Durón-Coronis-Dumestre/Porras-Caen-11/2019

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Durón-Coronis-Dumestre/Porras-Caen-11/2019

Message par pingpangpong » 07 nov. 2019, 12:38

Coronis de Sebastián Durón (1660-1716) zarzuela en deux journées (vers 1701-1706) sur un livret anonyme

Direction musicale Vincent Dumestre
Mise en scène Omar Porras
Dramaturgie Marco Sabbatini
Assistante mise en scène Marie Buntenbroich
Scénographie Amélie Kiritzé-Topor
Costumes Ateliers MBV Bruno Fatalot
Lumières Mathias Roche

Coronis Ana Quintans 
Triton Isabelle Druet
Protée Emiliano Gonzalez Toro 
Menandro Anthéa Pichanik 
Sirene Victoire Bunel 
Apolo Marielou Jacquard 
Neptuno Caroline Meng 
Iris Brenda Poupard

Danseurs et acrobates Ely Morcillo, Alice Botelho, Elodie Chan, David Cami de Baix, Caroline Le Roy, Michaël Pallandre
Le Poème Harmonique
Coproduction Théâtre de Caen, Opéra de Rouen Normandie, Opéra de Lille, Opéra de Limoges, Le Poème Harmonique, Théâtre National de l’Opéra Comique


Apparue à la cour madrilène au milieu du 17ème siècle, accessible au public populaire dès 1710, la zarzuela est un genre typiquement espagnol, mêlant chants et dialogues parlés, et qui fit flores jusqu'à nos jours, entre genero chico et genero grande, le premier plus proche de l'opérette, le second de l'opéra. Madrid possède encore un théâtre entièrement dévolu à la zarzuela.
Longtemps attribuée à Antonio Literes, Coronis a fait l'objet d'une expertise attribuant sa paternité, en 2009, à Sebastián Durón.
Entièrement chantée, tout comme Apolo y Dafne et Selva encantada de amor du même compositeur, cette zarzuela fait exception à la règle, aucunes parties parlées n'ayant jamais existé selon les recherches musicologiques.
Compositeur et organiste espagnol, Sebastián Durón occupa différents postes entre 1680 et 1691, notamment à Séville, puis à la chapelle royale à Madrid.Chargé des divertissements royaux, nommé organiste et maître de Chapelle, il avait composé, en 1696, sa première zarzuela Salir el amor del mundo avant de devoir s'exiler pour Bayonne en 1706 lors de la guerre de succession qui opposa les Bourbons aux Habsbourg. Il succomba à la tuberculose, en pays-basque français à l’âge de 56 ans en 1716.
Bien que nous ne connaissions pas la date exacte, Coronis fut probablement créée entre 1701 et 1706 en présence de Philippe V, petit-fils de Louis XIV, qui venait tout juste de monter sur le trône d'Espagne.
Mêlant le comique au tragique, le pastoral au mythologique, l'œuvre offre ce que la musique hispanique a de plus typique, tonadas, coplas, lamentations, harpes, guitares et castagnettes complétant un corpus instrumental fourni et très coloré.

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(Toutes photos: theâtre de Caen-©philippe Delval)

L'autre particularité est l'attribution des rôles, excepté Protée, à des femmes, la scène étant considéré comme trop dégradante pour la gent masculine. O tempora, o mores !
Tiré des Métamorphoses d'Ovide, le livret met en scène les affres de la nymphe chasseresse, Coronis, prêtresse de Diane, victime des assiduités de Triton, fils de Neptune, envoyé pour l'enlever sur les ordres de son père qui convoite également la nymphe.
Chasseurs, bergers et nymphes du bocage, desquels se distinguent les paysans “comiques“ Sirène et Ménandre, consultent l'oracle Protée pour déterminer quel dieu ils doivent honorer afin d'éviter la guerre entre Apollon, appelé à la rescousse par Coronis, et Neptune, qui menacent leur quiétude. S'ensuit une lutte de pouvoir entre ces deux divinités, la flèche d'Apollon provoquant finalement la mort de Triton. Jupiter, par l'entremise d'Iris, somme la nymphe de faire son choix lequel se porte sur le dieu de la lumière. Le mariage ainsi que celui de Sirène et Ménandre met un terme à cet épisode mythologique ainsi qu'à la prophétie qui voulait que Coronis périsse noyée.

