Mozart- Clemenza di Tito- Rösner/Roussat&Lubek- Liège- 05/2019
Posté : 15 mai 2019, 07:24
Thomas Rösner, direction musicale
Cécile Roussat et Julien Lubek: mise en scène, décors, costumes, chorégraphie et lumières
Tito Vespasiano : Leonardo Cortellazzi
Vitellia : Patrizia Ciofi
Annio : Cecilia Molinari
Servilia : Veronica Cangemi
Publio : Markus Suihkonen
Sesto : Anna Bonitatibus
Liège, le 24 mai 2019
L'utopie dont le prince est un enfant
Comme l'écrivait ici-même Emmanuelle Pesqué en 2015, "Cet opera seria, commande arrivée par rebond à Mozart pour célébrer le couronnement de Leopold II à Prague comme roi de Bohème ne pouvait que se manifester par un texte qui exaltait la grandeur souveraine, la tempérance généreuse et la clémence sincère. Cet idéal de gouvernement, viatique pour les souverains, restait un souhait pour gouvernant éclairé, d’autant plus que les vieilles monarchies se durcissaient devant les excès révolutionnaires français. Dès la mort de Joseph II en 1790, les réformes avaient marqué le pas. En l’espèce, le vieux texte de Métastase fut davantage excisé des passages qui auraient pu laisser penser à la bonne foi des conspirateurs de l’opéra et tout vocabulaire entretemps utilisé par les révolutionnaires français fut soigneusement extirpé, sans doute à la demande de Mozart, sans doute bien moins gagné à la cause des extrémistes qu’on ne le croit. C’est que l’époque avait bien changée et que le débat sur les tyrannicides avait quitté les salons pour gagner l’arène politique".
Si la Clemenza di Tito a été le premier opéra de Mozart à avoir été présenté à Londres, le 27 mars 1806, puis a été monté à Paris en mai 1816 au Théâtre italien, il semble que la Belgique ait dû attendre longtemps avant de l'applaudir. C'est la production des Hermann à La Monnaie, en juin 1982, qui a fait l’objet d'une captation par la RTB et d'une intégrale discographique dans la foulée, qui marque un tournant. Elle a été reprise in loco en 1985 (avec Martine Dupuy en Sesto) et remise au théâtre par Gerard Mortier dans toutes les institutions qu'il a dirigées, trois fois à Salzbourg (1992, 1994, 1997), deux fois à Garnier (en mai 2005 et septembre 2006) et, post-mortem, à Madrid en novembre 2016. Il y eut également une production de Pierre Constant présentée à Gand en 1997, une nouvelle production à Bruxelles en octobre 2013, celle d'Ivo Van Hove, et, de nouveau à Gand, la reprise de la production de Michael Hampe l'an dernier. Toutefois, Liège n'avait jamais entendu l'ultime opéra de Mozart jusqu'à ce printemps.
Mais cette nouvelle production, qui marque donc l'entrée au répertoire de l'Opéra royal de Wallonie de ce chef-d’œuvre, croit "fuir l'anecdote"(sic) et servir "une vision mythologique" par une "une incarnation a-topique" en "plaç[ant] l'oeuvre dans un ailleurs idéalisé, où vit en harmonie avec la nature un peuple primitif tel qu'un voyageur du XVIII° peut se le représenter. L'aristocratie, elle, est une caste inspirée de la mythologie, où chaque personnage voit son caractère incarné très concrètement dans sa forme qui mêle l'homme à l'animal ou à l’élément naturel".
Cécile Roussat et Julien Lubek qui semblent avoir commencé la lecture du livret par sa toute fin (Quel di che il ben di Roma / Mia cura non sarà), font ce qu'en terme de cinéma et de séries télévisées on appelle un cross-over en mettant en scène à la fois La Flûte enchantée et La Clemenza di Tito, parfaitement contemporaines, dans le sillage du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare que le XVIII ième siècle finissant redécouvrait avec délice.
