées au moment des fêtes et soutiennent un nombre de représentations très élevé (18 en moyenne). Si la reprise de Die Lustige Witwe par Lissner n’a pas eu tout le succès attendu, elle le doit surtout à la période de programmation (septembre), mais bien positionnée, elle aurait pu faire 85% sur une autre période de l’année.
Benjamin Britten
Bien défendu sous Hugues Gall, Benjamin Britten est peu joué à Bastille. Pour chaque œuvre, il réalise pourtant un taux de remplissage de 82% sur 7 à 8 représentations reprogrammées tous les 8 à 12 ans.
Seuls Billy Budd et Peter Grimes bénéficient d’une production dans cette salle.
Leos Janacek
Compositeur ardemment défendu par Mortier, les œuvres de Leos Janacek arrivent à attirer régulièrement le public sur des périodes de reprises allant de 6 à 12 ans. C’est à Lissner que l’on doit le meilleur taux de remplissage avec la production de La Maison des Morts qui a réussi à atteindre près de 85%. En moyenne, Janacek remplit plutôt Bastille à 80%.
Les Allemands post-Wagner
Particulièrement bien défendus par tous les directeurs, de Gall à Lissner, Hindemith, Schoenberg et Berg ont trouvé leur place à Bastille malgré des remplissages souvent sous les 70%.
Programmés tous les 6 à 12 ans et limités à 6 ou 7 représentations, ces œuvres à forte valeur sociale peuvent atteindre 77% de remplissage en moyenne si elles sont bien soutenues par la direction.
Les 90% de Wozzeck sous Mortier et les 93% de Moise et Aaron sous Lissner en sont deux exemples brillants à souligner.
La Création
K…, Medea (dans sa version définitive), Adriana Mater, Akhmatova sont des créations qui, hormis K…, n’ont jamais été reprises.
Ces productions, jouées sur 6 à 7 représentations, ont toutes en commun de jeter des ponts avec des œuvres littéraires, à l’instar du programme de créations inédit que mène Lissner à Garnier, mais souffrent de leur taux d’attractivité moyen de 77%.
Le Temps des Gitans a certes atteint sous Mortier 100% de remplissage avec 15 représentations, mais il s’agissait d’une inspiration cinématographique.
Ce qui laisse penser que la création musicale à Bastille pourrait connaître une grande réussite si elle prenait le cinéma comme source scénaristique.