Concert J.Lezhneva/La Voce Strumentale - Toulouse - 19/11/2016

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jeantoulouse
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Concert J.Lezhneva/La Voce Strumentale - Toulouse - 19/11/2016

Message par jeantoulouse » 20 nov. 2016, 12:04

Un résumé pour les lecteurs qui veulent aller vite. Une soirée exceptionnelle avec deux virtuoses : le violoniste Dmitry Sinkovsky, la chanteuse Julia Lezhneva. Un des meilleurs ensembles baroques que j’aie jamais entendus : La Voce Instrumentale. Un programme riche (2 heures et 4 bis) et cohérent autour du voyage de Haendel en Italie. Aucun besoin de tendre l’oreille pour ouïr la voix à la fois pure, émouvante et expressive de Julia Lezhneva. Un enthousiasme croissant au fil du programme. Des interprètes chaleureux, souriants, complices. La Halle aux Grains de Toulouse (inégalement remplie) croulant sous les applaudissements. Un vrai bonheur.

Dans le cadre des Grands Interprètes, Julia Lezhneva et la Voce Strumentale ont élaboré le programme d’un concert intitulé Haendel en Italie. On sait que le musicien né à La Halle en 1685 a accompli un voyage en Italie de 1706 à 1710, qu’il a créé son premier opéra italien Rodrigo à Florence en 1707, sans doute rencontré Vivaldi à Venise pour la création de son Agrippine en 1709, et Corelli à Rome : les trois compositeurs se trouvent réunis dans le concert. C’est sur instruments d’époque que jouent les musiciens de La Voce Strumentale, fondée en 2011 par son Directeur Artistique Dmitry Sinkovsky.
D’emblée, le violoniste russe s’avère remarquable de maitrise technique, de rigueur légère, et de fougue dans le Concerto de Telemann en si bémol majeur pour Pisendel (ami de Vivaldi) qui ouvre la soirée. Et Julia Lezhneva parait, souriante, juvénile, presque timide. L’envoutement n’est pas immédiat. La jeune chanteuse en effet commet une légère erreur en commençant sa prestation par l’air bref de l’épouse délaissée Florinda dans le Rodrigo de Haendel E tal mi lascia - Pugneran con noi le stelle. Dans ce moment de colère véhémente, la voix délicate, à froid, manque de mordant et de fièvre, et le sentiment apparait par trop « fabriqué ». L’investissement est réel, la virtuosité généreuse, mais l’apéritif déçoit. Menue déconvenue que va largement balayer la suite du concert, plus adaptée au tempérament propre de la chanteuse. Dès le second extrait du même opéra (air d’Esilena, Un atto grande - Per dar pregio all'amor mio) se déploie une voix d’une grande souplesse, au timbre clair, idéal pour l’expression lumineuse et douce de sentiments apaisés. Les vocalises légères, les notes tenues à l’infini avec une admirable délicatesse, sans qu’on sente l’effort, accentuent le charme d’une interprétation que souligne le solo de violon l’accompagnant de ses volutes. La technique phénoménale et singulièrement la science de la respiration (Ah ! la limpidité des sons filés sur « constanza » !) se mettent au service d’une interprétation, non désincarnée, comme on le lit trop souvent, mais éthérée. De fait, Julia Lezhneva expose une voix d’aurore et d’eau fraiche faite pour chanter l’amour, le bonheur, la tendresse, les frémissements des sentiments naissants, les murmures de la source ou la pureté du ciel.
Le Salve Regina de Haendel (HWV 241) qui clôt la première partie a été joué pour la première fois en 1707 à Rome. La luminosité de la voix sied à cette élévation spirituelle que Julia Lezhneva pare des couleurs d’un vitrail et du recueillement qui convient à une prière intérieure. La pureté du timbre rejoint celle de l’intention : la paix descend du ciel comme si elle coulait de cette voix en effet céleste. Le deuxième mouvement de la cantate « Ad te clamamus » devient, loin de la déréliction qu’exprimerait le texte, un acte de confiance, de foi, proféré sans artifice, tout bonnement. Et si un chant peut sourire, c’est bien cette tendre émotion que délivre in fine celui de Lezhneva : il exprime un sentiment rare, la ferveur de la prière.
Après la pause, l’air de Vivaldi extrait d'Ercole sul Termodonte (Rome, 1723) Zefferetti, che sussurrate approfondit encore notre émotion joyeuse. Le tintement du clavecin, l’élan du violon, et en contrepoint la voix de contreténor du violoniste chef, artiste polyvalent, signent l’acmé de la complicité entre les musiciens et la chanteuse. Jouant sur les oppositions comme le veut la tradition baroque, la chanteuse enchaine sur un air de bravoure, tout en contrastes, Un pensiero nemico di pace, dans Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (1707). La parfaite adéquation du personnage et de l’interprète se marque par l’adoption d’un tempo très rapide qui s’accélère encore à la reprise, la virtuosité de vocalises serrées et la musicalité du largo. Lui répondra à la fin de l’oratorio de Haendel, le second extrait Tu del ciel ministro eletto. Dans son recueillement, la soprano joue avec sobriété le dépouillement qui, en harmonie avec l’évolution du personnage, exprime comme une élévation spirituelle. Le Triomphe du temps devient celui de l’abandon de la seule virtuosité au profit de l’approfondissement de la musicalité, de la sobriété des moyens cependant raffinés, de l’expression quasi nue d’une intériorité purifiée. On ne sait dans l’ensemble de la prestation qu’admirer le plus : l’art inouï de la respiration et la science du souffle, la délicatesse des sons filés, des vocalises raffinées, la clarté d’une voix pleine et pure qui porte et transporte…

