Donizetti-Lucia de Lammermoor- Brignoli- Capitole 26/11/2004

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Donizetti-Lucia de Lammermoor- Brignoli- Capitole 26/11/2004

Message par bajazet » 27 nov. 2004, 03:30

Représentation du 26 nov. 2004

Reprise de la production de 1998 (où alternaient Annick Massis et Marcelo Alvarez), coproduite avec le Met : mise en scène de Nicolas Joel, décors d'Ezio Frigerio, costumes de Franca Squarciapino.

Le parti pris est celui d'une scénographie visant l'évocation, disons historiciste, d'un climat ouvertement romantique. Le plateau dont le sol est d'un noir laqué est occupé par des éléments d'architecture gothique, plus précisément de style Tudor (à ce qui m'a semblé) pour les scènes d'intérieur, traitées de façon assez monumentale, avec des éclairages nocturnes, souvent bleutés. L'enchaînement de la première scène à celle de la fontaine est de toute beauté : la grille en ferronnerie qui occupait l'avant-scène disparaît pour laisser contempler la seule toile peinte (un paysage romantique dans les ocres et gris, avec château sur un piton rocheux, forêt et clair de lune), laquelle par transparence fait apparaître, pendant le solo de harpe, Lucia en robe verte appuyée, hiératique, à une fontaine gothique, tandis qu'un mur granitique ferme tout le fond de scène. On le retrouvera au moment de al scène de la folie, quand l'architecture Tudor monumentale disparaît en coulisses et dans les cintres, laissant le plateau nu et vide pour les divagations de Lucia.

C'est à vrai dire le seul moment où la mise en scène propose une idée vraiment théâtrale, au moins autre chose qu'une somptueuse illustration picturale de l'action. Les concepteurs du spectacle cherchent manifestement à "faire tableau" bleuté (la tour de Wolf's Crag) ou mordoré, ainsi du splendide tableau composé du corps de Lucia, inanimée après "Spargi d'amaro pianto", harmonieusement entourée des ch?urs, individualisés en postures diverses, en costumes XVIIe siècle où dominent des couleurs automnales (on pense à la peinture flamande, les femmes ont de vagues airs de duègnes de Velazquez). Bref, dans le genre "romantisme pictural", on en a pour son argent.

Le problème est que, comme souvent avec Nicolas Joel, la direction d'acteurs brille par son absence, ostensiblement réduite à quelques lancers ordinaires (Enrico jette Normanno au sol, puis sa soeur contre le mur: ce que c'est que d'être sanguin ?). Le duo d'amour du Ier acte est d'un vide théâtral considérable, que la musique remplit toute seule comme une grande. La scène de la folie n'est pas non plus tenue comme il faudrait. Or on se dit constamment que plus d'un des interpètes de la soirée aurait besoin d'une vraie direction d'acteurs pour offrir autre chose que sa "panoplie de physionomies" convenues (je reprends de mémoire une formule de M. Delunsch).

Ainsi pour Enrico (Ko Seng Hyoun), dont le jeu primaire est bien en accord avec sa caractérisation fruste. La voix, assez noire, sonore, large, de très belle étoffe, ignore de toute façon une autre nuance que le forte. Ainsi réduit à un gros méchant qui relève le menton bien haut pour balancer ses tenues, le personnage a-t-il quelque intérêt ? Même "Nobil sposo ?" est vociféré : pas une insinuation, pas un murmure insidieux, pas une ombre de perversité, rien qu'une grosse voix bien (trop) sonore.

C'est presque l'inverse pour Edgardo, incarné par José Bros, ténor espagnol connu pour avoir enregistré avec Gruberova plusieurs Donizetti, dont une Lucia récente. Chanteur très stylé, soucieux de la phrase et du mot, mais aussi timbre nasal, nasillard même dans l'aigu, résonance parfois un peu sèche. Personnellement, je préfère un ténor plus coloré, sinon plus couillu (ça c'est pour la couleur locale), mais c'est vraiment très tenu et élégant; on souhaiterait cependant une incarnation moins prudente.

Quant à Lucia, c'était Elena Mosuc, chanteuse-vedette de l'Opéra de Zurich, qui chante aussi à Munich entre autres, et qu'on a entendue sauf erreur au Palais Garnier dans la Reine de la Nuit. Disons tout de suite que c'est sans doute, du point de vue vocal, la plus satisfaisante de la distribution, la plus équilibrée assurément. La voix a du corps tout en restant juvénile, avec un medium charnel, très beau, un aigu limide et moelleux, une musicalité constante, qui dessine des volutes quand il faut. Le chant piano est admirablement contrôlé, du reste il n'y a jamais la moindre dureté chez elle. Sa grande réussite : l'attaque pianissimo de l'aigu progressivement enflé (j'ai pensé à ce qu'aime faire Gruberova dans le genre, sauf qu'ici l'intonation n'est jamais un peu par en-dessous). Bref, du très beau chant, par une artiste qui attire immédiatement la sympathie.

Et pourtant, quelque chose manque.

La raison en est sans doute une prudence dommageable, à tous les niveaux. Cette cantatrice manque, me semble-t-il, d'imagination (l'ornementation obéit d'ailleurs au programme minimum): tout est fort beau, intègre, séduisant, mais c'est aussi un chant sans surprise. Et l'investissement théâtral du personnage reste insuffisant. L'air d'entrée est son meilleur moment, je trouve, même si les trilles sur "di sangue rosseggiò" sont assez indifférents. La scène de la folie ne soutient pas la tension, en particulier parce que la voix ne bascule jamais sinon dans l'hystérie (encore qu'il faille là, à mon sens, quelque chose d'érotique dans le chant), du moins dans la transe hallucinée (cf. Sills dans "o me felice ! ?", ou Moffo , ou Gruberova herself): on s'est d'ailleurs rendu compte, depuis le second acte, que l'attaque piano de l'aigu relève d'un systématisme qui prive le chant de variété et aussi de l'éclat et de la véhémence parfois nécessaires.

