Mozart- Don Giovanni- Jordan/Van Hove-ONP-06-07/2019

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Loge Arythme
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Re: Mozart- Don Giovanni- Jordan/Van Hove-ONP-06-07/2019

Message par Loge Arythme » 13 juil. 2019, 08:30

A quelques heures de la dernière représentation , je ne résiste pas au plaisir de vous faire part de mes impressions ressenties en salle à Garnier mercredi dernier . Je tacherai de ne pas trop répéter ce qui a déjà été dis et comme tout a été dit ...
 
Évidemment en premier lieu la mise en place scénique ;décor actif composé d'un plateau incliné encadré par trois volumes bâtis . Ceux ci définissent deux ruelles se rejoignant sur une placette (dispositif quasi obligé de toutes les mises en scène lorsque l'on veut bien faire comprendre que l'action se passe dans une ville d’Europe du Sud) . Les volumes bâtis pivotent à vitesse plus ou moins lente selon les événements , preuve qu'ils font partie intégrante du drame . Les volées d'escalier entrecroisées représentent les circonvolutions intérieures des personnages . Curieux détail : l'expression « béton armé » des constructions (que l'on aurait attendue en enduit ocre ou en parpaing gris sale ) donne un aspect très propre a l'ensemble (équivalent des façades en verre de Hanecke) . La référence graphique aux loges de Max Escher est évidente , ainsi qu'aux perspectives à la Chirico ; les arcades des parties hautes se référent aux architectures du quartier EUR de Rome , décor de la Dolce Vita .

Un collage , donc , dans lesquels les personnages vont se mouvoir et se cacher / apparaître / disparaître ; un vrai théâtre donc . Le parti pris de van Hove est clair : l’identité entre DG et Leporello (le petit lapin et le gros lapin ? ) , au point qu'il n'est pas nécessaire de faire l'obscurité pour la scène de la substitution . Pendant la scène du bal , pour bien nous montrer que tout n'est qu'apparence et déguisements , que ça se passe bien aujourd'hui , et que l'on est dans une soirée costumée comme il s'en pratique aujourd'hui dans toutes les bonnes maisons , on laisse traîner quelques mannequins en habit dans les galeries .

Et les personnages dans tout ça ? On est plutôt chez les bobos chics des hauteurs montmartroises , ou plutôt chez les cadres d'un parti politique (à Séville normalement ), plus question d'aristo libertin versus les gens du peuple (hé oui , il faut s'y faire) ; Donna Elvira a un vague air de Callas (même tailleur , même coiffure , presque même distinction ) faisant des scènes de jalousie à DG parce qu'il est attiré par d’autres chanteuses qu'elle (est-ce une esquisse de mise en abîme ironique de l'opéra lui-même ? ) . Les garçons oscillent , eux , entre costume de cadre financier ou politique ( costume cintré foncé ) et costume d’employés de la finance ou de la politique ( chemise sans costume ) .

Tout ce monde là s'agite en accélérant vers la fin jusqu'au coup de théâtre final que nous ne sur-divulgacherons pas (ça a déjà largement été fait par ailleurs je crois) en disant que les choses rentrent dans l'ordre une fois que l’infâme macho-facho a été supprimé - éradiqué - envoyé aux enfers ; et « que cent fleurs s'épanouissent » , et la vie , la vraie , simple et écologique pourra apparaitre ( mais attention , Leporello-le-double-DG a survécu et l'histoire peut recommencer ! ) Je ne suis pas sûr que cela soit au second degré dans ce qui nous est montré . Je ne partagerai pas l'enthousiasme de certains posteurs car tout cela est à la fois démonstratif et ambigu ; peut-être van Hove , qui sait se montrer si inventif et radical au théâtre , semble t'il au contraire faire des concessions ,et ne pas aller au bout du propos , ne pas montrer vraiment une situation d'abus de pouvoir masculin / féminin bien d'aujourd'hui , anecdotique ,cra-cra,et tout .

Pour ce qui est des voix , la Donna Elvira de N. Car , après une première partie peu convaincante , a eu un regain de puissance et d'expression dans la deuxième partie . Les autres étaient bien mais on n'est pas sorti enthousiasmé ; et P Jordan et/ou l'orchestre ce soir là ont joué l'ouverture plutôt comme du Berlioz ( sans doute sous l'influence du décor qui fait penser à celui des récents Troyens de Tcherniakov ) - fatigue de fin d'année ou manque d'entrain ? Je dirais que tout ça est plutôt dû au choix de mise en scène qui banalise tous les personnages et les aplatit socialement et humainement . Le contraste social était respecté dans la multinationale de Hanecke , et ça marchait beaucoup mieux . Alors , pas de DG possible dans une société sans classe ?

Enfin dernier point , je ne sais pas si vous êtes comme moi mais à Garnier je me sens comme les vénitiens a Venise : une partie du décor , réduit a ma condition de fond de selfie ...

Bon été à tous dans vos festivals respectifs .

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micaela
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Re: Mozart- Don Giovanni- Jordan/Van Hove-ONP-06-07/2019

Message par micaela » 13 juil. 2019, 08:49

Chirico et l'architecture romaine façon Dolce Vita (j'ai plus pensé à Antonioni, mais c'est toujours la bourgeoisie italienne façon 1960) j'y ai pensé aussi, mais Escher ça m'achappé.
Oui, les contrastes sociaux ne sont pas marqués comme chez Haneke. Mais ce dernier a appuyé toute sa mise en scène sur ça, gommant totalement la part de surnaturel. Van Hove a choisi la voie inverse (la scène de la mort de DG est d'ailleurs une des plus réussies, avec usage de projections vidéo transformant le décor. Je ne suis pas sûre d'ailleurs que cette opposition sociale soit vraiment primordiale dans le livret
Ce que je reprocherai à la mise en scène, c'est sa grisaille. Tout est gris, même la noce paysanne, qui aurait pu amener un peu de couleur Sans doute pour augmenter le contraste avec la scène finale
Pour la ressemblance DG/Leporello, il faudrait voir ce que ça donne avec deux interprètes dissemblables physiquement. En tout cas, ça fait moins maître/valet ou supérieur hiérarchique/subalterne (chez Haneke) que complices, l'un dominant l'autre (ou l'entraînant dans tous ses "coups.
Le sommeil de la raison engendre des monstres (Goya)

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