Lully - Armide - Rousset - CD Aparté - 2017

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EdeB
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Lully - Armide - Rousset - CD Aparté - 2017

Message par EdeB » 17 avr. 2017, 13:39

Lully – Armide (1686)
Tragédie en musique sur un livret de Quinault

Armide – Marie-Adeline Henry
Renaud – Antonio Figueroa
La Gloire, Phénice, Mélisse, une Naïade – Judith van Wanroij
La Sagesse, Sidonie, Lucinde, une Bergère – Marie-Claude Chappuis
Aronte, la Haine – Marc Mauillon
Hidraot – Douglas Williams
Le Chevalier Danois, un Amant Fortuné – Cyril Auvity
Artémidore – Emiliano Gonzales Toro
Ubalde – Etienne Bazola

Les Talens Lyriques
Chœur de Chambre de Namur
Christophe Rousset – direction & clavecin

CD Aparté, 2017


Image

Des siècles durant, l’épopée du Tasse a fasciné. Sa Jérusalem délivrée, relatant la première croisade et la conquête de Jérusalem, a inspiré maintes œuvres d’art et suscité des variations tant musicales que littéraires. Sa force transgressive et son pouvoir sur l’imagination sont restés intacts jusqu’à ce que l’on néglige ce récit de fureurs, d’armes contraires et d’amours irrépressibles, en une époque où ce récit garde pourtant une brûlante actualité… L’un de ses fils conducteurs n’est-il pas la fascination éprouvée pour son ennemi et une certaine dénonciation du fanatisme de la part de son auteur, qui paya très cher cette audace en un temps où l’Eglise ne plaisantait pas avec de tels sujets ?

Armide, reine déchue de Damas et enchanteresse, première femme voilée de l’histoire de l’opéra (n’arrive-t-elle pas ainsi au camp de Godefroy, dans un épisode précédent de l’épopée ?) en montre tous les paradoxes. Déterminée à arrêter les croisés, et surtout Renaud « le plus vaillant de tous », le seul qui pourra assurer la conquête de Jérusalem (puisque pouvant affronter les sortilèges de la forêt de Saron, dont les arbres serviront aux nécessaires machines de siège des croisés), Armide ne peut s’empêcher de tomber sous le charme de son ennemi, enfin à sa merci... C’est dire ce que son emportement amoureux a de conséquences géopolitiques… Quant à Renaud, pleinement sous l’emprise de la magicienne vaincue par l’amour, il retournera à regret au combat, ayant pris conscience de sa déchéance par le reflet qu’il voit de lui-même dans le bouclier de diamant que tendent à ses regards ses compagnons de combat, Ubalde et le Chevalier danois. Les relations des deux amants ne s’achèvent pourtant pas avec la chute du rideau. A la fin de l’épopée, Renaud ira aider Armide à regagner son trône, et cette dernière se convertira. Du moins le Tasse le suggère-t-il…

Ultime chef d’œuvre de Lully, cette tragédie en musique au sujet choisi par Louis XIV (qui revenait ainsi à ses lectures de jeunesse), sans nul doute la plus parfaitement aboutie avec Roland et Persée, ne pouvait qu’inspirer Christophe Rousset, auquel on doit déjà les deux versions de référence des deux chefs-d’œuvre préalablement mentionnés. Après des représentations à Nancy en juin 2015, avec une distribution légèrement différente, c’est la captation d’un concert parisien à la Philharmonie qui est l’objet de ce coffret.

Les Talens Lyriques, au sommet de leur art lulliste, distillent des sortilèges auprès desquelles ceux de la magicienne font pâle figure : délicatesse et force des tempi, jaillissement des affects, d’autant plus puissants qu’ils sont maitrisés, myriades de couleurs diaprées creusées dans le clair-obscur démoniaque des manifestations de puissance d’Armide, noblesse d’un discours qui ne perd jamais son énergie architecturée au profit d’une véhémence trop immédiatement séductrice, étincelles jaillissantes d’une agate sertie d’or. Superlatif, l’ensemble met en éclat une ouverture captivante, des divertissements scintillants – à la passacaille proprement envoûtante – et conduit ce récit épique en se coulant dans son impérieuse nécessité.

