Stravinsky - Histoire du soldat - La Fura dels Baus/ Alex Ollé – Peralada – 19/07/19

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Stravinsky - Histoire du soldat - La Fura dels Baus/ Alex Ollé – Peralada – 19/07/19

Message par jeantoulouse » 20 juil. 2019, 17:10

Stravinsky - Histoire du soldat - La Fura dels Baus/ Alex Ollé – Peralada – 19/07/19

Mise en scène : Alex Ollé / La Fura dels Baus
Collaboration à la mise en scène : Ramon Simo, Valentina Carrasco, Sandra Pocceschi
Décors et costumes : Lluc Castells
Vidéo : Emmanuel Carlier
Lumières : Elena Gui et Urs Shönebaum
Son : Josep Sanou
Dramaturgie : Valentina Carrasco, Ramon Simo, Àlex Ollé, Júlia Canosa
Assistant à la mise en scène : Sandra Pocceschi

Narrateur/Soldat/Diable : Sébastien Dutrieux

Orchestre Symphonique Camera Musicae

Violon Bernat Bofarull
Contrebasse Jan Fité
Clarinette Jordi Cornudella
Basson Dan-Andrei Bosinceanu
Trompette Carlos Marti
Trombone Jordi Masip
Percussion Pau Montané

Le Festival Castell de Peralada qui draine un public fidèle de toute la Catalogne (espagnole et française) et de bien au-delà, souvent avide de récitals, concerts, opéras prestigieux, fait preuve d’originalité en proposant cette année une œuvre rarement présentée en Espagne, en langue française et d’une rare audace dramatique. Malgré la singularité du titre et de sa réalisation scénique, les spectateurs se pressent relativement nombreux ce soir et feront bon accueil à ce spectacle signé La Fura dels Baus, et singulièrement Alex Ollé. L’inventivité et la cohérence du propos, la qualité technique et artistique de sa mise en œuvre, la performance d’acteur du protagoniste principal, le parti pris musical, grinçant et âpre justifient ce succès. .

Présentation de l’œuvre


Histoire du Soldat a 101 ans. L’œuvre fut créée le 28 septembre 1918 à Lausanne, en Suisse donc où Igor Stravinsky s’était exilé. Ernest Ansermet dirige, lui qui avait permis la rencontre entre le compositeur et le librettiste, Charles Ferdinand Ramuz. Conçue comme un petit théâtre ambulant, il raconte l’histoire d’un soldat (Joseph Duprat) qui fait un pacte avec le Diable. La période historique justifie le nombre restreint de musiciens pour lesquels est écrite la partition de ce « théâtre de la pauvreté du point de vue du nombre, mais pas du point de vue des moyens » (Pierre Boulez). Chaque instrument, qui a par ailleurs un rôle de soliste, représente dans l’aigu comme le grave, les principales familles instrumentales : violon et contrebasse, clarinette et basson, cornet à piston et trombone. S’y ajoutent de nombreuses percussions. Ils parviennent à créer un discours sobre, dépouillé, aiguisé, mais d’une étonnante variété de timbres, de couleurs et de rythmes où l’auditeur reconnait l’influence et les traces du ragtime, du jazz, de la valse, du tango, du paso doble, du choral, des danses populaires des pays de l’Est. Ils accompagnent le parcours du héros, un soldat revenant de la guerre et qui rencontre le Diable. Le récit est confié à un narrateur. Dans une lettre, Ramuz tente de définir les contours de cet objet théâtral original : « Cette pièce, si le nom convient, consiste en une suite et parfois une fusion de lecture de scènes parlées mimées et dansées avec des parties de musique : quelque chose comme une « lanterne magique animée », un petit orchestre, quelques acteurs. » Inspiré d’un conte russe d’Alexandre Afanassiev (1826-1871), Histoire du soldat que les deux collaborateurs transforment en récit à la portée plus universelle, raconte comment le héros vend son violon (autant dire son âme) au diable, et ce qui s’ensuit : muni du Livre précieux remis en échange de son instrument, il devient riche, mais de retour chez lui, nul ne le reconnait. L’argent ne faisant pas le bonheur, le jeune soldat veut racheter son violon. Il le dérobe au Diable, épouse la Princesse promise à qui la guérirait mais…, nouveau Faust, se voit condamné aux Enfers.

Critique du spectacle

La relation avec les diables théâtraux jalonne le parcours artistique d’Alex Ollé qui les recense : « Le diable m’a souvent accompagné le long de ma carrière. Au théâtre avec Fausto 3.0 ; au cinéma avec Faust 5.0 ; à l’opéra avec La Damnation de Faust de Berlioz et le Faust de Gounod. Et avec, la même année, Histoire du soldat et Mefistofele de Boito. Quand on travaille plusieurs fois sur un même sujet on reconnait, dans l’ensemble de la littérature et des légendes, son patron et ses ficelles dramaturgiques. […] Mais la bonne connaissance d’un personnage, qu’il soit saint ou diable, est souvent trompeuse. En tant que créateur, je dois toujours faire en sorte que chaque mise en scène, qu’elle soit nouvelle ou ancienne, me surprenne ; dans un premier temps en tant que spectateur puis, dans un second temps, en tant qu’artiste et metteur en scène. »

