Récital Véronique Gens/Susan Manoff - Mélodies françaises - ONR - 14/05/2019

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Piero1809
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Récital Véronique Gens/Susan Manoff - Mélodies françaises - ONR - 14/05/2019

Message par Piero1809 » 16 mai 2019, 08:26

Récital
Véronique Gens, soprano
Susan Manoff, piano
Strasbourg-opéra, 14 mai 2019

Charles Gounod (1818-1893)
Où voulez-vous aller, Le soir, Mignon, Viens, les gazons sont verts.

Edmond de Polignac (1834-1901)
Lamento

Déodat de Séverac (1872-1921)
Les Hiboux

Reynaldo Hahn (1874-1947)
Trois jours de vendange, Le Rossignol des lilas, A Chloris.

Jules Massenet (1842-1912)
Chant provençal, Nuit d'Espagne

Henri Duparc (1848-1933)
L'Invitation au voyage, Chanson triste

Reynaldo Hahn
Mai, Les Cygnes, Infidélité, Néère, Chanson, Naïs

Jacques Offenbach (1819-1880)
La Laitière et le pot au lait, Le Corbeau et le Renard.


Dans la mélodie française, il y a tellement de belles choses qu'on chante trop rarement! Ces propos de Véronique Gens, conclusion d'un entretien (1) sont répétés fréquemment par la cantatrice. Avec ce récital, elle a voulu clairement contribuer à combler cette lacune et certes elle était la mieux placée pour cela. Sa collaboration avec Christophe Roussset dans le cadre du Palazetto Bru Zane a permis de ressusciter des titres tels que Herculanum de Félicien David ou la Reine de Chypre de Fromenttal Halevy. Sa formidable prestation dans le rôle de Madame Lidoine dans Dialogues des carmélites de Francis Poulenc mis en scène par Olivier Py a été un événement musical et théâtral.

Dans le programme présenté à l'opéra du Rhin, on ne trouve pas les géants de la mélodie française que sont Fauré, Ravel, Debussy, Poulenc, Chausson qui ont écrit des pages immortelles mais plutôt des auteurs plus légers comme Reynaldo Hahn ou Jacques Offenbach ou bien des compositeurs dont la mélodie n'est pas l'activité principale comme Charles Gounod ou Jules Massenet. Si on met à part les deux mélodies de Henri Duparc, le style général des mélodies chantées est agréablement mondain et le programme aurait pu se dérouler dans les salons Parisiens décrits par Marcel Proust.

Le récital s'ouvrait par quatre mélodies de Charles Gounod. J'ai honte de l'avouer, je n'ai jamais beaucoup apprécié ce compositeur. Je ne suis pas ému par sa musique et ses lignes mélodiques me paraissent banales. Toutefois, le Gounod mélodiste m'a paru plus digeste que le compositeur d'opéras. Dans deux chansons comme Où voulez-vous aller ou Viens, les gazons sont verts, j’ai aimé le charme mélodique, la légèreté et un notable sens de l’humour!

Le Lamento d'Edmond de Polignac que les deux artistes nous permettent de découvrir, déroule ses thrènes plaintifs. Autre découverte pour moi, Les Hiboux de Déodat de Séverac, miniature polie de façon exquise, qui fait regretter que ce compositeur soit si rarement interprété.

Très impressionné par Reynaldo Hahn, j’ai apprécié dans ses courtes mélodies, non seulement la suprême élégance et le charme mélodiques qui leur sont traditionnellement associés, mais encore une qualité qui ne m’avait pas sauté aux yeux jusque là: la profondeur. Cette dernière est particulièrement évidente dans Néère sur un poème de Lecomte de Lisle (cycle des Etudes Latines), à l’écriture dépouillée qui commence par des accords rappelant le prélude en mi mineur opus 28 de Chopin ou encore dans les émouvants Trois jours de vendanges sur un poème d’Alphonse Daudet. Un point commun de ces mélodies de Hahn est le néoclassicisme ou plutôt le retour à l’antique qui triomphe avec A Chloris, petit bijou instrumental et vocal dans le style de Jean Sébastien Bach pour le piano et de Rameau pour la voix, évoquant une antiquité gréco-romaine rêvée et revisitée. Dans un style un peu différent, Infidélité installe un climat troublant tandis que Les Cygnes déroulent une mélodie enchanteresse émaillée de subtiles modulations.

Le génie mélodique et dramatique de Jules Massenet se manifeste autant dans la mélodie que dans l’opéra comme en témoigne son magnifique Chant provençal ou cette brillante Nuit d'Espagne.

Les deux artistes nous régalèrent avec deux mélodies de Henri Duparc, la célébrissime Invitation au voyage (1870) et surtout la merveilleuse Chanson triste (1868), une de mes mélodies françaises favorites, tous compositeurs confondus.

Le programme se terminait avec La Laitière et le pot au lait et Le Corbeau et le Renard sur des poèmes de Jean de La Fontaine. J'avoue être totalement imperméable à la musique d'Offenbach qui m'ennuie profondément.

D’emblée Véronique Gens et Susan Manoff s’affichent sur scène sur un pied d’égalité et cette impression sera confirmée tout au long du récital. La partie de piano est bien plus qu’un accompagnement dans de nombreuses pièces (Nuit d’Espagne, A Chloris, Trois jours de vendange) et Susan Manoff a donné l’impression de s’investir totalement et de proposer un style original et très personnel tout en restant totalement complémentaire et complice de sa partenaire. On peut admirer avec quelle densité la pianiste entonne la musique du Dies Irae dans le troisième couplet de Trois jours de vendange.

Véronique Gens se tient très droite et reste quasiment immobile pendant tout le récital sans toutefois la moindre raideur. Cette tragédienne née reflète sur son visage toutes les émotions qui parcourent ces textes si divers. Dans ces pièces à la virtuosité et l'ambitus assez limités, la mélodie prime généralement ce qui convient parfaitement à sa typologie vocale intermédiaire entre soprano et mezzo-soprano. Véronique Gens, a pu faire admirer le timbre enchanteur de sa voix et sa ligne de chant pure et élégante au légato parfait. Dans des textes souvent en demi teintes, sa voix aidée par une impeccable diction se projetait avec aisance et pouvait faire éclater sa puissance et ses couleurs au service de l’expression et aux moments opportuns avec une précision millimétrée. A d'autres moments (Infidélité), elle faisait valoir de merveilleux pianissimos.

Applaudies très chaleureusement Véronique Gens et Susan Manoff donnèrent trois bis. Une fable de La Fontaine d’abord (La Cigale et la Fourmi) mises en musique par Jacques Offenbach donnait la preuve que Véronique Gens n'est pas seulement une tragédienne mais également une comédienne. Pour terminer les deux artistes gratifièrent l’assemblée de deux autres bis dont la valse fameuse en do dièze mineur : Les Chemins des Amours de Françis Poulenc et Jean Anouilh. Avec ces trois pièces plus extraverties, elles purent donner libre cours à une fantaisie et une inventivité nouvelles.

Une merveilleuse soirée en compagnie de ces deux incomparables artistes au sommet de leur art.

(1) Propos recueillis par Laurent Bury

Pierre Benveniste

Luc ROGER
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Re: Récital Véronique Gens/Susan Manoff - Mélodies françaises - ONR - 14/05/2019

Message par Luc ROGER » 19 mai 2019, 09:08

merci Pierre pour ce compte-rendu qui rend un si bel hommage à Véronique Gens !

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