Déroulant un chant confortable, cette Lucia ne semble jamais sortir d'elle-même, et mesure prudemment ses vocalises. Scéniquement, du reste, rien de vraiment halluciné, rien de morbide : la folie se passe comme une suite de mines de petite fille en déroute, aucun souffle inquiétant. Et l'on se dit qu'il aurait vraiment fallu un directeur d'acteur pour tirer autre chose d'Elena Mosuc (elle entre en robe de mariée dans la salle des noces comme on entrerait aux Galeries Lafayette pour acheter une valise). Le plus décevant : les deux scènes avec Enrico, puis avec Raimondo (Giorgio Surjan, très bien), indifférentes, presque anodines, sont désespérément plates. Il faut dire qu'à la régie, on est allé boire un café.

Et je repensais, pendant toute la représentation, à ce qu'avait donné Annick Massis dans cette production il y a 6 ans (hello Elvino!). Avec un matériau vocal plus frêle, un timbre plus clair, Massis donnait une intensité pleinement poétique au personnage dès le début, habitait admirablement les duos, prenait des risques, pour atteindre un magnétisme véritable dans la scène de la folie, qui avait sidéré la salle si ma mémoire ne m'abuse pas. J'ai l'impression qu'elle avait pris en charge d'elle-même le travail théâtral que la régie a négligé. Si Mosuc est indiscutablement une excellente chanteuse, elle n'incarne pas véritablement Lucia, trop bonne fille, sans rien de névrotique ni d'exalté.

Un dernier mot sur la direction d'orchestre : je n'ai pas aimé celle de Roberto Rizzi Brignoli, non pas parce qu'il gesticule comme un moulin à vent, mais parce qu'il conjugue phrasé heurté (l'introduction de la scène de la fontaine, prosaïque, ratée), instabilité du tempo (on accélère beaucoup et on ralentit beaucoup dans un même numéro : je déteste ça) et trivialités (boum pouët pouët, le syndrome de la fête à n?ud-n?ud). Trop crispé et instable vraiment, la poésie morbide de l'?uvre s'en ressent. Inutile de dire qu'il n'y avait pas d'harmonica de verre :cry:

P.S. Je suis curieux de découvrir la mise en scène de Serban, que je n'ai toujours pas vue. Mais je voudrais savoir si certains parmi vous ont rencontré une mise en scène qui exploiterait vraiment le fond ténébreux et morbide de cet opéra (il n'y est question que des défunts, dans le fond : c'est une poésie de cimetière), ce qui pourrait se concevoir de façon résolument "gothique", sans se borner comme ici à une illustration esthétisante, sans bannir forcément non plus l'imagerie romanticiste. La mise en scène de Caurier et Leiner, en noir et blanc, ne m'avait pas convaincu.

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Re: Lucia de Lammermoor au Capitole de Toulouse

Message par valery » 27 nov. 2004, 10:29

bajazet a écrit :Représentation du 26 nov. 2004
,P.S. Je suis curieux de découvrir la mise en scène de Serban, que je n'ai toujours pas vue.

Pour l'avoir vue, j'ai perdu cette curiosité-là! :cry:

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Re: Lucia de Lammermoor au Capitole de Toulouse

Message par Michel » 27 nov. 2004, 17:14

valery a écrit :
bajazet a écrit :Représentation du 26 nov. 2004
,P.S. Je suis curieux de découvrir la mise en scène de Serban, que je n'ai toujours pas vue.
Pour l'avoir vue, j'ai perdu cette curiosité-là! :cry:
Bien d'accord avec Valery , hélas... :cry:
J'ai pouffé de rire quand June Anderson a attaqué son numéro de balançoire avec "Quando rapita in estasi" (ou plutôt in exctasy en l'occurence). Je doute que c'était l'effet recherché!

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Message par valery » 04 déc. 2004, 09:09

Allez, je vais défendre Elena Mosuc que je viens d'entendre. D'abord elle est sympathique et pleine de charme quand elle s'exprime en francais!
Et puis des voix avec une aussi bonne technique, moi, j'en redemande. Je comprends que cela laisse froids certains spectateurs, mais moi, une bonne technique, ca plutôt tendance à m'échauffer!
Pour moi, c'est un peu comme Gruberova que certains trouvent froide: des procédés, des "trucs" qui peuvent agacer, mais si on les accepte, on en ressort ébloui.

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Message par bajazet » 04 déc. 2004, 12:54

valery a écrit :Allez, je vais défendre Elena Mosuc que je viens d'entendre. D'abord elle est sympathique et pleine de charme quand elle s'exprime en francais!
Et puis des voix avec une aussi bonne technique, moi, j'en redemande. Je comprends que cela laisse froids certains spectateurs, mais moi, une bonne technique, ca plutôt tendance à m'échauffer!
Pour moi, c'est un peu comme Gruberova que certains trouvent froide: des procédés, des "trucs" qui peuvent agacer, mais si on les accepte, on en ressort ébloui.
Je ne mettais pas en cause l'excellence technique de Mosuc, mais son manque d'imagination musicale et dramatique. Peut-on se contenter d'une Lucia seulement chantée de façon élégante et sans surprise ? Gruberova, avec ses maniérismes bien connus, a cependant une personnalité et une imagination considérables.

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