Les quatre bis généreusement consentis à un public sous le charme empruntent à des compositeurs variés : Mi paventi il figlio indegno extrait de l’opéra de Graun Britannico (un des bis favotis de la chanteuse) est ébouriffant de vélocité et d’engagement. Dans le très bref Alleluia de Porpora (que Haendel a rencontré à Rome) extrait du motet In caelo stelle, la virtuosité des vocalises devient plaisir du chant. Le Duo de Tamerlano de Haendel Vivo in te »voit Dmitry Sinkovsky déposer son cher violon pour accompagner de sa voix très souple sa compatriote dans un échange raffiné et complice. Enfin un Lascia la spina sur le souffle dont l’intimité est sublimée par le seul luth de Luca Bianca pour accompagnement. Les musiciens de l’ensemble assis sans façon sur les marches du fond de scène ajoutent à ce moment musical la touche de confiance tranquille, de connivence paisible qui expriment l’ « esprit » du concert (et non du récital). On est ensemble pour faire et entendre de la bonne musique, presque entre amis, pour partager de la joie et de l’émotion à l’image de Dmitry Sinkovsky constamment engagé, presque dansant, et heureux.

Le concert doit en effet sa stimulante vitalité à l’ensemble choisi pour accompagner la soprano russe. La bien nommée Voce Strumentale cisèle une sonorité où les timbres ne sont jamais acides, les rythmes jamais heurtés, les couleurs jamais uniformes. Se manifeste une vivacité qui exprime l’essence même de la musique baroque, chantante, ardente, vivante. Que de chatoiements et de rythme dans la délicatesse dansante du onzième concerto grosso opus 6 de Corelli ! Et comment ne pas mentionner Luca Bianca, son toucher élégant et sa virtuosité sereine dans le concerto pour luth de Vivaldi, et la précision, la clarté du jeu de Dmitry Sinkovsky dans le Concerto pour violon RV 242 en ré mineur du même compositeur et dédié lui aussi à Pisendel ?
La Voce instrumentale, son chef et Julia Lezhneva, un écrin de soie pour un diamant pur.

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