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Après une première scène longuette entre Triton et Coronis, le spectacle ne connaît plus aucun temps mort, ni musicalement, ni scéniquement. Le metteur en scène colombien, Omar Porras, qui a quelques Offenbach, Donizetti ou Mozart à son actif, insuffle l'esprit du théâtre de tréteaux, avec ses changements à vue, sa naïveté, ses éléments de carton-pâte, son pouvoir suggestif.

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De simples rideaux manipulés par les acteurs ou depuis les cintres permettent de passer d'une scène à une autre, quelques personnages venant à l'avant-scène assurer le rôle de chœur à l'antique; les feux de bengale fusent dès qu'Apollon surgit de son coffre, tandis que son rival, Neptune trône, haut-perché, sur une magnifique algue rouge; un arbre inversé couvert de fleurs blanches apporte, au final, paix et sérénité à cette histoire d'amours divines contrariées dont l'époque baroque regorge. On passe du rire, avec notamment les deux graciosos, couple à la Laurel et Hardy, à la plus poignante émotion lors de la mort du pauvre Triton, victime des errements sentimentaux de la belle Coronis.

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Décor impressionnant d'abrupts rochers; divinités arborant de chatoyants costumes créés par Bruno Fatalot et ses nombreux assistants, tenues plus frustes pour le petit peuple de Thrace, tous agrémentés de plumes rappelant les origines du metteur en scène ; dûs à Mathias Roche, de somptueux éclairages marquant nettement le déroulement des deux journées mentionnées par le livret ; chorégraphies et acrobaties parfaitement intégrées à l'action, discrètes mais efficaces ce qui est rarement le cas à l'opéra, d'une belle poésie lorsqu'une femme portée à bout de bras vient adorer le dieu Neptune ; tout dans ce spectacle enchanteur concourt à séduire l'œil.

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Le plateau est à la hauteur de la direction souple, au lyrisme généreux, de Vincent Dumestre.
Ana Quintans  est une Coronis luxueuse, ses cheveux rouges ajoutant à son sex-apeal, agilité et luminosité vocale en plus. Ses prétendants ne sont pas en reste : Apollon, petit coq monté sur ses ergots, joué par une Marielou Jacquard drôlissime, aux aigus toujours plus impressionnants que le grave ; et, avec une tessiture égale sur toute la ligne, une non moins somptueuse Caroline Meng en Neptune se haussant du col, ou plutôt de sa belle barbe vert d'eau.
Protée tente d'imposer sa sagesse par la voix sonore et autoritaire d'Emilano Gonzalez Toro, tandis que Triton se lamente ou terrifie grâce aux multiples talents d'Isabelle Druet, scéniquement remarquable dans ce rôle poignant, petit frère de la Platée de Rameau. La souplesse vocale, le timbre chaud et riche de la mezzo-soprano française, apportent à son personnage de mal-aimé la présence et les intonations qui le rendent sympathique autant qu'inoubliable, que ce soit les pattes dans une bassine d'eau chaude ou que le sang jaillissant de ses entrailles.

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Menandro et Sirene trouvent en Anthéa Pichanik et Victoire Bunel les interprètes idéales de ces rôles bouffes sans lesquels l'opéra baroque ne serait pas ce qu'il est.
Enfin, malgré un rôle fort bref, Brenda Poupard fait d'Iris une bien jolie messagère de Jupiter.
Infatigable défricheur, Vincent Dumestre nous surprend encore une fois, prouvant s'il en était besoin, la richesse de ce répertoire et, reconnaissons-le, la valeur des monarques sans qui ces œuvres n'auraient probablement jamais vu le jour.
Cette production, appelée à tourner, est évidemment à ne pas manquer, y compris, malgré ses deux heures sans entr'acte, avec des enfants, ce que le familial public caennais a mis en application avec un bonheur évident.

Eric Gibert
Enfin elle avait fini ; nous poussâmes un gros soupir d'applaudissements !
Jules Renard

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Re: Durón-Coronis-Dumestre/Porras-Caen-11/2019

Message par pingpangpong » 11 nov. 2019, 15:05

La critique vient d'être publiée.
Enfin elle avait fini ; nous poussâmes un gros soupir d'applaudissements !
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Re: Durón-Coronis-Dumestre/Porras-Caen-11/2019

Message par JdeB » 15 nov. 2019, 15:34

merci pour cette excellente critique.
Pour ceux qui veulent en savoir encore plus sur la zarzuela baroque en général et Coronis en particulier, il faut lire le très récent essai de Pierre-René Serna publié chez bleu nuit qui analyse l'ouvrage pages 69 à 76 et se termine sur une interview passionnante de V. Dumestre sur cette exhumation.
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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