Ils nous montrent un prince-enfant qui assiste, trônant dans sa loge d'avant-scène, à une favola in musica dans le goût du théâtre de cour d'inspiration jésuite pensé pour l'édification des élites, qui viendra, in fine, sur scène tendre la main à Titus, son alter ego adulte, une fois que celui-ci, au terme d'un processus d'élévation morale, se sera dépouillé de sa part animale (ici, la partie centaure de son étonnant costume) pour incarner le parangon du souverain éclairé.
On n’adhère vraiment jamais à cette vision tant le texte renvoie à autre chose de beaucoup plus précis et où les mondes animal et fantastique n'ont pas de place mais on se laisse charmer volontiers par ce ruissellement d'images permanent à l'imagination débridée et belle.
La distribution est dominée de très haut par le somptueux Sesto d'Anna Bonitatibus, à la voix si ronde, si riche, si irradiante d’humanité, et qui touche au cœur.
Grande fidèle de Liège, Patrizia Ciofi virevolte sur scène et dans le registre aigu mais son grave éteint ôte une grande part de sa force à sa Vitellia et déséquilibre son rondo (Non piu di fiori) avec le superbe cor de basset dont sa voix devrait se faire alors comme le prolongement.
Identifié à un nouvel Orphée dans ce nouvel Eden par la mise en scène, où on lui présente furtivement une lyre, mi-homme-mi-cheval, Leonardo Cortellazzi dessine un Titus inégal vocalement et pas toujours à la hauteur de la virtuosité de "Se all'impero" (dont les vocalises évoquent en effet un peu celles de la Reine de la nuit) qu'il aborde plus en rossinien qu'en mozartien, mais sa voix sombre et prenante et sa maîtrise du souffle long séduisent.
Veronica Cangemi est une Servilia pure et élégante de ligne et de timbre, de style aussi.
Cecilia Molinari campe un Annio des plus crédibles tandis que Markhus Suihkonen, géant sylvestre qu'on dirait sorti ante litteram du Seigneur des anneaux, paraît parfois un peu engorgé en Publio mais n'est pas dénué d'allure, avec un beau timbre et une excellente projection.
Pour ses débuts dans la fosse de Liège, le chef viennois Thomas Rösner impressionne par son énergie, sa probité stylistique remarquable, son sens acéré du discours et de ses volutes rhétoriques de haute école.
Jérôme Pesqué
Cécile Roussat et Julien Lubek: mise en scène, décors, costumes, chorégraphie et lumières
Tito Vespasiano : Leonardo Cortellazzi
Vitellia : Patrizia Ciofi
Annio : Cecilia Molinari
Servilia : Veronica Cangemi
Publio : Markus Suihkonen
Sesto : Anna Bonitatibus
Liège, le 24 mai 2019
L'utopie dont le prince est un enfant
Comme l'écrivait ici-même Emmanuelle Pesqué en 2015, "Cet opera seria, commande arrivée par rebond à Mozart pour célébrer le couronnement de Leopold II à Prague comme roi de Bohème ne pouvait que se manifester par un texte qui exaltait la grandeur souveraine, la tempérance généreuse et la clémence sincère. Cet idéal de gouvernement, viatique pour les souverains, restait un souhait pour gouvernant éclairé, d’autant plus que les vieilles monarchies se durcissaient devant les excès révolutionnaires français. Dès la mort de Joseph II en 1790, les réformes avaient marqué le pas. En l’espèce, le vieux texte de Métastase fut davantage excisé des passages qui auraient pu laisser penser à la bonne foi des conspirateurs de l’opéra et tout vocabulaire entretemps utilisé par les révolutionnaires français fut soigneusement extirpé, sans doute à la demande de Mozart, sans doute bien moins gagné à la cause des extrémistes qu’on ne le croit. C’est que l’époque avait bien changée et que le débat sur les tyrannicides avait quitté les salons pour gagner l’arène politique".