Armide possédée, Marie-Adeline Henry incarne à merveille l’altérité irréconciliable de cette femme puissante dans un univers d’hommes. Toutefois, tout son art ne saurait se plier à la dialectique lullyste qu’elle bouscule, malmène, en asséchant en partie l’élégance de son éloquence ; il devrait y miroiter un restant de maniérisme et des demi-teintes. La séduction fallacieuse des éclats de cette reine de Damas déguise mal certains accidents stylistiques. On ne peut que continuer à rêver de l’Armide idéale de Véronique Gens, et chérir l’aperçu qu’elle nous en donna dans son premier recueil Tragédienne.

Renaud au charme entêtant, Antonio Figueroa oscille avec ferveur entre héroïsme et abandon sensuel, faisant dès sa première apparition subodorer le lent oubli de soi du guerrier et sa lutte intérieure à venir. Son « Plus j’observe ces lieux » extatique, enchâssé dans le chant d’un orchestre où le soleil poudroie, ne saurait laisser indifférent.

Parfaitement homogène quant au style et à l’énergie, le reste de la distribution se glisse avec aisance et probité dans le récit. La Haine redoutable et venimeuse de Marc Mauillon sidère toujours autant par son inéluctabilité d’airain. Judith Van Wanroij et Marie-Claude Chappuis délivrent une belle leçon de style, où la séduction se mêle au brillant. Pour n’avoir qu’une apparition ponctuelle, l’Artémidore d’Emiliano Gonzales Toro n’en témoigne pas moins d’une forte présence. De même, l’Ubalde d’Etienne Bazola et le Chevalier Danois de Cyril Auvity confèrent une forte charge comique dans un quatrième acte qui retrouve ici enfin sa fonction première dans l’économie du récit. Pour l’Hidraot de Douglas Williams, il fait bien sentir quel est le poids de la lignée dans le destin de sa magicienne de nièce.

Energique et melliflu, le Chœur de Chambre de Namur ponctue réjouissances, bruits de guerre, séductions infernales et frémissements charnels de sa rigueur et de sa protéiforme ardeur.

Un disque autant nécessaire au passionné du Grand Siècle que Le Nôtre à Versailles ou la foi à un Croisé : essentiel !

Emmanuelle Pesqué
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Re: Lully - Armide - Rousset - CD Aparté - 2017

Message par paco » 17 avr. 2017, 23:21

EdeB a écrit :
17 avr. 2017, 13:39
Armide possédée, Marie-Adeline Henry incarne à merveille l’altérité irréconciliable de cette femme puissante dans un univers d’hommes. Toutefois, tout son art ne saurait se plier à la dialectique lullyste qu’elle bouscule, malmène, en asséchant en partie l’élégance de son éloquence ; il devrait y miroiter un restant de maniérisme et des demi-teintes. La séduction fallacieuse des éclats de cette reine de Damas déguise mal certains accidents stylistiques. On ne peut que continuer à rêver de l’Armide idéale de Véronique Gens, et chérir l’aperçu qu’elle nous en donna dans son premier recueil Tragédienne.
Mêmes réserves concernant sa récente Donna Elvira à Versailles : une tendance à la stridence et à tout chanter en force. Dommage car elle est pleine de potentiel.

A part ça, merci pour le CR, ça donne envie !! :D
(je deviens de plus en plus fan des opéras de Lully)

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Re: Lully - Armide - Rousset - CD Aparté - 2017

Message par EdeB » 18 avr. 2017, 16:51

paco a écrit :
17 avr. 2017, 23:21
EdeB a écrit :
17 avr. 2017, 13:39
Armide possédée, Marie-Adeline Henry incarne à merveille l’altérité irréconciliable de cette femme puissante dans un univers d’hommes. Toutefois, tout son art ne saurait se plier à la dialectique lullyste qu’elle bouscule, malmène, en asséchant en partie l’élégance de son éloquence ; il devrait y miroiter un restant de maniérisme et des demi-teintes. La séduction fallacieuse des éclats de cette reine de Damas déguise mal certains accidents stylistiques. On ne peut que continuer à rêver de l’Armide idéale de Véronique Gens, et chérir l’aperçu qu’elle nous en donna dans son premier recueil Tragédienne.
Mêmes réserves concernant sa récente Donna Elvira à Versailles : une tendance à la stridence et à tout chanter en force. Dommage car elle est pleine de potentiel.
C'est une artiste que j'aime beaucoup, mais elle ne me semble pas forcément tout à fait à sa place dans ce répertoire.
paco a écrit :A part ça, merci pour le CR, ça donne envie !! :D
(je deviens de plus en plus fan des opéras de Lully)
De rien... Tu as raison, Lully c'est aussi génial que Mozart ! :D
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