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Crédit Festival Peralada

Et Alex Ollé et son équipe savent nous surprendre, nous tenir, nous étonner. La production créée à Lyon en avril 2018, puis présentée à Lausanne en septembre de la même année et à Montpellier en mai 2019, arrive à Peralada, toujours avec le comédien Sébastien Dutrieux en récitant soldat. Déconseillée aux enfants de moins de 14 ans, elle se veut une dénonciation sans concession de la guerre dont les atrocités projetées en vidéo hantent jusqu’à la folie la conscience du héros dévasté. C’est donc moins en apparence le pacte faustien qui a retenu l’attention d’Alex Ollé que la psyché d’un soldat traumatisé par son expérience, moins le conte pour enfants que la mise en scène et en images d’‘une victime de la guerre et de ce qu’on nomme le syndrome de stress post traumatique. Le choc psychique des atrocités vues, subies et commises (explosions, tortures, exactions, tueries…) produit chez le militaire une série d’images, de cauchemars, d’obsessions horribles, d’hallucinations dont aucune thérapie ne parvient à dissiper les effets, à amoindrir les souffrances, à apaiser les terreurs. L’essentiel des scènes se déroule dans un hôpital psychiatrique : dans un lit d’agonie, le soldat autour duquel s’affaire un personnel diligent se remémore les traumas de la guerre ou ceux de son retour catastrophique à la vie civile. Le Diable, qui n’est autre que le malade soigné, la fiancée qui l’abandonnée, la Princesse conquise viennent hanter sa conscience tourmentée. Ollé semble ainsi retourner (comme un gant retourné) le mythe faustien : son soldat a connu l’Enfer dans sa vie, il le vit dans sa chair et son âme sur son lit de douleurs. La Mort n’est donc pas la Damnation éternelle, mais une source d’apaisement et de liberté. Tout dans cette lecture et sa mise en scène n’apparait pas d’une lumineuse clarté et quelques scènes interrogent. Mais toutes bénéficient d’une réalisation d’une grande intelligence et visuellement abouties : la marche récurrente du soldat venue des profondeurs d’un film jusqu’à la porte de la scène, la transformation de la fiancée remariée en jeune fille fidèle toute de rouge vêtue, le beau tango offert au soldat un temps réconcilié avec son passé et avec lui-même, les allées et venues autour du corps de la famille, la scène des cadeaux dont celui d’une mitrailleuse ravivant les pires cauchemars, l’ouverture donnant sur un mur, l’image finale d’une morgue où se glisse une dernière fois le lit du soldat…
Le spectacle bénéficie de la prestation exceptionnelle d’un très grand comédien, Sébastien Dutrieux. Il assure les 80 minutes du spectacle avec une sensibilité, une énergie, une autorité dramatique qui forcent l’admiration. Sa diction s’avère exemplaire, tout comme sa performance sportive (il danse, saute, arpente, se love, change de costumes…), assumant toute la partie parlée du livret en variant les voix, les modulations, la projection. C’est du très grand art.


Stravinsky souhaitait que l’orchestre fût pleinement visible. « Autre chose encore me rendait cette idée [celle d’un effectif réduit] particulièrement attrayante, c’est l’intérêt que présente pour le spectateur la visibilité de ces instrumentistes ayant chacun à jouer un rôle concertant. Car j’ai toujours eu horreur d’écouter la musique les yeux fermés, sans une part active de l’œil… » Le vœu du compositeur est pleinement exaucé. Les sept instrumentistes ne sont pas dans la fosse ou sur la scène même, mais placés en surplomb de l’aire scénique. Ce dispositif accroit les échanges entre le texte et la musique conformément à l’analyse de la partition par Boulez : « Le texte et la musique se meuvent au travers l’un de l’autre par des avancements et des reculs successifs. ». Mais plus nettement encore ici, la disposition intègre les musiciens au drame humain qui se joue, celui de l’agonie d’un soldat dont la guerre a blessé le corps et tué l’âme. Mais ils ne l’illustrent pas, ne le commentent pas, ou alors ironiquement et cruellement. Ils en deviennent le contrepoint grinçant. Le choix de l’interprétation musicale s’avère en parfaite adéquation avec la conception d’ensemble : point de joliesse dans les danses, de marche militaire souriante, de rythmes… endiablés. Mais en effet les cordes grincent, les bois coassent, les cuivres rugissent, la percussion percute. Bravo à tous les instrumentistes qui tirent ainsi de Stravinsky les sons les plus dramatiquement efficaces.
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Crédit Festival Peralada

Le spectacle n’émeut pas, mais suscite des interrogations. L’actualisation du récit et du mythe est portée avec aplomb jusqu’au bout et réalisée avec une parfaite maitrise technique et artistique. Un très grand comédien et un orchestre de chambre d’une belle acuité donnent vie à cette représentation audacieuse.

Jean Jordy

jeantoulouse
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Re: Stravinsky - Histoire du soldat - La Fura dels Baus/ Alex Ollé – Peralada – 19/07/19

Message par jeantoulouse » 22 juil. 2019, 16:57

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petitchoeur
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Re: Stravinsky - Histoire du soldat - La Fura dels Baus/ Alex Ollé – Peralada – 19/07/19

Message par petitchoeur » 25 juil. 2019, 22:56

cette production a déjà été donnée à Lyon en 2018:
http://www.odb-opera.com/viewtopic.php? ... +du+soldat

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