Si la Clemenza di Tito a été le premier opéra de Mozart à avoir été présenté à Londres, le 27 mars 1806, puis a été monté à Paris en mai 1816 au Théâtre italien, il semble que la Belgique ait dû attendre longtemps avant de l'applaudir. C'est la production des Hermann à La Monnaie, en juin 1982, qui a fait l’objet d'une captation par la RTB et d'une intégrale discographique dans la foulée, qui marque un tournant. Elle a été reprise in loco en 1985 (avec Martine Dupuy en Sesto) et remise au théâtre par Gerard Mortier dans toutes les institutions qu'il a dirigées, trois fois à Salzbourg (1992, 1994, 1997), deux fois à Garnier (en mai 2005 et septembre 2006) et, post-mortem, à Madrid en novembre 2016. Il y eut également une production de Pierre Constant présentée à Gand en 1997, une nouvelle production à Bruxelles en octobre 2013, celle d'Ivo Van Hove, et, de nouveau à Gand, la reprise de la production de Michael Hampe l'an dernier. Toutefois, Liège n'avait jamais entendu l'ultime opéra de Mozart jusqu'à ce printemps.
Mais cette nouvelle production, qui marque donc l'entrée au répertoire de l'Opéra royal de Wallonie de ce chef-d’œuvre, croit "fuir l'anecdote"(sic) et servir "une vision mythologique" par une "une incarnation a-topique" en "plaç[ant] l'oeuvre dans un ailleurs idéalisé, où vit en harmonie avec la nature un peuple primitif tel qu'un voyageur du XVIII° peut se le représenter. L'aristocratie, elle, est une caste inspirée de la mythologie, où chaque personnage voit son caractère incarné très concrètement dans sa forme qui mêle l'homme à l'animal ou à l’élément naturel".
Cécile Roussat et Julien Lubek qui semblent avoir commencé la lecture du livret par sa toute fin (Quel di che il ben di Roma / Mia cura non sarà), font ce qu'en terme de cinéma et de séries télévisées on appelle un cross-over en mettant en scène à la fois La Flûte enchantée et La Clemenza di Tito, parfaitement contemporaines, dans le sillage du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare que le XVIII ième siècle finissant redécouvrait avec délice.
Ils nous montrent un prince-enfant qui assiste, trônant dans sa loge d'avant-scène, à une favola in musica dans le goût du théâtre de cour d'inspiration jésuite pensé pour l'édification des élites, qui viendra, in fine, sur scène tendre la main à Titus, son alter ego adulte, une fois que celui-ci, au terme d'un processus d'élévation morale, se sera dépouillé de sa part animale (ici, la partie centaure de son étonnant costume) pour incarner le parangon du souverain éclairé.
On n’adhère vraiment jamais à cette vision tant le texte renvoie à autre chose de beaucoup plus précis et où les mondes animal et fantastique n'ont pas de place mais on se laisse charmer volontiers par ce ruissellement d'images permanent à l'imagination débridée et belle.
La distribution est dominée de très haut par le somptueux Sesto d'Anna Bonitatibus, à la voix si ronde, si riche, si irradiante d’humanité, et qui touche au cœur.
Grande fidèle de Liège, Patrizia Ciofi virevolte sur scène et dans le registre aigu mais son grave éteint ôte une grande part de sa force à sa Vitellia et déséquilibre son rondo (Non piu di fiori) avec le superbe cor de basset dont sa voix devrait se faire alors comme le prolongement.
Identifié à un nouvel Orphée dans ce nouvel Eden par la mise en scène, où on lui présente furtivement une lyre, mi-homme-mi-cheval, Leonardo Cortellazzi dessine un Titus inégal vocalement et pas toujours à la hauteur de la virtuosité de "Se all'impero" (dont les vocalises évoquent en effet un peu celles de la Reine de la nuit) qu'il aborde plus en rossinien qu'en mozartien, mais sa voix sombre et prenante et sa maîtrise du souffle long séduisent.
Veronica Cangemi est une Servilia pure et élégante de ligne et de timbre, de style aussi.
Cecilia Molinari campe un Annio des plus crédibles tandis que Markhus Suihkonen, géant sylvestre qu'on dirait sorti ante litteram du Seigneur des anneaux, paraît parfois un peu engorgé en Publio mais n'est pas dénué d'allure, avec un beau timbre et une excellente projection.
Pour ses débuts dans la fosse de Liège, le chef viennois Thomas Rösner impressionne par son énergie, sa probité stylistique remarquable, son sens acéré du discours et de ses volutes rhétoriques de haute école.
Jérôme Pesqué